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Classiques Garnier

Glossaire des notions utilisées dans la mystique et l'étude de la mystique

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Mystique et littérature. L'autre de Léon Bloy
  • Pages : 117 à 129
  • Réimpression de l’édition de : 2006
  • Collection : Archives des lettres modernes, n° 285
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406098232
  • ISBN : 978-2-406-09823-2
  • ISSN : 0003-9675
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09823-2.p.0121
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 07/11/2019
  • Langue : Français
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GLOSSAIRE DES NOTIONS UTILISÉES DANS LA MYSTIQUE ET L'ÉTUDE DE LA MYSTIQUE Abandon ~ Etat de conscience proche du détachement, qui recoupe une sorte de passi¬ vité active (que Fénelon nomme passiveté), qui consiste à s'annuler soi- même dans l'acte de contemplation, dans une attitude non-dualiste qui aboht les frontières entre le sujet (qui perçoit) et l'objet (perçu) : c'est l'attitude de qui, sans rien ajouter aux choses, les « laisse être » selon leur vérité, dans le dynamisme de leur origine. Le terme allemand Gelazenheit, présent chez Maître Eckhart, a d'abord été employé dans le contexte d'expériences mystiques : traduit par le mot abandon jusqu'au xix® siècle, il est traduit aujourd'hui par détachement. L'«abandon» ou le «détache¬ ment» recoupent une attitude spirituelle universelle qui s'exprime sous d'autres formes dans des doctrines très diverses : elle s'exprime dans le «nada» (rien) de Jean de la Croix, Γ «indifférence» positive d'Ignace de Loyola, la « fana » du soufisme, le « vide » ou le « nirvana » des systèmes rehgieux de l'Extrême-Orient. Les quiétistes du xvn® siècle ont été condamnés à cause de cette notion d'abandon, ressentie comme dangereuse par les autorités ecclésiastiques parce qu'elle mettait en avant une catas¬ trophe d'identité et une relation sans médiation à la divinité. Détachement. Perte de soi. Pauvreté spirituelle. Pur amour. Quiétisme Absolu L'« absolu », c'est au sens étymologique, ce qui est absous, délié, affranchi de la logique associative habituelle. Chez Bloy, l'absolu désigne la perte de la fonction référentielle et la contestation des représentations habituelles : la contestation de la pensée rationnelle et conceptuelle, auxquelles se substituent la logique des figures et la pensée symbohque ;

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la contestation du relatif — des catégories de l'espace et du temps — auquel se substitue l'idée de l'éternité et de l'interdépendance uni¬ verselle. Apocastase voir Kénose Apophase voir Théologie négative, Relation d'absence Ascèse Du grec askésis ou askéma : exercice. Terme qui recoupe un ensemble de pratiques visant à discipliner le coφs et la volonté, pour libérer l'âme et l'esprit, souvent en vue d'un contact avec la divinité. L'ascétisme, fondé sur le mépris du corps et du sensible, ne vient pas du christianisme, mais du platonisme et du stoïcisme. Il est né de la rencontre avec les religions hellénistiques et la pensée gnostico-dualiste. Durant tout le Moyen Âge, l'ascétisme est considéré comme une voie de salut menant au divin. Michel Hulin, dans La Mystique sauvage. Aux antipodes de Γ esprit (Paris, PUF, «Perspectives critiques», 1993), distingue trois niveaux de l'ascèse : le premier instaure une « règle » ou un régime général de vie, en proposant un encadre¬ ment des pulsions à travers des techniques physiologiques de décondition¬ nement et de reconditionnement; le deuxième comprend les pratiques mortificatrices telles que les jeûnes, les veilles, le froid, les vœux de silence et de chasteté, la recherche du dénuement et de l'opprobre ; le troisième consiste à vouloir acquérir des pouvoirs surhumains en revivant par exemple la Passion du Christ dans l'univers judéo-chrétien. Charismes Les charismes, également appelés dons de la grâce ou gratifications, sont des états extraordinaires, qui ramènent au phénomène mystique : toujours spontanés, ils se caractérisent par des facteurs déclenchants (ascèse, sohtude, privation de sommeil, etc.), des moments épiphaniques, l'efface¬ ment des frontières entre le moi et le non-moi, la disparition des repères spatio-temporels, la présence d'une félicité sans cause et sans objet. Ils sont considérés, pour autant que l'Église les reconnaisse, comme des marques de sainteté directement conférées par le divin. Les charismes les plus connus sont les « stigmates » (plaies de la crucifixion), les « visions », «apparitions», et dons de toutes sortes : lévitation, glossolalie, don de guérison, extase, téléportation, clairvoyance, prédiction, télépathie, paroles intérieures, etc. Ces phénomènes sont considérés comme des handicaps par les mystiques, dont l'effort consiste à les surmonter et à s'en détacher pour pouvoir progresser dans la voie spirituelle. —> Phénomène mystique. Vision

