Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Parade sauvage
2017, n° 28. Revue d’études rimbaldiennes - Auteurs : Bardel (Alain), Eyestone (Emily), Lhermelier (Cyrille)
- Pages : 221 à 250
- Revue : Parade sauvage
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406080916
- ISBN : 978-2-406-08091-6
- ISSN : 2262-2268
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08091-6.p.0221
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/04/2018
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
Henri Sztulman, Rimbaud, l’impossible amour, Rue des gestes, janvier 2017, 160 p.
Rimbaud, l’impossible amour, sous-titré Lecture, se présente comme une invitation à lire, ou à relire une sélection de textes, à la lumière d’une approche psychanalytique. Henri Sztulman témoigne avoir mené tout le long de sa vie et de sa carrière de psychanalyste une « conversation ininterrompue avec Arthur ». La vie psychique de Rimbaud se reflète naturellement dans sa poésie et c’est en interrogeant ses textes tout autant que sa biographie que l’auteur nous propose de cheminer dans l’élucidation de ce qu’on appela jadis « le problème de Rimbaud » (Marcel Coulon).
Comme l’indique le titre de son livre, cette quête de l’Impossible dont on a tant parlé à propos de Rimbaud fut en tout premier lieu pour l’auteur une quête de l’amour : « l’histoire d’un amour jamais trouvé puisqu’il n’a pas existé au départ ». Telle est la thèse centrale, à l’appui de laquelle Henri Sztulman cite cet aphorisme de Freud, extrait des Trois essais sur la sexualité : « trouver l’objet sexuel n’est au fond que le retrouver ». Or, et je laisse la parole à l’auteur : « À Arthur furent refusés : la tendresse maternelle source de vie, le socle d’une enfance triangularisée par l’Œdipe, la fermeté d’un père présent et enfin, la possibilité de rejouer à l’adolescence, dans une nouvelle donne, un New-Deal, cette expérience non faite. »
Révolté, au moment de l’adolescence, contre une mère excessivement exigeante et intolérante, Arthur, nous dit Henri Sztulman, présente le symptôme d’une « contre-identification partielle à l’image maternelle » dont on trouve la trace évidente dans Les poètes de sept ans : « elle avait le bleu regard, – qui ment ! » Répertoriant les éléments qui ont fait de Madame Rimbaud une « femme de devoir », l’auteur note qu’elle n’était pas incapable d’amour, « mais il fallait alors que l’objet de son amour se pliât totalement à sa volonté ». Cet amour pour son fils, Vitalie l’a suffisamment démontré : adolescent, elle « saura tolérer ses incartades » (cf. son étonnante correspondance avec Verlaine, sa relation 222apaisée et compréhensive avec l’ami de son fils), adulte, elle répondra avec constance aux appels qu’il lui lance depuis son exil africain. Ses errances, d’ailleurs, ramèneront sans cesse Rimbaud à Roche, auprès des « siens ». Et Sztulman va jusqu’à conclure : « Il y eut une véritable histoire d’amour non exprimée entre Arthur et sa mère ». Mais, cette affection maternelle, tout laisse deviner que l’enfant ne l’a pas ressentie. Du poème Les Étrennes des orphelins, on déduit qu’« Arthur a le sentiment d’être orphelin […] À l’évidence, Arthur dans ce poème écrit avant ses seize ans, évoque sa propre enfance : point de rêverie maternelle… et le père est bien loin. »
En ce qui concerne le capitaine Rimbaud, son absence dans la correspondance, dans la poésie et apparemment dans la vie de Rimbaud ne peut être qu’un leurre pour un psychanalyste. Et, de fait, on repère des « signes » d’une « présence psychique de Frédéric Rimbaud dans la pensée, voire l’œuvre de son fils Arthur » : le portrait plutôt flatteur des conquérants français de l’Algérie dans la composition en vers latins Jugurtha (1869) ; l’affirmation « Ma mère est veuve » dans une lettre à Verlaine de 1871 ; le curriculum vitae (Brême, 1877) dans lequel Rimbaud se prétend un déserteur du 47e Régiment de l’Armée française, le régiment de son père ; la note de Bardey déclarant son agent à Harar natif de Dole dans le Jura, la ville où est né Frédéric Rimbaud. Si l’on ajoute à ces détails « bizarres » le tropisme africain qui a marqué l’âge adulte de Rimbaud, on ne peut que conclure à l’existence latente chez lui d’une « identification inconsciente à son père ». Du côté de l’œuvre, le poème zutique Les Remembrances du vieillard idiot, qui a l’allure d’une « autobiographie freudienne du très tourmenté Arthur […], caricature des inquiétudes adolescentes sur la naissance de la sexualité […], montre avec éclat la présence paternelle dans le psychisme du jeune homme : “Pardon mon père !”. »
Son histoire personnelle explique que Rimbaud ne soit jamais parvenu à établir une relation harmonieuse durable. Successivement et rapidement déçu par Izambard, Demeny, Banville, il tente aussitôt de s’attacher Verlaine, « ce malheureux Verlaine qui aimait Arthur, mais qu’Arthur n’aimait pas ». Pour Sztulman, en effet, l’étroite relation amoureuse consentie par Rimbaud pendant son compagnonnage avec Verlaine n’eut « d’autre objet que d’assurer une emprise sur son partenaire ». C’est pourquoi « rien ne permet de dire qu’Arthur ait été homosexuel : 223ce n’était là pour lui qu’un symptôme dans le cadre du dérèglement général qu’il prônait, un moyen de tenir encore davantage Verlaine ou éventuellement, de promouvoir ses idées. » L’état de crise permanent vécu par les deux poètes dans leur « roman de vivre à deux hommes » (Parallèlement, 1889) s’explique par le fonctionnement psychologique de Rimbaud : « Arthur fonctionne sur un double registre : besoin d’emprise sur l’autre, angoisse panique d’abandon, alternant ruptures et dépendance anaclitique. » Mais, pour ce qui est de l’homosexualité, dont la pratique n’est pas douteuse, « Rimbaud n’avait aucun goût de ce côté-là ».
Les analyses de Sztulman sont souvent convaincantes mais, sans être un groupie (j’espère) de « l’ange de Charleville » (Claudel), j’avoue un certain malaise devant l’image assez déplaisante que son livre finit par donner du jeune poète. Incapable d’aimer et calculateur, cruel vis-à-vis de Verlaine qu’il aurait entraîné dans une aventure déstabilisatrice alors qu’il ne l’aimait pas. Je n’affirme pas que cette image soit erronée. Car il s’agit d’une question (les sentiments réels de Rimbaud, son organisation sexuelle fondamentale) une question ou des questions concernant lesquelles on ne peut avoir qu’un point de vue subjectif, faute de données factuelles. Mais enfin, est-il possible de réduire la relation homosexuelle avec Verlaine, qu’on associe au projet de « réinventer l’amour », qu’on loue pour son courage face aux tabous sexuels de l’époque, à un simple procédé adopté par Rimbaud pour asseoir son emprise sur son compagnon ? Un poème comme Antique, pour ne prendre que cet exemple, est-il l’œuvre de quelqu’un qui « n’avait aucun goût de ce côté-là » ? Et les lettres déchirantes de Londres en 1873 (« Le seul vrai mot, c’est : reviens, je veux être avec toi, je t’aime ») sont-elles à mettre au seul compte de « l’angoisse panique d’abandon » ? Est-il bien objectif d’attribuer la révolte, dont toute une tradition fait de l’auteur du Bateau ivre le poète par excellence et l’icône, à une détermination (« gauchiste avant la lettre », écrit Sztulman) à « tout bousculer et basculer », comparable dans sa rigidité iconoclaste à cette « rigidité d’obéir aux normes de la mondanité et du sacrifice » que l’on observe chez sa mère ? Disons que je regrette dans ce livre (comme dans bien d’autres récemment parus sur le sujet) qu’il insiste beaucoup sur ce que j’appellerais le côté « voyou » de Rimbaud (qui existe, c’est certain) et pas assez peut-être sur les aspects sympathiques, et même émouvants, 224du personnage, tel qu’il apparaît dans ses textes : le réfractaire qui sait de quelle vie il ne veut pas mais hésite entre les autres vies possibles, entre les divers « moi » possibles ; le mal aimé qui sait où l’amour lui a manqué mais hésite devant les multiples autres dévotions possibles ; l’adolescent oscillant entre espoirs et angoisse, pris de vertige au seuil des choix décisifs.
Alain Bardel
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Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Un concert d’enfers : Vies et poésies, édition établie et présentée par Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi. Gallimard, coll. « Quarto », 2017, 1 855 p.
Il n’est pas possible de comprendre la poésie de Rimbaud et de Verlaine sans considérer les liens esthétiques et biographiques entre les deux auteurs. Le nouveau Quarto compilé par Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi traite cette question fondamentale. Comme les auteurs le signalent dans la préface d’Un concert d’enfers : vie et poésie, les échanges biographiques entre Rimbaud et Verlaine ont souvent été remarqués par les critiques. Ce volume est notable parce qu’il rassemble toute l’œuvre de Rimbaud et la grande majorité de celle de Verlaine dans un seul ouvrage. En outre, le regroupement de textes montre que le style personnel de chaque poète ne peut pas être compris sans une considération parallèle de leurs œuvres. Malgré les liens remarquables entre la vie de Rimbaud et Verlaine, les éditeurs entreprennent une étude comparative qui expose, « un système de tensions, de rapprochements et d’éloignements…qui témoignent de l’individuation des deux poètes, de la capacité de singularisation des deux œuvres, chacune dans leur force et leur fierté » (p. 9). L’ouvrage réussit à travers sa démarche parallèle 225à proposer une façon d’apprécier les correspondances et les moments d’unisson entre les deux œuvres tout en respectant leur spécificité.
