Aller au contenu

Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Neologica
    2011, n° 5
    . Revue internationale de néologie
  • Auteurs : Humbley (John), Vaxelaire (Jean-Louis)
  • Pages : 215 à 221
  • Revue : Neologica
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812442315
  • ISBN : 978-2-8124-4231-5
  • ISSN : 2262-0354
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4231-5.p.0215
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/01/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
215
COMPTES RENDUS


FURIA55I, Cristiano (2010), FalseAnglicisms in Italian, Polimetrica, Monza, Milano 249 p. (imprimé)  :I5BN 978-88-7699-203-2 (électronique)  :I5BN
978-88-7699-204-9
Le phénomène néologique des faux emprunts (connus également en français sous le nom de pseudo-emprunts), qui semble très répandu dans de nombreuses langues, est souvent évoqué, comme l'abondante bibliographie de cet ouvrage l'atteste amplement, mais rarement problématisé. Il s'agit de néologismes qui prennent la forme d'un emprunt mais dont le modèle n'existe pas dans la langue étrangère. L'étude que Cristiano Furiassi nous présente se focalise sur le cas des anglicismes italiens qui n'ont pas d'équivalent en anglais. La méthode qu'il emploie, toutefois, pourrait s'appliquer à toute autre langue, comme celle de Cypionka (1994) sur les faux-anglicismes en français.
Le livre est divisé en trois parties, chacune susceptible d'intéresser, à différents titres, ceux qui étudient la néologie sans pour autant être italianisants. La première est une tentative de définition du phénomène en général, débouchant sur une classification des faux anglicismes en italien et une discussion sur leur place dans la linguistique de contact; la deuxième présente la constitution d'un double corpus susceptible de documenter le phéno- mène, toujours en italien et la troisième un dictionnaire des faux anglicismes obtenus par les méthodes décrites dans la partie précédente.
Il est assez paradoxal de constater que de très nombreux lexicologues se sont intéressés au phénomène des faux emprunts en général et des faux anglicismes en particu- lier, créant au passage un foisonnement de termes pour le désigner, parfois de points de vue différents, sans pour autant l'aborder de front  : c'est la tâche que Furiassi se donne. Une des forces de cette étude est la base très solide des recherches antérieures — y compris certaines très récentes —sur laquelle sa recherche et son dictionnaire s'appuie, surtout en italien et en anglais. Toutes les autorités sont abondamment citées et commentées, les différences d'appréciation faisant l'objet de mentions particulières. Pour déterminer si une suite donnée est un faux anglicisme ou non, l'auteur propose un test de huit questions, chacune en trois parties  : la première partie pose la question en italien, le faux anglicisme étant employé avec son acceptation italienne, la seconde la traduit directement en anglais, en gardant le faux anglicisme, la troisième substitue l'équivalent anglais
1 a Avete mai incontrato un recordman ?
1 b Have you ever met a recordman ?
1 c Have you ever met a record holder ?


Neologica, 5, 2011, p. 215-221
216 Ensuite il propose une classification des faux anglicismes basée sur l'italien, mais en réalité directement transposable à d'autres langues
1. composés autonomes  :des mots composés d'éléments anglais mais dont la combi- naison n'existe pas en anglais  :recordman ;
2. dérivés autonomes  :des mots dérivés dont le radical et l'affixe sont anglais, mais dont la combinaison n'existe pas en anglais  :footing ;
3. composés elliptiques  : un élément d'un composé qui existe bien en anglais est supprimé  :basket (de basketball) ;
4. dérivés elliptiques (`clippings')  :mot dérivé qui existe bien en anglais dont le suffixe est supprimé  : jiirt (de jiirtation) ;
5. évolution sémantique  :mot qui existe bien en anglais mais dont le sens change en italien  : mister (pour un entraîneur sportif j ;
L'auteur reconnaît trois sous-catégories d'évolution sémantique
Sa. évolution métonymique  :poker employé dans le jeu de cartes (également appelé poker —vrai anglicisme) pour un carré (main de poker constituée de quatre cartes du même rang et d'une autre carte)  ;
Sb. évolution métaphorique  :bomber employé en football pour un joueur qui marque de nombreux buts'  ;
Sc. évolution méronymique  : jüpper, un des dispositifs qui constitue ce qui est connu en anglais sous la forme de pinball machine ;
6. éponymes  : un éponyme est employé en italien sans qu'il le soit en anglais  :carter (enveloppe d'une chaîne) ;
7. toponymes  : un toponyme est employé en italien sans qu'il le soit en anglais  : new jersey;
8. noms de marque  : un nom de marque est employé en italien sans qu'il le soit en anglais  :ticket restaurant.