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Coinddentia oppositorum Pour Nicolas de Cusa, l'androgynie, ou coincidence mystérieuse des contraires, est la définition la moins imparfaite d'un Dieu qui échappe à toute saisie objective, et qu'Héraclite tente de qualifier ainsi : «Dieu est jour nuit, hiver été, guerre paix, satiété faim; cela veut dire tous les opposés. » (cité par Mircea Eliade, in Méphistophélès et Vandrogyne [Paris, Galli¬ mard, 1962], p. 115). La coinddentia oppositorum, ou unité mystérieuse des contraires, est un attribut propre au divin, mais aussi à l'humanité primi¬ tive : exprimant le mystère de la totahté, elle postule l'ambivalence de la divinité, attestée dans toute l'histoire rehgieuse de l'humanité, ainsi que la nostalgie d'un paradis perdu et le rêve d'une réconciliation des contraires à l'intérieur de l'individu. L'androgynie est une caractéristique de la perfec¬ tion spirituelle selon saint Paul et saint Jean. Démarche mystique Ce qui distingue les mystiques des « sauvages » et des illuminés, c'est qu'ils s'efforcent de dépasser l'expérience fondatrice — le phénomène mystique — pour mettre en œuvre une démarche fondée sur la logique de la perte de soi, qui vise, à travers la dessaisie de soi et la déconstruction des modes de pensée appris, un retour aux sources de l'être. Désespoir voir Pur amour Détachement voir Abandon. Pauvreté spirituelle. Perte de soi Dolorisme —> voir Souffrance Epiphanie Epiphanie ou célébration de la lumière. Dans la httérature, l'épiphanie renvoie à la problématique d'une écriture qui cherche à fixer l'instant, qu'il s'agisse d'une illumination fugace ou d'une expérience extatique sur le mode mystique. Elle ramène forcément à un vécu : elle est la célébration d'un instant hors du temps où s'étabht un sentiment de paix et de confiance, de cohésion magique du moi dissous dans l'univers. Cette expérience, présente chez Proust, Joyce, Rilke et bien d'autres, possède des simihtudes avec les états extraordinaires rencontrés par les mystiques, et appartient au fonds commun anthropologique de l'humanité. A Etats extraordinaires -> voir Charismes. Phénomène mystique. Vision

