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Classiques Garnier

Introduction à la deuxième partie

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Paul Léautaud, l’écrivain paradoxal
  • Pages : 261 à 262
  • Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 118
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406143314
  • ISBN : 978-2-406-14331-4
  • ISSN : 2260-7498
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14331-4.p.0261
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/03/2023
  • Langue : Français
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Introduction
à la deuxième partie

Méfiez-vous dun écrivain qui a fait sa carrière sans rien demander à personne, et qui, à cinquante ans passés, nest pas décoré. Ce ne peut être quun mauvais esprit, et dangereux. 

Paul Léautaud, Propos dun jour.

Après avoir décrit en première partie lobservation que faisait Léautaud du champ littéraire parisien, il nous faut maintenant voir comment il essaie de sy faire une place. Son Journal littéraire sera pour cela notre source principale. Mais il nous faudra en déjouer les pièges posés par Léautaud lui-même voulant se donner limage dun misanthrope revêche. Était-il vraiment, selon lexpression de Philippe Delerm, « un amoureux profond et sincère de la solitude1 » ? Faut-il le croire lorsquil affirme au journaliste Robert Mallet, dans leurs entretiens radiophoniques de 1950-1951, avoir toujours eu depuis lenfance un goût prononcé pour la solitude et quil prétend quun écrivain ayant accepté un prix est déshonoré ? Georges Perros regrette que les entretiens avec Robert Mallet aient donné de Léautaud au grand public limage dun « pantin à coups de canne sonore2 ». Léautaud ne peut être réduit à un seul caractère ; il est, comme il lécrit en sabritant derrière le masque de Maurice Boissard dans une chronique dramatique publiée dans La Nouvelle Revue française le 1er janvier 1922, « mobile, instable, distrait, incertain, jamais content de rien3 ».

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Lécueil est double quand on sattaque à la figure de Léautaud : soit on risque de lenfermer dans limage du misanthrope solitaire, soit, obnubilé par linstabilité de lhomme, on court le risque de ne jamais réussir à le cerner. Cependant une étude attentive du Journal littéraire replacé dans le champ littéraire de lépoque permet déviter ce double écueil. Il apparaît alors que Léautaud sest fabriqué tout un ensemble de comportements – des « habitus » dirait Bourdieu – correspondant à une stratégie, dailleurs conforme à celle de nombreux écrivains de lépoque soucieux d« arriver ». Léautaud a bel et bien tenté, en se servant des moyens que lui offrait cette époque, de se faire une place dans le champ littéraire. Le sentiment davoir échoué – et peut-être aussi sa timidité – lont conduit alors à se retirer sur lAventin4, entendons à adopter cette posture en retrait par laquelle on a voulu le caractériser. Mais il ne faisait, en se confiant plus que jamais à son Journal, que construire une posture de lécrivain en retrait, sans nullement renoncer à ses rêves de gloire. Il vivait en somme le paradoxe dun désir de reconnaissance mêlé à une méfiance accrue envers ses contemporains. Et la résolution de ce paradoxe, cest le Journal littéraire, réceptacle de la méfiance mais aussi source de la gloire attendue, qui finalement la lui donnera.

1 Philippe Delerm, cité par Serge Koster, Léautaud tel quen moi-même, Paris, Éditions Léo Scheer, 2010, p. 155.

2 Georges Perros, « Paul Léautaud : Journal littéraire, tome I », Nouvelle Nouvelle Revue française, 1er février 1955, p. 323.

3 Paul Léautaud, Théâtre de Maurice Boissard I (1915-1941) in Œuvres, p. 1531.

4 Force est de constater que la lecture de Philippe Delerm, qui fait de Léautaud un amoureux profond et sincère de la solitude et non un misanthrope « par échec, rebuffade ou déception » (Philippe Delerm, cité par Serge Koster, op. cit., p. 155), doit être nuancée.