Plus qu’un simple résumé des moments partagés entre Verlaine et Rimbaud, Un Concert d’enfers trace la durée de la vie individuelle de chaque poète en notant les croisements entre les deux. Le livre commence avec une chronologie détaillée, qui puise largement sur les correspondances de chaque poète. La sélection très riche de documents originaux, y compris des photographies, des dessins et des revues de presse qui accompagnent la chronologie, permet de situer ces deux poètes révolutionnaires dans une continuité historique et concrète. Le volume adopte une approche chronologique pour classifier de façon exhaustive toutes les œuvres de Rimbaud et Verlaine, en commençant par leurs toutes premières tentatives – notamment dans le cas de Rimbaud, cette évolution commence avec « Le Cahier des dix ans » et les « Vers latins ». La rigueur et le souci du détail apportés par les éditeurs aux analyses des recueils et à la contextualisation historique des œuvres aboutissent à une étude riche et originale. Pourtant il ne s’agit pas d’une édition critique. Les préfaces qui introduisent chaque recueil offrent des commentaires pertinents et parfois novateurs mais l’absence des références critiques et une bibliographie complète se situe l’ouvrage dans une autre catégorie.
Dès le début, l’accent est mis sur l’effet de l’influence qui rapproche Verlaine et Rimbaud, et comment leur poésie répond à la tradition poétique du xixe siècle. Les éditeurs retracent les sources qui inspiraient le style des deux poètes, ce qui permet de comprendre leurs vers dans la continuité des développements poétiques du xixe siècle. L’influence puissante de Baudelaire occupe une place déterminante dans la poétique émergente de ces deux jeunes poètes. Dans une lettre à Demeny en 1871, Rimbaud écrit que Baudelaire est pour lui « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu ». En ce qui concerne Verlaine, les éditeurs du volume reproduisent plusieurs documents qui accompagnent ses premiers vers des années 1860, y compris plusieurs lettres qui précisent l’influence fondamentale de Baudelaire, premier poète de la modernité. Les éditeurs ont raison de signaler non seulement l’importance de ce précurseur dans l’évolution de la poétique verlainienne-rimbaldienne, mais aussi comment – peut-être paradoxalement – l’imitation les mène à développer leur propre style. Ce n’est pas étonnant de voir à quel point Verlaine et Rimbaud s’appuient sur l’exemple de Baudelaire, la 226figure décisive qui a vraiment déclenché une crise dans la tradition de poésie lyrique au xixe siècle. Néanmoins, étant donné que l’influence est un aspect central de l’anthologie, il est efficace de montrer comment Rimbaud et Verlaine s’inspirent de l’esthétique de Baudelaire, qui met en question la fiabilité du sujet lyrique. L’ouvrage démontre à quel point Rimbaud et Verlaine contribuent à la problématisation du sujet lyrique, et la situation de leur poésie par rapport à l’influence de Baudelaire nous aide à retracer l’évolution de la poésie moderne. Le rôle des influences dans la création poétique complique davantage le statut d’un sujet lyrique unique et unifié, en montrant qu’en réalité, la poésie surgit d’un ensemble – ou bien, d’un concert – de voix, de sources, et d’influences.
La présence puissante de Baudelaire s’annonce notamment dans « Les déserts de l’amour » de Rimbaud. Ces textes s’inspirent clairement de la forme du poème en prose baudelairien, même s’ils s’éloignent de l’exemple des « Tableaux parisiens » de façon significative. Dans sa préface, Yann Frémy s’appuie sur les découvertes de Christophe Bataillé dans sa thèse doctorale qui examine « Les déserts de l’amour ». La thèse de Bataillé contribue beaucoup à l’étude de l’ouvrage, en établissant une chronologie pour la production du manuscrit, qui permet d’évaluer à quel point les textes pourraient être considérés comme un ensemble. Il adopte ensuite une approche générique pour interroger leur classification comme poèmes en prose. Frémy élabore cette approche, en suggérant que le récit de rêve qui caractérise les textes leur confèrent une certaine unité, même si c’est une association qui surgit de leur résistance d’être catégoriser d’une façon générique.
Le titre de la préface du volume, « Le roman de vivre à deux hommes », est inspiré du poème « Læti et Errabundi » de Verlaine. La formulation verlainienne d’un « homo duplex » est également évoquée à plusieurs reprises. C’est à travers l’expérience d’une division identitaire, d’une instabilité et d’un mouvement constant que le sujet poétique se définit. Un concert d’enfers nous invite à considérer cette phrase dans le contexte de la relation entre Verlaine et Rimbaud. Une lecture de cette anthologie nous permet de voir à quel point l’itinéraire de chaque poète implique et incorpore l’influence de l’autre, tant et si bien que leurs styles uniques se définissent non pas par une singularité mais par une relation double. La reformulation du vers, « Le roman de vivre à deux hommes » est ainsi une extériorisation du dédoublement intérieur évoqué par Verlaine. Cette 227thèse suggère une pratique littéraire et un mode de vie qui émergent d’une relation entre deux esprits.
La notice de Yann Frémy sur La Bonne Chanson apporte une perspective novatrice à un recueil qui est souvent considéré le plus autobiographique et transparent de l’œuvre verlainienne. Plutôt qu’une simple idéalisation de la vie bourgeoise, Dupas propose que la crise identitaire de Verlaine est toujours opérante dans La Bonne Chanson même s’il est dissimulé ou caché sous la surface. Il semble que Verlaine s’ouvre de manière transparente à l’expression intime dans La Bonne Chanson. La contribution de cette notice est d’examiner de plus près la lucidité apparente de l’œuvre. La Bonne Chanson représente plutôt un report ou même une suppression des tensions et des contradictions qui pèsent sur le poète. Une considération de La Bonne Chanson dans le contexte de toute la production poétique de Verlaine exige une interrogation de la simplicité naïve du recueil.
La proposition d’un art poétique qui s’établit sur la notion de dédoublement correspond bien aux autres thèmes identifiés par les éditeurs, surtout l’expérience du corps. Bien entendu, il s’agit de deux poètes, de deux hommes distincts, d’une union amoureuse entre les deux, et de leur séparation physique. La dimension sensuelle de la poésie de Rimbaud et Verlaine confère une dimension affective à leurs vers. Par exemple, Scepi note la primauté de la sensation et de l’érotisme dans ses introductions aux Fêtes galantes et aux Illuminations, qui constituent les efforts de reformuler les formes proscrites de la poésie lyrique. Scepi note que Verlaine essaye de rapprocher le corps à l’expression poétique : « [Verlaine] combine avec des motifs convenus une polyphonie subtile qui démontre que tout l’enjeu, en l’occurrence, réside dans ces broderies du dire, dans le froissement des voix satinées de la chair » (p. 291). Scepi poursuit cette même voie d’analyse dans son introduction à Romances sans paroles ; il met en lumière l’importance de la dimension musicale du langage pour donner une sorte d’immanence au poème.
En outre, le corps est important dans l’articulation des positions politiques pour chaque poète. En commençant avec « Le Rêve de Bismarck », la petite caricature écrite par Rimbaud en 1870 sur l’empereur prussien, Yann Frémy montre l’évolution de la pensée politique chez Rimbaud. Il met l’emphase sur la tension constante entre le statut éphémère de la poésie qui est plutôt du côté de fantaisie et de rêve et la nature concrete du corps de Bismarck. Il semble que la poésie est impuissante 228et inutile face au pouvoir absolu de l’état. Cependant, Frémy insiste sur la métaphore utilisée par Rimbaud pour décrire l’empereur, qui est souvent comparé à la fumée (« l’empereur est bien délicat comme une bougie »). On voit qu’il y a un mouvement constant entre les états de matérialité et de rêve. La contradiction entre la présence forte et corporelle de Bismarck et sa fugacité est clarifié dans la phrase suivante. Frémy note que « de Napoléon III à Bismarck, le corps du politique assure la jouissance de pouvoir ». Même si l’incarnation de pouvoir s’achève en jouissance, ce pouvoir n’est jamais fixé dans un seul corps politique. Il semble possible de voir dans ce texte l’émergence d’une vision politique où le pouvoir momentanément concentré dans le corps de l’empereur passe éventuellement au corps politique du peuple.
Dès les premiers vers de 1871, Rimbaud identifie aussi son corps comme « lieu de connaissance ». À différents moments la chair est le lieu de plaisir et de libération sexuelle, qui est mis en évidence également par Verlaine dans les recueils tels que Romances sans paroles ou Parallèlement. Le corps devient le site principal de la subversion poétique dans l’Album zutique, et aussi le lieu de la plus grande souffrance pour Rimbaud dans Une saison en enfer. Les recueils qui datent de 1872-1874 révèlent l’influence réciproque entre Rimbaud et Verlaine, ainsi que la construction d’une esthétique qui se cristallise grâce au rapport entre les deux poètes. Comme l’écrit Scepi (p. 765),
Les poèmes que Rimbaud écrit pendant le printemps et l’été 1872 réverbèrent les échos d’une recherche sinon convergente du moins sensiblement parallèle. Ils révèlent la porosité d’une écriture qui accorde la voix verlainienne aux accents déliés d’un écrivain en quête d’une autre voix.
C’est définitivement dans les liens entre Romances sans paroles et les Vers de 1872 de Rimbaud qu’on voit l’élaboration d’une poétique unique à chaque poète, mais qui se constitue au même temps à travers des échanges. Cette poétique émergente qui peut être qualifiée par le vers, « le roman de vivre à deux hommes ». Dans une étude attentive de la correspondance de Rimbaud de cette époque, Scepi reconstruit la manière dont le jeune poète s’inspire du style plutôt musical et impressionniste de Verlaine pendant cette période, en adaptant l’approche de son aîné pour créer une poétique qui se définit par « l’invention du simple » ou « une esthétique de l’indicible » (p. 767).