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Extase Du grec ek-stasis : être hors de soi. État qui consiste à être hors de soi- même, transport, ravissement, transe, aliénation mentale. L'extase est souvent définie comme le fait, pour l'âme, de sortir du corps. Elle se manifeste par la perte d'une relation à la réalité, par la perte des sensa¬ tions corporelles, et par des troubles émotionnels. Il est une extase qui peut se provoquer collectivement par des rites appropriés (soufis, chamanes) ; une autre qui survient de manière fortuite après une longue pratique de méditation ; enfin, il est un troisième type d'extase, d'origine toxicologique, due à l'usage des drogues, et qui provoque une relation de dépendance. Une extase devient mystique quand en son cœur le plus intime se tissent des liens avec le divin. Le prototype de l'extase mystique chrétienne remonte à saint Paul (2Co xn). —> voir Charismes. Phénomène mystique. Vision Folie La définition de la folie sacrée se trouve chez saint Paul. C'est une folie paradoxale, puisqu'elle correspond à une apparence qui, en réalité, cache la sagesse : « Que nul ne s'abuse de lui-même. Si quelqu 'un parmi nous pense être sage selon ce siècle, qu 'il devienne fou, afin de devenir sage » (L'Ancien Testament, trad. Édouard Dhorme [Paris, Gallimard, «Bibl. de la Pléiade», 1956] ICo m, 18). La folie sacrée est avant tout ascèse : elle consiste à s'humilier devant les autres pour crucifier son amour-propre. Elle est choisie à titre d'épreuve et d'acte de dévotion. Celui qui joue au fou n'est pas dupe de sa fohe. Par l'expression «fous du Christ» ou «fous pour le Christ», le Dictionnaire de la mystique entend «une forme radicale d'imi¬ tation du Christ qu'on trouve depuis le /v^ (il s'agit du récit de Pallade dans l'Historia lausiaca) siècle jusqu'à nos jours. Elle eut une diffusion toute particulière dans les Églises d'Orient. [...] La "folie pour le Christ" s'appuie sur une interprétation littérale de I Corinthiens 4.10. Derrière la folie apparente se cache une forme de sainteté [...]. L'efflorescence des "yourodivyés" russes date des xv^ et xvf siècles. [...] Beaucoup de "fous pour le Christ" sont doués d'un don prophétique de clairvoyance et ils partagent avec leur entourage le message de Dieu par des actions signi¬ ficatives » ([Belgique, Brepols, 1993], pp. 307-8). Humilité voir Pauvreté spirituelle Illettré éclairé L'expression à'«illettré éclairé», empruntée à l'abbé Bremond, apparaît comme une donnée contradictoire par l'oxymore qu'elle contient. En effet, elle souligne une ignorance des savoirs appris, pour mieux insister sur une forme de clairvoyance qui ne s'apprend pas, car elle est innée : c'est ce

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que l'on nomme couramment la science infuse. La pensée du xvn® siècle associait les illettrés éclairés aux idiots, aux fous, aux pauvres, aux prophètes vagabonds, comme le souligne Michel de Certeau dans son chapitre intitulé «Figures du sauvage» de La Fable mystique (Michel de Certeau, La Fable mystique. 1. xvf-xvif siècles [Paris, Gallimard, «Tel», 1982], pp. 280-405). Nombreux sont les mystiques du xvn® siècle, qui rêvaient de rencontrer « l'Ami de Dieu qui leur apprendra la divine leçon », partant à sa recherche parmi la population des faubourgs. L'une de ces rencontres miraculeuses est narrée par Jean-Joseph Surin dans la célèbre Relation du jeune homme du coche (cité par Michel de Certeau, La Fable mystique [op. cit.]), où il raconte avoir rencontré, au sortir de son long exil, un jeune homme ignorant mais inspiré de Dieu qu'il a pris pour un ange. Surin interpréta cette rencontre comme une merveille plus riche d'enseignement que tous les hvres. Visionnaire Immuabilité C'est un état, recherché par les mystiques, qui consiste, au terme d'un long travail, à ne plus être ébranlé par les épreuves imposées par les circons¬ tances de la vie. Le bonheur prôné par les mystiques ne veut plus rien devoir aux conditions extérieures, il annule le monde extérieur au profit de la seule intériorité. Bloy a fait sien deux préceptes mystiques qui servent de fondements à sa formule du « tout ce qui arrive est adorable » (FP, 268). Il y a le précepte thérésien suivant : «L'humble pauvreté consiste à préserver la paix au miheu [des] épreuves », et celui d'Angèle de Foligno : «Rien ne rompt pour moi l'harmonie» pour celle qui rêve de devenir « inaccessible au choc des choses ». Détachement. Souffrance Incongru Caractéristique du langage mystique qui consiste à tenter d'exprimer l'inef¬ fable par des affirmations inadéquates et dissemblables. S'obtient alors, selon Giorgio Agamben, une sorte de « pertinence par divergence » déjà décrite par le Pseudo-Denys : «Si donc dans le divin les négations sont vraies et les affirmations incongrues, la manifestation par figures dissem¬ blables est plus congrue à Varcane des choses indicibles... » (cité par Giorgio Agamben, Stanze, trad. Yves Hersaut [Paris, Fayot & Rivages, 1994], p. 251). Ineffable La divinité qui ne peut s'approcher ni se dire puisqu'elle est non née, dépourvue d'attributs et ne peut être circonscrite par la pensée humaine. -A Non-savoir. Relation d'absence

