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Classiques Garnier

Vie de saint Jean Paulus

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Vie de saint Jean Paulus

(Ilaria Rota)

(A) la prose

auteur : anonyme

dédicataire : non mentionné

datation : daprès Meyer 1904, on peut situer la composition entre la fin du xiiie siècle (datation de la source en vers), et 1399, date de réalisation du seul témoin connu (cf. explicit du ms).

manuscrit unique :

Firenze, BML, Med. Pal. 141, f. 319vb-322vb. 1399. Parchemin ; 337 feuillets ; in-2 ; 340 x 250 mm. Le texte, en gothique libraire, est disposé sur deux colonnes de 42 lignes chacune (les lignes tracées pour délimiter la mise en page demeurent visibles). Relié en deux tomes au xviiie siècle, ce légendier avait été conçu à lorigine comme un seul volume, comme le prouve la foliotation continue en chiffres romains, qui paraît remonter à lépoque de réalisation du recueil. Au début du premier volume, une table des matières sur deux feuillets (non compris dans la foliotation) renvoie aux Vies des saints en ajoutant lindication du mois où ils sont célébrés. Au f. 330r le copiste, Jean lEscolier, déclare que le manuscrit a été terminé le 14 août 1399 à Arras « en le rue de labeye, entre lospital S. Juliien et le rue du Pre ». Dans lensemble, il sagit dun témoin soigné, qui ne manque pas de décorations : le texte du f. 1r est entouré dun encadrement de feuillages et précédé dune miniature représentant le Jugement dernier sur un fond quadrillé ; dautres miniatures inaugurent les récits se rapportant au Christ, à la Vierge et à quelques saints. Les chapitres sont introduits par des initiales champies et les sous-chapitres par des lettrines filigranées, en bleu et en rouge. Après le dernier texte, 386cinq feuillets terminent le deuxième tome ; sur trois dentre eux est transcrite une table des Pâques entre 1426 et 1507, accompagnée par la lettre dominicale relative à chaque année. La couverture porte les armes de Louis de Gand-Vilain de Mérode de Montmorency, prince dIsenghien et maréchal de France (1678-1767) : le manuscrit est mentionné dans le catalogue de sa bibliothèque, n. 55, sous la mention « Autre légende dorée ». À lintérieur des deux volumes on trouve les armes de Girardot de Préfond, bibliophile du xviiie siècle ; dans son catalogue de vente, le manuscrit est identifié sous le n. 1110 comme « Légende Dorée ou Vie des saints ».

Ce légendier est constitué de 203 pièces, pour la plupart traduites de la Légende Dorée. Meyer 1904 identifie 47 textes ne faisant pas partie de celle-ci, dont 15 seraient attestés aussi dans dautres recueils (Vie de saint Julien lHospitalier ) ; le philologue narrive pas à indiquer lorigine des Vies restantes. Au vu de sa composition hétérogène, avec des textes de différentes origines rédigés bien avant la date du manuscrit, le Med. Pal. 141 correspond bien à la définition de « recueil composite » de Geneviève Hasenohr (« Les recueils littéraires français du xiiie siècle : public et finalité », in Codices Miscellanearum. Colloque Van Hulthem, Archives et bibliothèques de Belgique, n. spécial, 60, 1999, p. 37-50). La Vie de saint Jean Paulus est copiée presque à la fin du deuxième tome, entre le chapitre intitulé « Chi apres sensiut listore de le prumiere eglize de Nostre Dame fondee en le cité de Romme et la Vie de sainte Pélagie ». Le titre est à lencre rouge ; linitiale mesure 6 UR, hiérarchiquement plus grande par rapport aux 2 UR des initiales de paragraphe. Les décorations et la mise en page respectent la physionomie du reste du volume.

incipit : « Chi aprés sensiut le vie saint Jehan Paulus. A Romme ot jadis un Apostole nommé Bazile… » (f. 319vb).

explicit : « … et en cel offisce faisant rendi a Dieu sen esprit » (f. 322vb).

