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Classiques Garnier

Compte rendu

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Neologica
    2020, n° 14
    . Perception, réception et jugement des néologismes
  • Auteur : Humbley (John)
  • Pages : 261 à 268
  • Revue : Neologica
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782406105718
  • ISBN : 978-2-406-10571-8
  • ISSN : 2262-0354
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10571-8.p.0261
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/07/2020
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Délégation générale à la langue française et aux langues de France (2019), Convergences et divergences dans la pratique terminologique. De la terminologie spontanée à la terminologie aménagée, Paris, Délégation générale à la langue française et aux langues de France, Ministère de la Culture, 179 pages. ISBN 978-2-11-13-9384-4.

REALITER (Réseau panlatin de terminologie, http://www.realiter.net/) est une organisation de coopération terminologique qui fédère les terminologues de langues romanes. Fondé en 1993, il reprend de nombreuses missions autrefois assurées pour le français par le Réseau international de néologie et de terminologie (RINT) mais élargies à toutes les langues latines. La principale activité des deux réseaux est la création conjointe de terminographies dans les domaines de pointe. Dans le cas de REALITER, un effort important est dévolu à la confection de vocabulaires spécialisés plurilingues, généralement hautement néologiques. Parmi les autres manifestations, il convient de mentionner tout particulièrement les journées détudes (qui en arrivent en 2019 à leur quinzième édition) car elles réunissent très heureusement les différents acteurs de la terminologie néologique : instances de normalisation, instituts de formation de traducteurs et dinterprètes, lexicologues, universitaires et autres, donnant ainsi lieu à une rencontre très fructueuse entre pratique et théorie. Le présent volume, qui représente les actes de la quatorzième journée détudes (Paris, 2-3 juillet 2018), ne déroge pas à la règle : il comporte de nombreux témoignages dactivités terminologiques marquées de différentes manières par la néologie, ainsi que des articles de recherche, qui représentent des avancées en théorie ou en méthodologie. Comme toutes les activités de REALITER, les actes sont multilingues : la plupart des articles dans le présent volume sont en français, mais le catalan, le portugais et le galicien figurent également comme langues de rédaction et détude.

Dans la « Préface », le Délégué général à la langue française et aux langues de France, Paul de Sinety, présente les objectifs de cette quatorzième journée scientifique du Réseau, dont le présent volume constitue les actes. Il souligne notamment le rôle des institutions publiques qui, en France en particulier, poursuivent une politique linguistique explicite, dont un 262des volets est le développement néologique des langues romanes. Ceux qui sintéressent à la néologie terminologique en tant que témoignage des progrès scientifiques liront avec profit lanalyse qui est présentée de la question des nomenclatures savantes à la faveur dun article de Daubenton, extrait du célèbre dictionnaire de Panckoucke, où le botaniste, tout en reconnaissant lutilité dune taxinomie dorigine savante, plaide pour la prise en compte des noms communs utilisés pour les plantes. La néologie est ainsi intégrée dans un aménagement linguistique global. Maria Teresa Zanola, Secrétaire générale de REALITER au moment de cette journée détudes, situe dans son « Introduction » les enjeux de la rencontre. Elle insiste sur la complémentarité du travail de terminologie sur le terrain, dans les laboratoires et ateliers, où les nouveaux termes émergent, et sur les efforts de normalisation qui doivent être consentis dans une perspective de communication plus vaste.

La première partie du volume est consacrée à une série de témoignages portant sur la place et lapport des experts dans le cadre de laménagement terminologique. Manuel Célio Conceição, organisateur des quinzièmes rencontres (Faro, septembre 2019) et ancien président du Conseil européen pour les langues, souligne la dimension interdisciplinaire de tout travail en terminologie et le rôle fondamental que joue lexpert, y compris dans le cadre de laménagement. Alain Gouyette, professeur de cancérologie et contributeur au Dictionnaire de lAcadémie nationale de Pharmacie, est lui-même à la fois expert et lexicographe. II analyse la politique de lAcadémie en matière de réception de termes nouveaux. Sandrine Senaneuch, terminologue principale au Département linguistique de langue française à la Commission européenne, expose les difficultés rencontrées face à la nécessité de fournir aux traducteurs une terminologie néologique de qualité dans toutes les langues de lUnion. Enfin, Manuel Núñez Singala, auteur, linguiste et membre du service de normalisation linguistique de la langue galicienne, décrit le rôle que jouent les experts à chacune des quatre étapes quil postule pour tout chantier daménagement terminologique.