229L’apport de cet ouvrage n’est pas de proposer de nouvelles approches critiques qui sont radicalement différentes aux études de Rimbaud et Verlaine individuellement. Les lecteurs qui connaissent déjà les œuvres de ces poètes reconnaîtront plusieurs commentaires et approches critiques que les éditeurs apportent à leurs œuvres individuelles. C’est plutôt dans la confrontation de leurs textes et l’analyse de l’influence réciproque, qu’émerge un portrait de leur poésie qui est d’autant plus riche et profond dans toute sa complexité. Ce volume nous invite à considérer leurs vies et leur poésie côte-à-côte, en proposant que le style de chacun est inséparable de l’influence de l’autre, et que l’esthétique de chaque auteur est en fait le résultat d’une relation.
Emily Eyestone
Princeton University
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Eddie Breuil, Du Nouveau chez Rimbaud, Paris, Honoré Champion, 2014.
Les poèmes en prose d’Arthur Rimbaud publiés sous le titre Les Illuminations (ou plus souvent, et à tort, sous celui d’Illuminations) seraient en réalité certaines des Notes parisiennes, composées par Germain Nouveau (1851-1920) : voici ce que prétend établir la démonstration de l’auteur. Afin de parvenir à cette conclusion, le chercheur pose d’indispensables prémisses, désormais numérotées en gras.
1. À Stuttgart, il ne fut point question de littérature.
Fin février, ou tout début mars 1875, lors de la rencontre de Stuttgart, qui fut la dernière entre Verlaine et Rimbaud, les deux poètes n’ont pas parlé de littérature, ni évoqué de projets éditoriaux (p. 22-25) :
230Le caractère idyllique de la rencontre et le mythe de la concertation autour d’un projet éditorial sont une pure invention de ce critique [Bouillane de Lacoste] : au contraire, d’après les témoignages de Rimbaud et Delahaye, la rencontre a été violemment animée et n’a certainement pas été placée sous l’angle littéraire. […] Il serait étonnant que la rencontre ait pris une tournure éditoriale.
Or, Rimbaud écrit dans sa lettre à Delahaye du 5 mars :
Verlaine est arrivé ici l’autre jour, un chapelet aux pinces… Trois jours après on avait renié son dieu et fait saigner les 98 plaies de N. S. Il est resté deux jours et demi, fort raisonnable et sur ma remonstration [sic] s’en est retourné à Paris, pour, de suite, aller finir d’étudier là-bas dans l’île1.
« Remonstration » est un substantif anglais qui évoque pour le lecteur complice qu’est Delahaye le terme « remontrance », très dans le ton de la lettre : Rimbaud aurait « grondé » Verlaine, comme on gronde un enfant. Souvenons-nous des lettres de 1872 où Verlaine écrivait : « Toi, martyriseur d’enfant2 » ou encore « Le “petit garçon” accepte la juste fessée […] et de même que je ne t’emmiellerai plus avec mes petitgarçonnades […]3 ». Aussi trouvons-nous excessif de voir derrière ce terme « une allusion à un conflit physique » (p. 17), comme de décréter que cette entrevue fut « de courte durée » (ibid.) : en « deux jours et demi », et deux nuits, les deux poètes eurent largement le temps de parler littérature. Mais Eddie Breuil veut que lors de ce séjour, Verlaine n’ait eu en tête que de « tenter de ramener un Rimbaud égaré à la foi » en une vaine « tentative de conversion » (p. 23-24). Ceci paraît en contradiction avec les saignements infligés aux plaies du Christ, mais également avec les dires mêmes de Verlaine :
J’ai besoin atrocement de calme. Je ne me sens pas encore assez reconquis sur mes idiotismes passés, et c’est avec une espèce de férocité que je lutte à terrasser ce vieux-Moi de Bruxelles et de Londres, 72-73… de Bruxelles, JUILLET 73, aussi… et surtout, au fond, c’est ce MOIS [sic] – là qui a été à Stuttgart. Je t’avoue qu’avec les moyens humains seuls, avec le bon sens de ce siècle, je n’y parviendrais pas4.
231Le Verlaine de juillet 73, c’est le désespéré rendu fou par la passion, la fatigue, les soucis et l’alcool. On peut donc raisonnablement penser que ces deux jours et demi furent davantage l’occasion de libations et de velléités d’étreintes que de catéchèse. Le 16 avril 1875, Verlaine déclare à Delahaye avoir « tout fait pour ne pas [s]e brouiller [avec Rimbaud]. […] Donc, je ne me suis pas brouillé5 ». En ce qui concerne la terrible bagarre laissant Verlaine assommé, épisode qui, étrangement, annulerait selon l’auteur toute possibilité de discussion littéraire antérieure, la même lettre dévoile un homme certes blessé, qui qualifie Rimbaud de « mufle » et de « crasseux », qui regrette amèrement sa « grossièreté », sa « méchanceté », son « égoïsme », son « escroquerie », son « impolitesse », mais qui à aucun moment ne fait état de violence physique. Il lui « garde (et très sérieusement) toute sympathie6 ». Et l’on voit mal pour quelle raison il ne gémirait pas auprès de Delahaye, en cette période très tendue, d’une cuisante raclée infligée par Rimbaud, ni de ses possibles séquelles. Si nous nous en tenons aux principaux intéressés et à leurs témoignages synchrones, aucun indice ne permet d’appuyer l’idée d’un affrontement physique. C’est Delahaye, dans son Verlaine de… 1923, qui racontera un combat nocturne et champêtre, à poings nus, et la découverte au petit matin d’un homme « à demi-mort » et recueilli, puis soigné, par de bons paysans désintéressés, comme dans un conte. Ajoutons que nul n’a encore mis à jour ni document de police, ni déposition de médecin, ni témoignage visuel. Nous acquiesçons à des désaccords métaphysiques profonds, des ivresses terribles et des moments plus intimes (pourquoi sinon Jésus saignerait-il ?), mais refusons d’envisager que des poètes d’un tel niveau et si concernés par leur art passent soixante heures ensemble sans parler de manuscrits… car manuscrits il y a.
2. Verlaine ne sait rien des documents qu’il a rapportés de Stuttgart.
Selon Verlaine7, Rimbaud le charge en mars d’envoyer à Nouveau des manuscrits qu’il détient.
Si je tiens à avoir détails sur Nouveau, voici pourquoi. Rimbaud m’ayant prié d’envoyer pour être imprimés des « poèmes en prose » siens, que j’avais ; à ce même Nouveau, alors à Bruxelles (je parle d’il y a deux mois), j’ai envoyé (2 232fr. 75 de port ! ! !) illico, et tout naturellement ai accompagné l’envoi d’une lettre polie, à laquelle il fut répondu non moins poliment ; de sorte que nous étions en correspondance assez suivie lorsque je quittai Londres pour ici. Je lui écrivais quelques jours avant que je lui enverrais mon adresse quand installé. […]
La formulation syntaxique ne laisse guère de place au doute, même si Eddie Breuil le conteste :
Il est par ailleurs possible que par « poèmes en prose siens », Verlaine n’ait pas fait allusion à des poèmes de Rimbaud mais à ceux de Germain Nouveau. En effet, la tournure de la phrase dans laquelle « siens » est lue comme une référence à Rimbaud est ambiguë : Nouveau et Rimbaud ayant été évoqués précédemment, le « siens » peut faire référence à Nouveau […]
À cela nous objectons que le point qui précède « Rimbaud » et le point-virgule qui suit « j’avais » unissent syntaxiquement le sujet Rimbaud et l’adjectif « siens ». C’est tout de même Paul Verlaine qui écrit, et s’il avait voulu évoquer des textes de Nouveau, il l’aurait fait sans « ambiguïté8 ». Rimbaud et lui ont tant copié et échangé leurs textes respectifs que la formulation « siens, que j’avais » semble trop évidente, trop naturelle, pour que l’adjectif possessif (dont le Littré nous rappelle qu’il signifie « à soi », donc réfléchi par rapport au sujet) renvoie à un personnage inconnu cité dans une phrase différente. Nous avons, pour les besoins de ce petit travail, donné à lire cet extrait à dix personnes, sans les influencer. Nous obtenons une quasi-unanimité de réponses « Rimbaud » à la question : « selon vous, de qui sont les “poèmes en prose” cités » ? Les hésitations proviennent de cogitations ultérieures, mais spontanément, nos lecteurs pensent à 90 % qu’il s’agit bien de « poèmes de Rimbaud envoyés à Nouveau par Verlaine ». Peut-on soupçonner le grammairien émérite qu’était ce dernier d’avoir si mal formulé sa pensée ? Les lettres de Verlaine sont truffées d’ellipses (surtout d’articles et de pronoms), d’anglicismes, de régionalismes, de détournements phoniques souvent très amusants, mais jamais d’incorrections syntaxiques qui en compliqueraient l’accès au sens. Notons au passage les guillemets qu’utilise Verlaine pour « poèmes en prose », qui témoignent selon nous de sa volonté de rapporter les termes exacts employés par Rimbaud.
233La suite de la longue phrase explicative de Verlaine est escamotée par Eddie Breuil, qui l’arrête à « illico ». Elle n’est pourtant pas sans importance, comme nous le verrons plus loin, car elle rend moins crédible cette assertion du critique (p. 53) :
Le plus vraisemblable est que Verlaine ignorait la véritable nature des documents contenus dans le dossier de Stuttgart, même s’il s’était fait un avis sur la question en pensant détenir – parmi la masse de documents transmis – un recueil intitulé Illuminations.
