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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Neologica
    2014, n° 8
    . Revue internationale de néologie
  • Auteurs : Sablayrolles (Jean-François), Humbley (John)
  • Pages : 269 à 278
  • Revue : Neologica
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812429996
  • ISBN : 978-2-8124-2999-6
  • ISSN : 2262-0354
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2999-6.p.0269
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/06/2014
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS

Diachroniques n° 2, 2012, Sentiment de la langue et diachronie, textes collectés et présentés par Gilles 5iouffi, Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 206 pages.
Le n° 2 de la revue Diachroniques est consacré au « sentiment de la langue et [à la] diachronie  ». Plusieurs de ses articles traitent de faits lexicaux, en particulier de néolo- gismes mais aussi d'archaïsmes. C'est àceux-ci, au nombre de quatre, que ce compte rendu se cantonne, laissant de côté les articles portant sur des faits syntaxiques («  Réanalyse et discursivité » de Bernard Courbettes, ou « Le sujet dont on parle » d'Aurelio Principato). Nous ne nous attardons pas non plus sur le très intéressant article de Bruno Courbon («  Quelle place accorder au sujet dans la langue et dans son histoire ? Points de vue de deux linguistes du début du siècle  ») qui examine minutieusement les positions de Saussure et de Meillet sur la place du sujet parlant (au singulier ou au pluriel) dans la langue et son évolution, le premier s'intéressant plus au sujet sensible et individuel et le second plus au sujet social. Ce premier article suit la présentation de Gilles Siouffi qui pose la probléma- tique du numéro.
Dans « Sentiment de la langue, sentiment du discours  :changement du lexique, phraséologie émergente et "air du temps"  », Michelle Lecolle se propose d'étudier le senti- ment linguistique « profane  » de locuteurs non linguistes à propos d'innovations lexicales (mots ou expressions)  :changement de sens d'un lexème, apparition d'une forme, nouvel emploi d'une forme existante, nouvelle fréquence d'emploi, obsolescence de lexèmes, nouveaux contextes et adoption de termes étrangers. L'étude se fonde sur des textes issus de la presse francophone de deux années en cours par extraction à l'aide de marqueurs d'autonymies (avec le nombre d'occurrences relevées pour chacun entre parenthèses)
glissements) / changement(s) de sens / sémantique(s) (55); on dit aujourd'hui / mainte- nant / à présent /actuellement /désormais (41); on dirait aujourd'hui (30) ; néolog* (82) ; novlangue (73) et aussi synonyme. Après quelques remarques sur le corpus et sur les concepts d'épilinguistique, métalinguistique, etc. vient une analyse, corpus par corpus, avec la mise en évidence de traits saillants pour chacun d'entre eux. Le corpus « glissement » comprend surtout des substitutions de termes, c'est-à-dire des changements complets de signes (vidéosécurité se substituant à vidéosurveillance par exemple). Les éléments du corpus « on dit » rassemblent des modalisations autonymiques à propos néologismes formels mais surtout de manières de dire, tics de langage, jargons, banalisations, avec aussi des cas de substitutions. Le corpus «  on dirait » est assez proche du précédent. La majorité des éléments du corpus néologisme touchent des faits de société (51 %) et les décou- vertes techniques sont rares (4 %). Les commentaires associés manifestent le sentiment du

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270 locuteur sur le monde, la société, etc. Plus que les autres, le marqueur «  novlangue  » est un marqueur métadiscursif signalant moins des nouveautés que l'installation d'un compor- tement discursif collectif. Ce sont surtout des emplois qui viennent de vocabulaires situés sociologiquement et qui passent dans la langue courante que tous ces marqueurs permettent de pointer. Plus globalement, les corpus rapportent des discours tenus sur des usages qui expriment un rapport au monde et à une société en évolution. Si l'expression du senti- ment linguistique est un indice (d'une langue en évolution telle qu'elle est perçue par des membres de la communauté linguistique), elle est aussi une cause du changement, dans la création de néologismes et dans les jugements métaénonciatifs influant sur les manières de s'exprimer.
