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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Neologica
    2013, n° 7
    . Revue internationale de néologie
  • Auteurs : Desmet (Isabel), Sablayrolles (Jean-François), Humbley (John)
  • Pages : 205 à 224
  • Revue : Neologica
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812412615
  • ISBN : 978-2-8124-1261-5
  • ISSN : 2262-0354
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1261-5.p.0205
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/07/2013
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS


Ieda Maria Alves (dir.), Neologia e Neologismos em Diferentes Perspectivas, Sâo Paulo, Paulistana, 2010, 291 pages.
Les études portant sur la néologie lexicale se sont intensifiées ces dernières décennies et nous assistons actuellement à un renouvellement théorique, métho- dologique et applicatif du domaine de la néologie, comme en témoignent les dernières publications consacrées à ce domaine en pleine ébullition, en Europe comme outre-Atlantique.
Le présent volume, Neologia e Neologismos em Diferentes Perspectivas, dirigé par Ieda Maria Alves, fait partie de l'ensemble des publications récentes dédiées à ce champ en pleine mouvance, et devient d'ores et déjà un ouvrage de lecture obligatoire pour tout spécialiste ou jeune chercheur intéressé. En effet, il réunit treize articles dans lesquels la néologie et les néologismes sont abordés sous différentes perspectives, théoriques comme appliquées, à partir de corpus journa- listiques, littéraires, publicitaires, scientifiques et techniques, et ceci non seulement en portugais du Brésil, mais aussi en portugais européen, en espagnol, en italien ou en français. Ces langues sont à la fois objets d'étude et langues de rédaction, pour le plus grand plaisir d'un public romaniste.
Dans le texte de présentation de cet ouvrage, LM. Alves rappelle au lecteur que la néologie, définie comme le processus de création de nouvelles unités lexicales, est intimement liée au caractère social du langage. Par conséquent, la description de l'unité lexicale néologique implique l'observation du dévelop- pement social d'une communauté linguistique donnée, pendant une certaine période. Ainsi est né —rappelle-t-elle — le premier observatoire de néologie, créé par Bernard Quemada, dans le cadre du Laboratoire d'Analyse Lexicologique du Centre d'Étude du Vocabulaire Français, à l'Université de Besançon, aux débuts des années 1960. Il a été le modèle servant à la création d'autres observatoires dans les décennies suivantes, à l'Université Nouvelle de Lisbonne (Portugal), à l'Université Pompeu Fabra (Espagne), et à l'Université de Sâo Paulo (Brésil), entre autres. Les observatoires, tout comme les réseaux et les antennes de néologie, témoignent de l'importance et de la vitalité des travaux sur la néologie lexicale.
Ainsi, dans un article très pratique, intitulé La nologia, campo disciplinai y aplicado  : utilidad y problemas en et trabajo neolôgico de los Observatôrios,
Neologica, 7, 2013, p. 205-224
206 Maria Teresa Cabré présente les objectifs des Observatoires de Néologismes, décrit leur fonctionnement, propose un bref historique de l'Observatoire de Néologie de l'Université Pompeu Fabra (Barcelone), et revient sur la création et les objec- tifs du réseau NeoRom. Giovanni Adamo, à partir des données de l'Osservatorio neologico della Zingua italiana (onli), dans un article très savant, trace l'histoire de la perception des néologismes en Italie à partir du xvie siècle jusqu'à nos jours. L'auteur y présente une typologie de néologismes très classique (formels, séman- tiques et par emprunt), ainsi que les secteurs les plus prolifiques en néologismes de l'italien (informatique, télécommunications, économie et nouvelles technolo- gies), secteurs où on trouve également le plus grand nombre d'emprunts ou mots étrangers. Ieda Maria Alves fournit les résultats de l'observation systématique de la néologie du portugais brésilien de 1990 à 2009, tout en mettant en évidence le lien entre le néologisme et le caractère social du langage. Elle fonde donc son article et les conclusions de son étude sur une vingtaine d'années consacrées à une observation détaillée et rigoureuse de la néologie du portugais du Brésil.
Deux auteurs se consacrent, parla suite, à l'étude de la néologie sémantique, en révélant de nouvelles approches de ce procédé de formation de néologismes. Dans un article intitulé « Néologisme homonymique, néologisme polysémique et évolution de sens. Pour une restriction de la néologie sémantique  », Jean-François Sablayrolles délimite clairement et scientifiquement la néologie sémantique, tout en mettant en opposition les évolutions de sens et les véritables néologismes sémantiques. Ses distinctions, bien fondées et largement illustrées, apportent un nouvel éclairage à ce champ de recherche et évitent tout amalgame nuisible au traitement de la néologie sémantique. Leila Rosa, à son tour, étudie le rôle de la métaphore dans la formation de mots dans «  A metàfora na Teoria da Integraçâo Conceptual de Gilles Fauconnier e Mark Turner  : urn fenômeno cognitivo  ». Cet auteur analyse cinq néologismes sémantiques formés par métaphore, extraits de la Base de Neologismos do Português Brasileiro Contemporâneo, dans le cadre do projet TermNeo, coordonné par Ieda Maria Alves. À la lumière de la théorie de l'intégration conceptuelle, Leila Rosa montre en détail le processus d'instauration de la métaphore selon l'expérience culturelle collective et soulève son importance dans le discours journalistique brésilien.
Les rapports entre néologie et morphologie font l'objet d'étude de deux articles portant sur le portugais du Portugal et le portugais du Brésil. Bruno Maroneze étudie l'expression de l'affectivité dans un ensemble de néologismes formés par suffixation dans le portugais du Brésil. L'auteur prouve qu'au-delà des suffixes augmentatifs, diminutifs et superlatifs, d'autres suffixes peuvent aussi présenter des valeurs affectives. La description des caractéristiques morphosé- mantiques des néologismes telle qu'elle est conçue par Bruno Maroneze contri- bue largement aux études du changement linguistique, tout en situant les études néologiques dans la lexicologie diachronique. Mafalda Antunes et Margarita Correia, à leur tour, présentent quelques résultats de l'observation systématique des néologismes extraits de la presse portugaise qui contribuent significativement
207 à la caractérisation de l'état actuel de la langue portugaise européenne, à travers l'identification de ses ressources les plus productives. Les auteures fournissent quelques données résultant de l'Observatôrio de Neologia do Português depuis sa création, et se penchent en particulier sur la formation de composés savants. Parmi ces derniers, elles s'intéressent de près aux fracto-constituants (pseudo-préfixes), dans la lignée de la terminologie du modèle SILEX, crée en 1997 par Danièle Corbin. Nous y trouvons en outre une proposition de reclassification des composés savants assez fine, ayant des conséquences importantes dans la description de la morphologie et du changement lexical du portugais contemporain, avec des possi- bilités d'application au traitement du langage naturel.
D'autres approches peuvent être observées dans les travaux qui suivent. Maria Aparecida Barbosa nous offre un ensemble de réflexions sur la néologie allogénétique dans un article consacré aux mots étrangers dans la langue portu- gaise. André Valente et Hélio Alonso abordent quelques aspects sémantico-discur- sifs et intertextuels de la néologie des médias brésiliens, notamment de celle du discours journalistique et publicitaire. Le concept de néologie intertextuelle dans l'étude des créations néologiques du discours médiatique, bien défini et illustré par ces deux auteurs, invite à d'autres études sur l'intertextualité dans la néologie de la presse, écrite et orale, dans d'autres langues. Josefa Gômez Enterria établit des rapports clairs entre néologie et terminologie et aborde quelques aspects de la création néologique et de la variation dans le vocabulaire espagnol de l'économie.