Nous devons donc imaginer un grand poète français recevant de la part d’un autre grand poète français, qu’il aime et admire, un dossier rempli de manuscrits de celui-ci, puis passant soixante heures en sa compagnie pour finir « laissé pour mort » dans la boue, avec sous le manteau un volumineux dossier dont il ignorerait tout, notamment qui a écrit quoi… Afin que Verlaine ait pu se méprendre à ce point, Eddie Breuil insiste sur l’idée qu’il lui fut remis une « masse de documents » différents, où se seraient mêlés proses et vers de 1872 de Rimbaud9, brouillons d’Une Saison en enfer, listes de mots anglais et allemands, vers de Verlaine copiés par Rimbaud, et certaines des Notes parisiennes de Germain Nouveau, qu’il lui aurait alors envoyées (p. 30) :
Ainsi, le projet des Notes parisiennes (dont de nombreux feuillets ont pu être perdus depuis) aurait été mis au net lors du compagnonnage avec Rimbaud, se serait retrouvé dans le dossier récupéré par Verlaine à Stuttgart et aurait été envoyé par Verlaine vers février 1875. Ainsi, il est hâtif de conclure que les « poèmes en prose » renvoient aux Illuminations ou à certains documents qui y figurent dans la tradition éditoriale actuelle. Il pouvait s’agir d’autres textes (puisque Nouveau en avait composé de nombreux), Verlaine ayant pu conserver sous la main d’autres documents récupérés à Stuttgart.
La suite de la lettre de Verlaine à Delahaye devient donc ici fort intéressante :
234[…] et tout naturellement ai accompagné l’envoi d’une lettre polie, à laquelle il fut répondu non moins poliment ; de sorte que nous étions en correspondance assez suivie lorsque je quittai Londres pour ici. Je lui écrivais quelques jours avant que je lui enverrais mon adresse quand installé. – Depuis, je n’en ai rien fait, pour plusieurs raisons dont tu devineras les principales et LA principale, l’indifférence (au fond). Mais je ne voudrais pourtant pas passer aux yeux de ce particulier pour un salaud, qui n’écrit plus tout d’un coup, sans motifs et si j’étais sûr qu’il n’allât pas galvauder mon adresse, je réparerais cet oubli de grande plume, sans cette chose, de ne pas savoir son présent perchechoir [sic]. Tu pourrais sans doute, puisque tu écris (probablement) à Stuttgart, toujours soutirer, sans dire pour qui, l’adresse actuelle du G. Nouveau en question et me l’envoyer. Du reste je n’y tiens pas plus que ça10.
Verlaine arrive à Londres le 20 mars, et le quitte le 31 pour prendre un poste de professeur au pair à Stickney. Une « correspondance assez suivie » s’est donc installée en un tout petit mois, ce qui implique l’échange de plusieurs lettres « polies ». Les deux hommes, qui ne se connaissent pas, n’ont pu y parler, du moins au départ, que de leur objet principal : les poèmes en prose envoyés, et ont forcément abordé la raison pour laquelle ils l’ont été, à savoir le projet éditorial qui leur était destiné. Comme Nouveau a été aux premières loges à Londres, qu’il admire Verlaine, comment ne pas penser qu’il lui rapporte alors ce qu’il sait du dossier de Stuttgart, et que Verlaine en connaisse donc beaucoup plus long que ne le prétend M. Breuil ? Les deux hommes ont beaucoup correspondu et se sont peu menti. Si Nouveau reçoit en accompagnement de la toute première lettre de Verlaine Les Illuminations manuscrites de Rimbaud, ou si l’on veut, ses propres Notes parisiennes, il est certain qu’il n’en cache alors rien à Verlaine. Pourquoi le ferait-il ? Soixante heures et quelques lettres avec Rimbaud, une « correspondance assez suivie » d’un mois avec Nouveau, portant évidemment sur Rimbaud et la poésie : tant d’échanges avec les deux protagonistes de l’affaire ne peuvent laisser supposer une ignorance totale de Verlaine quant à ce que contient le « dossier de Stuttgart ». Une fois rentré à Paris avant d’embarquer pour l’Angleterre, il a en outre toute possibilité de consulter la « masse de documents » restants. Pour être complet sur cette période cruciale, notons que le 17 avril, Nouveau écrit de Londres à Richepin : « On disait Verlaine ici. Mais il serait parti pour l’Amérique ou l’Écosse du Sud, on ne sait pas où ». Ce qui confirme que depuis le 31 mars, il n’a pas de nouvelles de Verlaine, même si celui-ci a 235promis de lui communiquer sa nouvelle adresse. L’allusion à un départ lointain peut provenir d’une demande de discrétion de Verlaine11, puisqu’il déclare dans sa lettre du 1er mai à Delahaye « […] et si j’étais sûr qu’il [Nouveau] n’allât pas galvauder mon adresse ». Le 7 mai, l’ancien détenu écrit à Delahaye12 : « Avoir reçu, par des voies impossibles une lettre de Nouveau qui paraît-il est à Londres ». Les deux hommes se sont manqués de quelques jours dans la capitale, Verlaine la quittant le 31 mars, Nouveau y arrivant vers le 10 avril. Verlaine ne tarde pas à rencontrer son correspondant : « d’ici quelques jours Vendredi ou Samedi de la semaine prochaine, j’irai à Londres […] je profiterai de ce très court séjour en ville (un ou deux jours au plus) pour nouer avec Nouveau de très-circonspectes relations : au fond je le crois un très bon jeune homme qui croit que c’est arrivé la philomathie : tu vois ça d’ici ». Cette rencontre eut lieu le 14 ou 15 mai 1875, selon M. Pakenham13. Elle fut immortalisée par le poème de Verlaine « Ce fut à Londres, ville14… », dans lequel certains passages sont, selon Delahaye, censés rappeler amicalement la « manière » de Nouveau, que Verlaine aurait ainsi honorée. Rien dans ces hémistiches qui ressemble de près ou de loin à une quelconque Illumination. Cependant, un autre poème dédié à Nouveau, « Kaléidoscope15 », reprend (ou anticipe) un passage de « Vagabonds » : le vers « Et que traverseront des bandes de musique » fait écho à « […] la campagne traversée par des bandes de musique rare16 ». Si la dédicace à Nouveau s’est faite au moment de la sortie en revue, en 1885, Verlaine a daté le poème de « Br., octobre 1873 ». À cette époque, il n’a jamais été en relation avec Nouveau, et ignore sans doute jusqu’à son existence, malgré les poèmes qu’a publiés ce dernier dans La Renaissance littéraire et artistique. Cette similitude est très intéressante quant à la composition des Illuminations : ce poème écrit en détention n’est pas de ceux dont Rimbaud eut copie17. Il faut donc croire que cet 236hémistiche faisait partie de textes à l’état de projets, dont Verlaine eut connaissance avant son arrestation en juillet 187318. Quoiqu’il en soit, il ne peut être attribué à Nouveau ; en revanche, le fait que le poème lui soit dédié montre l’importance aux yeux de Verlaine du rôle qui fut le sien à une époque décisive. Le clin d’œil à « Vagabonds » est à mettre en perspective avec le poème (en vers) de Nouveau « Mendiants19 », daté de… janvier 1875. Car si l’on considère que la mise au net par Rimbaud et Nouveau eut lieu à Londres en 1874, nous pensons que les deux hommes se sont revus dans les Ardennes au tout début de 1875, à l’initiative de Nouveau20. C’est peut-être à cette occasion que le projet d’édition des Illuminations à Bruxelles fut décidé, Nouveau se rendant probablement en Belgique avec un peu d’argent en poche. Peut-être les deux hommes se disputèrent-ils (le ton de « Mendiants » est assez amer) avant que le manuscrit fût complètement prêt, ce qui empêcha Nouveau de partir avec. D’où l’appel ultérieur de Rimbaud à Verlaine. Si Nouveau était l’auteur de ces proses, pourquoi les aurait-il abandonnées à Rimbaud, aussi bien à Londres qu’à Charleville ?
Il est intéressant de relever que Verlaine qualifiait Rimbaud de « philomathe » ; qu’il associe Nouveau à ce terme montre que dans son esprit les deux hommes étaient liés, et que Rimbaud avait en quelque sorte trouvé un condisciple dans sa soif de tout connaître. Mais comment expliquer que Verlaine ne s’enthousiasme en aucune occasion de la qualité des textes, s’ils sont de cet inconnu, et qu’il qualifie seulement de « très bon jeune homme » un écrivain capable d’écrire de telles choses ? Dès les lettres de Stickney à Delahaye, Verlaine n’aurait pas manqué de s’étonner de cette « prose exquise » qu’il décrit dans sa préface à l’édition en volume de 1886. L’appellerait-il un « particulier » ? Montrerait-il pour lui de « l’indifférence » ? Nous aurions aujourd’hui retrouvé des traces de cette paternité littéraire de tout premier ordre, or aucune allusion n’y est faite dans la longue correspondance du trio Verlaine – Delahaye – Nouveau ; 237et ces trois hommes furent d’intimes amis. Alors que dans les années 1880 Germain Nouveau est très actif sur le plan littéraire, qu’il compose et publie pour des revues parisiennes, qu’en 1885 il est très lié à Verlaine et Charles Morice, et surtout qu’en octobre 1886, date de sortie en plaquette des Illuminations, il vit à Paris (une lettre du 6 octobre l’atteste21) et fréquente de près Verlaine comme le prouve une recommandation de celui-ci auprès de Léon Vanier22, comment peut-on supposer qu’il ne réagisse absolument pas, si ces poèmes sont de lui ? Il cherche alors une reconnaissance littéraire et lutte pour sa pitance en cherchant des postes de professeur : comment pourrait-il accepter que des poèmes d’un tel calibre soient publiés, en revue puis en volume, sous un autre nom que le sien, lui qui en 1897 a encore des velléités de publication, lui qui se battra, énergiquement mais en vain, jusqu’en 1909 (!) pour récupérer des manuscrits et épreuves de La Doctrine de l’Amour et des Valentines ? Eddie Breuil balaie ces incohérences en renvoyant à une lettre d’André Breton, parue dans L’Éclair en 1923, dans lequel le poète-théoricien écrivait : « Germain Nouveau, et c’est, je crois, le sens de toute son attitude, se moquait bien de voir attribuer telle ou telle chose à qui que ce soit, et à soi-même ». En 1920, sur son grabat de Pourrières, sans doute. En 1886, dans les milieux littéraires parisiens, certainement pas.
