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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: Naissance de la critique littéraire et de la critique d’art dans l’essai
  • Author: Née (Patrick)
  • Pages: 7 to 10
  • Collection: Encounters, n° 393
  • Series: Convergences in literature, n° 3
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406085522
  • ISBN: 978-2-406-08552-2
  • ISSN: 2261-1851
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08552-2.p.0007
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 04-08-2019
  • Language: French
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Avant-propos

Le présent volume rassemble certaines des conférences faites au séminaire de léquipe « Histoire et poétique des genres » du laboratoire Forell de lUniversité de Poitiers, qui pendant quatre ans a consacré ses travaux à la question du genre le moins étudié en France – et dans le monde aussi bien, à lexception sans doute du Canada francophone –, celui de lEssai.

Voilà qui nentend nullement occulter lessor, depuis une trentaine dannées, dun fort mouvement dintérêt manifesté pour ce genre jusque-là quelque peu négligé – pour ne pas dire oublié – des études génériques et de la théorie littéraire1, du fait même de lobjet de ses énoncés et de la nature de son énonciation. Ce mouvement sest notamment affirmé en France à la suite des travaux et publications orchestrées par Pierre Glaudes, auteur (avec Jean-François Louette) de létude de référence, LEssai, parue en première édition en 1999 (et en seconde édition augmentée en 2011), ainsi quéditeur du séminaire quil anima à Toulouse, son université dalors, LEssai : métamorphoses dun genre, paru en 2002. Citons la publication, venue du Canada en 2003, dune anthologie des principales théorisations contemporaines du genre sous la direction de François Dumont, Approches de lessai, réunissant à Lukács et Adorno Marc Angenot, Jean Starobinski, R. Lane Kaufmann ou Irène Langlet ; ainsi quen 2006 louvrage de Marielle Macé, Le Temps de lessai. Histoire dun genre en France au xxe siècle, lequel restreignait cependant le champ dinvestigation à lépoque contemporaine – ou encore, soutenue en 2003 et publiée dix ans plus tard, la thèse de Vincent Ferré déportant lattention du côté du seul versant de LEssai fictionnel contemporain (Essai et roman chez Proust, Broch, Dos Passos). Noublions pas le rassemblement théorique et comparatiste opéré par Irène Langlet, depuis sa thèse soutenue en 1995 (Les Théories de lessai littéraire dans la seconde moitié du xxe siècle. Domaines 8francophone, germanophone et anglophone. Synthèses et enjeux) jusquà la somme très récente parue en 2016, LAbeille et la balance. Penser lessai. Mais il nous faut revenir au rôle pilote tenu par Pierre Glaudes en ce domaine, avec lédition en 2014, en une double publication, du colloque quil avait dirigé lannée précédente en Sorbonne à partir dune plate-forme dix-neuviémiste : dune part Essai et essayisme en France au xixe siècle, et dautre part le numéro 164 de Romantisme, « LEssai ».

Il sagissait donc dapporter dutiles compléments à ce faisceau de publications, qui ont su faire prendre conscience de lintérêt considérable de ce champ dinvestigation littéraire. Telle était lambition du colloque international organisé par notre équipe de luniversité de Poitiers en novembre 2015, dont les Actes ont paru en 2017 aux pur, Le Quatrième Genre : lEssai ; il avait pour souci de reposer la question des traits définitionnels de ce genre-Protée, en lenvisageant également dans sa dimension européenne, si peu prise en compte jusquici ; et il abordait la question de la critique, qui lui est consubstantielle tout en sétant ultérieurement autonomisée. Aussi semblait-il judicieux de retenir, dans lensemble des conférences qui eurent lieu au cours du séminaire déquipe pluriannuel, ce qui renforçait cet axe critique, aussi constitutif du genre que mal aperçu encore comme tel : car cest bien en son sein quont pu naître les deux branches jumelles de la critique littéraire et de la critique dart.

Le choix qui a présidé à la composition de ce recueil sexplique ainsi aisément. Après le rappel dune origine incontestée que nous devons à Montaigne, dû à déminents seiziémistes spécialistes de cet auteur, et qui constitue une sorte de préambule mettant en évidence de quels germes lavenir du genre sest trouvé fécondé, il allait de soi que la fonction critique qui devait être mise en évidence fût partagée en deux sections rassemblant six conférences chacune, dévolues aux deux domaines de la littérature et de lart.