Enfin, ce volume riche de perspectives variées, comporte également des travaux dédiés aux rapports entre néologie et stylistique ainsi qu'aux relations étroites entre néologie et publicité. Elis de Almeida Cardoso, dans un article intitulé «  A criaçâo neolôgica estilistica  », part de la distinction classique entre néologie dénominative et néologie stylistique (à la manière de Guilbert, 1975), pour faire le tour de cette question dans de très beaux textes littéraires d'écrivains brésiliens (Carlos Drummond de Andrade, Castro Alves, Cruz e Sousa, Oswald de Andrade, Guimarâes Rosa, entre autres). L'auteur démontre avec élégance que le texte littéraire est le lieu de la création néologique stylistique par excel- lence. «  Aderlande Pereira Ferraz, dans Publicidade  : a linguagem da inovaçâo lexical  », défend et illustre l'idée qu'avec le langage de la publicité, nous assistons à une grande manifestation de création lexicale dans le portugais du Brésil. Enfin, Nelly Medeiros de Carvalho clôt ce volume avec une brillante synthèse, à la fois profonde et légère, de la néologie dans le portugais du Brésil.
Sans épuiser toutes les possibilités actuelles en matière d'études néolo- giques, cet ouvrage s'impose dans la littérature contemporaine sur le sujet de par sa richesse et les perspectives ouvertes par l'ensemble des recherches présentées, pour le portugais comme pour toutes les autres langues romanes.

Isabel DESMET Université Paris 8
208 Sonia Branca-Rosoff, Jean-Marie Fournier, Yana Grinshpun et Anne Régent-Susini, Langue commune et changements de normes, Paris, Champion, 2011, 520 pages.
Après la présentation par Sonia Branca-Rosoff de l'ouvrage collectif à propos de la problématique du recueil et des termes utilisés dans ce domaine, avec leur flou, leur complexité et leurs variations, trente et un articles sont répartis en trois ensembles d'inégale longueur  : 1. Les représentations de la norme. Le cas français  : 14 articles répartis en trois ensembles dont le dernier se subdivise en plusieurs groupes (p. 29 à p. 252) ; 2. Les pratiques langagières  :dix articles répartis en deux ensembles dont le second se subdivise en trois groupes (p. 253 à p. 403); 3. Autres langues d'Europe  :sept articles répartis en trois ensembles (p. 405 à p. 499). Le volume s'achève par un index des auteurs et un index des notions.
Les études concernent exclusivement des langues d'Europe, essentiellement le français, à l'exclusion de l'époque contemporaine. Sonia Branca-Rosoff justifie les termes de langue commune et changements de normes pris comme titre de l'ouvrage comme entrée commode pour examiner les tensions entre la diversité des usages évolutifs des locuteurs et la construction d'une langue homogène par les grammairiens et linguistes. Elle s'attache d'abord à montrer les ambiguïtés de ces lexies. Outre que la langue n'était pas clairement distinguée avant Saussure des productions discursives, le terme langue commune recouvre, selon les emplois, la langue prescrite, la langue usuelle, la langue représentée ou encore la langue fantasmée. Si le terme langue commune, figurant dans la Préface du premier dictionnaire de l'Académie (1694), est largement tombé en désuétude du fait de son caractère flou, le concept de norme ne s'est en revanche pas installé avant le xrxe siècle en linguistique. Sont alors exposés trois modèles principaux du rapport à la langue commune et aux instances qui l'instituent comme telle. Dans la vision politique de la langue commune, l'agent de la norme a pu évoluer passant de la plus saine partie de la population, à la majorité des locuteurs et à un représentant d'une classe bourgeoise en ascension après la Révolution. À cela s'oppose la grammatisation avec la parution de grammaires et de dictionnaires  :les événe- ments linguistiques sont moins politiques que métalinguistiques. Mais l'approche sociolinguistique montre l'existence de processus de standardisation sans rôle d'institution et de grandes tendances évolutives se manifestent indépendamment d'événements politiques ou éditoriaux  :des mouvements de fond prévalent sur des événements singuliers. Sonia Branca-Rosoff examine enfin la manière dont les changements de normes ont été pensés en se penchant sur la construction éthique d'un collectif, les changements de normativité, la norme et l'esthétique littéraire, puis la diversité des activités linguistique incarnées dans des genres.
Plusieurs des articles traitent directement de la néologie et des néologismes, ce qui n'est guère étonnant dans la mesure où l'innovation se fait par rapport à une norme antérieure et que les innovations lexicales sont parmi innovations les plus
209 voyantes, mais le concept n'est parfois abordé qu'indirectement et il est absent des articles qui abordent des problèmes phonétiques ou syntaxiques, etc. Nous évoquerons rapidement ceux-ci pour commencer et terminerons par ceux où la néologie est plus présente.
Trois articles abordent des problèmes phonétiques et s'intéressent plus précisément à la prononciation. Marie-Luce Demonet traite de «  la langue à la chandelle  : la diction savante du français à la Renaissance  »  : un doute subsiste sur l'application ou non des recommandations et des libertés prises par des poètes ne doivent pas être érigées en normes de l'époque. Philippe Caron étudie, à partir d'ouvrages et de remarques contemporains, la prononciation des infinitifs des verbes du premier groupe dans la diction haute du français au xvi~e siècle  :degré d'ouverture de la voyelle et prononciation ou non de la consonne finale, et de quel type. Il conclut que « cette zone variationnelle semble bien s'être dotée d'une connotation sociale au xvne siècle à la faveur de la crispation des pouvoirs  »avec une tension entre la langue du Parlement au Palais et celle de la Cour quand se développe la monarchie absolue. Christophe Rey traite des « recommandations sur la prononciation dans le dictionnaire de l'Académie française  » à travers ses éditions successives  : ce n'est pas une préoccupation première comme en atteste le faible nombre d'informations à ce sujet qui sont dues principalement à des conflits entre orthographe et prononciation, mais des modifications orthographiques font éliminer des indications de prononciation et quelques évolutions phonétiques sont repérables au fil du temps et des éditions.
Des faits de syntaxe française sont l'objet de quatre articles. Cécile Lignereux étudie les « caprices syntaxiques de Mme de Sévigné  :une épistolière sourde aux prescriptions  ». Dans une période de transition entre deux syntaxes, l'ancienne, plus souple mais avec de possibles amphibologies et une autre plus stricte en cours de développement par exigence de netteté, Mme de Sévigné, dans le genre familier qu'est la communication épistolaire, choisit la première, celle de sa jeunesse, qui est plus vive et requiert une activité interprétative plus forte de son destinataire. Des considérations stylistico-syntaxiques sont également à l'ceuvre dans les corrections que Corneille apporte à ses tragédies et les commen- taires qu'en fait Voltaire au siècle suivant ; elles constituent l'objet de l'article de Françoise Berlan. Corneille corrige ses premières ceuvres en 1660 plus que les plus récentes dans lesquelles il a déjà adopté les changements de normes qui sont celles mises en ceuvre par des rivaux plus jeunes dont Racine. Voltaire condamne des constructions jugées archaïques ou insatisfaisantes (à propos de la nécessité des déterminants, de verbes supports appropriés au détriment de faire, etc.). D'une manière plus générale Bérengère Bouard et Nathalie Rossi-Gensane s'interrogent sur « l'influence des prescriptions [à propos des] constructions détachées à forme verbale non finie, "en l'air"  »entre 1600 et 1900. Elles montrent que c'est plus l'évolution qui fait progressivement dominer le cadre phrastique sur l'organisa- tion discursive et la période qui joue un rôle dans les restrictions apportées à l'emploi des participes détachés que les prescriptions (peu nombreuses en dehors
210 de Bouhours et d'une règle énoncée par l'Académie au début du xvine siècle) qui ne font que suivre des évolutions linguistiques plus profondes. Par ailleurs ces restrictions valent surtout pour l'écrit et nettement moins pour l'oral. Enfin Claire Badiou-Monferran étudie « les alea de la locution alors que entre 1647 et 1770  » et sa condamnation et quasi-disparition sur la base de la distinction, au sein des catégories invariables, entre adverbes, prépositions et conjonctions, avec un partage des fonctions ente les mots. Mais cette locution réapparaît ensuite avec un sens différent  : de purement temporel l'emploi devient modal, concessif. Sont ainsi étudiés l'impact de l'injonction de Vaugelas sur l'usage et plus globalement des injonctions normatives sur le changement linguistique. Les normes ne s'imposent que si elles accompagnent un mouvement de fond de la langue où elles agissent comme un régulateur de vitesse (remarque de Vaugelas comme accélérateur de la disparition progressive de alors que et peut-être frein à sa réapparition ultérieure).
