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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Pascal et Baudelaire
  • Auteur : Millet-Gérard (Dominique)
  • Pages : 9 à 10
  • Collection : Lire le xviie siècle, n° 9
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812441950
  • ISBN : 978-2-8124-4195-0
  • ISSN : 2257-915X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4195-0.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/08/2011
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS

Jean Dubray, ancien professeur de philosophie de l’enseignement secondaire, docteur pour la seconde fois, nous présente ici, sous une forme remaniée et abrégée, la thèse qu’il a soutenue en Sorbonne au printemps 2010.

Sur un sujet très ambitieux, et si difficile qu’il n’avait jamais été pris de front, si ce n’est dans un remarquable article de Philippe Sellier, Jean Dubray nous offre une petite « somme théologique » et philosophique. C’est ainsi en effet qu’il a conçu cette recherche, dont il a significativement inversé les termes : il ne s’agit pas vraiment d’une étude de « réception » de l’œuvre de Pascal par Baudelaire, mais plutôt d’une réflexion articulée autour de grands concepts métaphysiques et moraux que l’on retrouve d’une œuvre à l’autre, et donc, de fait, d’une projection de Pascal sur le romantisme tourmenté de Baudelaire. Très scrupuleux, l’auteur ne cherche nullement à plaquer la pensée pascalienne sur ce poète complexe, souvent insaisissable qu’est Baudelaire : d’ailleurs la différence des genres littéraires utilisés (à part les fragments baudelairiens, Aphorismes, Journaux intimes, Fusées), celle des modes d’énonciation des deux auteurs, le passage de l’impersonnalité des Pensées à la prolifération des manifestations, du reste ambiguës, du « je » romantique, l’écart de deux époques interdisent d’emblée toute assimilation intempestive.

Jean Dubray ne tombe pas dans ce travers : partant du constat de « divergences éclatantes », il prend soin de toujours, très pédagogiquement, définir les termes servant de base à sa comparaison et d’en prendre en considération l’évolution sémantique. Il n’énonce jamais d’affirmations téméraires ni ne cherche à forcer l’analogie. Baudelaire est clairement défini comme un « moderne » chez qui la tentation de l’auto-idolâtrie, la complaisance à l’angoisse et la fascination pour le péché – sans parler de sa mise en poème – altèrent considérablement le sens théologique du lexique pascalien très présent, comme le prouvent des relevés à la fois précis et précieux, dans son œuvre.

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De fait, la posture de Baudelaire face à lui-même et au déchirement intime des « deux postulations simultanées » peut être rapprochée de celle de Pascal face aux libertins : ainsi se dessine une sorte d’« apologétique » ad usum sui, vécue et écrite par le poète dans l’angoisse et la contradiction ; la conscience aiguë et douloureuse des ravages intimes aussi bien que sociaux, du péché originel entraîne une conception extrêmement pessimiste de l’homme « incapable de bonheur, de justice, de vérité ». Subie dans l’effroi et le désespoir, - le fameux « gouffre » que ne cesse de côtoyer le Pascal de Baudelaire -, cette « voie de l’échec » suscite néanmoins, dans l’excès même de sa noirceur, un « retournement du pour au contre » qui ouvre, à la fin de ce travail, une perspective moins sombre : face à l’affirmation pascalienne se dessine, chez Baudelaire, le fragile rayon de l’espérance à travers la révolte et le blasphème. Sans doute est-ce aussi à Pascal que Baudelaire doit le tragique « vœu d’infini » qu’il porte en lui.

Il ne s’agit pas ici d’histoire des idées, ni même d’histoire religieuse : le terrain reste libre pour qui voudrait s’attaquer à l’épineuse question du jansénisme littéraire au xixe (et pourquoi pas au xxe) siècle, mais aussi à une stylistique comparée des deux auteurs. Ce qui intéresse Jean Dubray, c’est la confrontation prenante et convaincante de deux hommes aux prises avec une angoisse existentielle qui les pousse à écrire, l’un pour parachever et transmettre rationnellement l’éblouissement d’une conversion miraculeuse, l’autre, s’appuyant sur le premier et se l’appropriant, pour s’observer, se déchiffrer, crier sa douleur en la stylisant en poème, appeler au secours un Dieu dont la réponse n’est pas consignée. Pascal ouvrait le chemin, Baudelaire y trébuche superbement et répand du moins sur la modernité, fondu dans cet alliage de souffrance et de beauté qui fait la spécificité de son œuvre, ce désir de Dieu que Pascal, peut-être, lui a plus que tout autre infusé.

Dominique Millet-Gérard