La seconde partie des actes, intitulée « Convergences et divergences dans la pratique terminologique : de la terminologie spontanée à la terminologie aménagée », comporte les articles de recherche ainsi que quelques rapports circonstanciés dexpériences.

Jordi Bover, Directeur du Centre de terminologie TERMCAT et spécialiste des questions de la normalisation de néologismes, revient sur plus 263de trente ans dactivité terminologique en catalan. Dans « Lespecialització temàtica del treball terminològic, una via per a guanyar efectivitat », il explique comment gagner en efficacité en profitant de lexpérience des experts, ces usagers quotidiens des termes.

Emmanuel Cartier, Claudio Grimaldi et Maria Teresa Zanola sinterrogent sur les possibilités offertes par les nouveaux médias, en particulier les réseaux sociaux, à ceux qui souhaitent pister lémergence et la diffusion de néologismes. Prenant appui sur la plateforme Néoveille (voir Neologica 13 (2019) : 23–54), ils partent de lhypothèse que les réseaux sociaux suscitent de nombreuses innovations spontanées au niveau de la langue, qui sont ensuite relayées par le marketing. Dans « Innovation lexicales, néologie de la communication et terminologie spontanée autour d’‘Instagram entre mode et marketing », ils prennent comme exemples les noms des réseaux sociaux (dont Instagram, qui se révèle particulièrement productif) pour repérer les dérivations et les compositions réalisées spontanément. Il en ressort que la très abondante néologie, qui est majoritairement produite par suffixation, est reprise par les commerciaux dans le cadre des activités du marketing de linfluence. Il ny a pas que les linguistes qui sont à laffût de néologismes.

Larticle « La terminologie spontanée vs aménagée au cœur des discours sur le phénomène migratoire : le nommé et le caché » traite des termes liés aux phénomènes migratoires tels quils sont reflétés dans la presse française, espagnole, portugaise et italienne. Les auteures Rosa Maria Fréjaville, Raphaëlle Dumont et Andreia J.O. Silva constatent un cheminement inverse de celui qui est présupposé par le titre du colloque : dans le cas de la terminologie de la migration, on part dun vocabulaire structuré et relativement stabilisé, sappuyant sur les définitions des grands organismes internationaux (ONU, Commission européenne, etc.). Le point de départ est donc relativement bien balisé. Cest au niveau de la réception de cette terminologie par lensemble des acteurs que la spontanéité simpose. On relève ainsi des discours tantôt lénifiants, tantôt ouvertement idéologiques, polémiques, voire haineux, dont les répercussions se font sentir au niveau de la terminologie. La néologie peut véhiculer la manipulation.

Fernando Funari, linguiste spécialisé dans la médiation culturelle, illustre bien lengagement de REALITER dans la pluridisciplinarité. Il commence, dans « Le terme start-up, de lentreprise à la nation », par analyser les raisons de léchec relatif de la francisation jeune pousse. Celui-ci sexplique en partie par lexplosion de lemploi de lexpression 264start-up nation dans le contexte de ce que lon peut appeler image de marque nationale ou marketing pays, connu en anglais sous la forme de country branding management (CBM), branche désormais incontournable du marketing à léchelle planétaire. Lauteur examine lévolution de start-up dans la communication en ligne de Business France, opérateur public du marketing pays, la construction dune « mythopoïèse » nationale où lon met en relation la France et une sorte dentreprise, la start-up. Lanalyse des collocations de start-up dans ce discours fait ressortir les associations voulues par les promoteurs de cette présentation, à commencer par le président de la République. Les acteurs ressentent finalement le besoin de définir ces concepts, illustrant, malgré la spécificité de ce cas, un cycle néologique connu. Cette contribution montre bien ce que lanalyse linguistique peut apporter à une problématique professionnelle, voire de civilisation. Visiblement il y a un rapprochement à faire entre les analyses présentées ici, et celles bien connues des linguistes français de la formule (Krieg-Planque 2009).