Interrogeons-nous enfin sur les raisons qui auraient poussé un Rimbaud désargenté à demander à Verlaine d’engager des frais pour quelqu’un d’autre que lui, à un moment où il cherchait assidûment à lui soutirer de l’argent. Pourquoi Verlaine aurait-il accepté de dépenser ces fameux « 2 fr 75 » pour expédier à un parfait inconnu des poèmes ne le concernant, lui Verlaine, en rien ? Encore une fois, que font ces textes entre les mains de Rimbaud s’ils sont de Nouveau, pour quelle raison ce dernier les aurait-il laissés derrière lui en quittant Londres ou Charleville ? Que de complexité, alors qu’une phrase suffit à reconstituer le parcours suivant : Nouveau à Bruxelles se voit envoyer par courrier de Verlaine les manuscrits de Rimbaud, échoue ou renonce à les publier, et les remet en septembre1877 à Arras à ce même Verlaine23 (en mains propres pour éviter les dangers de la Poste) ; celui-ci les prête ensuite 238à Charles de Sivry à des fins de mise en musique, puis connaît toutes les peines du monde à les récupérer, en raison d’infinies complications dues à son ex-épouse.
3. Rimbaud recopie des textes dont il n’est pas l’auteur.
L’auteur y insiste : Les Illuminations constituent tout sauf un recueil prémédité. Il reprend, sans y apporter de nouveaux éléments, les termes de la discussion, déjà assez ancienne, concernant leur pagination et leur organisation, sans d’ailleurs mentionner les arguments24 de Steve Murphy, qui démontre en 2000 dans le numéro 1 de la revue Histoires littéraires que la pagination ne peut avoir été étrangère à la volonté de Rimbaud. Pour que Verlaine se soit emmêlé à ce point les pinceaux quant à ces manuscrits, il faut absolument que le dossier soit un complet bazar… Eddie Breuil reprend donc des extraits de la lettre de Félix Fénéon à Henry de Bouillane de Lacoste, du 19 avril 193925 :
Le ms. m’avait été remis sous les espèces d’une liasse de feuilles de ce papier tout rayé qu’on voit aux cahiers d’école. Feuilles volantes et sans pagination, – un jeu de cartes, – sinon pourquoi me serais-je avisé de les classer dans une espèce d’ordre, comme je me rappelle avoir fait ? Pas de ratures.
Tous les manuscrits connus aujourd’hui montrent au contraire un papier non rayé, une pagination à l’encre ou au crayon (ou aux deux), et des ratures assez fréquentes. M. Breuil ne mentionne pas la seconde lettre au même Bouillane de Lacoste du même Fénéon, celle du 30 avril 1939, où il évoque la composition de l’édition en plaquette, et où il remet totalement en cause sa première version :
Votre ms. est-il paginé (et d’une pagination qui soit antérieure à 1886, époque où il se peut fort bien que je l’aie paginé pour l’impression) ? Persiste-t-il trace d’un cahier dont le fil de brochage eût maintenu d’affilée les feuillets ? Ceux-ci, avec leurs poèmes, se chevauchent-ils, ce qui serait le meilleur indice d’un ordre prémédité ? – Suivant les réponses qui peuvent être faites à ces questions, et, au besoin, à d’autres, car elles ne sont pas limitatrices, ma 239déposition, – à savoir que les feuillets, réglés, étaient dans une couverture de cahier, mais volants et paginés, – peut être infirmée, confirmée, rectifiée26.
On s’y perd, d’autant que l’abbé Louis le Cardonnel, par qui transita le manuscrit via Charles de Sivry, se souviendra en 1911 de « cahiers de papier à lettres d’égale grandeur, bleu et blanc ; l’écriture était élégante, un peu féminine, avec ça et là des ratures ; par moments l’écriture changeait, mais il me semble que c’était toujours au fond la même, à certains moments plus agitée et plus hardie27 ».
Abordons maintenant l’épineux problème de la copie, de la mise au net des poèmes. Selon Eddie Breuil (p. 68-71), Nouveau a copié « Villes (L’acropole officielle…) » et une partie de « Métropolitain » sous la dictée de Rimbaud, ce qui expliquerait certaines hésitations : le blanc laissé pour « Guaranies » et le « Qu’elle peinture ! » pour « Quelle peinture ! ». Il faut donc imaginer Rimbaud dictant à Nouveau… des poèmes de Nouveau28, à l’état de brouillons, puis complétant lui-même le vide laissé par Nouveau (l’auteur présumé) pour « Guaranies », « lors de l’inversion des rôles » (p. 72). Pourquoi donc se compliquer ainsi la tâche ? Selon l’auteur, les critiques auraient commis plusieurs « erreurs cruciales », dont celle de « n’avoir pas cherché à savoir si les textes copiés par Nouveau résultaient d’une copie visuelle ou d’une copie orale (prise sous la dictée) : cette dernière hypothèse a son importance, puisqu’elle impliquerait de reporter les critiques formulées sur le lecteur (qui dicte et qui est assurément Rimbaud) et non sur le copiste » (p. 70).
À l’inverse, les ratures et repentirs de Rimbaud seraient dues à des « transcriptions visuelles » : « La majorité des interventions de Rimbaud sur les Illuminations montrent qu’il ne s’agirait ni de brouillons ni de documents de travail, mais plutôt de copies visuelles » (p. 72). Ainsi, lorsque dans « Marine, » le mot « acier » surcharge la leçon « azur », c’est parce que Rimbaud, qui recopie la composition de Nouveau, lit mal le « z » « similaire au zêta grec, qui peut avoir une variante avec 240une barre sur la diagonale » (p. 81), puis confond le « ie » de « acier » avec le « u » de « azur », et écrit donc « Les proues d’azur et d’argent ». Puis, relisant plus tard sa copie en bien dévoué camarade – bien que les témoignages de ses contemporains soient très loin d’en faire un être résolument altruiste –, il se rend compte de son erreur et surcharge « azur » pour « acier », car, selon Eddie Breuil : « la leçon “azur” » ne fait sens qu’en considérant que les proues des navires sont colorées comme « l’azur du ciel » (p. 81)29. Cela signifie que Rimbaud aurait au départ mal lu l’écriture de Nouveau, en raison d’un possible « zêta ». Or, cette occurrence d’« azur » dans « Marine » est la troisième du manuscrit, et les deux précédentes ne semblent pas avoir posé de problème au « copiste » Rimbaud. Surtout, dans « Villes (L’acropole officielle…) », Germain Nouveau écrit l’adverbe « bizarrement » avec un « z » à hampe descendante, comme pour « azur » et « lazuli » dans le fac-similé d’une des Notes parisiennes que donne l’auteur (p. 101), comme pour les deux « Oyez » et le titre de « M’apparaîtrez-vous, M’amie », ainsi que le « n’emportez » de « Saintes femmes », le « voyez » de « Que triste tombe », et tous les « z » manuscrits consultables dans la belle édition des Premiers vers de Germain Nouveau établie par Pascale Vandegeerde et Jean-Philippe de Wind30. De zêta, point. La chose est importante, puisque si Rimbaud a corrigé la leçon « azur » en « acier », ce n’est pas pour rectifier une coquille de copiste, aucun « z » de Nouveau ne semblant problématique, notamment celui de « Villes (L’acropole officielle…) », mais bien pour apporter une modification d’auteur.
Le chercheur met en lumière (p. 89) le « soulignement intriguant » du pronom personnel complément d’objet « le31 » dans « Les talus le berçaient », sans relever à quel point cette phrase d’« Enfance II » rappelle thématiquement et textuellement le vers « Nature, berce-le / chaudement : il a froid » du « Dormeur du val »… Les autres exemples de repentir rimbaldiens vus à la loupe tendent tous vers la même conclusion : si Rimbaud se trompe, c’est parce qu’il n’est pas l’auteur des textes qu’il 241copie. Ainsi, on lit au sujet d’« Ouvriers » : « Rimbaud aurait copié un texte dont il ne serait pas l’auteur, sans quoi il aurait évité la confusion », et (p. 72) : « […] cette hésitation du lecteur face à un manuscrit dont il ne peut pas être l’auteur (puisqu’il n’en comprend pas une leçon) ». Nous pensons au contraire qu’il est tout à fait compréhensible que Rimbaud hésite devant des textes antérieurs dont il dispose à l’état d’ébauches. Il suffit de consulter les brouillons d’Une Saison en enfer pour entrevoir à quel point Rimbaud a pu rencontrer de difficultés à la relecture de ses propres textes32. Lequel d’entre nous n’a jamais peiné à la reprise de notes, même récemment rédigées ? Si l’on considère généralement que chez Rimbaud la mise au net venait rapidement après la composition, certaines proses peuvent avoir été recopiées plusieurs mois après leur création, et il est impossible même à son auteur de se souvenir d’un texte de ce volume dans ses moindres détails. Il est donc faux de penser que les erreurs de transcription de Rimbaud viennent du fait qu’il « aurait mal déchiffré une leçon éventuellement peu claire sur un manuscrit, et donc en toute probabilité une leçon dont il ne serait pas l’auteur » (p. 80). Enfin, si Eddie Breuil s’étonne de ces « erreurs de déchiffrement auxquelles Rimbaud ne nous a pas habitués, lui qui soignait la mise au net de ses manuscrits » (p. 84), nous pensons qu’il faisait partie du rôle de Nouveau – qui était incontestablement dans le secret esthétique de son compagnon – de spécifier aux protes du futur imprimeur belge les toutes dernières indications.