L'auteur évoque ensuite les évolutions de fonction ou de conversion2 et du cas impor- tant des hybrides, et distingue faux anglicismes et faux amis. Il est frappant de constater que la plupart des exemples fournis pour l'italien existent également en français. Il convient aussi
1 Le cas de spider est évoqué, son statut est controversé  : la métaphore semble déjà présente dans le modèle anglais, comme dans l'emprunt en français. selon le TLFi odeur. ÉtymoL et Hist. 1. 1877 (Le Guide du carrossier, 15 juin, 30b ds H~FLER Anglic. : spider est maintenant un terme technique de carrosserie qui désigne un genre de phaeton dont l'arrière-train est relié à la caisse par des mains de fer) ; 2. 1901 siège de spider « siège installé dans une cavité aménagée à l'arrière d'un cabriolet » (Le Sport universel illustré, 9 févr., 92a, ibid.) ; 1931 spider (L'Illustration, n° spécial, L'Automobile et le Tourisme, 3 oct. ds REY-GAGNONAnglic.). Empr. à l'angl. spider «  araignée  »désignant différentes choses p. compar. avec cet animal, en partic. une voiture légère montée sur de hautes roues (appellation originaire d'Afrique du Sud  :1870 spider wagon ds DAE; 1879 ds NED) et utilisée pour qualifier un phaéton équipé d'un siège supplémentaire placé au-dessus des roues arrières (spider phaeton ds Webster's  ; cf. aussi phaeton désignant une voiture automobile découverte à deux places, munie d'un siège supplémentaire à l'arrière en 1908 ds DAB. Bbg. BONN. 1920, p. 139.
2 Le cas qu'il donne comme exemple, flirt, verbe anglais qui est employé en italien pour une personne, est ambigu, comme Furiassi le dit lui-même. Du point de vue synchronique il est difficile de se prononcer, puisque l'anglais connaît également l'emploi de flirt comme nom, mais qui désigne une personne qui flirte ou qui a tendance à flirter, et non un amant. D'autres auteurs considèrent que la conversion non attestée en anglais constitue une catégorie supplémentaire de faux-anglicisme). (Furiassi 2010 :53)
217 de préciser que le classement adopté par Furiassi est purement synchronique  : le constat se fait uniquement à partir de l'état actuel de l'italien et de l'anglais. Lorsque l'auteur s'inter- roge sur l'origine des faux anglicismes, il cite les différentes spéculations de ses prédéces- seurs (certains pensent qu'il s'agit d'erreurs commises par des Italiens dont la connaissance de l'anglais est défectueuse, d'autres qu'ils sont le fait de ceux qui au contraire connaissent bien l'anglais), sans toutefois tenter de pister les différentes étapes historiques de l'émer- gence et de la propagation de ce type de néologismes. Il s'interroge sur les attitudes à l'égard des faux anglicismes et appelle de ses voeux une étude du phénomène dans l'ensemble des langues européennes, à l'instar de l'initiative de Manfred Gdrlach (2001, 2002), qui a fait la préface du présent ouvrage. S'inspirant d'Onysko (2007), il place le phénomène des faux emprunts dans le cadre plus général de la linguistique de contact, et propose une nouvelle typologie où cette catégorie est comprise comme une des principales manifestations du contact linguistique, sur le même plan que les emprunts directs, les calques et les hybrides (Furiassi 2010 :75). L'impact que les faux anglicismes sont susceptibles d'avoir sur l'anglais en tant que langue internationale véhiculaire est également évoqué.