Catalogue des livres de M*** [Mérode de Montmorency], dont la vente se fera en détail le mardi 15 janvier 1756 et jours suivants…, [Paris], G. Martin Libraire, 1756, n. 55

G.-F. De Bure (le jeune) 1757, Catalogue des livres du cabinet de Monsieur Girardot de Préfond, Paris, G.-F. De Bure le jeune, n. 1110

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P. Meyer 1904, « Notice du ms. MED.-PAL. 141 de la Laurentienne (Vie des Saints) », in Romania, 33, p. 1-49

Mostra di codici romanzi delle biblioteche fiorentine 1957, VIII Congresso internazionale di studi romanzi (3-8 aprile 1956), Firenze, Sansoni, p. 67-68

ColletMesserli 2008, p. 451-452

E. Barale 2018, La Genealogie, la vie, les miracles et les merites de saint Foursy, Paris, Classiques Garnier, p. 49

Notice en ligne : Jonas

organisation du texte

Titre : Chiaprés sensiut le vie saint Jehan Paulus (f. 319vb)

Le récit est découpé en paragraphes de longueur variable (une à deux colonnes) indiqués par un alinéa et une lettrine.

Lhistoire de Jean Paulus est précédée par le récit de la vision du pape Basile, dont lâme visite les sept lieux de lenfer. Il y rencontre laïeule de Jean Paulus qui sera délivrée de son châtiment grâce à la sainteté de son arrière petit-fils dont elle attend la naissance. Dans la seconde partie Jean apprend le secret que le pape avait confié à sa famille et décide de se faire ermite pour obtenir le salut de son ancêtre par sa conduite pieuse. Toutefois, pendant sa permanence dans la forêt, tenté par le Diable, il viole et tue une jeune princesse ; pour expier son péché, il se force à une pénitence rigoureuse en se réduisant à létat sauvage. Grâce à ses efforts, il gagne le pardon céleste et délivre lâme damnée de son aïeule.

La source de la légende de Jean Paulus reste encore à identifier. Aucune version latine nen est connue, même si des légendes proches, suivant les mêmes étapes, existent en France (Jean Bouche dOr), en Allemagne (Jean Chrystostome) et en Espagne (Joan Garí). On pourrait peut-être poursuivre lenquête, comme le suggère J. Morawski, dans la tradition orientale (contes de Barsisa et Vie de Jean lErmite).

La prose correspond en gros à 40 % de la version versifiée ; la suppression de digressions et de quelques détails permet daccélérer le récit et de focaliser lattention sur le Saint. Néanmoins, dans la seconde moitié du texte et plus encore dans la conclusion, le prosateur se révèle moins soigneux et omet des informations nécessaires pour définir Jean Paulus et sa sainteté. En suivant la classification dAnnie Combes, cette réécriture peut se définir 388une « transposition contrainte » (A. Combes, « Lemprise du vers dans les mises en prose romanesques (xiiie-xve siècle) », in Le Moyen Âge par le Moyen Âge, même. Réception, relectures et réécritures des textes médiévaux dans la littérature française des xive et xve siècles, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 115-140) : non seulement le contenu du modèle est respecté, mais des octosyllabes sont repris sans modification. Cela se vérifie notamment dans les scènes les plus significatives de la vie de Jean Paulus : lorsquil décide de devenir ermite pour sauver lâme de son aïeule, ce qui marque le début de ses vicissitudes (cf. v. 784, 786-787 éd. Allen et l. 55 éd. Rota : « Trop a[i] esté a grant honor/ [] Mais par Celui qui me fist nestre/ Jescaperai de cest peril » > « Trop ai esté en grant honneur, mais par Celui qui me fist naistre jou isterai de cest peril »), ou encore quand il simpose la mutité, en signe de pénitence, ce qui loriente vers la sainteté (cf. v. 1532-1533, 1540, 1543, 1549 et l. 135-138 de la prose : « Sire, a toi voel ma coupe rendre/ Sor tous prestres es souverains. [] A toi voel ma confesse dire. [] Sire, tu seis tous mes mesfais. [] De ma bouce nistra parole » > « Sire, à toi voeil me coulpe rendre. Sur tous prestres estes souvrains ; à toi voeil me confesse dire. Sire, tu sces tous mes mesfais, de me bouche nistra parole ») Dans lensemble, cest le procédé du « dérythmage » qui simpose, même si le « dérimage » apparaît parfois.