À Londres, Nouveau avait un projet littéraire, il en parle à Jean Richepin dans sa lettre du 26 mars 187433 : […] je t’enverrai des études pour la Renaissance, dans quelques jours (quinze ou vingt), que tu présenteras au directeur de ce journal comme une primeur grande […] », puis, un an plus tard, dans une autre lettre copiée par Richepin34 :
j’aurai alors, si je compte bien, deux volumes publiés : Odyssée enfantine, Saintes femmes, Les Villes, Dévotes, etc., etc., et « Stations », un autre en versses [sic] déjà presque de quelque cent pages, qu’est tout en alexandrins serrés […]
242Eddie Breuil affirme que ces études sont « au nombre de quinze ou vingt », ce qui en ferait d’éventuelles Illuminations. Nous pensons que la mention entre parenthèses « (quinze ou vingt) » se rapporte plutôt aux « jours » qui la précèdent. Grammaticalement d’une part, mais aussi parce qu’à la toute fin de cette lettre, Nouveau écrit : « Une note particulière dans ta réponse sur mon projet pour La Renaissance : dis-moi ce que tu en penses. Cela me serait rudement utile dans un mois » (nous soulignons). Nouveau à son arrivée à Londres pense donc composer quelques textes, qu’il enverra d’ici « quinze ou vingt » jours, à Richepin, alors qu’Eddie Breuil écrit que Nouveau « entend pouvoir envoyer [ces quinze ou vingt études] dans quelques jours », ce qui n’est pas la même chose. Des titres donnés par Nouveau dans la deuxième lettre (Dévotes, Villes), l’auteur infère qu’il s’agit de « Villes » et de « Dévotion » des Illuminations, et que « la nouvelle attribution s’impose » (p. 99). Il établit que la mention « Stations, un autre en versses » marque « une opposition » avec « un premier recueil qui ne comporterait que des proses » (p. 98). Nous ne pensons pas que cette mention signifie forcément que les volumes précités soient en prose, « un autre en versses » peut simplement signifier « *un de plus en versses35 ». Malheureusement, Eddie Breuil ne donne pas les lignes suivantes, dans lesquelles Nouveau précise son projet : « […] je me casse pieds et bras et reins et je me vide la cervelle sur Les Amants féeriques (A pleasant history), à qui je tâcherai de donner un tour rigolo. Ce sera une sorte de relation de viveurs dans certains temps et mondes vaguement définis avec beaucoup de réel36 ». Un viveur étant selon le Littré quelqu’un qui « aime à jouir de tous les plaisirs, de tous les agréments de la vie », on peine à trouver dans Les Illuminations un quelconque « personnage » correspondant à cette dénotation. Idem pour le « beaucoup de réel ». Or, Amour féerique fut le premier titre des Notes parisiennes avant d’être raturé par Nouveau, ces mêmes poèmes en prose dont certains ont, selon l’auteur, constitué Les Illuminations. Eddie Breuil évoque une prose de Nouveau, « La Sourieuse », parue dans La Revue du Monde nouveau de Charles Cros, au moment précis où il partit pour Londres. Ce poème, excepté le fait qu’il soit « en prose », n’a 243thématiquement, stylistiquement, ni formellement aucun lien avec Les Illuminations. Cela suscite d’ailleurs une interrogation supplémentaire : les quatre Notes parisiennes, contemporaines de la fréquentation assidue de Rimbaud, et dont deux d’entre elles contiennent assurément des liens avec « Enfance », ne sont esthétiquement annoncées par nul écrit antérieur, ni suivies d’aucun élan poétique ultérieur. Les poèmes connus de Nouveau en 1874 sont de longs – et très beaux – poèmes faits de quatrains d’alexandrins à rimes croisées, ou des sonnets assez hermétiques envoyés à Mallarmé, mais de proses semblables aux Illuminations, aucune, ni avant 74, ni après. Rimbaud, lui, a écrit Une Saison en enfer.
« Saintes femmes » est bien un poème de Nouveau, et il est composé d’alexandrins. Il est vrai que la proximité des titres intrigue, mais il faut y voir le résultat esthétique du compagnonnage avec Rimbaud, ce que jamais nous ne confondrons avec du « plagiat37 », comme l’auteur l’insinue parfois, notamment dans le cas du vers de « Cadenette » (« Faite d’une brûlante éternité de larmes38 ») qui reprend une phrase d’« Enfance II » : « Les nuées s’amassaient sur la haute mer faite39 d’une brûlante éternité de chaudes larmes ». Ne négligeons pas le probable clin d’œil : « Cadenette » paraît en 1879 dans la revue d’André Gill La Lune rousse ; Gill est l’un des premiers parisiens qu’a rencontrés Rimbaud en 1871, alors qu’il était encore presque un enfant, la rime charmes : : larmes permet à Nouveau de réutiliser, mais sans la plagier, une phrase particulièrement marquante du poème en prose de Rimbaud, qu’il est à l’époque probablement le seul (avec Verlaine) à connaître. Il est également fort possible que lors de la mise au net des Illuminations une collaboration ait eu lieu, l’inspiration de l’un pouvant fort bien être acceptée par l’autre. Ainsi, nous concédons volontiers à l’auteur que Nouveau ait pu influencer Rimbaud sur la tournure avec complément de nom « de rêve », jusqu’alors inemployée par lui, que l’on relève dans 244« Enfance I » et « Villes (Ce sont des villes…) », respectivement « fleurs de rêve » et « Libans de rêve » (p. 129)40. De même, il n’est pas interdit de penser que Nouveau lui ait proposé quelques titres de poèmes, l’adjectif « éphémère » (p. 128), ou l’emploi comme substantif du participe présent « couchant » (p. 136). Deux artistes travaillant ensemble, qu’ils soient écrivains, musiciens, peintres, ou aujourd’hui cinéastes, échangent sans cesse, perfectionnent leurs œuvres, sans que l’un prenne forcément le pas sur l’autre. La relation de subordination n’est pas systématique dans une association ; de même, lorsque ces artistes, plus tard, créent séparément, des clins d’œil, sous forme de reprise textuelle, de parodie ou de réécriture à la manière de ne sont pas à considérer comme des larcins ou des plagiats. Lorsque Miles Davis reprend dix mesures d’un solo de Charlie Parker, il ne le plagie pas. Il le fait revivre, il indique aux initiés une complicité harmonique, et il marque l’importance symbolique ou novatrice de ce passage, à une époque précise de l’histoire du jazz. La relation ultérieure entre Nouveau et Rimbaud (et Verlaine) nous semble avoir été de cet ordre. Ni soumission, ni contrefaçon, mais communion esthétique. Et puis la vie a fait le reste.
4. Les thématiques des Illuminations sont proches des préoccupations de Nouveau.
Selon l’auteur, Germain Nouveau était fasciné par le jardin Mabille, ou « bal Mabille », qu’il cite dans l’une de ses Notes parisiennes (« le Mabille de rêve ») et un texte en prose, « Le Père de famille », paru dans Le Gaulois en 1883. Quelques poèmes des Illuminations seraient des échos aux ambiances musicales, festives et artificielles qui y régnaient, en raison notamment des puissants et très modernes éclairages, et des décors exotiques, comme les « palmiers de zinc », ou « palmiers factices » (p. 117). Or on peut lire dans le poème « Villes (Ce sont des villes…) » : « Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux ». Eddie Breuil voit dans cette tournure une reprise par Nouveau de l’actualité du bal Mabille, qui s’était bien doté dans les années 1840 de palmiers de zinc et de métal, la couleur cuivre du poème s’expliquant par « l’effet de la lumière », ces palmiers 245étant éclairés par « un nombre impressionnant de becs de gaz » (Ibid.). Le poème évoque justement des « cratères » et « des feux », il y est question d’« oriflammes éclatants comme la lumière des cimes », de « l’ardeur du ciel » qui « pavoise les mats », d’une lune qui « brûle et hurle ». Pourquoi ne s’agirait-il pas simplement pour le poète de vrais palmiers, dont la couleur changerait au gré des fortes lumières, d’autant qu’il est également question de « Libans » et de « Bagdad » – comme d’ailleurs d’« Alleghanys », qui font partie de la chaîne des Appalaches en Amérique du Nord, et de « Mabs » typiquement britanniques, la Mab étant la fée des songes (d’où peut-être les « Libans de rêve ») dans la tradition anglaise au Moyen Âge41 ? En outre, si l’on veut absolument que ces « palmiers de cuivre » prennent leurs métalliques racines dans le réel, alors qu’il s’agit selon nous de pure poésie, il est possible d’aller les chercher… à Londres, dans les jardins botaniques royaux de Kew, à l’ouest de la capitale, desquels Wikipédia nous indique (nous soulignons) :
Sans être la plus grande, Palm house (« serre des palmiers ») est certainement la construction la plus connue des jardins. Elle abrite une collection de palmiers et une grande variété d’arbres tropicaux du monde entier et des plantes vivaces. Les plans de de l’architecte Decimus Burton et surtout de l’ingénieur Richard Turner, entre 1844 et 1848, ont livré pour la première fois un bâtiment utilisant une si grande quantité de fer forgé. Chaque carreau de verre a été fait à la main, pour s’adapter à la forme très particulière de la serre. À l’origine, les serres étaient chauffées par des chaudières au charbon, la fumée étant évacuée par la cheminée d’un campanile de style italien.