Agnès Steuckardt s'intéresse à la « Néologie et [au] sentiment de la langue française au xvllre siècle  » et montre que le sujet a été polémique durant tout le siècle, sans évolution continue, comme le veut la doxa, qui ferait passer de la proscription absolue à une grande licence avec un tournant dans les années 40. À la tradition classique hostile aux néologismes s'ajoute la hantise du déclin d'une langue considérée comme parvenue à sa perfection avec le risque de ne plus comprendre les écrivains du siècle de Louis XN Ce discours perdurera tout le siècle comme en témoignent les multiples rééditions du Dictionnaire néologique de l'abbé Desfontaines (8° éd en 1780). Mais, dès le début du siècle, des philosophes, traducteurs et écrivains plaident pour la permission de faire des mots pour éviter de longues circonlocutions et combattre une certaine indigence ressentie de la langue, par rapport au latin et au grec, mais aussi par rapport à l'anglais, langue perçue comme plus libre (cf. entre autres Fénelon, abbé de Saint Pierre, la seconde préciosité...). L'Académie, qui a accueilli en son sein des hommes de science, refuse de fixer la langue et le dictionnaire de la 4° édition intègre 5217 entrées nouvelles, avec beaucoup de termes de certains groupes sociaux qui se sont diffusés dans la langue commune. Mais certains, comme Gresset, s'insurgent contre beaucoup de ces mots nouveaux, de mots à la mode, qui resteront un objet de polémique tout au long du siècle. Voltaire expose des points de vue opposés à ce sujet, redoutant la corruption de la langue mais voulant aussi faire l'aumône «  à cette gueuse pincée et dédaigneuse qui se complaît dans son indigence  ». Sa méfiance envers les mots à la mode et les emprunts ne l'empêche pas de se montrer favorable aux néologismes en littérature, philosophie et politique. Les événements politiques conduiront à considérer la langue française comme la langue de la liberté et la décennie révolutionnaire est fertile en néologismes mais ils se heurtent à des limites, de la part des contre révolutionnaires qui s'y opposent farouchement, mais des réserves se manifestent aussi dans le camp des révolu- tionnaires. Au plus fort de la néologie, il demeure nécessaire de justifier les mots nouveaux.
Dans une deuxième partie Agnès Steuckardt s'intéresse au sentiment de la langue dans l'évaluation des néologismes. Pour Bouhours (et d'autres), il faut l'assentiment de l'usage, et les candidats doivent satisfaire à deux règles  : la nécessité et l'analogie. Celle-ci, dans la lignée de Vaugelas et à la différence de la controverse avec les anomalistes de l'Antiquité, ne s'oppose en effet pas à l'usage, mais apparaît comme l'inférence de ce qui peut être, à partir de ce qui est reçu dans l'usage, ce qui préfigure ce qui s'appellera ultérieurement le sentiment de la langue. Alors que Vaugelas a recours à l'analogie pour des cas où l'usage ne s'est pas prononcé, le xvin° siècle accorde une place centrale àcelle- ci. Aux critères de nécessité et d'analogie, viendra s'ajouter celui d'euphonie (cf Traité de la prosodie de l'abbé d'Olivet et l'harmonie imitative de Louis Racine). L'analogie se fonde aussi sur une sensation auditive de la langue et certains sont sensibles aux risques de calembours (l'amatrice / la matrice). Dans le dictionnaire de Féraud, les expressions
271 analogie de la langue et génie de la langue sont synonymes. Le jugement d'analogie comporte une part de subjectivité, mais le plus souvent, le fait traité s'appuie sur une règle ouest intégré dans une série. Elle est souvent invoquée pour justifier des néologismes et elle devient une moyen de contourner la question de l'usage (à la différence de ce que faisait Vaugelas). L'analogie permet aux écrivains de fabriquer des néologismes par dérivation ou composition, et certains, tel Rétif de la Bretonne, ne s'en privent pas. Mais d'autres, comme Marmontel, dénoncent aussi les risques d'un emploi sans frein de la création néologique par analogie  : la néologie solitaire expose à la solitude linguistique. Pougens multiplie les possibilités dérivatives (Vocabulaire de nouveaux privatifs français 1794) et Guyton de Morveau généralise les procédés de la composition savante dans la création d'une termino- logie chimique qui se veut cohérente, mais l'analogie de la langue ne vient qu'en cinquième rang des principes de base de l'établissement de cette nouvelle terminologie. La compo- sition savante, illustrée par Ronsard, était tombée en désuétude à l'époque classique mais s'était à nouveau manifestée au xvrn° siècle avec le recours aux formants -graphe, -manie, phobie, etc. : les créations de Morveau et Lavoisier ont donc des analogues, mais elle suscitent néanmoins des résistances comme celles de Sage, ancien directeur de l'École des Mines, qui préfère air phlogistique à oxygène. Cela n'empêchera pas le développement rapide de la composition savante (cf. les composés en -mètre et -gramme) qui, introdui- sant de nouveaux patrons, modifie le sentiment de l'analogie de la langue. Les patrons de l'analogie sont repérés et décrits dans le premier manuel de lexicologie française de Butet de la Sarthe qui distinguent les binômes réguliers (composés populaires et savants), les constructions prépositives (préfixés) et les constructions postpositives (suffixés). La connaissance du lexique français n'apparaît plus alors comme une affaire de sentiment mais d'observation scientifique.
