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Classiques Garnier

Annexe Une plaque pour Offenbach

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Offenbach en toutes lettres. Enjeux littéraires et dramatiques
  • Auteur : Yon (Jean-Claude)
  • Pages : 355 à 358
  • Collection : Rencontres, n° 616
  • Série : Littérature générale et comparée, n° 40
  • Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN : 9782406161042
  • ISBN : 978-2-406-16104-2
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16104-2.p.0355
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/06/2024
  • Langue : Français
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Annexe

Une plaque pour Offenbach

Le 19 octobre 2019, une plaque a été apposée sur limmeuble où Offenbach a vécu de 1844 à 1856, au 25 rue Saulnier dans le 9e arrondissement de Paris, à linitiative de Laurent Fraison, Stéphane Merucci, Jean-Claude Yon et Jérôme Collomb. À cette occasion, Laurent Fraison a dit quelques mots et Jean-Claude Yon a prononcé le discours ci-dessous.

Mesdames, Messieurs,

Pour quOffenbach devienne lui-même, il fallait quil rencontrât Paris. Son génie, nourri par de multiples cultures, est étroitement lié à la ville où il sest installé dès lâge de 14 ans et où il a passé toute sa vie. Paris, cette « moderne Babylone » célébrée dans La Vie parisienne, est présente dans toute son œuvre et le petit immigré juif allemand qui vint sy installer en 1833 na pas été ingrat envers sa cité dadoption, devenue sa patrie de cœur. En retour, pourtant, la Ville de Paris na guère été généreuse envers celui qui avait été naturalisé Français en 1860 : une modeste rue dune cinquantaine de mètres dans le XVIe arrondissement baptisée en 1904, aucune statue sur la voie publique. Finalement, dans le Paris de 2019, cest surtout par ses théâtres quOffenbach est encore présent : les Bouffes-Parisiens, les Variétés, le Palais-Royal, la Gaîté (du moins sa façade), la Renaissance, lOpéra-Comique.

Durant ses premières années parisiennes, alors quil nétait quun violoncelliste virtuose cherchant à sortir du lot, Offenbach a habité à différentes adresses, par exemple rue des Martyrs (ce quune plaque inaugurée au printemps dernier rappelle dorénavant). Mais cest à partir de 1844 quOffenbach est véritablement chez lui. Dès lors, il va avoir trois adresses :

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de 1844 à 1856, le 19 passage Saulnier, où nous sommes et dont je vais reparler ;

de 1856 à 1876, le 11 rue Laffitte ;

et enfin, de 1876 à 1880, le 8 boulevard des Capucines. Cest là quOffenbach meurt dans la nuit du 4 au 5 octobre 1880. Cest de là que partira son cortège funéraire, vers léglise de la Madeleine puis le cimetière Montmartre.

De ces trois adresses, la plus fameuse est sans doute celle du 11 rue Laffitte qui correspond aux années les plus brillantes de la carrière du musicien. Dans une affiche pour une fête donnée chez lui en avril 1859, on lit : « Les personnes dont la mémoire est perfide nont quà penser aux jambes de lamphitryon pour se rappeler le numéro. » Cependant, le prolongement du boulevard Haussmann dans les années 1920 a amené la destruction de cet immeuble, de sorte quil est impossible de rappeler quOffenbach a vécu là.

Le 8 boulevard des Capucines – Laurent Fraison vient de le rappeler – est doté dune plaque posée en 1980 à loccasion du centenaire de la mort du musicien.

Reste donc le 19 passage Saulnier devenu le 25 rue Saulnier. Offenbach sy installe en 1844 après son mariage avec Herminie dAlcain, célébré à la mairie de lancien 2e arrondissement, rue Drouot, et à léglise Saint-Roch, en août 1844. Cet appartement est donc, tout dabord, celui du bonheur conjugal. Cest là que naissent les trois premières filles du couple, Berthe en 1845, Minna en 1850 et Pépita en 1855. Offenbach, on le sait, sera un mari volage mais rien, jamais, ne brisera le lien qui le rattache à Herminie.