On trouvera néanmoins dans plusieurs études – par exemple celle de Pierre Loubier dressant le panorama de lessai sur la poésie au cours du premier xixe siècle, ou celle dÉlisabeth Lavezzi ressaisissant chez Diderot larticulation de sa propre pratique aux prédéterminations du genre en son temps – de riches aperçus de définition historique de généricité, qui dépassent et létude de cas dun auteur, et la bipartition en critique littéraire dun côté, et critique dart de lautre.

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Comme on pourra lire en appendice les brefs résumés de chacune des contributions, il paraît inutile dévoquer ici à grandes guides les thèses et arguments de chacune dentre elles, au risque den affadir le propos. Il est en revanche souhaitable de faire ressortir la logique générale du volume ainsi constitué, afin de guider le lecteur dans sa propre recherche dune vue plus claire et mieux distincte dun genre quon a pu (non sans provocation) dire « non-genre » – alors même quil sagit dun genre ayant tout particulièrement affirmé son génie propre dans lexercice de la critique, à laquelle le destinait, dès son origine, la double interrogation propre à Montaigne : Que sais-je ? redoublé dun Qui suis-je ?

Justifions dentrée de jeu la question des corpus retenus. Il est clair que les six exemples pris dans chaque domaine ne risquaient pas de pouvoir embrasser lénorme masse de la critique essayiste, ni même den sélectionner tous les « Phares ». Dans un cas, le William Shakespeare de Hugo ou les portraits de Sainte-Beuve manquent ainsi à lappel, comme dans lautre les Salons de Baudelaire, les écrits de Stendhal, des Goncourt ou de Zola – pas tout à fait cependant, dans la mesure où plusieurs se trouvent latéralement évoqués au cours dautres études monographiques. En tout état de cause, lexhaustivité ne saurait constituer le but de ce recueil qui garde pour ambition, à travers douze études de cas, de faire prendre conscience de la consubstantialité originelle du geste critique et du genre de lessai.

Autrement dit, la dévaluation quon a fait subir à ce noble vocable – traiter dessai un ouvrage qui se veut de réflexion sérieuse, comme une thèse dans le milieu universitaire, nest-ce pas le taxer daimable amateurisme ? –, ce dont témoigne lun des maîtres contemporains du genre, Jean Starobinski, lors de son discours de remerciement du Prix européen de lessai en 19852, doit ici sinverser en la reconnaissance du rôle joué dans la constitution même de lacte critique devenu production autonome et genre à part entière. Et ses caractéristiques structurelles – lengagement subjectif du « je » de lessayiste dans son dire, son approche dialogique dune détermination de la vérité, sa nature 10contre-doxique, létayage sur une œuvre première de lœuvre critique seconde (qui nen est pas moins douée dune valeur créatrice propre) – sont donc ici fermement rappelées, comme devant toujours légitimement agir au cœur des critiques littéraire et artistique : sans quelles se laissent intimider par les diktats, dune part, dun néo-positivisme scientiste qui prétendrait réduire lacte créateur à un agencement technique de matériaux quantifiés, ou à une vérification purement documentaire dun contrat passé entre un producteur et des consommateurs, quils soient institutionnels ou non ; et par les diktats, dautre part, dun terrorisme théoricien qui voudrait substituer au libre et dialogique engagement subjectif la langue de bois des idéologies préconstruites, monologiques et, pour tout dire, récupératrices.

Patrick Née

1 Cest encore le cas de Jean-Marie Schaeffer, Quest-ce quun genre littéraire ?, Paris, Éditions du Seuil, 1989.

2 J. Starobinski, « Peut-on définir lessai ? », Cahiers pour un temps, Paris, Centre Georges Pompidou, 1985, rééd. in François Dumont (dir.), Approches de lessai. Anthologie, Québec, Éditions Nota Bene, 2003, p. 168-169 : « Vu de la salle de cours, évalué par le jury de thèse, lessayiste est un aimable amateur qui sen va rejoindre le critique impressionniste dans la zone suspecte de la non-scientificité. [] Disons-le nûment, si lon déclarait que je pratiquais lessayisme, je serais légèrement blessé, je le prendrais comme un reproche… »