La deuxième partie, la définition du corpus, est le résultat de deux démarches complémentaires. La première est le listage des faux anglicismes italiens déjà repérés dans les différents recueils lexicographiques existants  :dictionnaires de la langue générale (italiens bien entendu, mais anglais aussi, en tant que corpus d'exclusion), dictionnaires italiens de néologismes et de mots étrangers ainsi que Gdrlach (2001). Les résultats, fort contrastés d'ailleurs selon les sources, surtout pour la langue générale, sont abondamment commentés. Ensuite, un corpus de textes journalistiques est constitué en partie à partir de ressources existantes créées par des universités italiennes et par l'auteur, afin d'illus- trer l'emploi réel des faux anglicismes identifiés dans le corpus lexicographique. Un des inconvénients de cette méthode, que l'auteur reconnaît explicitement, est de se couper des faux anglicismes présents dans le corpus journalistique mais absents de celui des diction- naires. Les variations orthographiques, particulièrement nombreuses dans le cas de mots peu répertoriés et d'origine étrangère, représente une difficulté majeure dans la prise en compte de l'ensemble des manifestations. Un des objectifs, l'obtention de fréquences signi- ficatives pour chaque faux anglicisme sous ses différentes variantes est toutefois atteint. Cette partie donne des indications utiles pour la constitution des corpus dans les langues où les ressources sont moins abondantes que pour l'anglais, et comporte une étude métalexi- cographique pénétrante du traitement fait par les dictionnaires italiens d'une catégorie néologique non négligeable mais peu étudiée.
La troisième partie, le dictionnaire, comporte 286 articles avec prononciation « italienne  » (en transcription phonétique), catégorie grammaticale, datation, langue inter- médiaire le cas échéant, indication de fréquence, domaine d'emploi, définition (en italien), synonyme italien, équivalent anglais ainsi que des contextes (en principe un seul par entrée) tirés de son corpus journalistique. Le type de faux emprunt est également donné sous forme du sigle déjà présenté dans la première partie, et reproduit plus haut dans le présent compte rendu, ce qui ne facilite pas sa lecture.
Dans la conclusion, l'auteur souligne l'importance des travaux de lexicologie basés sur l'observation, et propose six pistes de recherche pour perfectionner le dictionnaire existant. La première est la prise en compte de la dimension diachronique, qui paraît effec- tivement une priorité, non seulement à cause des informations supplémentaires qu'elle ne manquerait pas d'apporter, mais aussi grâce à une perspective complémentaire par rapport à celle —strictement synchronique —envisagée par l'auteur.
218 Manfred Gdrlach, dans sa préface, salue l'usage que fait Furiassi d'un corpus, ce qui marque effectivement une amélioration qualitative par rapport à son A Dictionary of EuropeanAnglicisms (Gdrlach, 2001). Le dictionnaire contenu dans l'ouvrage de Furiassi pourrait par ailleurs constituer le noyau d'un dictionnaire européen des faux anglicismes, à l'instar de Gdrlach (2001), qui avait commencé par une comparaison des anglicismes en allemand et en polonais. Ce projet figure en fait entant que sixième piste de recherche que Furiassi se propose en conclusion. Il n'aura pas de mal à trouver des collaborateurs pour un tel projet.

Références
CYPIONKA Marion, (1994) Franz~sische ,Pseudo-anglizismen'  : Lehnformationen zwischen Entlehnung, Wortbildung, Form- und Bedeutungswandel, 1994, Tübingen, Ganter Narr.
G~RLACH Manfred (2001)  : ed. ADictionary ofEuropeanAnglicisms, Oxford University Press.
— (2002)  : ed. English in Europe, Oxford University Press, 2002.
