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Classiques Garnier

Compte rendu

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Neologica
    2007, n° 1
    . Revue internationale de néologie
  • Auteur : Sablayrolles (Jean-François)
  • Pages : 219 à 221
  • Revue : Neologica
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812442278
  • ISBN : 978-2-8124-4227-8
  • ISSN : 2262-0354
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4227-8.p.0223
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/07/2010
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COMPTE RENDU
Michel ARRIVÉ, Verbes sages et verbes fous, éd. Lambert-Lucas, Limoges, 2005.

Le livre de Michel Arrivé Verbes sages et verbes fous est un recueil de 160 chroniques rédigées entre 1998 et 2005 pour le site www. bescherelle.com. Elles sont consacrées exclusivement à la catégorie verbale et sont classées par ordre alphabétique, de aboyer à zapper. Ces chroniques se veulent à la fois plaisantes et instructives. Nombre d'informations ou concepts linguistiques sont en effet présentés et divulgués discrètement et efficacement au cours des analyses des verbes retenus par l'auteur. Un très utile et pratique index des notions indiquant où elles sont employées ou défraies atteste bien de la portée scientifique de l'ouvrage. Aspect scientifique auquel concourent également une bibliographie, volontairement sélective, un index général où figurent, entre autres, les noms des linguistes cités et un avant-propos précisant les objectifs du livre. En contrepoint de ces aspects savants, il convient de noter que les illustrations de Brito contribuent au plaisir du lecteur et s'accordent parfaitement au ton humoristique et à la brièveté qui conviennent au genre de la chronique.
Diverses raisons président au choix de l'auteur dans les verbes retenus, qu'ils soient anciens ou nouveaux. Pour les verbes anciens, il s'agit de faits largement méconnus de la grande majorité des francophones, qui peuvent apprendre — ou redécouvrir —des informations intéressantes. Sont ainsi exposés et expliqués des cas de doublets comme séparer et sevrer, des cas d'ambiguïté comme louer dans j'ai loué un appartement, des évolutions sémantiques peu prédictibles et curieuses. Les unes donnent lieu à de l'homonymie (les deux verbes voler  : le vol de l'oiseau étant à l'origine du vol du voleur, et ce deuxième voler a supplanté l'ancien verbe rober), d'autres à de la polysémie (l'acception « prendre en compte » de calculer  : le FN, on le calcule pas), d'autres encore à un changement de sens qui fait disparaître le sens originel, comme chômer «  ne pas avoir de travail  » a remplacé celui de « rester immobile sous l'effet de la chaleur  ») etc. L'auteur relève également des cas de recréation ou de reprise de formes verbales attestées historiquement avant une éclipse et une réapparition, avec un sens identique ou proche comme délinquer, ou
Neologica, 1, 2006, p. 219-221
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un sens différent, comme engueuler («  saisir dans la gueule  » et non « accabler de reproches violents  »).
Mais un plus grand nombre de chroniques sont consacrées à des verbes néologiques, apparus récemment. Les uns sont des hapax qui risquent de ne connaître aucune diffusion, comme certains mots d'enfant (désembouler le sapin de Noël), d'autres au contraire circulent rapidement et sont révélateurs de l'évolution de la société (pacser, détoxiquer son corps). Certains d'entre eux sont à l'origine d'homonymes comme piger « comprendre  » et piger « faire une pige  » (en parlant d'un journaliste). L'auteur fait remarquer que la quasi-totalité des nouveaux verbes appartient, morphologiquement, au premier groupe. Seul amarsir, analogique d'atterrir ou alunir, fait exception. Les verbes traités sont créés par toutes sortes de procédés  : on relève bien sûr des cas de préfixation (dénommer), de suffixation (victimiser), mais aussi des cas de conversions, qui se développent rapidement (fuiter, génocider), de mots-valises (accumonceler), de néologismes sémantiques (calculer, décliner)... Les bases sont, elles aussi, de types variés  : mot simple (cobayer), sigle (médéfier), constitué parfois d'une simple lettre  : X / fixer, mot composé (terraformer, petit-déjeuner). On relève aussi, moins nombreuses, des créations sur des noms propres (pohériser) ou des bases empruntées (talibaner). L'auteur accorde également une juste place à la néologie syntaxique, souvent négligée, (jouer une équipe adverse, courir un cheval, ça craint...), catégorie dans laquelle il aurait aussi pu inclure les extensions d'emploi du type renseigner un questionnaire, le verbe reste transitif direct, mais le schéma argumental change en termes de classes d'objets (syntactico-sémantiques). Figurent aussi des cas de dérivations inverses, dont on peut regretter qu'ils ne soient pas nommés comme tels  : caster fabriqué à partir de casting, délinquer à partir de délinquant.
Dans ce florilège d'informations linguistiques pertinentes et variées, on peut ne pas partager toutes les analyses proposées par l'auteur. On regrette ainsi l'indécision dont il fait preuve dans l'opposition, il est vrai parfois délicate, entre la polysémie et l'homonymie. Filmer « impressionner des images sur une pellicule  » et filmer « recouvrir d'une pellicule protectrice  » apparu plus tardivement et indépendamment (et donnant lieu à un probable malentendu programmé dans une émission culinaire télévisée) sont présentés, p. 76, comme deux acceptions d'un même verbe («  les deux sens du verbe filmer  »), en contradiction avec ce qui est écrit dans l'avant-propos, p. 11, («  coexistence de deux homonymes créés à deux moments différents  ». Le traitement homonymique n'est ici pas discutable  :par quel rapport sémantique direct la seconde acception pourrait-elle être issue de la première, dans un traitement polysémique  ?Pourquoi aussi ajouter entre parenthèses ou de polysémie après homonymie pour le deuxième dénommer « effacer le nom de quelqu'un sur une liste de nomination  » face au premier « attribuer un nom  », là encore en contradiction avec le traitement homonymique donné et justifié dans l'avant-propos, p.11. Un deuxième objet de discussion concerne l'analyse parasynthétique. Si l'auteur prend bien garde de ne jamais parler de dérivation dans
225 le cas du changement de catégorie, du nom au verbe, quand seules des marques flexionnelles créent ce changement, (ce en quoi nous sommes d'accord avec lui  : ce sont des conversions comme dans flasher ou torcher « diriger le faisceau lumineux d'une lampe torche sur quelqu'un ou quelque chose  »), il nomme en revanche, d'une manière qui ne paraît pas conséquente, parasynthétique ce même type de changement quand il y a en outre un préfixe comme dans dégraisser, désembouler, entarter. En bonne logique il vaudrait mieux analyser ces néologismes comme des préfixés. Mais il s'agit sans doute là de querelles qui n'intéresseront que les spécialistes.
Ceux-ci salueront en revanche la prudence et l'honnêteté dont fait preuve l'auteur dans l'indication des datations de première attestation de verbes anciens ou de création de verbes récents. Il n'y a en effet guère que des créations discursives comme débloguer, dousteblazouiller dont on peut indiquer, sans trop de risque d'erreur, le jour, voire l'heure, de la création. Les autres datations sont susceptibles d'être remises en cause.
Ces 160 chroniques permettent de traiter un vaste ensemble de faits linguistiques, mais d'autres verbes anciens recèlent des curiosités dignes d'être divulguées sous la même forme plaisante et instructive, et de nouveaux verbes apparaissent quasi quotidiennement, qui nous apprennent beaucoup sur nous, notre langue et notre société. On espère donc une suite avec un nouveau recueil d'autres chroniques du même type.

Jean-François SABLAYROLLES Paris 13, LLI