Dans « Villes (Ce sont des villes…) », pourquoi les « forgerons » n’auraient-ils rien à voir avec la structure de fer forgé de cette serre des palmiers, pourquoi la lumière des « chalets de cristal » ne viendrait-elle pas des carreaux de verre, « les feux » des chaudières qui « rugissent » ; quant à « la chasse des carillons » ne pourrait-elle rappeler la campanile, qui est une tour abritant des cloches ? Que dire alors des « jardins de palmes » de « Royauté42 » (p. 119) ? Quand il fait allusion à l’expression « “le jardin [qui] s’éteignait” dans un poème de Nouveau » en pensant à l’éclairage du jardin Mabille « qui l’explique certainement » (ibid.), 246nous ne pouvons donner absolument tort à l’auteur, mais il ne voit pas la référence au néologisme du Rimbaud des « Poètes de sept ans », poème dans lequel « le jardin s’illunait »… Les « pavillons de viande saignante » de « Barbare » auraient un rapport avec « deux obus, tombés autour de mai 1871, [qui] avaient été signalés par la presse » (p. 92). Eddie Breuil pense que ces « cratères » ont ensuite servi d’emplacements pour « faire une attraction autour de grillades ». D’où le rapprochement avec la « viande saignante » et le participe « carbonisé » : « par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous ». Soit. Dans ce cas, toute interprétation en vaut bien une autre. Songeons que le music-hall The London Pavilion (nous soulignons), inauguré sous ce nom en 1859, et situé à Piccadilly Circus, endroit le plus éclairé, illuminé de la capitale anglaise43, partagea jusqu’en décembre 1873 ses locaux avec le « Delectable Museum of Anatomy and Pathology » du Dr Kahn, au sein duquel des mannequins de cire représentaient le corps humain dans certaines de ses plus dégradantes pathologies. Des croquis montraient également de façon très réaliste l’intérieur d’organismes atteints de maladies, vénériennes entre autres. Il fallut tous les efforts de l’ordre des médecins, une plainte au nom de l’Obscene Publications Act de 1857 et une campagne furieuse des associations bien-pensantes (notamment la « Society for the Suppression of Vice44 ») pour que les modèles fussent détruits, en décembre 1873 et l’endroit fermé début 187445…Voici une description du hall d’entrée du London-Pavilion, on verra que la lumière n’y manque pas :
Les halls d’entrée sont brillants et accueillants. Miroirs, dorures et couleurs vives rencontrent l’œil avant que les guichets soient atteints. Le théâtre, on s’en souvient, est abordé par un passage en forme de tunnel inhabituellement long. Cela a été transformé en une belle arcade scintillante. Sur le côté gauche, il y a de nombreux renfoncements ; dans ceux-ci sont placées des plantes et des fleurs, derrière lesquelles se trouvent des miroirs. Le miroir, entouré de cadres dorés, est utilisé pour orner les pilastres entre les alcôves et le mur opposé. Le couloir est éclairé par une douzaine de gaziers en cristal suspendus 247au plafond. Un autre splendide lustre au gaz rayonne dans le hall d’entrée. Un magnifique rayon de soleil, fixé près du joli plafond du théâtre, éclaire46 le plus efficacement l’intérieur47.
Si nous partagions le goût immodéré de l’interprétation et de la justification en poésie, nous pourrions prétendre que le « rayon de soleil » de la dernière phrase de cette citation n’est autre que le « rayon blanc, tombant du ciel, [qui] anéantit cette comédie », dans Les Ponts. Mais nous ne le ferons pas, simplement parce que nous n’en savons rien. Quoiqu’il en soit, Rimbaud et Verlaine ont très bien pu en 1872 et 1873 s’amuser dans ce théâtre, d’autant que Rimbaud y emmena Nouveau en mars 1874 : « J’ai été au café-concert de London-Pavillon [sic] ; des gigues et des airs de la mère Angot. Les nègres les font toujours rire48 ». Nous ne contestons pas davantage que Germain Nouveau ait pu être « le peintre des villes » (p. 124), mais est-ce lui qui écrivit dans Une Saison en enfer et Adieu : « Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes ! », les adjectifs « ardente » et « splendide » dénotant justement la lumière vive, l’étincelant ? Nouveau fut un bon peintre (p. 135-140), il se passionna pour l’architecture (p. 127), il aimait le théâtre (p. 130-134), et son enfance fut submergée par les deuils : voilà autant d’éléments supplémentaires qui incitent Eddie Breuil à lui attribuer Les Illuminations, où se retrouve souvent le lexique du théâtre (« Scènes », « Parade », « Soir historique »), et dont quelques titres de poèmes pourraient être proches de titres de tableaux (« Parade », « Aube », « Fête d’hiver », « Fleurs », « Marine »). Certes, mais que dire de « Sensation », « Ophélie », « À la Musique », « Au Cabaret-vert, cinq heures du soir », « Venus anadyomène » ou « Le Buffet », en s’en tenant aux tout premiers poèmes de Rimbaud ? Pourquoi vouloir placer les deux hommes sous des rapports d’opposition ? M. Breuil opère de la sorte à propos du thème du soleil (p. 152) : « C’est pourquoi la chaleur et l’été sont dans sa poésie [celle de Nouveau] constamment associés à la stérilité et au malheur. Sur ce point, les poésies de Nouveau et de Rimbaud sont antithétiques : pour Rimbaud, l’été et la chaleur du soleil 248sont des motifs du bonheur. Il l’écrit dans “Soleil et chair” : “Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie” ». Or Nouveau écrit à Richepin49 : « […] mais le pur, le simple, le choisi ; aller toujours à la plus grande lumière qui est le soleil ! – Pouah ! les lunes ! », et les nombreuses références au soleil dans La Doctrine de l’amour ne sont pas négatives. En ce qui concerne Rimbaud, affirmer sa conception du soleil en se basant sur un seul vers de 1870 est pour le moins superficiel. Citons seulement ce passage de « Mauvais sang » : « Assez ! Voici la punition. – En marche ! Ah ! Les poumons brûlent, les tempes grondent ! La nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! Le cœur… les membres… ». Ce n’est pas non plus parce que Nouveau était artiste que Rimbaud ne s’intéressait pas à l’art50 : ses amis furent Jolibois51, Forain, André Gill52, sans parler des « Vilains Bonshommes » Michel de l’Hay, Félix Régamey, ni des zutistes Antoine et Henri Cros ; Rimbaud adorait en outre, comme Verlaine, truffer sa correspondance de dessins. Ce n’est pas davantage parce que Nouveau fit du théâtre que Rimbaud ne fréquentait pas les foyers53 ; il aimait notamment les opérettes d’Hervé, et fréquenta à Londres le Royal Theatre de l’Alhambra54, où il vit avec Verlaine un opéra-bouffe-féerie de Sardou, Le Roi Carotte, sur une musique d’Offenbach. À propos de l’architecture, Vitalie Rimbaud note dans son Journal, exactement contemporain de la présence à Londres de Nouveau : « Nous vîmes la cathédrale Saint-Paul qui semble revêtue de siècles et d’années, si solennelle et massive, etc. Arthur nous fait remarquer les sculptures du portail, et, de suite, je me trouve réconciliée avec la lourdeur du monument. […] Arthur tire mon attention vers quelques tableaux […]55 ». Ajoutons sa réelle amitié avec le musicien Ernest Cabaner : Rimbaud s’intéressait à toutes les formes d’art populaire. L’art institutionnel figé des musées semblait en revanche le laisser 249froid, si l’on en croit les souvenirs de Forain56. Mais se désintéresser des tableaux néo-classiques des salons ne signifie pas négliger la puissance poétique des arts visuels, et l’on connaît l’importance de l’œil et de la vision dans l’art de Rimbaud.
Nous terminons ce compte-rendu par un point lexical sur lequel s’appuie l’auteur. Le « baou » de « Dévotion » et le « vent du Sud » d’« Ouvriers » lui permettent d’affirmer que « ‘Dévotion’, dont le manuscrit est inconnu, n’est assurément pas un texte de Rimbaud mais de Nouveau, le texte ayant suivi le même cheminement que les autres documents remis à Stuttgart et qui furent recueillis dans les Illuminations » (p. 151). C’est douter des compétences linguistiques étonnantes de Rimbaud, et que viendrait donc faire dans « Ouvriers » la « flache », régionalisme ardennais présent dans « Le Bateau ivre » ? Que vient faire l’adjectif « norwégien » dans « Villes (L’acropole officielle) », alors que Rimbaud a employé le nom « Norwège » dans « Ophélia » puis dans « Comédie de la soif », et que Nouveau ne l’a jamais fait, à notre connaissance ? Que fabriquent dans « Démocratie » « roués pour le confort », dans « Solde » « les féeries et comforts parfaits », ce même « comfort » que le locuteur d’Une Saison en enfer disait détester dans « Adieu » ? Pourquoi ne pas signaler que la phrase de « Soir historique », « on joue aux cartes au fond de l’étang » rappelle « Alchimie du Verbe » et « je voyais […] un salon au fond d’un lac » ? Dans « Fairy » se remarque la proximité typographique de « sèves ornamentales », « de clartés impassibles », « d’oiseaux muets », d’« anses d’amour », de « frissonnèrent les fourrures et les ombres », de « ses yeux et sa danse supérieurs », des « influences froides » ; or les mots « sèves », « impassibles », « oiseaux », « anses », « frissons », « ombres », « yeux », « dans[é] » et « froide » sont tous dans « Le Bateau ivre »… Et que dire dans ce même poème de l’enchaînement (nous soulignons) « J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques / Illuminant de longs figements violets57 », où se succèdent le titre (au pluriel) d’un poème en prose et une forme verbale de celui du recueil ? Ce n’est qu’un exemple, assez rapidement repéré. Si nous voulons pousser le raisonnement dans ce qu’il peut avoir d’excessif, lorsque Nouveau compose pour son beau poème « Les Hôtesses » le vers : « Miaulant au roulis d’impassibles berceaux », la présence autour de la césure de deux mots présents dans 250« Le Bateau ivre » doit-elle nous faire penser que c’est Nouveau, et non Rimbaud, qui aurait écrit ce chef-d’œuvre ? Dans les Notes parisiennes de Germain Nouveau dont nous disposons, où donc sont passés ces longs tirets omniprésents dans la prose de Rimbaud ? Où trouve-t-on dans ces Notes la si riche autotextualité, ou intertextualité interne aux poèmes, que l’on rencontre dans Les Illuminations ?
Autant qu’Eddie Breuil, qui hélas semble sous-estimer l’étendue de l’œuvre du poète Arthur Rimbaud, et fort peu considérer l’homme qu’il fut, nous aimons les poèmes de Germain Nouveau, et nous admirons sincèrement sa droiture et son courage. Ses Notes parisiennes, du moins celles dont nous disposons, truffées de noms de lieux et de personnages fantaisistes, sont toutefois fort différentes et, nous le pensons, poétiquement très inférieures aux poèmes des Illuminations58.
