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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Parade sauvage Revue ­d’études rimbaldiennes
    2021, n° 32
    . varia
  • Auteur : Thomas (Frédéric)
  • Pages : 303 à 306
  • Revue : Parade sauvage
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406127277
  • ISBN : 978-2-406-12727-7
  • ISSN : 2262-2268
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12727-7.p.0303
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/02/2022
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Jean-Pierre Bobillot, Rimbaud, Thiers, Pétain & Après, Paris, Patrick Fréchet éditeur, Les Presses du réel, 2021.

Cet essai réunit six textes, « revus et précisés » (les pages ne sont pas numérotées), que Jean-Pierre Bobillot a publié au cours de ces dernières années. Ainsi, le premier texte, qui donne le titre à louvrage (et qui est le plus virulent de lensemble), parut initialement comme une note de lecture des livres de Marcelin Pleynet et de Philippe Sollers (respectivement, Rimbaud en son temps, et Illuminations), dans le no 21 de Parade sauvage, en 2007. Rimbaud, Thiers, Pétain & Après sen prend à « la surveillance idéologique et esthétique » exercée sur le poète. Et daffirmer :

Si Rimbaud, malgré toutes les tentatives réductionnistes, ne peut décidément pas apparaître comme poétiquement correct, il faudrait que ce fût là son tort, sa lourde responsabilité : son erreur historique autant questhétique ? – Eh bien, non ! Cest là sa plus grande gloire, qui fait de lui, suivant la formule-titre de Christian Prigent, lun, et non des moindres, de « ceux qui merdRent ».

Dès lors, lauteur avance de manière convaincante – et avec verve – quà chaque fois que Rimbaud « a “changé de forme”, dangle dattaque, ou de cible, ou plus généralement modifié son propos (…) cétait dans le courant tourbillonnaire dune même dynamique démancipation, voire de liquidation, visant lordre (r)établi et en premier lieu, les institutions et les discours idéologiques ». Doù la condamnation sans appel de celles et ceux qui rejettent « lesprit dexpérimentation » et de « négativité créatrice », aussi bien chez Rimbaud que, plus largement, dans les avant-gardes. Doù, également, sa volonté de démontrer, dans et à partir des poèmes de lauteur des Illuminations, ce travail démancipation à lœuvre, dans les formes comme dans lesprit.

Ainsi, « loin dêtre cette aimable vignette pacifiste que lon sobstine encore, trop souvent, à y voir », le « Dormeur du Val » apparaît comme « une allégorie appelant à la reconquête républicaine ». Dans un autre texte du même recueil, lauteur revient sur ce poème, écrivant quil est possible que les « deux trous rouges au côté droit » du dormeur « relèvent dune sorte de surenchère idéologique… mâtinée de mauvais esprit : 304lincommensurable souffrance du Christ républicain est deux fois plus incommensurable que celle du Christ chrétien ».

À létude des poèmes de Rimbaud se mêle une réflexion sur lhistoire. Jean-Pierre Bobillot rappelle ainsi le contexte particulier des années 1960, en France, au cours desquelles, « Rimbaud, plus encore que Ducasse, y apparaît comme un enjeu déterminant dans les luttes et les stratégies, y compris de pouvoir, opposant les diverses composantes du champ littéraire et intellectuel dalors (voire, différents auteurs rassemblés dans une même composante : cétait le cas au sein de Tel Quel) ». Or, cest justement, des ouvrages danciens membres de Tel Quel (outre Pleynet et Sollers, Baudry) qui sont à lorigine des réflexions développées ici.

La critique de lenrôlement de Rimbaud par Pleynet et Sollers, « sous la sombre manière du ressentiment », d« une bien méchante entreprise » de remise en cause du principe même de la République est loccasion dune analyse historique de plus grande ampleur, interrogeant notamment le regard porté sur les responsabilités des institutions républicaines françaises dans la collaboration. Sexplique de la sorte lallusion à Pétain, « approximatif contemporain » de Rimbaud – il est né deux ans avant celui-ci, en 1856 –, dans le titre. De même, le troisième texte, « Rimbaud “zutiste” », donne lieu à un rapprochement stimulant des contextes culturels, français, au lendemain de lécrasement de la Commune, et allemand, dans les premiers temps de la république de Weimar. Tout en interrogeant le rôle de lintelligentsia – et ses enjeux –, Bobillot remet en cause la théorie de lautonomisation des champs développée par Bourdieu.

