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Classiques Garnier

Foreword

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Parade sauvage Revue ­d’études rimbaldiennes
    2021, n° 32
    . varia
  • Authors: Saint-Amand (Denis), St. Clair (Robert)
  • Pages: 11 to 13
  • Journal: Parade sauvage (Wild Parade)
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406127277
  • ISBN: 978-2-406-12727-7
  • ISSN: 2262-2268
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12727-7.p.0011
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 02-09-2022
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
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Avant-propos

En ouverture de la précédente livraison, nous revenions sur lannée qui sachevait après avoir bouleversé nos repères, nos modes de sociabilité, nos échanges, nos façons de vivre et manières dêtre, en espérant que lespace des possibles de 2021 serait plus ouvert : ce ne fut hélas pas vraiment le cas, et lardente patience de découvrir le « monde daprès » semble désormais faire place à une prudence résignée. Lan dernier, nous célébrions les 150 ans des débuts rimbaldiens, depuis les tentatives de se faufiler parmi les Parnassiens jusquau séjour prolifique à Douai en passant par celui, plus frustrant, à Mazas. Cette année, il nous paraissait logique de poursuivre le sillon en célébrant le cent-cinquantenaire dune année qualifiée par Victor Hugo de « terrible », mais qui se révèle peut-être lune des plus cruciales pour lhistoire de la littérature française : si elle a vu naître Marcel Proust et Les Rougon-Macquart, 1871 est prolifique et décisive pour Arthur Rimbaud : cest lannée des départs à pied vers un Paris en pleine ébullition révolutionnaire (« chaque libraire [a] son siège [] telle était la littérature du 25 février au 10 mars… ») ; cest lannée donc des furieux désirs de se déterritorialiser : de se faire autre, de partir vers un ailleurs où le poète de dix-sept ans naurait plus cette impression de végéter tel un grotesque assis dune province que lon « ne trouve pas » (ou, disons, un « ange aux mains dun barbier » se soulageant sur les fleurs les plus fines de la rhétorique et du vers). Mais cest aussi lannée des ruptures poétiques : des deux lettres dites « du voyant », surtout, où sénonce avec ferveur un art poétique aussi énergique quintransigeant et à tant dégards engagé dans sa situation sociale et historique. (Que lon noublie pas que, dans ces lettres des 13 et 15 mai, les poèmes qui accompagnent – sans doute à titre dillustration – la théorie du dérèglement révolutionnaire des sens poétiques sont présentés comme des « psaumes dactualité ».) Lannée de la Commune de Paris – du « glorieux 18 Mars » jusquaux atrocités de la Semaine sanglante – qui 12marquera le devenir du poète de façon décisive et dont limaginaire innervera la totalité de son œuvre. 1871 marque pour Rimbaud lannée de la découverte – enfin ! – du milieu littéraire parisien, sur invitation de Verlaine, mais aussi de la déception aiguë provoquée par ce cadre où le jeune provincial comprend rapidement quil ne trouvera pas sa place ; cest lannée du Zutisme, alternative secrète et potache au dogmatisme parnassien et au sein duquel Rimbaud, en compagnie de Verlaine, se dévoile plus zutiste que le Cercle lui-même ; lannée de lexceptionnel « Bateau ivre », qui montre à qui sait les lire les traces de la répression versaillaise autant que la démonstration dune maturité poétique ; lannée de ces « Voyelles » colorées si déroutantes et propices aux essais herméneutiques – une année riche et pleine au centre de la majeure partie des contributions de ce numéro, que nourrissent aussi des études sur les Illuminations, sur les rapports entre Rimbaud et John Ashbery ou sur le mystérieux Jef Rosman, peintre présumé dun portrait du poète.

Au moment de composer cet avant-propos, il nous faut toutefois dire combien lénergie et lenthousiasme mis au service de la revue ont été bousculés par lannonce de la disparition de Yann Frémy, ancien codirecteur de Paradesauvage, collègue brillant et, surtout, notre ami. Lesprit de partage, de curiosité et de générosité éditoriale, ainsi que sa finesse herméneutique nont cessé de nourrir les études verlainiennes et rimbaldiennes depuis deux décennies. Responsable avec Seth Whidden de Paradesauvage et de la Revue Verlaine, commentateur éclairé dUne saison en enfer (auteur de lessai « Te voilà, cest la force » et directeur du collectif « Je mévade ! Je mexplique. Résistances dUne saison en enfer »), codirecteur avec Solenn Dupas et Henri Scepi dUnconcertdenfer, passionnante édition croisée des œuvres de Rimbaud et Verlaine, puis, avec Adrien Cavallaro et Alain Vaillant, de lentreprise collective du Dictionnaire Rimbaud, Yann fut une véritable « main amie » au fil des ans pour une communauté de chercheurs et de chercheuses, dartistes et décrivains et décrivaines sétendant de la France au Japon en passant par lAmérique du Nord ou le Royaume-Uni. Sil sest brutalement éteint, ses travaux continueront de nous éclairer dans les pages de cette revue, dans nos propres recherches et dans celles des rimbaldiens et rimbaldiennes à venir, tandis que le souvenir de son rire nous aidera bientôt à dissiper la grisaille. Nous 13dédions le présent numéro à la mémoire vivante de ce collègue et ami que nous regrettons tant.

Denis Saint-Amand
et Robert St. Clair