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Kénose Idée, présente dans les Épîtres de Paul, de l'impuissance divine, d'un Dieu en creux qui ne parvient pas à se manifester, et qui souffre. La théologie paulinienne de la kénose — ou de la souffrance de Dieu est proche de l'apocastase de Grégoire de Nysse : Dieu aurait participé de la souffrance du Christ par la croix, image de l'Esprit saint, la destinée humaine ne peut donc se justifier que dans la souffrance, elle ne peut être que tragique. De même, la pensée agnostique de Maître Eckhart précise que l'âme qui «parvient dans l'Un» trouve Dieu comme «le fruit du néant», au sens de non-né, non-manifesté, sans mode. Ainsi se trouve problématisée, sous forme de paradoxe, la notion d'impuissance divine (Du Détachement et autres textes, trad. G. Jarczyk et P. J. Labarrière [Paris, Fayot & Rivages, « Rivages Poche/ Petite Bibliothèque », 1995], pp. 96-7). Apocastase Liberté La liberté prônée par les mystiques est bien loin du libre arbitre. Il s'agit de l'acquiescement total à la volonté divine. «L'exercice de la liberté consiste à se dépouiller de sa volonté propre », écrit Bloy dans son Journal comme résolution du premier jour de l'an 1898. Ce paradoxe met en scène l'idée de pauvreté spirituelle — ou d'humilité — qu'évoque Ruysbroeck : « Quand notre liberté est mise sous la garde de la liberté divine, nous sommes libres ; Dieu est libre ; il faut enclore notre liberté dans la sienne » (Jan van Ruysbroek, Rusbrock l'Admirable. Œuvres choisies, trad. Emest Hello (1869) d'après SuRius, édition et préface par Georges Goyau [Paris, Perrin, 1921], p. 52). Monde Parmi les différentes attitudes possibles, la mystique a surtout développé une vision négative du monde, qui consiste à déprécier la réalité du monde ou à la considérer comme une apparence (Upanishads, Bouddhisme, Gnose, Platonisme chrétien) : la véritable vie se trouve dans les relations de causa- hté surnaturelles de la création et débouche sur l'idéalisme. Chez les mystiques, pour parvenir à l'abandon de soi, il s'agit de se libérer des manières du monde. Mais la plupart des mystiques catholiques enseignent qu'à côté du mépris du monde et de la vie contemplative, doit exister une volonté d'améliorer le monde par des œuvres caritatives. Le monde, c'est le mondain, c'est-à-dire ce qui s'oppose au royaume céleste, c'est le lieu de déploiement des appétits et convoitises terrestres. Le monde, c'est au sens philosophique l'univers phénoménal ou la sphère du relatif, qui s'oppose à l'univers de l'intériorité et à la sphère de l'absolu. Au sens théologique, le monde, c'est, dans l'optique chrétienne, le lieu de l'incar-