— (2002)  : ed. An annotated bibliography of European Anglicisms, Oxford University Press, 2002.
— (2007)  :Anglicisms in German. Borrowing, Lexical Productivity and Written Codeswitching. De Gruyter, Berlin, (voir compte rendu dans Neologica 2, 2008).

John HUMBLEY
Gérard Petit  : La Dénomination  :approches linguistique et terminologique, Peeters, Bibliothèque de l'Information Grammaticale, Louvain-Paris, 716 p.
Bien que Gérard Petit affirme dans sa conclusion que son étude n'est qu'une forme de prélude, ce travail ressemble plutôt à une somme, probablement fiait de plusieurs années de travail puisque l'auteur a publié depuis la fin du siècle dernier différents travaux sur la dénomination.
Le livre se partage en trois parties principales. La première établit un état des lieux de la notion de dénomination en linguistique et en terminologie ; la deuxième consiste en une redéfinition de cette notion, G. Petit optant pour une approche modulaire; enfin, la troisième propose des adaptations pratiques, notamment en lexicographie.
Comme l'indique le titre, l'un des intérêts principaux de ce livre tient dans l'exa- men de la notion de dénomination à la fois en lexicologie et en terminologie. Il est finale- ment rare qu'une notion soit observée sous les angles de ces deux disciplines, si proches et pourtant si concurrentes. Par le biais de la dénomination, c'est notre connaissance du lexème, pour la lexicologie, et du terne, pour la terminologie, qui se voit renforcée.
D'après G. Petit, lexicologie et terminologie ont chacune une approche particulière de la dénomination, récente pour les linguistes et ancienne pour les terminologues. En effet, pour la lexicologie française, le texte fondateur est un article de Georges Kleiber publié dans Langages (n° 76) et datant seulement de 1984. De plus, la notion a du mal à s'implan- ter en linguistique en raison de l'héritage structuraliste qui rejette les faits de référence hors du champ de l'analyse lexicale.
219 Selon G. Kleiber, et G. Petit à sa suite, la dénomination est une relation référentielle car elle met en relation le signe et la chose et peut être exprimée par une formule telle que dénommer ou être le nom de, par exemple  : « moucheron est le nom d'une petite mouche  ». Toutefois, il est obligatoire d'ajouter une dimension sociale à cette relation  : on ne peut appeler une chose par son nom que si la chose a été préalablement associée à ce nom au sein de la communauté des locuteurs, « moucheron est le nom d'un chien » ne peut ainsi être considéré comme un cas de dénomination.
Un autre point que G. Petit reprend des travaux de G. Kleiber est l'importance de la distinction qui existe en anglais entre name et noun, puisque la dénomination ne relève que du premier genre. En termes français, il s'agit de la différenciation entre le nom syntaxique (le noun anglais) et le nom logique (name). Cette précision est importante, G. Petit explique à plusieurs reprises qu'il faut découpler la fonction dénominative de la fonction syntaxique. La conséquence en est qu'un nom peut ne pas dénommer (des noms tels que truc, bidule, machin par exemple ne catégorisent pas ou de manière bien trop large), alors que d'autres parties du discours ont une valeur dénominative  : un verbe peut, à l'instar d'un nom, expri- mer une dénomination de propriété, de même qu'un adjectif une dénomination de procès. Enfin, la dénomination ne se limite pas au mot simple puisqu'elle peut comprendre des séquences plus larges comme prise de tête.
Bien que le statut de la dénomination en terminologie soit bien différent, il n'est pourtant pas satisfaisant dans l'optique de G. Petit. Dans cette discipline, pour les diverses écoles, le terme ne dénomme pas un segment de réalité mais un concept, ce que G. Petit rejette car il s'oppose aux positions conceptualistes et à l'onomasiologie, lui préférant une approche sémasiologique.
