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Classiques Garnier

Notice sur Emmeline

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Nouvelles
  • Pages : 123 à 124
  • Collection : Classiques Jaunes, n° 759
  • Série : Littératures francophones
  • Thème CLIL : 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
  • EAN : 9782406143062
  • ISBN : 978-2-406-14306-2
  • ISSN : 2417-6400
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14306-2.p.0123
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/02/2023
  • Langue : Français
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Notice sur Emmeline

Publiée le 1er août 1837, Emmeline est la première des six nouvelles que Musset compose pour honorer son contrat avec Buloz, le directeur de la Revue des Deux Mondes. Lintrigue relate la brève idylle de 1835 entre lauteur et une femme du monde, Caroline Jaubert, qui restera sa confidente privilégiée et quil continuera dappeler sa « marraine1 ».

Balzac voyait dans ce récit un chef-dœuvre « de la Nouvelle moderne2 », tout en reprochant le manque doriginalité de son sujet qui tourne autour de ladultère. Mais cest en replaçant lintrigue par rapport à La Confession dun enfant du siècle, publiée un an et demi plus tôt, que lon comprend la nouveauté dEmmeline. Un lien sétablit entre les deux œuvres, dont lintrigue sorganise autour dun personnage masculin venant bouleverser la vie dune femme respectée et qui, après une brève aventure, doit laisser sa place à un autre et reste le seul « malheureux » des trois3. Cette convergence de situation avec la Confession nous permet de mesurer la distance parcourue par Musset. À la violence des rapports entre Brigitte et Octave, à la jalousie délirante du personnage qui porte un regard dune étonnante lucidité sur sa propre folie, 124succède un récit fluide, sécoulant sans heurt, et ne laissant au lecteur quun goût fade de mélancolie, presque de vide. Il est loin le temps où lauteur, confondant sa voix avec celle de son personnage, criait dans un lyrisme effréné son « malaise inexprimable », et la souffrance dune jeunesse en proie au « mal du siècle ». Gilbert, le héros dEmmeline, nest ni exalté, ni désespéré, ni jaloux ; il ne crie pas sa solitude, néprouve pas le mal de vivre, ne sinsurge pas contre le monde dans lequel il vit. Ses faits et gestes sont rapportés par un narrateur anonyme qui, loin de se faire transparent – comme il le sera dans la plupart des récits en prose composés après Les Deux Maîtresses –, intervient dans lhistoire et semble reléguer la fiction dans un espace et un temps qui nappartiennent ni à lauteur, ni au lecteur.

Le classicisme, qui marquera les récits suivants, sinstalle déjà dans cette nouvelle qui rappelle La Princesse de Clèves, aussi bien par le ton que par le dénouement : le refus déviter les malheurs de lamour et la décision de céder « à la raison et au devoir ». Peut-être faut-il voir un souvenir de Bérénice dans un récit qui réussit à faire « quelque chose de rien », comme certains proverbes de Musset, et notamment Il faut quune porte soit ouverte ou fermée. Avec cette histoire, confinée dans un espace de quelques dizaines de mètres autour de la rue Taitbout où demeurait Caroline Jaubert, on pense à la pièce de Racine, dont Emmeline reprend les expressions, à cet « invitus invitam » qui caractérisait la séparation des amants : Titus se pliant à la raison dÉtat renvoyait Bérénice, « malgré lui, malgré elle ». Gilbert se soumet au nouvel ordre bourgeois, celui de lhôtel de Marsan et de la « sévère » Sarah, et abandonne Emmeline à un mari quelle naime plus et qui ne laime plus. Entre La Confession dun enfant du siècle et la première des six nouvelles, Musset a écrit les Lettres de Dupuis et Cotonnet, qui épinglent, sous couvert de la naïveté provinciale des deux personnages, les travers du romantisme. En 1837, le romantisme de Musset est bel et bien mort, et avec lui les Lorenzo, Frank, Rolla ou autre Cœlio de sa poésie et de son théâtre.

1 « Le fond de lhistoire est vrai ; cest lhistoire de la première liaison et de la première rupture dAlfred de Musset avec Caroline Jaubert. Celui qui est ici désigné comme le mari dEmmeline est M. Achille Boucher, qui était le prédécesseur dAlf. de Musset dans les bonnes grâces de Mme Jaubert ; Musset le supplanta, mais bientôt surgit une querelle parce quil apprit que M. Laurent Batta était des mieux accueilli par la dame. Il partit pour Bade ; à son retour, Mme Jaubert rompit avec Batta et se remit alors avec Alfred de Musset. » (Maurice Clouard, LŒuvre de Alfred de Musset II, dossier, fonds Spoelberch de Lovenjoul, F 1014, f. 30 ; la remarque sur le départ pour « Bade » est inexacte, puisque cest en septembre 1834, après sa première rupture avec George Sand, que Musset se rendit à Baden, et non en 1835 après la liaison avec Mme Jaubert.)

2 Voir annexe III, p. 383.

3 Paul de Musset faisait déjà remarquer le rapprochement entre les deux œuvres : « Les lecteurs attentifs qui voudront en prendre la peine découvriront aisément quelques traits de ressemblance entre Emmeline et Brigitte Pierson » (éd. des Amis, tome X, notice de P. de Musset, p. 25).