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nation, le lieu problématique de la rencontre du divin et de la chair, de l'étemel et de l'éphémère. Néant Le néant des mystiques ne correspond pas à la vacuité, mais à une sorte de vide-plein hé à leur quête du silence et du non-savoir. Il désigne un état de disponibilité totale aux êtres et aux choses, comme le formule Michel Carrouges dans La Mystique du surhomme ([Paris, Gallimard, 1948], p. 99) : « La notion de néant dans la mystique et la poésie est singulière¬ ment ambiguë et trompeuse. Le néant n'est point en pareil cas une simple lacune et par conséquent un échec, il est la sortie imaginaire du monde ordinaire, il marque l'entrée dans Vincréé [...] il est le cantonnement de l'homme dans l'exercice pur et incréé de sa liberté [...] il ne s'agit point là de vacuité pure, mais de la vacuité de l'esprit individuel qui s'éprouve lui-même comme vacuité, c'est-à-dire comme disponibilité sans bornes, comme suspension de vide dans le vide. » Quand Angèle de Foligno commande : « creusez le néant de votre abîme » {Le Livre des visions et instruc¬ tions [Paris, Seuil, 1991], trad. Hello, p. 193), elle évoque un vide-plein résor- bable en présence ; elle fait du « néant » de la condition humaine un point d'appui pour se hisser à l'ouverture absolue, la disponibilité sans bomes qui débouche sur l'abandon — ou l'extase — mystique. -4 Non-savoir Non-savoir Attitude affective et intellectuelle des mystiques, qui consiste à chercher un décloisonnement de la pensée et à se méfier des idéologies, des repré¬ sentations courantes et de toute pensée de la certitude. Jean de la Croix préconisait l'anéantissement absolu des représentations, illustré par la traversée de la «nuit obscure». Pour lui, il ne s'agit pas seulement de rechercher l'ascèse, mais le renoncement à soi, à ses sens, à son esprit. Il préconise la perte des repères mentaux : l'entendement, la mémoire, la volonté. C'est pourquoi la démarche de Jean de la Croix est éminemment critique. D'après Joseph Beaude, «La mystique n'est ni science secrète, ni science du secret. La science expérimentale et savoureuse n'a pas pour fin d'approcher le mystère par mode de connaissance quel qu'il soit, mais de le goûter et d'en jouir» {La Mystique [Paris, Cerf, «Bref», 1990], p. 39). Ineffable. Relation d'absence Oraison À côté de la prière spéculative et théologique en vogue au Moyen Age (xif-xni® siècles), et inspirée d'Augustin et du Pseudo-Denys, va s'imposer à l'âge classique (xvn® siècle) et sous l'influence de Thérèse d'Avila, la prière méditative personnelle (oraison mentale) fondée sur une expérience

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de prière ni spéculative, ni théologique, mais plutôt psychologisante et introspective. Les mystiques vivent souvent des expériences d'extase pendant ou après l'oraison, qui ne repose pas nécessairement sur un texte récité ou psalmodié, mais sur une contemplation silencieuse, mode de l'union sans intermédiaire avec le divin, qui appelle à la participation totale du corps et des sens. Pauvreté spirituelle À côté de la pauvreté imposée, pénurie du nécessaire pouvant aller jusqu'à la misère accompagnée de l'absence de prestige social, il existe la pauvreté choisie pour elle-même comme une attitude spirituelle ou intérieure qui consiste à se dépouiller de sa volonté propre au point de ne plus pouvoir accomphr la volonté divine, et de retourner à l'état précédant la création. Dans le sermon 52, Maître Eckhart prie même Dieu de le libérer de Dieu pour être totalement hbre et véritablement pauvre. ^ Abandon. Détachement. Perte de soi. Pur amour Passiveté voir Abandon. Détachement. Immuabilité. Perte de soi. Pur amour Perte de soi La perte de soi, expérience extatique du décloisonnement, constitue la spécificité de la démarche mystique et l'aboutissement d'un travail. Elle relève d'un parcours à la fois volontaire et involontaire. Se perdre pour se trouver, tel est un heu commun mystique. La perte de soi, chez les mystiques, relève à la fois d'un parcours intellectuel, qui consiste à démys¬ tifier les modes de pensée appris pour accéder à l'être intime et au non- savoir, et d'un parcours émotionnel, qui, au milieu des épreuves de la vie, cherche à conjuguer passivité et vigilance, dessaisie de soi et ressaisie de soi, pour aboutir à l'abandon et au détachement. La perte, véritable puissance transformatrice de l'être, devient alors une attitude philosophique autant qu'une attitude affective. Il ne faut pas la confondre avec les attitudes relevant de la logique sacrificielle (martyre) et pénitentielle (renoncement, ascèse). -> Abandon Phénomène mystique Le «fait de conscience» universel qui détermine l'entrée dans la vie mystique, et qui, se situant dans ou hors du rehgieux, est commun à tous les mystiques, c'est ce que James H. Leuba nomme le «phénomène mystique » (James H. Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, traduction française Lucien Herr [Paris, Félix Alcan, 1925]). Il s'agit d'une modification des perceptions de l'individu, survenue soudainement, et qui bouleverse ses