La grammatisation et le rôle d'institutions normalisatrices sont étudiés dans le développement de cinq langues européennes dans des situations différentes. Dans « Normalisation du portugais  :une analyse des grammaires du xv~ et du xvn~ siècles  », Marli Quadros Leite montre qu'Argote qui a établi un véritable tableau de la variation linguistique du portugais au xvir~ siècle n'a pas été suivi par les autres grammairiens, qui adoptaient un point de vue puriste. Gerda Hassler étudie « les discours normatifs sur la langue au xvirre siècle en France et en Allemagne  ». Sont mis en regard les travaux de Gottscheidt Grundlegung Biner Deutchen Sprachkunst... (1748-1762) et ceux de Prémontval, Le Préservatif contre la corruption de la langue françoise (1759-1761) qui ne se fondent pas sur les mêmes bases linguistiques et dont la situation des langues respectives est loin d'être identique, mais ces deux auteurs ont pour point commun de ne pas avoir été aimés de leurs contemporains. Dans « The exemple of the French  :the influence of french normatives ideas on the codification of the English language  », John C. Beale montre que le modèle français avec l'institution de l'Académie française est considéré comme positif ou négatif en fonction des évolutions des relations entre les deux pays et qu'en fin de compte ce sont des initiatives d'individus qui ont codifié la langue anglaise et que le poids de considérations idéologiques et natio- nalistesjoue encore un rôle dans l'appréciation de l'Académie et de ses fonctions. Dans «  La Grèce moderne et la formation de la néa elliniki kini  », Emanuele Banfi montre qu'il est difficile de dater précisément le moment où l'on peut parler de grec moderne, ses débuts étant liés à trois moments historiques  :schisme de 1054 et sac de Constantinople lors de la quatrième croisade, puis prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 et enfin mouvement d'indépendance au xrxe siècle. Puis l'auteur examine l'opposition entre la katharevousa (langue pure) et la dimotiki (langue populaire) au cours des siècles et des aléas politiques. M.-M. Jocelyne Fernandez-Vest étudie «  la fabrication du finnois moderne  :les dialectes au défi de la pragmatique littéraire (1820-1870)  » et s'appuie sur l'expression de la négation et la controverse entre deux personnalités, Algvist et Ingman, prônant chacun un système différent, pour se réjouir de ce que ce soit celui préconisé par le premier,
211 prévalant à l'oral et illustré dans des ceuvres littéraires fondées sur le dialogue, qui s'impose en finnois moderne.
C'est le « changement de norme et [la] dynamique des représentations  » qui retient l'attention de Cécile Petitjean qui pointe la contradiction entre la norme qui ne peut que se fonder sur un usage largement partagé par la communauté et sa définition par une petite fraction de celle-ci, l'élite. C'est donc aux interac- tions ente ces deux ensembles et aux représentations linguistiques en tant guides pour l'action qu'est consacré l'article. Chantal Wionet dans « langue commune questions critiques  »entend mettre à jour les permanences et l'air d'évidence qui s'attachent au concept de langue commune malgré les éclipses de ce terme. Pour cela elle s'attache à l'observation du franchissement de certains seuils et examine les liens établis entre langue commune et morale.
Toute une série d'articles portant sur la norme du français ou d'autres langues, littéraires ou non, abordent indirectement la question de la néologie. Douglas Kibbee, se fondant sur les analyses des systèmes politiques tels que les philosophes grecs antiques les ont théorisés, avec les concepts de tyrannie et de liberté, confronte les prescriptions normatives de Vaugelas à ses opposants comme Dupleix, La Mothe Le Vayer... Ce dernier dénonce la servitude imposée au peuple par ces normes en particulier dans le lexique et selon lui, le peuple a raison de faire « valoir [d]es dictions nouvelles  » en compensation de celles qui disparaissent. Dupleix ne pense pas autrement pour qui l'usage des termes et des phrases doit être laissé à la liberté de chacun. Anthony Lodge à propos de «  la question de la "langue commune" en français  :normes "sociales" vs normes "communautaires"  » adopte une « vision surplombante  » de la norme comme idéologie linguistique qui se répand dans toute l'Europe entre le xv~ et le xrxe siècles et joue encore un rôle important à l'époque contemporaine où les puristes réduisent la langue à sa seule variété haute dont ils essaient de freiner l'évolution, accroissant de ce fait l'écart avec la langue vernaculaire et créant une situation de diglossie. Au sein des normes « communautaires  », une stabilité est souvent observée qui assure la solidarité des membres du sous-groupe, mais il peut y avoir des innovations linguistiques, en particulier, lexicales nombreuses et rapides comme c'est le cas chez les jeunes de banlieue parisienne par exemple. Pour les normes « sociales  » la variation est considérée comme naturelle et indispensable et ce qui fonde l'unité d'une communauté linguistique réside essentiellement dans le partage des mêmes normes évaluatives. Dans la codification du français (mais c'est vrai des autres langues), la réallocation qui affecte certaines variantes à des fonctions spécifiques se déroule d'une manière collective et inconsciente, les changements de normes s'établissent par consensus et le rôle des grammairiens est de les enregistrer et non de les initier. Dan Savatovsky étudie le « politiquement correct [comme] un nominalisme paradoxal  »avec les dénominations juif et israélite, celle-ci se substituant àcelle-là, par rectification lexicale, du fait de la valeur péjorative qui s'était développée pour la première (cf. les articles du Dictionnaire de l'Acadé- mie et du Littré), mais ces ethnonymes sont soumis à des resémantisations et, à
212 la différence des noms propres, ils varient en fonction des contextes d'emploi et des énonciateurs. Francine Matière étudie «  le chantier de la langue commune  » telle qu'elle se forge dans les grammaires et surtout les dictionnaires, en premier lieu le dictionnaire de l'Académie, avec le programme annoncé dans la préface et les choix opérés (rédaction collective, exemples forgés et absence de citations, attention aux collocations contemporaines...). La fin de l'article traite de néologie à propos de deux questions débattues au xvr~ siècle  :dans les rapports entre dériva- tion, étymologie et néologie, on s'en tient à l'attesté et pas au possible et dans les rapports néologie dérivationnelle, synonymie et figure, le consensus est qu'il n'existe pas de synonymes parfaits et que la néologie doit être limitée sans être rejetée mécaniquement (l'utilisation des figures et l'analogie en étant les moteurs). Il est encore à noter que l'invention de la définition morpho-sémantique et le traite- mentpar familles de mots (et pas par ordre alphabétique) dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie présentent le lexique comme un ensemble organisé linguistiquement et pas comme une nomenclature de dénominations (surtout avec un choix drastique des mots retenus). Dans son étude de « l'évolution des manuels épistographiques français en tant que traités normatifs  », Sibylle Grosse décrit les composantes de ce type de traités qui se présentent par ailleurs sous la forme d'un continuum avec cinq degrés allant de la simple observation ou description à l'exposé de règles impératives. Parmi les qualités recherchées la clarté prédomine et au sein de celle-ci figure la « clarté des mots  »qui conduit à l'exclusion du recours à la néologie (ainsi que des termes étrangers, inconnus ou techniques). L'article se termine par la mise en évidence d'une évolution dans les différentes parties qui doivent structurer une lettre, ainsi que dans leurs dénominations.