Odile Leclercq, dans « Lexicographie et sentiment du vieillissement des mots au xv~ siècle  »étudie les mots pourvus d'une marque de vieillissement dans le Dictionnaire de l'Académie (DA) et accessoirement dans les deux autres dictionnaires monolingues contemporains en examinant leur diffusion à l'aide de Frantext. Sur l'avis de Vaugelas, le DA choisit de s'en remettre au sentiment commun des académiciens plutôt que de recourir à des exemples d'écrivains. C'est la compétence lexicale du locuteur et son jugement qui prévalent sur les recherches érudites ou étymologiques et ainsi la langue est fixée dans la contemporanéité de ses usages. Ce qui est ressenti comme vieux et sortant ou sortie de l'usage pose dès lors problème. Les informations des remarqueurs et les marques d'emploi des lexicographes de l'époque donnent un suivi d'opinions sur le sujet sur près d'un siècle. Mais sur les 179 mots pourvus dans le DA d'une des trois marques «  commence à vieillir  »,
vieillit » et « vieux mot » (et sa variante « ce mot est vieux  »), seuls 20 sont stigmatisés par les remarqueurs pour cette raison. Par ailleurs la présence, paradoxale, de vieux mots dans le DA est justifiée par le fait que certains sont encore un peu en usage et que d'autres servent de bases à d'autres mots qui le sont. Ces jugements montrent la perception de différentes strates temporelles, de différents états de la langue à un moment donné. Certains mots vieux sont encore intégrés à la nomenclature pour faire partie de locutions figées ou parce qu'ils sont encore usités dans des registres bas. Les définitions synonymiques de mots perçus comme vieillissants montrent l'existence de concurrents préférables aux mots ainsi marqués. Cela repose sur une impression et implique par ailleurs un pronostic engageant l'avenir à propos du remplacement d'un mot par un autre. Notons que ces mots stigmatisés le sont parfois, voire souvent, dans d'autres sources mais pour d'autres raisons
le jugement de l'oreille les fait sentir « rudes » ou ils sont caractérisés comme familiers, dialectaux ou spécialisés.
272 Odile Leclereq examine ensuite la fréquence de ces mots dans Frantext, par tranches chronologiques de 25 ans, de 1520 à 1794 et compare le sort de ces mots avec celui que leur font les deux autres grands dictionnaires contemporains. Sont retenus pour l'étude, après élimination de quelques cas justifiés, 99 mots « vieux  », 65 « qui vieillissent » et 15 « qui commencent à vieillir  ».Après l'exposé de quelques précautions de méthode, l'auteur montre que les lexicographe exhibent un consensus plus grand pour les mots marqués « vieux  »que pour les deux autres catégories (64 %des premiers ont un marque diachro- nique dans un des deux autres dictionnaires, contre 48 %pour les autres). Même si les dictionnaires anciens n'ont pas systématisé l'usage des marques d'emploi, il semble qu'ils ne les distribuent pas au hasard et qu'un emploi contrastif de celles-ci existe. Un tableau de chute de fréquence le confirme et montre que celle-ci est la plus forte pour les mots « vieux » dans la tranche 1620-1644 et qu'elle était déjà bien amorcée dans les tranches précédentes alors que pour les deux autres catégories, c'est dans la tranche 1670-1694 (et aussi 1645-1669 pour les « mots qui vieillissent  ») que le déclin est le plus prononcé. Un autre graphique fait ressortir le fait que le pic de chute de fréquence des mots « vieux  »est antérieur de 50 ans à celui des autres catégories de mots vieillissants. Par ailleurs le déclin des mots « vieux  »est plus brutal que celui des autres qui déclinent tous deux en même temps mais avec une courbe moins élevée pour ceux « qui commencent à vieillir  »que pour ceux « qui vieillissent  ». Notons parmi ceux-ci un mot éphémère, galantiser, néologisme passé de mode plus que véritable mot qui vieillit.