Sil y a un domaine où les besoins de correspondances terminologiques sont importants, cest bien celui des échanges interuniversitaires. Les auteurs de larticle « Lencaix entre la terminologia espontana i la terminologia planificada : el cas de la nomenclatura interuniversitaria », Francesc Galera Porta, Marta Estella Clota, Silvia Llovera Duran et Montserrat Noro Castells, prennent comme exemple les problèmes déquivalence de vocabulaire institutionnel relevés dans le cadre dun réseau duniversités catalanophones, dont les membres se trouvent non seulement en Catalogne mais aussi ailleurs en Espagne, en France et en Italie. Ce qui frappe dans cette présentation est la domination de langlais dans tous les aspects de la question. Ainsi nest-il presque jamais question des équivalences à chercher à partir du français ou de litalien, pourtant langues de certaines universités partenaires. Lusage « spontané » favorise en réalité langlais non seulement comme lingua franca, mais aussi comme ce que lon pourrait appeler les dénominations dappel, en donnant aux établissements et aux formations des noms anglais. Le lecteur peut sinterroger sur les motivations qui prévalent à ladoption simultanée des dénominations de langue anglaise et dune conception anglo-saxonne de la formation supérieure.

Patrizia Guasco, dans « Le vocabulaire du gantier du xviiie siècle au début du xxe siècle : naissance et diffusion dune terminologie spontanée », présente lévolution de cette terminologie sur une période longue, dun siècle et demi, en donnant un aperçu privilégié des formes que prend 265la néologie terminologique par rapport à la création et à la diffusion des techniques employées. Son analyse confirme globalement le passage dune phase de création spontanée, individuelle, souvent fortement métaphorique, à une période de consolidation à la fois du métier et de son vocabulaire dont la néologie est caractérisée par « extension », pour reprendre un terme de Bernard Quemada (1978) qui désigne le fait que les nouveaux termes sont formés sur la base des termes existants. On note au sujet de la terminologie diachronique, appréhendée sous la forme dune néologie rétrospective, le retour aux études plus anciennes, que ce soit celle de Quemada ou, plus près de nous, de Morgenroth (1994), dont les réflexions sur lévolution du terme méritent dêtre rappelées. Cet article est particulièrement précieux, car il retrace (trop brièvement, hélas !) lhistorique de la terminologie dun métier, qui mériterait un développement plus complet sous la forme dun ouvrage.

Ce que Patrizia Guasco a pu faire sur une période de cent cinquante ans, Mariele Mancebo-Humbert et ses collègues Laurent Gautier et Ieda Maria Alves le réalisent en quasi synchronie pour les vins mousseux brésiliens. Dans « De la terminologie spontanée à une terminologie aménagée et vice-versa : parler des vins espumantes au Brésil », ils présentent les résultats dune recherche menée sur une terminologie émergente, celle des vins pétillants en portugais brésilien, qui illustrent bien, mutatis mutandis, les étapes de créativité spontanée et daménagement conscient. Sappuyant sur deux corpus complémentaires, lun issu de publications de spécialistes, lautre, des résultats dune enquête auprès dune population damateurs, les auteurs rendent compte des caractéristiques de ces deux types de discours, tout en explorant dautres paramètres. Parmi ceux-ci figurent les discours réglementaires ayant trait aux cépages ou aux procédés de vinification, qui comportent une terminologie normalisée de facto et employée surtout par les experts. Le vocabulaire sensoriel est développé pour les deux populations, les amateurs faisant preuve dune grande spontanéité. Ce que lon remarque dans les deux cas, cest le rôle que joue le français comme modèle de terminologie : son adaptation en portugais donne lieu à un foisonnement néologique typique de ces situations. Si lon peut faire une observation au niveau de la traduction, il est permis de douter que buveur de vin non entraîné, employé par les experts français,soit le meilleur équivalent français de untrained wine drinker. On songerait plutôt à des expressions moins recherchées comme simple amateur, plus typiques des stratégies de dénomination française.