Les articles de Dominique Maingueneau et de Jacques Guilhaurnou traitent de spécificités linguistiques de groupes sociaux qui recourent l'un et l'autre à des innovations lexicales  :« l'impossible "jargon" des précieuses » et « les journalistes patriotes, remarqueurs de langue politique au début de la Révolution française  ». Le premier s'intéresse au féminin et à la transgression des normes du bon usage de la langue dans Les Précieuses ridicules de Molière. La confection de deux diction- nairesd'un langage précieux conforte l'idée d'une véritable existence d'un lexique spécifique et d'un usage déviant de la langue (et des comportements), source de comique. Mais, avec le renversement du schéma traditionnel, où le spectateur est conduit à être complice du barbon, le positionnement social de Molière rejoint en partie celui du groupe qu'il raille (avec des similitudes entre le dramaturge et les précieuses). Les journalistes patriotes du xvine siècle s'attachent à l'examen de l'emploi des mots en traquant les abus des mots, instrument de domination des hommes, et en s'interrogeant sur le sens d'expressions nouvelles. Ce sont en effet plus les changements de sens dans l'emploi des mots que les créations de néolo- gismes formels qui sont en cause.
Deux articles consacrés à des langues étrangères traitent de néologie et d'emprunt plus particulièrement. Claudia Stancati étudiant «  la langue du droit en Italie au xvn~ siècle » montre l'influence du français et du code Napoléon
213 dans la naissance d'un lexique spécialisé du droit  :des études de Fogarasi (1978) montrent que dans la traduction de ce code en italien plus de la moitié des néolo- gismesviennent du français (et qu'ils sont encore utilisés au xxe siècle pour 70 d'entre eux), situation jugée incontournable par les uns mais dommageable pour les autres au moment où le pays s'unifiait politiquement. Faanch Broudic étudie le rôle « des traductions au moment de la Révolution [et] l'apparition d'une presse pério- dique »sur la langue bretonne, avec des problèmes d'orthographe, de variantes linguistiques et de lexique. De multiples emprunts au français figuraient dans les traductions en breton de l'époque révolutionnaire. Des contraintes pragmatiques conduiront à l'échec de l'école bretoniste du début du xrxe siècle, tant pour le choix de l'orthographe que pour le lexique  : si des périphrases sont préférées aux néologismes pour des réalités non dénommées, les emprunts au français demeurent nombreux.
Huit articles abordent plus directement la néologie dans cette problématique de la langue commune et des changements de normes. Ils sont présentés selon l'ordre chronologique des siècles dont ils traitent. Fabienne Dumontet dans « Le commentaire de Muret et la "fabrique de la langue" au xvie siècle  » montre comment Muret, homme de réconciliation au sein des polémiques littéraires de l'époque, plaide pour l'adoption du changement de norme ronsardien, avec les néologismes et de nouveaux usages linguistiques, au service de la communication au sein de la communauté linguistique nationale. Quelques traces de la formation de la nouvelle norme sont repérables  : le succès du néologisme parangonner se déduit des modifications des remarques (suppression d'une ancienne et ajout d'une nouvelle) dans le commentaire de Muret; au fil des éditions et en fonction de remarques de ce commentaire, Ronsard supprime certains néologismes (esclavé, pantoiement...)rnais en étend d'autres (parangonner). Si le commentaire de Muret promeut certaines audaces néologiques de Ronsard, il les tempère aussi. Cependant les néologismes disparus au fil des éditions figurent aussi dans le dictionnaire de Robert Étienne. Le commentaire de Muret s'inscrit par ailleurs dans le droit fil des réflexions des poètes de la Pléiade sur la propriété des termes qui doivent être appréciés dans leur contexte  : un néologisme est remarquable s'il est dicté par l'imitatio de la langue modèle, qu'il s'agisse du recours à des mots anciens, à des termes de domaine spécialisé (fauconnerie), etc. pour rivaliser avec les poètes de l'Antiquité. C'est au conflit entre l'italien et le français que s'attache Yana Grinshpun dans «  "Bon naturel" contre "langue courtisanesque"  :ethos et conflit de langues au xv~ siècle  ». Les relations entre France et Italie mêlent des éléments sociopolitiques (fin des guerres d'Italie, présence d'Italiens anoblis et italianisation de la Cour), religieux (opposition gallicane à la papauté et aussi la Réforme qui s'oppose à Rome) et sociolinguistique (admiration pour la création italienne mais peur de perdre son identité). L'italianisation du français se traduit par des emprunts (charlatan, bouffon, assassin, courtisane...), des calques (il me baste l'anime), des faits d'ordre pragmatique (comment se porte votre seigneurie), phonétiques (-tt- ou -ss au lieu de -ct-, et x  : affetion, Alessandre), morphologiques (-esque et -issime).
214 Puis l'opposition à l'influence italienne se développe et rejette tant les coutumes que la langue. Le concept d'ethos est utilisé pour l'analyse du discours de ceux qui stigmatisent les influences de la langue italienne, présentée comme efféminée, molle, peu virile, déceptive, frivole... À côté de ces critiques immédiates de l'ethos italien, d'autres plus élaborées mettent en jeu des critères linguistiques (phoné- tique, pragmatique avec l'usage des intensifs, etc.). Hélène Merlin-Kajman dans «  "Dictature linguistique"  : la leçon du xvne siècle  »commence par exposer la polysémie du mot norme puis s'appuie sur les concepts de Sylvain Auroux sur l'«  agrégation des choix  »  :langue comme réalité autonome détachée des sujets parlants, dictature linguistique, choix démocratique ainsi que sur l'anecdote de Suétone reprise par Vaugelas selon laquelle l'empereur /souverain peut donner droit de cité à des personnes étrangères mais pas à des mots, pour étudier la situa- tion du xvr~ siècle. Alors qu'elle montrait le peuple maître des langues, l'anecdote change de sens avec Vaugelas et consacre l'interdit du néologisme, emblème de la souveraineté de l'usage (il n'est permis à qui que ce soit de faire de nouveaux mots, non pas même au souverain...), mais les antipuristes (Dupleix, La Mothe Le Vayer...) pensent qu'elle limite la liberté non des individus mais des poètes et des orateurs. Le déplacement opéré par Vaugelas inaugure la conception proprement contractualiste de la langue, transférant la souveraineté linguistique à l'usage, c'est-à-dire au peuple, comme corps public. Gilles Siouffi s'intéresse aux « modes langagières et paradoxes de la "langue commune" entre 1670 et 1694 en France  ». Alors que la langue française est souvent présentée comme unifiée et normalisée dans la seconde moitié du xvi~ siècle, il existe alors des dynamiques contradic- toires et des conflits de normes qui se révèlent dans les innovations, en particulier lexicales qui sont cataloguées comme des mots à la mode. La première édition du Dictionnaire de l'Académie ne les intègre pas comme ne faisant pas partie de la langue commune, réduite au familier et consensuel. Cette position de retrait, au moment où se multiplient les débats sur les « nouvelles façons de parler  »constitue une sorte de dérobade, frustrant les attentes des lecteurs, ne se prononçant pas sur ce qui est appelé à durer ou non, alors que Vaugelas lui-même reconnaissait que la langue est soumise à un renouvellement régulier et incoercible. Le contexte dans lequel l'Académie fait ce choix est explicité par la présentation de débats et des avis de Sorel, Callières, etc. Dans « Les mots communs n'ont pas d'histoire