Durant les années passées dans lappartement du passage Saulnier, jusquà lautomne 1856, Offenbach lutte pour devenir un compositeur dramatique, frappant en vain aux portes des théâtres. Il organise des concerts pour faire entendre sa musique, il lutte pour être reconnu. Le découragement nest jamais loin et, quand la révolution de 1848 vient gravement perturber la vie musicale et théâtrale, il repart pendant presquune année à Cologne, sa ville natale. Mais Offenbach a une foi indestructible en son étoile ; cest alors quil habite encore passage Saulnier quil fonde en 1855 le Théâtre des Bouffes-Parisiens qui lance véritablement sa carrière. Cest ici que sont composées des œuvres aussi 357remarquables que Pépito, Les Deux Aveugles, Le Violoneux, Ba-Ta-Clan, La Rose de Saint-Flour, Le Financier et le Savetier. On peut dire, sans exagération, que le passage Saulnier est lun des lieux de naissance de lopérette.

Et puis, ici, Offenbach a commencé à recevoir ses amis lors de soirées et de fêtes qui sont restées justement célèbres. Il habite – je cite les calepins du cadastre de 1852 – au 1er étage « à droite, en montant six marches, antichambre à droite, petite cuisine à gauche, grande salle à manger, à la suite salon à feu puis chambre à coucher à feu avec alcôve ». Dans cet espace somme toute réduit, il fait venir le Tout-Paris. Je cite Le Ménestrel du 26 décembre 1847 : « Notre violoncelliste Jacques Offenbach a donné cette semaine, dans ses salons du passage Saulnier, une grande soirée musicale à laquelle avait été conviée lélite du dilettantisme parisien. » Je cite le même journal, le 21 mars 1852, donc trois mois après le coup dÉtat de Louis-Napoléon Bonaparte :

Les peintres, les poètes, et les hommes politiques, dominent chez M. et Mme Offenbach. Les noms les plus illustres circulent de bouche en bouche, et lon remarque tout près de M. Léon Faucher un siège vacant portant inscription : Victor Hugo. Cet illustre poète entendait volontiers un peu de musique chez M. Offenbach, mais pas ailleurs. Cette honorable exception lui a valu un siège inamovible passage Saulnier. Sil avait, hélas, aimé un peu plus la musique, un peu moins la politique, nous naurions pas le sincère regret de signaler son absence à la dernière soirée de M. et Mme Offenbach.

Et pour terminer cette évocation des soirées dOffenbach passage Saulnier, je vais citer plus longuement un autre journal, Le Nouvelliste, dans son édition du 9 avril 1854 :

En M. Offenbach, lhomme du monde vaut lartiste. [] Il faut voir aussi avec quel empressement ce quon est convenu dappeler le beau monde de Paris se rend à ses concerts ou à ses soirées intimes. Cette semaine il a ouvert ses petits salons du passage Saulnier pour une fête musicale qui ne manquait pas doriginalité, par cette unique raison que ce que fait M. Offenbach ne peut en rien ressembler à ce que font les autres.

Dans trois pièces carrées quon croirait avoir été construites pour un ménage de Lilliputiens, le maître et la maîtresse de la maison trouvent le moyen dentasser deux ou trois cents personnes qui ont à peine lair de sapercevoir quelles ne sont pas tout à fait à leur aise. Comment sy prennent-ils pour résoudre ce problème regardé jusquà présent comme insoluble, de rendre le tout plus petit que la partie ? Cest encore un des secrets de ce couple charmant, et ce nest pas moi qui me chargerai de lexpliquer. Ce que je peux dire, cest 358que trois heures durant je suis resté cloué à la même place, enveloppé dune chaleur tropicale, ruisselant, écoutant, regardant et parfaitement content. Trois cents personnes environ étaient dans la même situation et toutes se sont retirées aussi enchantées que moi de cette soirée à nulle autre semblable.

Ce soir-là, Offenbach a chanté le rôle de Vertigo dans Pépito. Il portait un costume andalou et le spectacle était donné sur une estrade de dix pieds sur quatre.

Alors, oui, en cette année du bicentenaire de la naissance dOffenbach, nous sommes au bon endroit pour célébrer son génie. Son esprit a incontestablement soufflé ici et, grâce à cette plaque, aucun passant désormais ne pourra ignorer que cest du passage Saulnier que sa carrière a pris son envol, pour permettre à sa musique de rayonner dans tout Paris et dans le monde entier – une musique dont nous avons plus que jamais besoin. Vive Offenbach !

Jean-Claude Yon

École pratique des hautes études