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représentations de soi, du monde et de Γ espace-temps. L'expression de «phénomène» a l'avantage d'éviter le concept plus subjectif Γ « expérience », et de contoumer aussi le problème de la croyance, en permettant de fonder le vécu des mystiques en une donnée observable et étudiable. Charismes. Démarche mystique Pré-mystique Il s'agit des mystiques archaïques, non fondées sur des civilisations de l'écrit ni sur les religions monothéistes, telles que, par exemple, le chama- nisme, étudié par Mircea Ehade. Pur amour Notion apparue au xvn® siècle, au moment de la querelle du quiétisme. Présente dans les œuvres de Fénelon et Jeanne-Marie Guyon, cette expres¬ sion désigne une relation passive et désintéressée au divin. Le pur amour, mode de relation direct à la divinité, se définit comme un sentiment qui ne requiert ni intelhgence, ni qualités morales, et ne se fonde sur aucune base rationnelle ou éthique. Celui qui aime peut être ignorant, dépravé, insoucieux de son salut. Cet amour ne progresse pas au mérite, n'exige aucune réciprocité, n'a aucun rapport avec les notions de devoir et de recon¬ naissance. Dépassant la raison humaine, il ne peut pas même se recher¬ cher, s'imposant de lui-même, ne pouvant se circonscrire en vertu de son caractère illimité. Pour les mystiques du xvn® siècle, le pur amour, qui n'attend rien et repose sur un anéantissement de soi et de ses intérêts propres, est le signe de la perfection spirituelle, car il est manifestation de la capacité d'abandon. Être un adepte du pur amour ne va pas sans une frénésie sacrificielle qui pousse à l'extrême le désintéressement de l'amour mystique que A. Piny nomme «l'état de l'amour désespéré ou de déses¬ poir amoureux» : «Il faut que Dieu nous mette dans un état où [...] nous puissions dire que nous l'aimons uniquement pour l'amour de lui, et pour ce qu'il est, et nullement pour notre salut [...] [Cet état c'est ce] qu'on appelle parmi les spirituels l'état de l'amour désespéré ou de désespoir amoureux» (cité par Mino Bergamo, La Science des saints [Grenoble, Jérôme Millon, 1992] p. 226). -> Abandon. Quiétisme. Supposition impossible Quiétisme Notion née en Italie et en France, en lien avec la condamnation, en 1687, du Guide spirituel de Michel de Molinos. Le 30 novembre 1688 débutait effectivement en Europe un grand mouvement antimystique fomenté par Bossuet, qui condamna La Règle de Perfection de Benoît de Canfeld, ainsi que les ouvrages de Fénelon et de M"^® Guyon. On reprochait à ceux qu'on