L'auteur s'interroge enfin sur l'influence de la norme lexicale sur les pratiques langagières. Le dictionnaire enregistre un déclin antérieur dans l'usage, mais ne le provoque pas. Il peut tout au plus précipiter ce déclin. Est par ailleurs constatée une résurgence, essentiellement entre 1770 et 1844, d'environ un quart des mots disparus ou quasi disparus. Elle touche plus les mots notés « vieillissant » ou « commençant à vieillir  ». L'hypothèse de l'influence des évolutions des marquages dans les éditions ultérieures du DA n'est pas corroborée par l'examen des faits. On peut se demander si ce déclin n'affecte pas la seule langue écrite, littéraire de surcroît. Ceci reçoit le renfort de la constatation de l'absence de marquage pour ces mots résurgents dans le dictionnaire de Furetière. Beaucoup de ces mots étaient considérés comme n'appartenant pas au bon usage ou relevaient de domaines spécialisés. Ces trois faits conduisent à émettre l'hypothèse qu'une partie de ces mots qui ressurgissent ne sont qu'une réapparition dans l'écrit littéraire (de Frantext) mais qu'ils n'avaient pas disparu des autres usages.
C'est à un mot unique, partant, que Claire Badiou-Monferran consacre son article « "Plus d'amour, partant plus de joie" (La Fontaine, Fables, VII,1)  : Partant à l'épreuve du "raisonnement linguistique" et du "sentiment de la langue"  ». L'auteur revient sur ses analyses antérieures privilégiant les facteurs internes pour expliquer la résistance de ce mot donné comme obsolescent au xvll° siècle et entreprend de refaire l'archéologie de ce scéna- rio de sauvetage (externe), en le confrontant aux analyses précédentes. Les informations disponibles sur les sentiments des classiques à propos de l'emploi de partant sont contradic- toires et mêlées. Il en ressort néanmoins que l'emploi consécutif résiste alors que les autres emplois, temporels, comparatifs et causaux sont obsolescents ou ont déjà disparu. Cette résistance de l'emploi consécutif se manifeste même dans des textes du beau style. Mais, par contamination, l'obsolescence des emplois de partant a été étendue à l'emploi consécu- tif et Thomas Corneille le condamne sauf dans le registre comique. Richelet puis Boiste le donnent aussi comme obsolescent et réservé au style judiciaire. Mais l'usage dément sur ce point les discours, au moins lexicographiques, sur l'usage comme le montrent les multiples
273 attestations de cet emploi dans Frantext dans d'autres domaines que le droit. Cela vient de la confusion des différents emplois de partant et de la confiance accordée au sentiment subjectif de Thomas Corneille et de l'Académie. La prétendue résurrection de partant n'est donc que métalexicographique et la fable de La Fontaine y joue un grand rôle. Nodier, relayé par Charles Marty-Laveaux et Littré, montre que le partant consécutif appartient à tous les types de discours, et les deux vers de la Fontaine cités dans le titre de l'article sont utilisés tels quels ou réécrits dans les dictionnaires pour l'illustrer. Les évolutions du Dictionnaire de l'Académie dans les remarques et les exemples sont notables de ce point de vue, surtout la 8° édition (dont l'exemple réécrit les vers de la Fontaine). Le succès de ces deux vers comme exemple perdure dans les grammaires de Bescherelle ou de Wihnet, illustrant ainsi leur fortune « méta  ». L'hypothèse de Ferdinand Brunot, se fiant au sentiment des lexicographes et remarqueurs, du sauvetage par La Fontaine d'un partant qui a failli mourir ne tient pas, mais sa reconstruction a pesé sur les usages des xx et xxF siècles. Les réécritures fréquentes de ces vers dans ces deux siècles (alors qu'il n'y en a pas pour le xn~ dans Frantext), montrent que le sauvetage imaginé par Brunot fait partie de la mémoire collective des Français cultivés qui les prennent comme hypertexte assumé ou s'en inspirent inconsciemment. Par ailleurs l'erreur d'attribution de fable («  Deux pigeons  » au lieu des « Animaux malades de la peste  ») par Brunot (dans La Pensée et la langue) contribue à asseoir l'étymologie populaire rattachant partant au verbe partir (et non au groupement de par et tant). Brunot fait ainsi communiquer « savoir linguistique  » et « sentiment de la langue  ». Apparaît un métadiscours que l'historien de la langue ne peut négliger. Les théories de la grammaticalisation, qui se rattachent à la linguistique cognitive, se fondent sur les usages (avec le contexte de transition), mais négligent les évaluations des usages dans les évolutions. Elles ne mentionnent que les témoignages sur la réception d'un changement, mals pas sur le changement même. Les couches du « raisonnement linguistique  », du « senti- ment de la langue » et de la « sensibilité épilinguistique »restmt étanches et le diachronicien ne s'intéresse pas à l'« imaginaire de la langue » que représentent ces deux dernières strates. Au contraire il faut lier l'histoire de la langue et l'histoire des représentations de la langue. À propos de partant, cela. s'interprète en termes de défis (interpréter les jugements des remar- queurs moins sur l'usage que sur certains de ses emplois et tenir compte des étymologies populaires), d'emprunts (d'un énoncé de l'histoire littéraire par les historiens des repré- sentations et réciproquement utilisation de cet énoncé comme hypertexte) et d'hybridation (mobilisation d'une forme de raisonnement linguistique intégrant métadiscours, sentiment de la langue et territoire de l'épilinguistique, surtout dans les cas de désaccords entre eux).