aspects du traitement de l'emprunt au xvne siècle  », Odile Leclercq montre le déplacement qui s'opère dans les préoccupations normatives où la crainte de la corruption du français sous l'influence de langues étrangères, en particulier de l'italien, cède la place à une méfiance envers la néologie autochtone. Puis elle étudie le traitement des nouveaux emprunts à l'italien (datés de 1600 à 1694 par le TLFi) dans le Dictionnaire de l'Académie et le compare avec celui du diction- naire de Furetière. Contrairement à des opinions reçues, la nomenclature du dictionnaire de l'Académie est assez ouverte aux emprunts (il y en a au moins 104) mais ils n'apparaissent que rarement comme tels (3 seulement sont explicitement marqués comme emprunts) et sont complètement intégrés avec masquage de leur
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origine étrangère et incorporation de fait à la langue commune, en particulier par intégration sous des entrées de mots français (dans la première édition, les mots sont entrés par familles et pas par ordre alphabétique systématique). Dans « Entre langue commune en entreprise de normalisation  : Bossuet et la question de l'usage  » ,Anne Régent-Susini évoque l'ambiguïté des déclarations de Bossuet sur l'usage dans son discours de réception à l'Académie française (avec un équilibre délicat entre la langue commune — et le peuple est considéré détenteur de l'autorité linguistique — et sa normalisation par un groupe choisi) et étudie la pratique linguis- tique de Bossuet, qui utilise des archaïsmes critiqués par les remarqueurs, des termes spécialisés mais avec parcimonie et aussi des néologismes une fois que ceux-ci sont entrés dans l'usage (et ont donc perdu ce statut). Il se montre en revanche hostile aux interprétations des réformés jugées contraires à l'usage ordinaire ainsi qu'aux créations lexicales des mystiques, mais n'hésite pas à en utiliser ironiquement lui-même pour fustiger ses adversaires (cambrésistes, cromwélisme, socinianisants...). L'innovation lexicale dépend pour Bossuet de la fantaisie individuelle et produit l'erreur alors que la doctrine véritable ne peut être rattachée à une origine humaine et un nom propre. En matière de théologie c'est l'autorité transcendante qui prime mais l'autorité immanente en matière linguis- tique. La période révolutionnaire a un impact important sur le lexique et deux articles y sont consacrés. Dans « l'institution du français "révolutionné"  : construc- tion du sujet de la langue dans le Dictionnaire national et anecdotique (1790)  », Agnès Steuckardt commence par dégager les marquages discursifs du sujet de la langue (instance sociale qui régit l'usage) dans les discours lexicographiques d'Ancien Régime pour les contraster avec l'apparition d'un nouveau sujet de la langue dans le dictionnaire de Chantreau, premier dictionnaire patriote défendant le Nouveau Régime en réponse aux dictionnaires des contre-révolutionnaires qui fustigeaient les innovations lexicales, en particulier sémantiques opérées par la Révolution. Alors que le sujet du dire est généralement indéfini dans la pratique lexicographique classique, les dictionnaires satiriques mettent enjeu des sujets du dire antagonistes et les dictionnaires contre-révolutionnaires sont en peine de faire état d'une langue commune. En revanche Chantreau présente l'usage des patriotes comme l'usage commun en opposant les usages nouveaux aux anciens, dans une opposition chronologique et pas idéologique. Agnès Steuckardt étudie minutieu- sementlestraits identitaires du nous dans ce dictionnaire et présente le personnage de Monsieur Josse utilisé par Chantreau comme l'incarnation d'un brave citoyen, père de famille, ancien vilain et nouvel électeur, archétype de la classe émergente qui préfigure le bourgeois du xrxe siècle. Ghislaine Lozachmeur étudie la «  confron- tation des normes linguistiques révolutionnaires et le débat polémique sur l'abus des mots [dans] Le Nouveau Dictionnaire d'A.-Q Buée (1792)  ». Contre- révolutionnaire Buée compose un dictionnaire de 73 articles et 132 pages, de type pamphlétaire qui s'inscrit dans une tradition alors bien développée de dénonciation de l'abus des mots par les adversaires. Face aux néologismes sémantiques trompeurs, Buée veut rétablir le sens étymologique ; il raille l'usage qui est fait des
216 mots nouveaux et prône la stabilité des mots, gage de la stabilité de la société. Dans cette défense de la stabilité du lexique, Buée met en ceuvre une série de procédés lexicographiques  : ne s'adressant qu'à ses amis, il présente les mots révolution- naires comme une mode passagère insupportable justifiant un style enflammé ne répugnant pas à la néologie. Puis il recourt à deux types de stratégie de retourne- ment de la langue révolutionnaire  : un type d'énoncé définitoire peu canonique et la combinatoire sémantique.
L'ensemble de l'ouvrage pose et renouvelle l'approche des problèmes du rapport de l'institution de normes avec un usage unique ou des variantes, et des changements linguistiques, avec d'éventuelles nouvelles normes. Le renouvelle- ment lexical et la néologie sous toutes ses formes, morpho-sémantiques, syntac- tico-sémantiques purement morphologiques et aussi phraséologiques sont bien entendu concernés au premier chef par ces problématiques.

Jean-François SABLAYROLLES
Julia Schultz, Twentieth-century Borrowings from French into English : Their Reception and Development, Newcastle, Cambridge Scholars Press, 2012, 590 pages.
Tandis qu'il existe une quantité de recherche tout à fait considérable portant sur l'influence que l'anglais exerce sur d'autres langues (le français en particulier), la situation inverse a fait l'objet de relativement peu d'études. Cette lacune est partiellement comblée par le récent ouvrage de Julia Schultz, issu d'une thèse de l'université de Heidelberg. L'auteure innove dans la mesure où elle exploite pour la première fois un corpus lexicographique important sous la forme des nouvelles éditions électroniques de l'Oxford English Dictionary.
Son corpus est extrait de l'OED Online http://www.oed.com, base de données lexicographiques de l'Oxford English Dictionary, qui comporte l'état actuel du dictionnaire en prévision de la troisième édition, complètement remise à jour. La révision n'est pas totalement achevée, mais la base comporte les attes- tations les plus à jour de l'étymologie du lexique anglais. L'extraction est réalisée en sélectionnant les entrées du xxe siècle dont l'étymon est marqué French/Fr./F...
Cette exploitation de la ressource lexicographique la plus complète de l'anglais nous livre quelques résultats intéressants. D'une part, elle documente le déclin de l'influence du français. Si on accusait plus de trois cent cinquante emprunts pendant la première décennie du xxe siècle, les dernières n'en comptent que quelques unités, et rien du tout au xxie siècle. Autre surprise  : la part des termes spécialisés parmi les emprunts est numériquement importante, témoignage de la vivacité de l'innovation scientifique, technique et industrielle francophone, culminant par bancassurances des années 1980. Cette tranche du vocabulaire a moins été prise en compte que le lexique général, car moins susceptible d'être
217 reprise par les dictionnaires d'usage, et donc d'entrer dans la langue. La diver- sité des sources francophones est également à remarquer  :l'influence du français canadien et encore plus des créoles basés sur le français trouve ici une première documentation.