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appela les quiétistes leur passivité et leur absence d'effort dans leur union au divin. C'est ce qu'on nomma la querelle du pur amour. Relation d'absence Relation à l'ineffable, à la source, à l'entité inaccessible. L'expérience mystique est par définition apophatique. Il n'y a pas de mystique hors de la relation d'absence. Plus encore, les vrais mystiques, selon Michel de Certeau, sont particulièrement soupçonneux à l'égard de ce qui passe pour «présence», et défendent la relation d'absence : ils «défendent Vinacces- sibilité à laquelle ils se confrontent» {La Fable mystique, op. cit., pp. 13-4). Si l'entité vers laquelle ils tendent n'était pas insaisissable, la mystique devien¬ drait certitude et savoir, et même une discipline qui s'enseigne. Elle sorti¬ rait de sa dimension intime, empirique, fondée sur la quête amoureuse et le non-savoir. Selon Joseph Beaude, par la relation d'absence, les mystiques «se désimpliquent de tout savoir», en même temps qu'ils réfutent toute médiation avec le divin. Le discours mystique s'installe dans la distance avec le divin, cherchant à « en éprouver l'intolérable limite. » {La Mystique, op. cit., p. 39). Ineffable. Non-savoir Sainteté Sainteté et mystique sont deux concepts et deux réahtés différentes. La sainteté est un objectif humain, la mystique est un don gratuit. Le saint participerait plutôt d'une forme supérieure de dévotion, pratiquant les vertus à un degré exemplaire, alors que le mystique est à la recherche d'une «religion» intérieure qu'il obtient par la passivité, l'abandon. Mais un problème se pose : le plus haut degré de la vie spirituelle étant la voie mystique, les saints y accèdent forcément, à un moment ou à un autre : en ce sens, toutes les âmes sont appelées à la vie mystique, et sans elle il n'y a pas de sainteté. Cependant, il est restrictif de considérer la mystique comme une forme supérieure de dévotion, alors qu'elle emprunte d'autres chemins que la dévotion. Néanmoins, le saint est parent du mystique, avec qui il a souvent été confondu, mais dont les attributs se spécialisent au XIX® siècle. La confusion de la mystique et de la sainteté est une donnée historique du judéo-christianisme, comme le souligne Michel de Certeau dans La Fable mystique {op. cit.). Au xvi® siècle apparaît ce que l'on nomme la science des saints, qui n'est autre que la mystique comme disciphne : «Aux héros de l'hagiographie traditionnelle, se substituent de plus en plus ceux que nous appellerions les mystiques. La figure du saint ou de la sainte demeure, mais elle change de contenu : toujours extraordinaire, certes, mais par ses "états" plus que par ses vertus, par ses connaissances plus que par ses performances, par son "langage inconnu" plus que par ses miracles » (p. 139). Les caractéristiques de la sainteté, telles qu'on les trouve

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illustrées dans la littérature, sont, selon Jean-Pierre Jossua, assez évolutives en fonction des modes de penser des époques, la fin du xix® siècle insis¬ tant sur une vision héroïque et doloriste qui privilégie le sacrifice de soi, le xx® siècle étant davantage à la recherche d'une représentation positive et humaniste de la sainteté. Science infuse voir Illettré éclairé Souffrance Même si le christianisme prône l'imitation du Christ et intègre la souffrance humaine dans une histoire du salut, la démarche mystique est éloignée de la complaisance à la souffrance propre au dolorisme, de même qu'elle se situe aux antipodes du comportement masochiste, lorsqu'elle fait de la souffrance un moyen d'accès à la félicité. Selon Gilles Deleuze, le masochiste abolit la souffrance en la transformant en occasion de jouis¬ sance, ainsi il se livre à un détournement, une perversion de la douleur, qui devient condition nécessaire de son plaisir. Sans souffrance, il ne parvient pas à jouir. Il en va différemment du mystique, qui ne transforme pas la douleur en volupté, mais qui souffre sciemment et en toute connais¬ sance de cause, et trouve sa jouissance non dans la souffrance, mais dans la possibilité de dépassement qu'elle apporte, à savoir la pratique du discer¬ nement et du détachement, et même de cette sorte d'époché qui est indif¬ férence aux sensations désagréables ou agréables et correspond à l'entrée dans un état d'immuabihté. Immuabilité. Kénose Supposition impossible Marque de l'abandon extrême de soi face à l'être aimé dans le pur amour, qui va jusqu'à risquer la cruauté de ce qu'on aime par excès d'amour. La supposition d'un Dieu cruel et impitoyable est déjà présente chez le gnostique Clément d'Alexandrie, commenté par Fénelon ; et chez Moïse et saint Paul, commentés par François de Sales. Moïse, après avoir brisé les tables et écrasé la rébelhon des idolâtres, demande à Dieu de l'effacer de son livre s'il ne pardonne pas au peuple (Ex xxxn) ; saint Paul s'expose à risquer l'anathème pour prouver que rien ne peut l'écarter de l'amour de Dieu (Ro ix). Chez Jeanne Guyon (xvn® siècle), cette volonté d'anéantisse¬ ment total de soi devant l'être aimé va jusqu'à émettre l'hypothèse d'aller en enfer, s'il plaisait à l'être aimé de l'y envoyer. En aucun cas, il ne faut inteφréter cela comme une tentation de la damnation (voir Jacques Le Brun, Le Pur amour de Platon à Lacan [Paris, Seuil, 2002]). Chez Bloy, à l'anathème par amour de saint Paul correspond « le blasphème par amour » de Marche- noir dans Le Désespéré. -> Pur amour. Quiétisme