Emporté par sa critique – justifiée – de la « falsification » opérée par Pleynet et Sollers, Bobillot en vient cependant à une démonstration du républicanisme de Rimbaud, qui mériterait dêtre quelque peu complexifiée, à la lumière notamment de la Commune de Paris, ainsi que du romantisme révolutionnaire et de lilluminisme social, qui irriguent la pensée du poète. Il aurait dailleurs été intéressant dexplorer cette dimension, en la mettant en parallèle avec lattitude de Victor Hugo – et du positionnement de Rimbaud à son égard –, soumis aux mêmes influences, mais tout autrement configurées.

Frédéric Thomas

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Hugues Fontaine, Jean-Jacques Salgon, Philippe Oberlé, Rimbaud. Soleillet. Une saison en Afrique, Nanterre, Amarna, 2020.

Cet ouvrage se présente comme « un petit-livre catalogue » de lexposition Rimbaud – Soleillet. Une saison en Afrique, à la bibliothèque Carré dArt à Nîmes. Inaugurée fin janvier 2020, elle fut malheureusement obligée, en raison de la pandémie, de fermer peu après, avant de rouvrir quelques mois plus tard. Écrit après-coup, ce livre ne se veut pas un véritable catalogue de lexposition, mais plutôt une trace de celle-ci. Il en reprend les documents et les photos – notamment celles de Pierre Javelot –, en les accompagnant de deux textes inédits de Hugues Fontaine, commissaire de lexposition, et de Jean-Jacques Salgon, conseiller littéraire.

Jean-Jacques Salgon revient sur la rencontre entre le « passant considérable » et Soleillet, quil nhésite pas à qualifier de « looser magnifique » (page 17) ; une rencontre qui na pratiquement pas laissé de trace, mais dont il relève limportance. Ce serait, selon lui, en janvier 1882, à Aden, à lHôtel de lUnivers ou à la fabrique Bardey, où Rimbaud travaillait, que les deux hommes ont dû faire connaissance. Célébré en son temps, Paul Soleillet serait peut-être complètement oublié, aujourdhui, sil navait croisé la route du poète. Salgon revient sur son parcours, ses voyages : au Sahara, au Soudan, et en Éthiopie, où il fut « lun des premiers collecteurs dobjets ethnographiques de cette région de lAfrique » (page 49).

Le livre reproduit nombre de cartes dépoque, parcellaires, de la corne de lAfrique, rappelant qu« il fallait à Rimbaud, marcheur et cavalier infatigable, inventer les cartes de ses courses, car il explorait des contrées pour lesquelles aucune carte navait encore été dressée » (page 114). Mais, bien entendu, lintérêt majeur de cet ouvrage réside dans les photographies. Tout particulièrement, celles réalisées par Édouard Bidault de Glatigné, en 1884, à Obock (pages 68-71) – dont le plan large de Paul Soleillet et de ses assistants éthiopiens, dans son 306« bureau » (pages 48) –, ainsi que celles de Léon Chefneux, et de la série Maindron, dans les années 1880.

Sont également reproduites les photographies que Rimbaud fît de lui, au printemps 1883, à Harar. Reprenant ce quil en disait lui-même dans sa lettre – « Ceci est seulement pour rappeler ma figure et vous donner une idée des paysages dici » –, le texte insiste : il sagit de « “rappeler” aux siens sa figure, non la montrer. Il veut aussi leur donner à voir les lieux où désormais il vit en Afrique. Rimbaud se fond dans le paysage. Il a sans doute vieilli. Ici, il est devenu imphotographiable » (page 40). Les photographies de Pierre Javelot, réalisées en 2019, constituent un miroir contemporain à celles prises il y a cent quarante ans. La confrontation de ces représentations constitue dès lors une mise en abîme, qui permet peut-être de mieux mesurer la distance géographique et temporel entre cet ailleurs inconnu, où Rimbaud trafiquait, et nous ; la distance aussi entre le « rappeler » et le « montrer ».

Frédéric Thomas