Enfin, sur la paternité de ces « poèmes en prose », lisons ce qu’écrivait Nouveau lui-même, lorsqu’il s’adressait directement à Rimbaud dans le très amer sonnet À J.-A. R… composé après 1898 et inédit jusqu’en 194859 :
[…]
Tous vos jolis brillants ne valent pas leur boîte,
Ni votre imagerie un peintre d’ornement60.
[…]
Que peuvent donc bien être ces « jolis brillants » ?
Cyril Lhermelier
1 Paul Verlaine, Correspondance générale, t. I (1857-1885), édition de Michael Pakenham, Paris, Fayard, 2005, p. 387. Les extraits de la correspondance entre Verlaine et Rimbaud cités ici proviennent de cet ouvrage.
2 Verlaine, Correspondance générale, op. cit., p. 236.
3 Ibid., p. 234.
4 Ibid., p. 393.
5 Ibid., p. 390.
6 Ibid., p. 391.
7 « Lettre à Delahaye du 1er mai 1875 », in ibid., p. 395-396.
8 On peut imaginer quelque chose comme : « J’avais je ne sais comment en ma possession des poèmes en prose de Nouveau, que Rimbaud m’a prié de lui envoyer »…
9 C’est très probablement après avoir récupéré auprès de Nouveau les « poèmes en prose » que Verlaine les ajouta aux vers de 1872, qu’il détenait depuis leur première fuite : Rimbaud avait recopié pour lui ses poèmes les plus récents et ceux abandonnés chez les Mauté. Madame Verlaine mère les avait conservés pendant la détention de son fils. Voir Pierre Petitfils, « Les manuscrits de Rimbaud », dans Germain Nouveau, Avant-siècle 2, coll. « Études rimbaldiennes », Paris, Minard, 1970, p. 72-73.
10 Verlaine, op. cit., p. 395-396
11 Vis-à-vis de Rimbaud mais également du milieu littéraire parisien.
12 Op. cit., p. 398.
13 V. op. cit., n. 2, p. 399.
14 Paul Verlaine, Œuvres poétiques complètes, édition de Jacques Borel, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1962, p. 561. Les poèmes cités ici se réfèrent à cette édition, désormais indiquée OCV, suivi du numéro de la page.
15 OCV, p. 321.
16 Olivier Bivort a relevé ce fait dans son édition des Romances sans paroles et de Cellulairement, Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2002, p. 160.
17 Verlaine, Correspondances, op. cit., p. 357.
18 Ou pendant sa détention, par l’intermédiaire de sa mère, qui fit passer des poèmes de son fils à Rimbaud.
19 Lautréamont, Germain Nouveau, Œuvres complètes, édition de P.-O. Walzer, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1970, p. 380, édition désormais indiquée OCN, suivi du numéro de la page.
20 Selon le Journal de Vitalie Rimbaud, son frère Arthur resta sagement en famille du 29 décembre au 13 février 1875. Vitalie Rimbaud, Journal, édition de Jean-Luc Steinmetz, coll. « Bibliothèque sauvage », Charleville, Musée-Bibilothèque Arthur Rimbaud, 2006, p. 90.
21 OCN, op. cit., p. 867. Son adresse est alors 6, rue de l’Arrivée.
22 Ibid., p. 868.
23 Verlaine déclare à Delahaye en avril : « Je vais écrire à Nouveau pour lui rappeler sa promesse ». (Correspondance, op. cit., p. 559.) Pourquoi diable, s’il en était l’auteur, Nouveau rendrait-il ces poèmes à Verlaine ?
24 Notamment celui-ci : la numérotation du feuillet 12, coupé en haut par Rimbaud, est de la même encre que le texte (comme celle du feuillet 18, lui aussi coupé), donc de Rimbaud (ou à la rigueur de Nouveau). Comment imaginer que Rimbaud ait numéroté seulement la page 12 et la page 18, et que les autres l’aient été par Félix Fénéon plus de dix ans plus tard ?
25 Citée par Jean-Jacques Lefrère, Rimbaud, Paris, Fayard, 2001, p. 961.
26 Autre contradiction : le 19 avril, Fénéon déclare avoir « préparé » Les Illuminations « à titre officieux » et « sans contrôle de Kahn ». Le 30, il écrit : « […] Gustave Kahn m’ayant confié le soin de préparer [le manuscrit] pour l’impression et d’en revoir les épreuves ». Ibid.
27 Lettre de Louis le Cardonnel à Paterne Berrichon, citée par Pierre Petitfils, art. cité, p. 82.
28 L’accent ardennais de Rimbaud aurait-il facilité la bonne compréhension auditive par le méridional Nouveau de… ses propres textes ?
29 Un grand poète n’emploierait donc le mot « azur » que pour évoquer la couleur bleue ?
30 Éditions de la Société de découragement de l’Escrime, Bruxelles/Liège, 2009. Seul, le « z » final d’« allez » dans la « chanson retrouvée » « La Porqueronne » comporte une hampe descendante, certes, mais moins descendante que les autres, bien qu’elle descende tout de même. Cependant, tous les « z » internes présentent cette hampe, le plus souvent bouclée.
31 Et non de « l’article défini masculin ‘le’ », comme l’écrit M. Breuil.
32 Dénuement matériel, fatigue (les journées de Rimbaud à Londres étaient faites d’épuisants déplacements, de longues lectures et de traductions), manque probable de protéines et consommation de liqueurs bon marché ont certainement accru cette difficulté. Cela vaut également pour son colocataire Nouveau.
33 OCN, op. cit., p. 817.
34 OCN, op. cit., p. 821.
35 Eddie Breuil ne cite pas une lettre à Richepin de juillet 1875 dans laquelle Nouveau déclare (nous soulignons) : « Pour moi, toujours en train de composer des histoires rimées que je t’enverrai aussitôt finies […] ». Ibid., p. 827.
36 Ibid., p. 821.
37 Le plagiat dénote une imposture, une volonté de profit ; on se demande quel profit aurait bien pu tirer Nouveau de cet emprunt.
38 OCN, op. cit., p. 408.
39 Le manuscrit de Rimbaud semble adopter la leçon « faîte », avec un circonflexe, ce qui ferait de la « haute mer » le point culminant, le toit, l’apogée de cette « éternité de chaudes larmes »… Mais plusieurs accents sur les « i » de Rimbaud ressemblent à des circonflexes, par exemple sur « enfin » et « soif » d’« Enfance III ». Il s’agit en fait de traits de plume qui relient le point sur le « i » à une courbe ou trait de la lettre suivante, ou à la barre du « t » suivant, comme c’est le cas quelques lignes plus haut dans le même « Enfance III », avec le verbe « voit ».
40 Mais Verlaine emploie également le complément du nom « de rêve », justement dans le poème Kaléidoscope évoqué plus haut, c’est le vers liminaire : « Dans une rue, au cœur d’une ville de rêve ».
41 C’est le personnage de la Reine des fées (« Queen Mab ») dans Roméo et Juliette de Shakespeare.
42 Mr V.-P. Underwood avait travaillé sur l’importance du Crystal Palace dans son Rimbaud et l’Angleterre, Paris, Nizet, 1976, p. 71-78.
43 Le mot « cirque » et son lexique apparaissent dans « Ornières », mot que Rimbaud utilise dès sa lettre du 13 mai 1871 à Georges Izambard : « On se doit à la Société, m’avez-vous dit ; vous faites partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière ».
44 Le fait que le Dr Kahn était juif semble avoir entretenu le feu de l’exécration.
45 Pour en savoir plus : http://digitalstories.wellcomecollection.org/pathways/2-the-collectors/5-obscene-doctor/. Consulté le 10/10/2017.
46 Le site ci-dessous donne en anglais la forme verbale « illuminates ».
47 Consultable sur le site Arthur Lloyd.co.uk, « Pavilion Theatre and Wonderland, White Chapel road, Stepney », in The Music-Hall and Thater History site Dedicated to Arthur Lloyd, 1839-1904.
48 OCN, op. cit., p. 817.
49 Ibid., p. 827.
50 Un excellent bachelier à cette époque (ce que fut également Nouveau) possédait une très solide connaissance de l’art, en particulier de la tragédie antique et du théâtre français du xviie siècle.
51 Dont malheureusement nous n’avons jamais retrouvé la trace, malgré des courriers désespérés à nombres d’institutions artistiques de Bretagne, région où, selon Jean Richepin, « Jolibois dit La Pomme » se rangea des voitures.
52 Sans oublier Fantin-Latour ni Carjat, avec lequel la relation fut plus turbulente.
53 Son ami Henri Mercier fut régisseur à l’Athénée-Comique.
54 Mentionné par Nouveau dans sa lettre du 17 avril 1875 à Richepin. OCN, op. cit., p. 821.
55 Vitalie Rimbaud, Journal, op. cit., p. 64-65.
56 Lefrère, Rimbaud, op. cit., p. 391.
57 Ici encore, une image assez peu engageante du soleil.
58 Si un rapport commun à l’enfance entre les deux poètes est très probable – ainsi, Germain Nouveau eut une petite sœur, Élisabeth, qui mourut le 19 octobre 1854, c’est-à-dire la veille de la naissance d’Arthur Rimbaud – et explique certainement une similitude textuelle entre les Notes parisiennes et la section Enfance des Illuminations, ces quatre Notes parisiennes se réfèrent aussi à la poésie en prose de Charles Cros, comme l’avait bien vu Maurice Saillet. OCN, op. cit., p. 1213.
59 Ibid., p. 697.
60 Nouveau fait ici référence aux Silènes du prologue de Gargantua : « Lors / congnoistrez que la drogue dedans contenue est bien d’aultre valeur que / ne promettoit la boite ». Rabelais, Œuvres complètes, Paris, Seuil, Coll. « L’Intégrale », 1993, p. 39.