De plus, en terminologie, désignation et dénomination sont synonymes, le premier terme étant plutôt utilisé dans les normes ISO, le second dans les travaux universitaires. Il est pourtant nécessaire d'après G. Petit de les distinguer car ce sont deux modes de référence concurrents. La dénomination librairie peut ainsi passer le test « librairie est le nom d'un X  »alors que ce même test ne fonctionne pas avec la désignation magasin où l'on vend des livres  : *« magasin où l'on vend des livres est le nom d'un X  ».
La démarche épistémologique de G. Petit s'oppose également au statut particulier que possède la dénomination dans la théorie générale de la terminologie de Wüster et de ses disciples  :puisque tous les termes dénomment et que, réciproquement, une unité qui ne dénommerait pas ne pourrait accéder au statut de terme, la dénomination fait alors partie de ce fonds théorique communément accepté qu'il n'est plus nécessaire de questionner.
L'examen minutieux amène G. Petit à distinguer plusieurs niveaux dénominatifs dans la deuxième partie de l'ouvrage. Ainsi, voiture et bagnole sont deux dénominations d'objets, mais la première est une dénomination classante ou statutaire, alors que la seconde est une dénomination occurrentielle, c'est-à-dire qu'elle n'appartient pas direc- tement àl'objet mais se rajoute dans un énoncé par-dessus la première. Voiture permet de classifier globalement l'objet alors que bagnole porte un jugement qui ne concerne qu'une occurrence particulière. G. Petit estime que des tests permettent de distinguer les deux types puisque seule la dénomination statutaire permet de répondre à la question  : « comment s'appelle ce x ?  » et que la dénomination occurrentielle peut être intégrée dans un énoncé qui marque son caractère second tel que « bagnole est le nom familier de la voiture  » (p. 297).
Bien qu'aucune partie de l'ouvrage ne lui soit spécifiquement consacrée, la néolo- gie occupe une place importante dans le parcours de G. Petit car, comme il l'écrit, elle
220 «  fournit le ferment de la dénomination  » (p. 674). Elle joue également un rôle dans la distinction suivante, celle entre dénomination de droit et dénomination de fait. Ainsi, bien que les deux renvoient à la même infection, encéphalopathie spongiforme bovine et maladie de la vache folle ont un statut différent  : la première est une dénomination de droit car il s'agit du terme reconnu par les autorités médicales et recensé dans les dictionnaires terminologiques, la seconde est une dénomination de fait, employée par le grand public. Ce point est important pour ceux qui s'intéressent à la néologie car le statut du néologisme est toujours problématique. G. Petit propose donc de spécifier les termes imposés par les instances de normalisation (dictionnaires et bases de données, commissions ministérielles, cabinets d'experts, marques déposées, etc.) et ceux qui sont en usage dans les langues. Pour prendre un autre exemple, sac gonflable est une dénomination de droit puisque présenté par la DGLFLF mais la dénomination de fait est airbag, car les constructeurs automobiles ne proposent pas de « sacs gonflables  »dans leurs publicités ou leurs documentations. Le cas de Walkman /baladeur est plus complexe puisque nous avons deux dénominations de droit, une marque déposée par Sony (Walkman) et un terme recommandé par la DGLFLF et l'OQLF au Québec (baladeur), mais le premier devient une dénomination de fait (de manière illégale indique G. Petit) lorsque l'on emploie Walkman pour dénommer un produit d'une autre marque que Sony.
G. Petit juge positivement la distinction établie par F. Gaudin entre normalisa- tion, domaine des interventions conscientes, planifiées, et normaison, relevant de l'activité spontanée à l'aeuvre dans tout échange. Le cas des néologismes créés par les commissions (sac gonflable, bogue pour le bug informatique, etc.) montre régulièrement qu'il existe en effet deux nonnes concurrentes, l'officielle et l'officieuse, induite par l'usage des locuteurs.