Le livre est divisé en quatre parties rédactionnelles. La première résume rapidement les buts et les méthodes de l'étude, et situe l'étude des gallicismes en anglais; la seconde approfondit un certain nombre d'indications de l'intégration des emprunts, surtout phonétique et orthographique. C'est la troisième partie, de loin la plus longue, qu'elle appelle l'analyse sémantique, qui présente les emprunts par champ lexical (mode, divertissements, loisirs, civilisation et vie politique, etc.). La dernière partie présente un bilan des paramètres étudiés dans les trois premières.
L'approche adoptée place l'auteure dans l'affiliation de la démarche lexico- logique issue de Betz, identifiée par Winter-Froemel (2011). On peut se demander toutefois si l'analyse d'une source secondaire suffit pour réaliser les ambitions de l'étude, qui cherche à déterminer quels sont les emprunts les plus nombreux et les plus typiques, pour lesquels le recours à un corpus primaire semblerait indispen- sable. Certes, il est tout à fait opportun d'exploiter une ressource considérable qui permet une vue d'ensemble inédite, mais on doit s'interroger sur les avantages et les inconvénients, et sur l'apport possible des ressources primaires, en particulier les vastes corpus qui existent pour l'anglais mais qui ne sont guère mentionnés ici.
L'auteure connaît bien la bibliographie de langues anglaise et allemande, mais la recherche française n'est pas ignorée non plus. Laplace de Jean Tournier en tant que père de la lexicologie structuraliste de l'anglais est bien reconnue. En revanche, des études plus pointues, y compris sur le sujet même de cette thèse, sont trop souvent passées sous silence, dont l'ouvrage de Jean-Marc Chadelat (2000 — l'article de 1995 est cité), ou l'article plus récent de Wecksteen (2009) ;1'ouvrage de Thora Uan Male (2010), qui se focalise surtout sur les aspects plutôt civilisation- nels de la question est sans doute paru trop tard pour que Schultz puisse en tenir compte. En faisant l'impasse sur la bibliographie française récente, l'auteure rate l'occasion de nouer le dialogue avec les rares linguistes de ce côté du Rhin à s'inté- resser à la question. L'absence de quelques études allemandes est plus étonnante. Silke Jansen (2005, compte rendu Neologica) aborde la distinction des approches synchroniques et diachroniques ainsi que les questions de la norme, reprises et étudiées en détail par Winter-Froemel (2011) déjà mentionnée.
Le principal point fort de cette étude est l'exhaustivité que permet l'exploi- tation de ressources lexicographiques fiables. En revanche, les aspects théoriques et méthodologiques sont bien moins approfondis. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la question des pseudo-emprunts, qui constitue une question centrale dans l'étude monumentale de Winter-Froemel (2011), est expédiée en une demi- page. Schulz distingue pseudo-compound (charmelaine) etpseudo-phrase (manière criblée) ;elle prétend, à raison sans doute, que la présence de pseudo-emprunts témoigne d'une connaissance relativement approfondie du français de la part des
218 anglophones, mais le bilan présenté en fin d'ouvrage en fait état de dix-huit (des deux catégories). On est tenté d'en relever d'autres en parcourant le livre (une des deux acceptions de musique concrète en est peut-être un exemple), mais la partie synthétique est plutôt esquivée. On s'intéresse davantage à ce que l'auteur appelle l'analyse sémantique, qui compare l'intégration des gallicismes en anglais et leur devenir sémantique dans leur langue d'origine, ce qui représente la plus grosse partie du livre. En revanche, la distinction entre innovation et propagation, pourtant assez bien documentée pour les termes techniques, n'est pas problématigée non plus.
Les publications sur les emprunts sont assez rares, mais on peut douter que celui-ci réussisse à convaincre les linguistes généralistes de l'intérêt de ces recherches. Sur le plan de la documentation on peut se réjouir de la disponibilité des données naguère inédites, mais on ne peut s'empêcher de regretter l'occasion ratée de se poser davantage de questions sur les buts, les méthodes et les théories de l'interférence linguistique.
John HUMBLEY Références
CHADELAT Jean-Marc (2000)  : Valeurs et fonctions des mots français en anglais à l'époque contemportaine, Paris, L'Harmattan.
VAN MALE Thora (2010)  :Liaisons généreuses  : l'apport du français à la langue anglaise, Arléa, 2010.
WECKSTEEN Corinne (2009)  : «  La traduction de l'emprunt  :coup de théâtre ou coup de
grâce ?  », Lexis, http://lexis.unie-lyon3.fr/IMG/pdf/Lexis_3 Wecksteen.pdf.



Esme Winter-Froemel, Entlehnung in der %mmunikation und im Sprachwandel : Theorie und Analysen zum Franzôsischen, Berlin, De Gruyter, 2011, 514 pages.
L'auteure de cet important ouvrage est déjà connue des lecteurs de Neologica' et des Cahiers de Zexicologie2 pour avoir renouvelé la problématique de l'emprunt linguistique en la réintégrant dans celle de la linguistique générale et plus particulièrement dans ses courants les plus innovants. Parmi ceux-ci, la linguistique cognitive figure en bonne place, mais d'autres approches trouvent
1 Esme Winter-Froemel (2009), « Les emprunts linguistiques  :enjeux théoriques et perspectives nouvelles  », Neologica 3, p. 79-112.
2 Esme Winter-Froemel (2012), « Néologie sémantique et ambiguïté dans la communi- cation et dans l'évolution des langues  :défis méthodologiques et théoriques  », Cahiers de lexicologie 100, 1, p. 55-80.
219 également un écho positif dans cette nouvelle lecture d'un sujet injustement négligé ailleurs que dans les pays de langue allemande. L'apport de la présente étude est, à notre avis, de ramener les études des emprunts au sein de la réflexion linguistique en général et lexicologique en particulier et de compléter l'article de Neologica 3.
Ce livre, issu d'une thèse de l'université de Tübingen extrêmement bien documentée, ne se présente pas du tout comme une compilation de tout ce qui a été dit sur l'emprunt en français. Il s'agit bien d'une thèse dans tous les sens du terme, qui remet en cause plusieurs présupposés fondateurs de la théorie de l'emprunt linguistique, notamment la séparation nette des approches synchronique et diachro- nique, d'un côté, et de ce que l'on appelle souvent (mais pas dans ce livre) celle des matrices lexicogéniques internes et externes. L'innovation de l'approche préconi- sée dans ce livre consiste à considérer que le phénomène de l'emprunt linguistique relève des mêmes mécanismes que ceux du changement linguistique en général. De ce point de vue, l'emprunt linguistique s'inscrit intégralement dans le processus de l'évolution des langues.