Jean-François Sablayrolles

Karine Berthelot-Guiet, Paroles de pub, La vie triviale de la publicité, Paris, Éditions non standard, coll. «  5IC  », 2013, 333 pages.
Dans son livre structuré en cinq parties, présentées comme autant de « fictions » (fiction linguistique publicitaire, fiction créative, fiction fautive, fiction clandestine et de la fiction au mythe),1'auteur traite de multiples aspects de la publicité, en faisant référence à de nombreux travaux de linguistes, de sémioticiens, de sociologues, de communicants, etc. et termine en proposant le concept de publicitarité.
274 Le nom de la maison d'édition « Édition non standard  »explique-t-il les choix (pas très heureux il faut bien le dire) de mise en page  :texte aligné à gauche et pas justifié, absence d'espace entre la lettre initiale du prénom et le nom qui suit, titres en bas de page (p. 144) ou avec une ligne orpheline (p. 108), le décalage de ligne entre le numéro de la section et le titre, des débuts de chapitre en page paire, l'emploi des guillemets au lieu des italiques pour les emplois métalinguistiques et enfin le choix des références bibliogra- phiques en bas de page (pas toujours celle de l'appel) avec quelques problèmes (comme souvent avec cette option)  :note 114 « Grunig Ibid » alors qu'elle n'a pas été citée aupara- vant, ou à la note 83, une erreur dans le nom de la revue (Cahiers de lexicologie) et surtout absence de cette référence dans la bibliographie finale, etc.  ?
Nous nous en tiendrons dans ce compte rendu à ce qui touche la néologie, que ce soit les innovations dans la langue publicitaire ou dans les noms de marques et de produits. Une des idées forces de ce livre est que par rapport à la néologie observable dans les usages quotidiens ou techniques, les néologismes dans ce domaine se caractérisent par ce que l'auteur appelle l'hybridation, comprise comme l'association simultanée de plusieurs matrices pour forger les néologismes (mais la dénomination est discutable dans la mesure où le mot dénomme déjà en lexicologie un autre phénomène  :l'association de formants d'origines diverses). Et de fait si beaucoup de ces néologismes exhibent des structures complexes —surtout dans les noms de produits —, il n'est pas assuré qu'il ne s'agisse pas de l'application de plusieurs matrices successivement (sans que les étapes intermédiaires soient nécessairement attestées). Ainsi DVDvore est fabriqué par composition sur un sigle préexistant (et n'est pas créé par deux matrices).