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Théologie négative Méthode issue de la théologie mystique de Pseudo-Denys Aréopagite. Il distingue une theologia kataphatikê, qui peut dire quelque chose pour le divin positivement, et une theologia apophatikê (théologie négative ou apophatique), qui pose le problème du divin comme objet de connaissance qui ne peut être un objet, et donc devient quelque chose d'intrinsèquement inconnaissable et transcendant, qui ne se laisse enfermer dans aucun appareil conceptuel. C'est pourquoi il s'agit de nier toutes les affirmations qui peuvent être attribuées au divin. La voie négative fait passer le refus de Dieu avant sa conceptualisation, si bien qu'elle pourrait être comprise dans un sens athée. Or, elle ne fait qu'affirmer les limites du langage et de la connaissance humains. Coincidentia oppositorum. Non-savoir. Relation d'absence Union Degré suprême du cheminement mystique, que l'on divise en purification, illumination et union, et qui peut être décrit sous les traits des noces spiri¬ tuelles (d'où l'expression de « mystique nuptiale »). Il s'agit de devenir un avec le principe ou la source de tout. C'est une expérience inexprimable. Deux restrictions s'imposent cependant : l'union est impossible sans prépa¬ ration, ascèse ou purification préalable ; cependant, elle reste un don libre du divin et n'est pas le fruit de la purification. L'union mystique est liée à une connaissance négative du divin, qui ne peut être pris tel qu'il est en lui-même. De plus, selon les théologiens, elle ne peut se comprendre dans le christianisme comme une union de nature entre l'humain et le divin, mais comme une union par grâce. Le but de la démarche mystique est la transformation intégrale de soi, qui débouche sur l'union transformante, comme le suggère Angèle de Fohgno : « Quand tous les sages du monde et tous les saints du paradis m'accableraient de leurs consolations et de leurs promesses, et Dieu lui-même de ses dons, s'il ne me changeait pas moi-même, s'il ne commençait pas au fond de moi une nouvelle opération, au lieu de me faire du bien, les saints et Dieu exaspéreraient au-delà de toute expression mon désespoir [...] ma douleur et mon aveuglement ! » {Le Livre des visions et instructions, op. cit., trad. Hello, p. 63). Vide voir Néant Vision La vision accompagne l'extase ou l'expérience de sortie de coφs — trans¬ porté en un autre heu — vécue durant le sommeil. La vision, contraire¬ ment à l'apparition, n'est accompagnée d'aucune prise de conscience par les sens corporels : c'est le vécu visuel et acoustique qui domine. Des

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visions sont attestées chez presque tous les mystiques à partir du xnf siècle. Le prototype en est le rapt de Paul au troisième ciel (2Co xii). Charismes. Phénomène mystique. Visionnaire Visionnaire Personne ayant des visions. Presque tous les mystiques sont visionnaires, mais tous les visionnaires ne sont pas des mystiques. Ainsi, on peut consi¬ dérer que l'aspect visionnaire est fait pour être dépassé chez les grands mystiques. Maître Eckhart tend vers une contemplation sans objet; Jean de la Croix se méfie de ses extases, refusant les consolations spirituelles, leur préférant la nuit obscure et le retrait des sens. Thérèse d'Avila, Angèle de Foligno ont cherché à dépasser leur activité visionnaire, sans pour autant tomber dans l'ascèse, mais elles préconisaient la nécessité d'un travail pour parvenir à rester dans la contemplation. Illettré éclairé

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