Le volume se divise en seize chapitres, et comporte par ailleurs une synthèse et une bibliographie conséquente. Les douze premiers chapitres font le point de la situation dans le domaine des études des emprunts et proposent une nouvelle méthodologie qui les inscrive directement dans la problématique de l'évolution de la langue; les quatre derniers présentent une analyse approfondie de trois études de cas, qui illustrent l'application de la méthode présentée dans la première partie. Après une introduction qui situe les enjeux de l'emprunt dans le cadre de l'étude de la variation linguistique, l'auteure aborde en détail, dans le deuxième chapitre, différentes questions relatives à leur description, à leur intégration ainsi qu'à leur évolution post-intégrative. Le troisième chapitre est consacré aux questions de délimitation entre emprunt et autres phénomènes proches (interférence en général et interférence de substrat, code-switching ainsi que les résultats, dont les pseudo- emprunts), nécessitant une analyse tour à tour synchronique et diachronique. Le quatrième chapitre reprend la distinction classique pour la tradition allemande entre emprunt et xénisme (ou plutôt Lehnwort et Fremdwort, car les approches diffèrent) et examine les critères explicatifs, qui relèvent surtout de différents types d'intégra- tion. Le chapitre V continue cette réflexion sur les différents paramètres de l'inté- gration en abordant la question de la conformité, celle-ci étant définie comme la correspondance formelle d'un trait d'une forme de la langue cible par rapport aux structures du système de la langue cible. Partant d'une typologie perspicace des études sur l'emprunt, le chapitre VI examine le rapport entre l'évolution linguis- tique en général et le phénomène de l'emprunt, et envisage celui-ci comme révéla- teur de celle-là. En faisant ressortir l'inadéquation des approches traditionnelles lorsqu'il s'agit de rendre compte du processus de l'emprunt linguistique qui se focalisent sur la langue plutôt que sur les agents du changement, c'est-à-dire les locuteurs, l'auteur ouvre la voie à d'autres démarches, exposées (et critiquées  !) dans le chapitre suivant. Celui-ci présente de manière approfondie l'hypothèse de la main invisible de Keller ([1990] 1994) et celle de la sélection de Croft (2000),
220 commentées plus bas. L'originalité de Winter Froemel est de prendre deux théories du changement linguistique (interne) proposées récemment et de les appliquer aux emprunts, traditionnellement considérés comme « externes  ». L'emprunt parti- cipe de fait des processus de l'évolution de la langue réceptrice et sert ainsi de révélateur de l'adéquation de théories jusqu'ici réservées à l'évolution interne. Le chapitre VIII examine d'autres approches qui présentent des apports pour une théorie de l'emprunt linguistique, et souligne en particulier le rôle de Coseriu, qui, poursuivant la conception hurnboltienne de la langue comme énergie, remet en cause la dichotomie saussurienne de la synchronie opposée à la diachronie. Le chapitre IX propose un schéma qui envisage l'emprunt comme manifestation du changement linguistique. Le chapitre X évoque des réflexions d'ordre sémio- tique, tandis que le chapitre XI propose un modèle de la communication qui rend compte à la fois de l'emprunt et du changement linguistiques. Le chapitre XII réexamine une autre question bien connue des études des emprunts du temps jadis la distinction entre emprunts de nécessité et de luxe. Celle-ci est soumise à une nouvelle analyse pragmatique, susceptible de dégager le caractère catachrésique d'une innovation. Toujours soumise à l'impératif diachronique, celle-ci est suscep- tible d'évoluer dans le temps  :ainsi, software à l'époque héroïque de l'informa- tique était bien un emprunt de type catachrèse, car aucune autre dénomination n'était disponible au moment de son apparition. C'est seulement par la suite que la proposition de logiciel a changé la donne. Les emprunts non catachrésiques sont fortement marqués stylistiquement, comme pour people, pour lequel il existe toujours la possibilité d'employer célébrités... L'analyse fait appel ici au concept de presumptive meanings de Levinson (2000).
L'examen du corpus propre à cette étude est présenté dans le chapitre XIII, qui ébauche une nouvelle méthodologie pour le renouveau disciplinaire souhaité par l'auteure. Elle critique les sources exploitées dans le passé  : la tradition lexico- graphique privilégiait les sources secondaires —principalement les dictionnaires, tandis que d'autres approches misaient trop exclusivement sur les corpus journa- listiques. Winter Froemel fait remarquer que l'offre actuelle proposée par l'Internet est bien plus riche, comprenant en plus toutes sortes de sources moins contrôlées
les blogs, les chats, où la récolte métalinguistique et épilinguistique est riche, ainsi que les corpus déjà constitués. La démonstration qu'elle fait en s'appuyant sur la variation constatée dans l'attribution du genre grammatical est révélatrice de ce point de vue  :elle est bien moins uniforme que la consultation de corpus plus policés le laisserait entendre, mais cette variation n'est pas aléatoire.
Les trois chapitres suivants constituent l'essentiel de la démonstration de la méthode proposée, qui est esquissée en partie dans Winter Froemel (2012), et concernent trois types d'emprunt  : le chapitre XN contient l'analyse de l'incorpo- ration de grappa en français, exemple d'emprunt d'une langue latine sceur ; le XV celle de fuel, qui aborde des questions de terminologie dans le cadre d'une étude diachronique de plus d'un siècle  ; le XVI enfin celle de people et de ses nombreux dérivés et composés, mais au cours d'une période bien plus brève. Dans le cas de
221 grappa, deux scénarios sont envisagés  :d'une part d'italophones (restaurateurs, hôteliers, etc.) qui l'emploient dans leur matériel publicitaire, de d'autre part des francophones touristes ou cenophiles. De fait, les deux sont bien documentés dans les corpus, confirmant une évolution complexe comme celle suggérée par Keller, se déroulant dans un contexte (gastronomie, tourisme) bien déterminé. Le cas de fuel illustre bien les spécificités de la néologie terminologique  : la documentation permet d'établir sans doute plus clairement que pour les autres néologismes les deux processus d'innovation et de propagation. On sait que l'adoption de fuel oil n'était pas catachrésique, car l'emprunt antérieur mazout était déjà établi, mais que les milieux professionnels étaient davantage exposés aux contact avec leurs homologues anglophones, comme les nombreux témoignages métalinguistiques et épilinguistiques le confirment. La troncation de fuel oil en fuel s'est certainement produite lors de sa propagation. Ce terme, étant diversement traité par la néologie officielle (qui préconisait à la fois une adaptation graphique fioul, et l'emprunt antérieur —mazout), fournit également un bon exemple du rôle joué dans la néolo- gie par les instances officielles. Ce chapitre fournit également une démonstration des avantages de la démarche préconisée exemplifiée par l'attribution du genre grammatical. Une étude des attributions différentes montre que celle-ci n'est pas le fruit du hasard, mais plutôt d'une sous-norme particulière à un groupe ou une collectivité donnée. Le cas de people, pipolisation, enfin, fournit un terrain d'étude très riche, prenant la forme d'un mot-clé sinon de la civilisation du moins d'une époque dans la vie politique française. L'auteure montre qu'il ne s'agit pas d'un faux anglicisme, du moins à l'origine  :l'emprunt s'est effectué tout à fait direc- tement dans les colonnes des magazines à sensation, d'abord américains, puis français. C'est donc à partir d'une rubrique libellée People que l'emploi de ce vocable pour faire allusion à des célébrités s'est établi. Il s'agit clairement d'un emploi non catachrésique.
Le livre est donc nettement orienté vers une nouvelle définition de la place de l'emprunt linguistique dans une vision globale de la linguistique, et la démons- tration et les exemples associés sont volontairement restreints.
Il serait difficile, dans le cadre d'un compte rendu même détaillé, d'évoquer toutes les questions soulevées par l'auteure et de discuter des nombreuses propo- sitions qu'elle en fait.
Le point de départ est une description et une évaluation de l'état actuel de l'étude des emprunts. L'auteure distingue très utilement trois approches qu'elle appelle classiques, qui peuvent d'ailleurs se trouver panachées sous la plume de différents linguistes, de par leur origine ou leurs fréquentations. Il s'agit d'abord l'orientation lexicologique et lexicographique, qui prend comme point de départ le lexique d'une langue tel qu'il se présente à un moment donné, et qui analyse à partir de ce stade les apports allogènes; ensuite l'orientation sociolinguistique, qui s'attache à décrire les phénomènes de contact linguistique dans les échanges
222 entre communautés plus ou moins bilingues, et troisièmement celle de l'intégra- tion àdifférents niveaux. Dans la première catégorie elle range toute la tradition allemande issue des travaux de Betz (1959 pour une synthèse) mais illustrée plus récemment par ceux de Manfred GSrlach (2000)  :elle est toujours dynamique, à en juger par les projets, généralement localisés en Allemagne, dont certains sont connus à l'étranger3. Dans la seconde, celle des Américains Haugen et Weinreich en particulier, c'est la situation du contact linguistique, où la question des interfé- rences est centrale, qui constitue le point focal. La dernière catégorie, représentée surtout par quelques linguistes allemands, fait appel à la théorie de l'optimalité pour étudier comment se réalise l'intégration des éléments étrangers, généralement dans des situations de contact entre langues typologiquement éloignées (chinois et langue européenne, par exemple), où l'intégration sémantique se place sur un niveau différent de celle d'autres niveaux d'analyse (phonétique, morphologique, etc.). Toutes ces approches se caractérisent par la séparation nette entre les phéno- mènes d'emprunt et ceux de l'évolution « interne  » de la langue.