Le chapitre 2 « La fiction créative  : le discours publicitaire est-il un laboratoire linguistique ?  », expose dans une première section (Ressources néologiques du français potentiels et réalisations) un état de la question assez bien informé, même si l'on peut contester le trajet qui va du xénisme (et les slogans internationaux just do it, born to perform n'en sont pas vraiment) à l'emprunt via l'étape pérégrinisme — repris à l'envi mais peu convaincant dans les faits —, ou la confusion entre lexicalisation et entrée dans le dictionnaire  : la première n'entraîne pas automatiquement la seconde et celle-ci intervient la plupart du temps longtemps après la première, ou encore la distinction entre largonji et loucherbem (le jargon des bouchers, v. Plénat 1985). Ce chapitre aborde ensuite dans les deux sections suivantes ce qui est propre à la néologie du discours publicitaire (Les mots de la « pub »  : un laboratoire linguistique ?  : 40 %des messages publicitaires contiennent des néologismes, formés avec les mêmes matrices que dans la langue générale mais avec plus d'emprunts et de détournements) et surtout «  l'apport de la publicité à la langue quoti- dienne  :une créativité réelle mais bornée  » où l'auteur montre que nos échanges quotidiens sont, par un phénomène de translation, entrelardés de citations publicitaires tel bébé cadum pour une `personne immature', ou de rituels verbaux (— C'est doux, c'est neuf. —Non c'est lavé avec Mir Laine). Cette étude est novatrice dans la mesure où pas ou peu de travaux ont été consacrés à ce phénomène d'entrée dans la langue d'inventions publicitaires (comme le verbe positiver).
Le chapitre 3 traite de la fiction fautive et assimile transgression et faute (et faute publicitaire et néologisme) avec une opposition manichéenne purisme vs non purisme (qui s'apparente dès lors au laxisme débridé) comme si toute remarque sur des écarts par rapport à l'usage dominant à un moment donné ne pouvait relever que d'attitudes puristes (est-ce puriste que de (faire) remarquer que vous baverez ou je tremblera ou les plats régionale —entendus dans des conversations — ne sont pas les formes attendues ?) Il est
275 curieux que l'auteur qui se défend, à juste titre, du purisme nomme monstrueux certains néologismes, ce qui rappelle l'opinion de Druon sur le caractère tératologique des néolo- gismes, rapportée par Pruvost (2003). Quoi qu'il en soit, les fautes prétendues des publi- citaires sont de fait moins nombreuses que ce que d'aucuns pensent, et l'autorégulation fonctionne bien comme le montre le faible taux de remarques de l'ARPP qui a succédé au BVP (cf. plaquette Publicité &Langue française commune avec la DGLFLF de 2013, p. 12 :1,1 % de manquements constatés sur l'ensemble des publicités vérifiées). Il faudrait par ailleurs faire un sort aux fautes mimées «  colludiques  » (associant connivence et jeu pour Camille Vorger 2011) du type La prise de train bénéficie à la santé de votre voiture (la nominalisation de prendre un train est impossible, à la différence de prendre un risque) et aux « emprunts sociaux  » (Meillet) à la langue des jeunes comme l'emploi du verbe comater dans un slogan déjà ancien de la SNCF  : tu préferes galérer en scooter ou comater profond dans le TER.
Pour ce qui est des noms propres que sont les noms de marque (traités essentiel- lement dans le ch. 5), à juste titre distingués des lexies qui figurent dans les slogans, du fait de leur indéniable spécificité, il aurait été bon de s'appuyer aussi sur les travaux plus récents de Sarah Leroy (2004) et Jean-Louis Vaxelaire (2005) qui montrent les liens que ceux-ci entretiennent avec la langue générale  :ils n'y sont pas complètement extérieurs d'un certain nombre de points de vue, sans compter les antonomases (pourquoi ce mot n'est-il pas employé p. 236 ?), les dérivations de noms communs ou adjectifs sur des noms propres, etc. Les noms propres du domaine marchand fonctionnent-ils exactement comme les anthroponymes, les toponymes, les ethnonymes, les chrononymes...  ?Ils semblent avoir des spécificités sur lesquelles on aurait souhaité en savoir plus. Par ailleurs les noms de marques et de produits sont distingués seulement aux pages 285-286 et assimilés partout ailleurs sous « noms de marques  »alors que les deux ne semblent pas non plus avoir le même fonctionnement (les marques sont pérennes, sauf quand leur image s'est dégradée et qu'on remplace leur nom par un autre comme SIMCA devenu Chrysler puis Talbot avant d'être absorbé par Peugeot, alors que les produits se renouvellent régulièrement (les modèles des constructeurs automobiles) ou font l'objet d'améliorations qui justifient l'emploi de nouveau dans les slogans (nouvelle formule, etc.). S'il y a des néologismes dans les nouveaux noms de produits, il y en a beaucoup moins pour les noms de marques (seulement pour les créations de nouvelles marques). Par ailleurs, les produits cosmétiques sont souvent des noms «  à rallonge  », incluant des noms de composant, des propriétés, etc. qui fonctionneraient mal pour des noms de marque.
