Skip to content

Classiques Garnier

Preface 1870–2020

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Parade sauvage Revue ­d’études rimbaldiennes
    2020, n° 31
    . varia
  • Authors: Saint-Amand (Denis), St. Clair (Robert)
  • Abstract: An introduction to issue 31 of Parade sauvage providing an overview of the issue’s content as well as a framing of the special dossier devoted to the poet’s 1870 corpus which marks the 150th anniversary of the “considerable passerby’s” first steps into poetic posterity.
  • Pages: 11 to 13
  • Journal: Parade sauvage (Wild Parade)
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406112655
  • ISBN: 978-2-406-11265-5
  • ISSN: 2262-2268
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11265-5.p.0011
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 12-28-2020
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
  • Keyword: Rimbaud, 1870, Douai, Demeny, Izambard, Annus terribilis, early poems, close reading and interpretation
11

Avant-propos

1870-2020

Le volume de Parade sauvage que vous tenez entre vos mains a été composé dans des circonstances que lon pourrait par voie de dysphémisme rimbaldien qualifier de « rugueuses ». Quand bien même il sagirait dans labsolu de lun des moindres maux causés par la pandémie à laquelle le monde entier a affaire depuis lhiver passé, il appert quà peine entamée cette année 2020 fut marquée – en plus de léclatement de notre sens collectif, impensé du quotidien ou du « normal » – par un quasi effondrement des pratiques, rouages et infrastructures qui rendaient auparavant possible lactivité pragmatique du milieu de la recherche universitaire et critique. Ainsi, nous souhaitons commencer par rendre un hommage sincère et amical à lensemble de chercheurs et de chercheuses qui ont répondu à lappel de cette trente-et-unième livraison en surpassant les écueils de lisolement, de langoisse, de lincompréhension et de lexaspération qua pu susciter la situation, voire de réalités prosaïques comme la fermeture des bibliothèques universitaires – nos contributeurs et contributrices furent peut-être plus dune fois solidaires ces derniers mois avec le poète carolopolitain quand, il y a 150 ans, il se désespérait dans une lettre à Georges Izambard dune étouffante sensation de confinement : ils « espérai[ent] surtout des journaux [académiques], des livres… Rien ! Rien ! » – lenseignement àdistance, les confinements, les inquiétudes… Il neût été que trop facile, et fort compréhensible par-dessus le marché, de répondre : « Travaillez maintenant ? Jamais ! Jamais ! »

On découvrira ici, en marge dun dossier consacré aux textes de 1870, un ensemble dinterventions dont la richesse pluridisciplinaire constitue un témoignage de létendue de lintérêt pour les textes rimbaldiens dans le monde de la recherche sensu latto : de lhistoire de lart aux études comparatistes et francophones en passant par des exégèses interrogeant la représentation de la « voix » lyrique dans la poésie en 12prose, les manifestations dun matérialisme à lœuvre dans les derniers vers et les poèmes en prose, une intertextualité complexe avec les expériences graphique et sémiotique chez Hugo, ou avec René Char, ce que lon trouvera dans la présente livraison de Parade sauvage, cest la preuve que, 150 ans après son point de départ, tel un « bruit neuf » dans la République des lettres, il reste encore bien des choses à lire dans lœuvre rimbaldienne.

Doù notre désir éditorial de mettre en perspective en cette année 2020 les points de départ : 150 ans après la lettre du 24 mai à Banville où le poète annonce et le désir de quitter Charleville et lespoir entremêlé darriver (« …Ambition ! ô Folle ! ») à côtoyer les Parnassiens ; 150 ans après les départs en catimini vers Charleroi, Paris et Douai en affirmant « sentêter affreusement à adorer la liberté libre » ; 150 ans après la fameuse lettre du 5 septembre à Izambard, depuis Mazas où laspirant poète croupit, après avoir passé des semaines à ruminer sa solitude (son frère sest enrôlé dans larmée française, son professeur passe lété à Douai, dans sa famille daccueil). Le 29 août, Rimbaud, qui na alors pas encore seize ans, a comme on le sait pris le train pour Paris, où il se fait arrêter à la Gare du Nord pour navoir pas payé son billet. Entre larrestation et la lettre à Izambard, Rimbaud na rien suivi de lactualité : il ne sait pas que larmée française a subi une défaite infâmante à Sedan, que Napoléon III a été fait prisonnier, que lEmpire sest écroulé. La missive est emblématique du culot et de laudace de Rimbaud ; son postscriptum en particulier, vaut le détour : « et si vous parvenez à me libérer, vous memmènerez à Douai avec [vous]. » Pas encore tiré daffaire, le jeune homme ne manque pas dannoncer à son futur sauveur quil simposera dans sa famille. Solution préférable à lidée de ramasser une déculottée au moment de retrouver sa mère, et qui permettra aussi à Rimbaud de rencontrer le poète et éditeur Paul Demeny : cest à ce dernier quil confiera ce quon appelle aujourdhui le « Cahier de Douai », – rassemblant des textes qui sont autant de premières manifestations dune révolte esthétique, politique et sociale qui ira en sintensifiant au cours de lAnnée terrible à venir. Cent cinquante ans plus tard, il nous semble que le meilleur hommage à rendre à Rimbaud, loin des enterrements de raccroc et des cérémonies pompeuses, est de relire ces points de départ qui, en 1870, contribuèrent à bouleverser non seulement la 13destinée de ce poète venu de nulle part (cette ville natale et blafarde, « à côté […d]une ville que lon ne trouve pas… »), mais aussi celle de la poésie moderne.

Denis Saint-Amand
et Robert St. Clair