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Si les noms des objets détude en biologie moléculaire (enzymes, protéines, etc.) sont bien normalisés – langlais à base gréco-latine est souvent directement transposable dans les langues latines –, ceux des autres aspects du travail de laboratoire le sont beaucoup moins. Dans « La dénomination des appareils dans les laboratoires de biologie moléculaire : un exemple de terminologie spontanée ? », Sarah Pinto explore la variation en français et en italien de trois groupes de termes : outre les appareils nommés dans le titre, elle examine les expressions formées à partir de la base PCR ainsi que les verbes qui dénomment les actions spécialisées. Dans le premier cas, elle constate une différence entre le nom de produit anglais, très souvent utilisé en français et en italien, et la dénomination traduite de manière descriptive par une grande variété de constructions. Pour PCR (Polymerase Chain Reaction), lauteure note dabord que le sigle anglais est employé à lexclusion des traductions française et italienne, mais surtout quil sert de base dans une multitude de termes composés réalisés de manière très diverse. Pour les verbes, enfin, on relève des emprunts à langlais convertis directement en verbes, en italien encore plus quen français. Dans ces trois cas, cest le caractère spontané qui prédomine, ce qui nest pas nécessairement à déplorer, selon lauteure, vu que de nombreuses expressions ne constituent pas des termes à part entière.

Il est bien connu que le Dispositif denrichissement de la langue française dispose dun ensemble de collège dexperts qui collaborent à lélaboration des termes soumis à la Commission générale avant envoi à lAcadémie française. Dans « Laménagement terminologique en France bride-t-il lexpression des spécialistes ? Focus sur les termes étudiés et publiés dans le domaine des matériaux », Etienne Quillot, lui-même terminologue et responsable à la DGLFLF, lève le voile sur le fonctionnement de ces groupes dexperts en examinant le sort réservé à une centaine de propositions de termes : ceux qui sont écartés lors de lexamen par la Commission, ceux qui sont adoptés avec modification (mineure ou majeure), enfin ceux qui sont adoptés tels quels, et surtout les raisons qui justifient ces décisions.

Adam Renwick, dans « De la participation des non-spécialistes à laménagement terminologique », mène une autre étude sur le fonctionnement du Dispositif denrichissement, mais en se focalisant sur les travaux du collège des experts en spatiologie. Il prend le contrepied des autres études en examinant les conséquences de lintervention de non spécialistes, en loccurrence les instances de la Commission et de 267lAcadémie française, sur les propositions émanant du collège dexpert. Enrichissement na visiblement pas le même sens pour experts et non experts.

Federica Vezzani, dans « Aménagement de la terminologie spontanée : un cas de collocation », décrit un projet de base de données terminologiques destinée aux malades atteints dun cancer, et reprend la problématique de ladaptation non seulement linguistique mais aussi de la terminologie en vue de la vulgarisation. Ce projet est très proche de celui que Valérie Delavigne (2014) a déjà réalisé. Un des avantages des rencontres comme celle de REALITER est de mettre en contact ceux qui travaillent sur des problématiques semblables mais dans des cadres différents.

Ce recueil est un bon exemple de lambition du réseau REALITER de rapprocher théorie et pratique dans le domaine de la terminologie. Les articles montrent bien que la néologie in vivo est bien la source principale de la créativité terminologique, mais que la néologie in vitro a également sa place dans le processus, selon le type de projet concerné. Le rôle de lexpert, qui peut prendre des formes très variées, se révèle primordial dans tout travail de terminologie, que ce soit au niveau de lacquisition ou à celle de la normalisation. Encore une fois, les actes de REALITER prennent la forme dun forum, permettant la communication entre les différents acteurs de la terminologie des langues latines, praticiens, universitaires, normalisateurs et agents de la politique linguistique : à ce titre ils sont précieux.

John Humbley

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Références bibliographiques

Delavigne Valérie (2014), « Peut-on traduire les mots des experts ? Un dictionnaire pour les patients atteints de cancer », in Heinz Michaela (éd.), Dictionnaires et traduction, Berlin : Frank & Timme Verlag, p. 233-266.

Krieg-Planque Alice (2009), La notion de formule en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté.

Morgenroth Klaus (1994), Le terme technique, approches théoriques, études statistiques appliquées à la langue de spécialité économique du français et de lallemand, Tübingen : Niemeyer.

Quemada Bernard (1978), « Technique et langage. La formation des vocabulaires français des techniques », in Gille Bernard (éd.), Histoire des techniques. Technique et civilisation. Technique et science, Paris : Pléïade, p. 1146-1240.