Notons quelques petits détails  : la métrique française est fondée sur la syllabe et pas sur le pied, p. 279 (et les e caducs étant prononcés, il y a 3/3//6 —donc un alexandrin —dans « Des pâtes, des pâtes, Oui mais des Panzani (il y avait sur ce point une erreur dans Grunig 1990  : 192); aqua, formant latin, n'est pas un préfixe (p. 283). Il est douteux que Larousse (pour « dictionnaire  » ?) fonctionne pour l'ensemble de la catégorie  : on entend plus souvent « consulter le dictionnaire » que « consulter le Larousse  ». Contrairement à ce qui est dit, « L'effet vache qui rit » («  mise en abyme  ») est lexicalisé de même que « Vous en avez rêvé, Sony l'a fait » du fait de tous les détournements que ce slogan a suscités. Les statues chryséléphantines situées dans le naos des temples grecs étaient faites pour être vues de l'extérieur, et pas seulement des desservants du temple (p. 257). Quant aux produits marques, ils ne fonctionnent pas comme des génériques, et les amateurs font la distinction entre une Suze, une Avèze, une Salers au sein des apéritifs à base de gentiane Enfin le mot signature, distingué du slogan, est employé à de multiples reprises mais n'est explicité
276 qu'aux pages 224-226, ce qui est un peu tard pour les non spécialistes de la communication et c'est précisément un des intérêts de ce livre que de ne pas s'adresser aux seuls spécia- listes mais à tous ceux qu'une réflexion sur la publicité et le langage intéresse. Et le livre est ainsi très utile et très instructif par tous les points de vue qu'il balaie sur cet objet à la fois quotidien mais fort complexe (et visiblement pas pour le seul profane en la matière) qu'est la publicité. Le fait de ne pas s'en tenir à une seule approche, si intéressante soit-elle, mais d'en croiser plusieurs sans exclusive, en faisant appel aux sciences de l'information et de la communication, à diverses branches et à divers courants des sciences du langage, à la sémiotique, pour l'essentiel permet de cerner la publicité sous ses multiples facettes (et ce compte rendu ne rend pas compte de la multiplicité de ces facettes, se restreignant aux aspects linguistiques  : au lecteur de découvrir les autres).
Jean-François Sablayrolles

Andrejs Veisbergs, English and Latvian Word Formation Compared, Riga, The University of Latvia Press, 2013,139 pages.
La néologie des langues baltes est à peu près inconnue, du moins dans les langues d'Europe de l'Ouest. C'est donc avec plaisir que l'on découvre ce petit manuel, qui selon son auteur est surtout destiné aux étudiants lettons qui s'initient à la lexicologie anglaise. L'anglais représente donc le point de départ, objet de comparaison avec le letton. Il est donc possible dans une certaine mesure de connaître dans ses grandes lignes comment le letton forme son lexique. L'auteur explique que la recherche linguistique lettone range les phénomènes de formation lexicale (dans la tradition anglo-saxonne) sous la rubrique de la morphologie, mais que lui l'envisage également du point de vue de la création de mots nouveaux dans un contexte social.
Il en ressort que les matrices (l'auteur parle plutôt de « word formation patterns  ») du letton sont très majoritairement celles de la composition et de la dérivation, et que les autres catégories sont non seulement très minoritaires, mais également passées sous silence par les linguistes.
L'auteur présente quatorze catégories de matrices  :création ex nihilo (coinage), siglaison, troncation, composition, amalgamation (blending), emprunt, modification sémantique (dont métaphore, métonymie, analogie, euphémisme, « créations techniques  », dysphémismes), conversion, dérivation impropre (bacl~ormation), modification du radical, lexicalisation de formes grammaticales, instances de transfert.
Le chapitre sur les sigles révèle des occurrences fréquentes et en augmentation dans les deux langues, dont témoignent des décomptes effectués dans des quotidiens anglo- phones et lettons de 1922 à 2012. L'influence du russe de l'époque soviétique explique en partie le recours plutôt intensif fait à cette matrice. L'évolution se fait sentir en letton aussi sous la forme des nouveaux médias, et l'auteur fait mention des formes abrégées relevées dans les SMS lettons, concurrencées par les formes anglaises.