L'état de la question selon les approches traditionnelles ainsi exposé, Winter-Froemel prend comme point de départ de son approche globale deux théories unificatrices  :celle de la « main invisible » de Keller ([1990] 1994), et celle de l'évolution de la langue par étapes successives d'innovation et de propaga- tion de Croft (2000), qu'il appelle la sélection. Ni l'une ni l'autre n'est très récente, mais elles semblent peu connues dans les pays francophones. La première théorie envisage pour expliquer l'évolution linguistique un niveau micro et un niveau macro, les multiples variations se plaçant au niveau des individus (micro) mais susceptibles — si elles vont dans le même sens — de déboucher sur des tendances générales (niveau macro). Les attitudes des locuteurs se manifestent de manière tantôt statique, tantôt dynamique, et c'est la tension entre les deux qui explique le jeu de l'évolution. Croft pour sa part distingue nettement entre deux moments du changement linguistique  : le premier, l'innovation, est situé au niveau de l'individu et concerne la fonction, la seconde, la propagation, est une affaire de sociolinguis- tique, voire de sociologie, car tributaire des théories industrielles et médicales de l'innovation (celle des industries, comme celle des microbes). Winter-Froemel complète ces visions assez complémentaires du changement linguistique en utili- sant le modèle d'inspiration statistique de la courbe S  :les fréquences d'emploi d'une innovation sont d'abord minimes, puis elles augmentent brusquement pour se plafonner à un niveau relativement constant. Cette vision statistique de la néolo- gie est à rapprocher de celle de Renouf (2012). Winter-Froemel indique d'ailleurs que d'autres linguistes avaient bien postulé une évolution linguistique en deux
3 En particulier  : DILE Dizionario di italianismi nelle lingue europee (italianismes en français, en anglais et en allemand); DECOLAR Dictionnaire étymologique et cognitive des langues romanes, Tübingen; LexiType(Dia) Lexikalischer Wandel — Polygenese — kognitive Konstanten  : Der menschliche K~rper (SFB 441) Université de Tübingen 1999-2004 ; Loanword typology Martin Haspelmath et Uri Tadmor (Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Department of linguistics, Leipzig)
223 temps, comme celle qu'elle postule, notamment Coseriu (qui figure comme un des grands précurseurs de l'approche qu'elle préconise), mais le lecteur francophone ajouterait volontiers la thèse continuiste de Nyckees (2006), et l'anglophone la métaphore grammaticale de Halliday (2004).
Les deux théories (Keller et Croft) sont considérées comme «  évolution- naires  » dans la mesure où elles supposent un jeu entre les multiples actions individuelles débouchant sur une tendance plus générale qui se dessine. Croft les présente de trois manières complémentaires. La première est de considérer qu'il s'agit d'une métaphore, d'une analogie  : la langue se comporte comme l'évolu- tion biologique ; la deuxième est proprement biologique  : le changement linguis- tique relèverait littéralement d'une sous-classe du changement biologique ; la troisième, que Croft appelle généralisée, et à laquelle il souscrit, considère que les systèmes linguistiques et biologiques relèvent de classes de systèmes développés historiquement.
Cette approche met en lumière les avantages et les inconvénients sociaux que le locuteur peut se procurer en employant une innovation linguistique.
Ces approches sont complétées par les travaux des cognitivistes, en parti- culier ceux de Peter Koch. Ils présupposent que l'emprunt —innovation —ait lieu au niveau du discours, donc de l'individu ; les approches traditionnelles ne se focalisent que sur une description partielle et non systématique; qu'il convient de prendre compte des relations sociales et cognitives. Il est à signaler que les cognitivistes ne se sont pas préoccupés jusqu'ici des questions de linguistique de contact (emprunts, calques, etc.) et cette importante contribution de Winter Froemel montre que cette approche apporte un éclairage tout à fait pertinent à la question.
Les pseudo-emprunts (souvent réduits, à tort, comme l'explique Winter Froemel, aux faux anglicismes) constituent un autre cas où la division entre matrices externes et internes n'est pas pertinente. Elle analyse les différentes tenta- tives de classements, et fait remarquer à juste titre que de très nombreux « faux  » emprunts sont en réalité de vrais emprunts, si l'on les examine dans une perspec- tive appropriée, généralement diachronique.
L'explication de l'intégration des éléments hors système est tout à fait convaincante, mais il ne faut pas oublier que le processus peut connaître des allers- retours. On sait par exemple que les anglicismes anciens adaptés à l'allemand ont tendance de nos jours à reprendre une forme écrite anglaise.
Une des richesses de ce livre est l'étendue et la profondeur de sa bibliogra- phie. La portée théorique en est renforcée, car les réflexions sont fondées sur une grande variété d'approches. Le présent lecteur a découvert grâce à cette étude de nombreux travaux menés dans les pays de langue anglaise et allemande peu connus en France. L'exhaustivité n'est ni nécessaire ni même souhaitable, mais on peut compléter. Par exemple, dans la lignée de l'approche sociolinguistique on peut citer les travaux de Marcel Cohen (1967), dont l'explication de la néologie qui se
224 développent dans des groupes socioprofessionnels réduits pour se répandre par la suite dans la communauté linguistique plus vaste.
Il est dommage de ne pas disposer d'un index pour un ouvrage aussi volurni- neux, mais le lecteur appréciera la liste des abréviations, ainsi que le glossaire, très spécifique. Par ailleurs la présentation de l'ensemble de l'ouvrage est extrêmement soignée.
John HUMBLEY Références
BETZ Werner (1959)  : Lehnw~rter und Lehnprkgungen im Yor- und Frühdeutschen, in Friedrich Maurer et Heinz Rupp (dir.), Deutsche Wortgeschichte, 3°édition, Berlin, De Gruyter, p. 135-163.
COHEN Marcel (1967)  :L'histoire d'une langue  : le français, Paris, Éd. Sociales. CROFT William (2000) Explaining Language Change. An Evolutionary Approach, Essex, Pearson.
GORLACH Manfred (2000) Dictionary of European Anglicisms, Oxford, Oxford University Press. [Voir aussi John Huxnbley, «  Le dictionnaire d'emprunts fonctions descriptives et prospectives  », Neologica 2, p. 55-73.]
HALLIDAY M.A.K. et WEBSTER Jonathan (dir.) (2004)  :The Language of Science, London, New York, Continuum.
KELLER Rudi ([ 1990] 1994)  : Sprachwandel. Yon der unsichtbaren Hand in der Sprache, Tübingen, Francke Verlag.
LEVINSON Stephen (2000) Presumptive Meanings : The Theory of Generalized Conversational Implicature, Cambridge, MA, MIT Press.
NYCKEES Vincent (2006)  : « Rien n'est sans raison ; les bases d'une théorie continuiste

de l'évolution sémantique  », in Candel et Gaudin (dir.), Aspects diachroniques
du vocabulaire, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du
Havre, p. 15-88.
RENOUE Antoinette (2012)  : «  Defining neology to meet the needs of the translator  », Neologica, 6, p. 17-41.