Panai les développements pratiques possibles abordés dans la troisième partie, Petit cite le cas d'un dictionnaire dénominatif. L'intérêt d'un tel outil est confirmé par la lecture du livre. Le constat de départ, déjà posé par d'autres, insiste sur la proéminence du mot graphique dans les dictionnaires  :les séquences synaptiques « ne sont qu'exception- nellement renseignées (en entrée)  » (p. 556). Il devient alors obligatoire pour le diction- naire dénominatif de rompre avec les contraintes de formes classiques. Toute séquence qui correspond à une dénomination, qu'elle soit mono ou polylexicale, doit figurer en entrée d'article, quand bien même son tenue principal possède un article qui lui est consacré. Ainsi, l'entrée unique pissenlit du dictionnaire de langue classique se verra dégroupée en deux articles  : un pour le nom commun pissenlit qui renverra à la plante et un pour la locution familière manger les pissenlits par la racine.
Tous ceux qui ont travaillé sur les questions de lexicographie comprennent par avance pourquoi cette option n'a jamais été celle des grands dictionnaires français. Alors que les dictionnaires de langue ou terminologiques centralisent l'information en la regrou- pant dans des articles lourds, un dictionnaire dénominatif verrait sa nomenclature démul- tipliée en un nombre bien plus important d'entrées  : G. Petit estime que la nomenclature du Petit Robert, qui se situe aux alentours des 60 000 entrées, passerait à environ 500 000 entrées dans une optique dénominative. Le Grand Larousse Universel se situerait, lui, à près de deux millions d'articles, ce qui serait évidemment ingérable sur support papier. G. Petit propose certes de limiter les exemples (ces derniers véhiculent selon les cas des informa- tions morphosyntaxiques, syntaxiques ou culturelles, G. Petit souhaiterait ne conserver que le dernier type, ce qui en réduirait de fait le nombre de manière drastique), mais le choix du support électronique devient malgré tout une évidence et, surtout, une nécessité vitale (ou commerciale en ternes plus pragmatiques). Rien ne dit que ce dictionnaire verra le
221 jour mais le projet d'un outil qui ne soit pas centré sur le mot graphique est suffisamment intéressant pour que des chercheurs ou des maisons d'édition y réfléchissent.
Ce tour d'horizon de la question de la dénomination est donc utile à tous ceux qui travaillent sur les questions de lexicologie et de terminologie, même si le choix d'une approche purement référentialiste peut en rebuter certains. Par exemple, en raison de ce parti pris théorique, G. Petit s'oppose à des auteurs tels que Cadiot & Lebas qui se récla- ment malgré tout eux aussi du référentialisme (dans Langages, n° 150, 2003, p. 3-8), alors que d'autres tels que Ra tier en linguistique et Slodzian en terminologie le rejettent. La question de la référence est loin d'être épuisée et, si jamais l'héritage structuraliste que combat G. Petit n'a pas entièrement tort de considérer la relation de dénomination comme sortant du cadre de compétence du linguiste (du moins en ce qui concerne la relation entre les langues et le réel), alors le projet dénominatif devient caduc par certains aspects. G. Petit analyse à plusieurs reprises les « difficultés d'un héritage logiciste  »aussi bien en linguis- tique qu'en terminologie mais certains objecteront justement que la distinction entre name et noun qui sert en partie de fondement à la dénomination, nous amène aux limites entre linguistique et logique. Il aurait d'ailleurs été intéressant, mais ce sera peut-être le sujet d'un prochain travail de G. Petit, d'analyser la notion en logique puisque la désignation «  la capitale de l'Allemagne  »est, au même titre que les dénominations, un name ou un proper name pour les logiciens classiques tel que Frege.
Au-delà des qualités de l'ouvrage, cette question épistémologique de la distinction entre linguistique et logique me semble cruciale car G. Petit accuse la linguistique d'inspi- rationnon-logiciste de « n' [avoir] jamais été capable de se doter d'une conceptualisation de la dénomination, ni même de s'interroger avec pertinence sur cette propriété.  » (p. 26-27). Cette critique n'est recevable que si la dénomination est une propriété linguistique, ce qui est loin d'être évident dans diverses écoles.

Jean-Louis VAXELAIRE