Après lincipit, la Vie souvre ainsi : « A Romme ot jadis un Apostole nommé Bazile, moult saint preudomme, qui moult amoit Dieu et le glorieuse Vierge Marie, et tous <jours> avoit en memore le paine et les tourmens dInfer » (f. 319vb) ; et se termine par : « Aprés toutes ces coses, li sains homs fu menés a le mere eglize, et fu depuis ordenés evesques de le cité, en lequele il fist pluseurs biaus miracles ; et en cel offisce faisant rendi a Dieu sen esprit » (f. 322vb).

(B) la source

Vie anonyme en couplets doctosyllabes à rimes plates (2066 vers). La distinction entre peines éternelles et temporaires dans la description des enfers (même si le Purgatoire, reconnu par lÉglise en 1254, nest pas mentionné) suggère de situer la composition du poème dans la première moitié du xiiie siècle ; le terminus ad quem peut être fixé à la fin du xiiie siècle, sur la base des mss conservés.

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trois manuscrits :

(1) Paris, B. Arsenal, 3518 (fin xiiie siècle) ; (2) Paris, BnF, fr. 1553 (février 1284) ; (3) Paris, BnF, fr. 2162 (deuxième moitié du xiiie siècle)

Contrairement à ce qui se lit dans Jonas, « Vie de saint Jean Paulus (Jean lErmite), Anonyme », dans le manuscrit Chantilly, Mus. Condé, 475 (1578), aux feuillets indiqués ce nest pas la Vie de saint Jean Paulus qui se lit, mais LErmite et le Jongleur. La confusion peut avoir été provoquée par les prologues presque identiques des deux textes.

édition

Une édition complète de la Vie en vers a été publiée en 1935 par Louis Allen sur la base du manuscrit Arsenal 3518 (n. 1supra), quil considère le plus proche de loriginal. Allen suggère une source strictement liée à ce manuscrit pour la prosification.

Ch. A. Williams 1935, The German Legends of the Hairy Anchorite. With two Old French Texts of La vie de Saint Jehan Paulus, ed. by L. Allen, Urbana, University of Illinois, p. 83-133

C.R. : A. Långfors, Neuphilologische Mitteilungen, 37, 1936, p. 56-58 ; B. Matulka, Romanic Review, 27, 1936, p. 33-36 ; A. Taylor, Germanic Review, 11, 1936, p. 137 ; G. Eis, Zeitschrift für deutsches Altertum und deutsche Literatur, 74, 1937, p. 33-35

Une nouvelle édition critique est annoncée par Luca Sacchi (Sacchi 2019, p. 39, n. 3)

(C) histoire de la prose

La mise en prose de la Vie de saint Jean Paulus na connu aucune diffusion ultérieure.

(D) bibliographie

(1) éditions

Ch. A. Williams 1935,The German Legends of the Hairy Anchorite. With two Old French Texts of La vie de Saint Jehan Paulus, ed. by L. Allen, Urbana, University of Illinois, p. 134-140

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I. Rota 2019,La Vie de saint Jean Paulus : studio ed edizione della mise en prose anonima, tesi di Laurea Magistrale, Università degli Studi di Milano

(2) bibliographie critique

P. Meyer 1906, « Légendes hagiographiques en français. II. Légendes en proses », in Histoire Littéraire de la France, 33, p. 378-458, p. 448

L. Karl 1913, « La Légende de Saint Jehan Paulus. La légende en vers, en prose et le miracle », in Revue des Langues Romanes, 56, p. 425-445 (p. 441-442)

B. Cazelles 1982, Le Corps de Sainteté daprès Jehan Bouche dOr, Jehan Paulus et quelques vies des xiie et xiiie siècles, Genève, Droz

L. Sacchi 2019, « A denti stretti : le tenebre del desiderio di Jean Paulus », in Amore e follia nella narrativa breve dal Medioevo a Cervantes, Milano, Ledizioni, p. 37-53