Les troncations concernent surtout les dernières syllabes dans les deux langues. Le letton fait preuve de moins de variations que l'anglais car, dans la langue balte, le phéno- mène est constaté dans le cas de la langue familière ou relâchée (souvent avec ajout de suffixe diminutif] d'une part et de termes techniques de l'autre.
277 La composition est un procédé très exploité en letton, nettement plus qu'en russe (mais moins qu'en anglais), sans doute à cause de l'influence de l'allemand  :les adjec- tifs composés du type sniegbalts seraient des calques de cette langue (schneewei~. Les locutions qui deviennent des composés, autrefois inconnues en letton, sont désormais relati- vement courantes, à cause de l'influence de l'anglais. L'auteur parle de « servi-affixes » et de « pseudo-radicaux » qui seraient typiques de la composition contemporaine dans les deux langues. Les exemples permettent de comprendre qu'il s'agit de composants savants ou de fractomorphèmes (hyper-, Euro-, -berger), qui seraient relativement nombreux en letton. Le chapitre sur les mots-valises ou amalgames aborde de front la question de la néologie, mais il s'avère que cette matrice est très peu exploitée en letton, sauf pour des internatio- nalismes. L'auteur explique que cette réticence s'explique non pas à cause de l'importance des flexions dans les langues baltes, mais plutôt pour des raisons sociolinguistiques.
Le chapitre sur les emprunts est un des plus importants, car les deux langues, le letton comme l'anglais, ont connu des périodes de contact linguistique intense. On estime que près de la moitié du lexique de base du letton est emprunté  :l'auteur cite environ 3 000 germanismes dont des mots de base comme jâ (oui), un (et), 2 000 anglicismes, russismes et gallicismes chacun, ainsi que de très nombreux internationalismes d'ori- gine gréco-latine. Depuis la deuxième indépendance du pays, l'essentiel des emprunts provient de l'anglais, souvent sous forme d'internationalismes, tendance documentée par des sondages effectués dans la presse. Le lecteur français aurait aimé en savoir davantage sur le vocabulaire de l'informatique, où il apprend que les anglicismes et les néologismes lettons se disputent la faveur du public.
Le chapitre sur la néologie sémantique, qui comporte plusieurs sous-sections, est également important. Celle sur la métaphore comporte des rapprochements cognitifs  : en letton, comme en français, le vocabulaire de l'internet puise dans celui des transports, et des services postaux pour le courrier électronique. Les euphémismes occupent une place importante dans ce passage en revue, en particulier ceux de la presse et du « politiquement correct  ». Les dysphémismes sont présentés comme le résultat de régimes totalitaires, typiques du nazisme et des excès de la période soviétique.
La conversion est un phénomène presque absent ou du moins limité à quelques catégories mineures dans une langue flexionnelle comme le letton, mais l'affixation repré- sente une matrice lexicale tout à fait majeure. Comme l'anglais, les suffixes produisent des paradigmes importants. Les cas de préfixation et de suffixation simultanés seraient particulièrement fréquents en letton. Ce chapitre comporte quelques études de cas particu- lièrement intéressantes  :l'attribution du genre (le letton n'aurait aucun mal à féminiser les noms de métier, le dispositif est déjà contenu dans la langue), les suffixes de nationalité et de gentilés (ce dernier remarquablement régulier en letton), une comparaison des verbes préfixés en letton et à particule en anglais, les suffixes dérivationnels des adverbes, ainsi que les diminutifs, très fréquents en letton, où l'on constate des adjectifs diminutifs employés avec un nom... diminutif ! Une dernière étude de cas est consacrée au fonctionnement de la détermination suffixale.
Les derniers chapitres sont très brefs  : la dérivation impropre semble inexistante en letton; la modification de radical semble également à peu près inconnue dans cette langue, la lexicalisation de formes grammaticales spécifiques, en revanche, comme un pluriel qui aurait un sens différent du singulier existe aussi bien en letton qu'en anglais. Un tout dernier chapitre est consacré aux questions de transfert ou de traduction, généralement d'éléments lexicaux anglais en letton, autrement dit les formes de calques, y compris sémantiques.
278 Comme première initiation à la néologie du letton, il serait difficile de deman- der mieux que ce petit manuel. Il présente le résultat des recherches effectuées en letton, permettant ainsi un approfondissement pour ceux qui lisent cette langue. L'inconvénient principal pour la plupart des linguistes occidentaux est l'absence de traduction de nombreux exemples lettons, Google a encore des progrès à faire pour la traduction automatique letton-français.
John Humbley