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Classiques Garnier

Avant-propos Le nouveau livre de Paola Vismara

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Avant-propos

Le nouveau livre de Paola Vismara

Dans ses dernières années, Paola Vismara avait souvent exprimé son désir de publier un nouvel ouvrage, que lart noble de lenseignement différait, lempêchant dy mettre la main. Ses efforts, souvent nocturnes, ont produit des matériaux nombreux quelle nous a légués. Dans ce riche dépôt, ses élèves et ses amis ont trouvé, entre autres choses, un ensemble cohérent, un canevas en chapitres, issu darticles divers, presque tous parus en français et en italien, qui navaient besoin que de peu de chose pour aboutir. À linitiative de Giuliano Ferretti, plusieurs collègues et amis de lUniversité Grenoble Alpes, de lUniversità degli Studi di Milano, de lAccademia Ambrosiana et de la Veneranda Fabbrica del Duomo ont accepté de soutenir la réalisation de ce projet. Cest à ce canevas que les élèves de Paola Vismara, Marco Rochini en tête, soutenu par Emanuele Colombo, ont apporté la dernière touche, concrétisant le désir de livre de son auteur, tout en prolongeant son œuvre dans le présent. Tout cela est devenu Milan et la France, le livre que Paola Vismara avait pour ainsi dire composé au fil du temps et de ses nombreuses rencontres scientifiques en France, fruits des liens féconds quelle avait noués dans ce pays tout au long de sa carrière.

Milan a été la clé de voûte du travail de Paola Vismara : sa passion et son amour pour cette ville se ressentent en permanence dans ses écrits et se sont exprimés à travers de nombreuses collaborations avec des institutions urbaines. Membre durant des années du Comité de direction de la Classe di Studi Borromaici de lAccademia San Carlo, devenue par la suite Accademia Ambrosiana, Paola Vismara a contribué à alimenter le dynamisme culturel de cette institution née de Frédéric Borromée. Elle a en outre été la première femme à intégrer le Conseil dadministration de la Veneranda Fabbrica del Duomo, instituée en 1387 par Gian Galeazzo Visconti. Mais, sans doute possible, cest lUniversité de Milan qui a été linstitution et la communauté à laquelle Paola Vismara a offert sa contribution la plus significative.

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Ses collègues se souviennent de son talent pour tisser des collaborations académiques qui se muaient souvent en liens damitié. Paola Vismara était connue pour sa franchise, elle sexprimait sans filtre – une attitude peu commune dans le monde académique et dans les cercles ecclésiastiques, dominés le plus souvent par le politiquement correct. Cette franchise saccompagnait dune extraordinaire ouverture desprit : quiconque, indépendamment de son orientation religieuse ou politique, de son statut académique ou de son origine sociale, pouvait devenir un compagnon de voyage et participer à son inlassable soif de connaissance, à sa curiosité intellectuelle. Elle aimait répéter que lon peut apprendre de chacun, depuis létudiant jusquau collègue, depuis ses petits-enfants jusquau dernier en date de ses collaborateurs. Dans ces simples paroles de remerciement rédigées pour son ouvrage le plus important, Oltre lusura, elle a écrit : « Je remercie tous ceux qui, famille, amis, étudiants et collègues, ont maintenu éveillée en moi la passion de la recherche de la vérité et ont rendu plus complet le sens de lheureuse beauté de lexistence1 ».

Dans lintroduction de ce même livre, elle proposait aux étudiants dhistoire religieuse de remettre au goût du jour une devise que Jacques Le Goff avait énoncée à ses étudiants dhistoire du droit, « Surtout, soyez vous-même ». Elle exprimait ainsi sa volonté détudier et décrire lhistoire de lÉglise. « Lhistoire religieuse a sa spécificité et son identité propre quelle doit à mon avis conserver, dans lattention portée à la complexité de lhistoire2 ». Écrire sur lhistoire de lÉglise en Italie nest pas simple, en raison du risque perpétuel de réduire son travail à une approche confessionnelle et apologétique ou à un laïcisme anticlérical. Paola Vismara a toujours gardé ses distances vis-à-vis des courants qui attribuaient à lépoque moderne la fin du catholicisme légendaire, dempreinte médiévale, et qui voyaient dans lÉglise catholique le principal obstacle à la modernité. Cest précisément son approche spécifique de lhistoire religieuse qui lui a permis de montrer, en sappuyant sur 17une très riche documentation, à quel point lÉglise catholique a compté, non sans débats ni tensions internes, parmi les forces à lorigine de la naissance de la société moderne.

On était frappé par la sobriété avec laquelle elle travaillait et son souci constant de conserver un regard critique lui permettant de regarder le passé dun œil objectif. En témoignent surtout ses fresques sur le xviiie siècle religieux lombard, qui ne manquaient pas de souligner lémergence dune déchristianisation dont la cause était à rechercher autant à lextérieur quà lintérieur de lÉglise, bien souvent incapable de comprendre les langages et les nécessités religieuses des couches populaires. Dans lécriture, elle se focalisait sur les détails et nétait satisfaite que lorsquelle trouvait le parfait équilibre dans ses évaluations. Elle ne supportait pas les titres factieux et les anachronismes car, selon elle, il fallait « donner sur le passé un jugement non pas émotionnellement superficiel, mais historique3 ».

Le même style caractérisait ses cours. Elle savait gagner lestime de ses étudiants non pas à laide des feux dartifice de la rhétorique, mais par des leçons préparées au cordeau et une disponibilité sans faille. Tous se souviennent des longues files détudiants patientant devant son bureau, et il suffirait de considérer le nombre et la variété des sujets de mémoires de licence et de master rédigés sous sa direction pour se rendre compte que, pour Paola Vismara, sengager en tant quhistorienne de lÉglise signifiait avant tout se mettre au service des étudiants. Ses travaux de synthèse sont dailleurs nés de sa tentative de se placer au niveau des étudiants et de répondre à leurs questions4.

Maintenant ses propres recherches dans lorbite du xviiie siècle religieux dans le diocèse milanais, Paola Vismara aimait aussi faire des incursions en Europe et dans le reste du monde. Cela a été le cas du colloque organisé en 2007 à lUniversità degli Studi di Milano sur le thème Lislam vu de lOccident – Culture et religion au xviie siècle européen face à lislam. À cette occasion, elle avait réuni des chercheurs de premier 18plan, invitant autour de la même table des orientalistes, des experts de lislam et du monde arabe, des spécialistes de lÉglise catholique et des habitués des archives ecclésiastiques et des bibliothèques. La rencontre sest avérée particulièrement féconde dun point de vue humain et intellectuel et les actes du colloque ont largement contribué à alimenter en Italie un débat déjà vif dans les historiographies française et espagnole représentées alors par Bernard Heyberger, Geneviève Gobillot, Loubna Khayati et Mercedes García-Arenal.

Lors de ce colloque, Paola Vismara sest exprimée sur « Connaître lislam dans le Milan des xviie et xviiie siècles5 » qui combinait ses compétences en histoire religieuse de Milan à lépoque moderne et une longue et laborieuse recherche sur certains Milanais ayant entretenu des contacts avec le monde islamique, en mettant à profit des sources inédites conservées à la Biblioteca Ambrosiana. Narrant la vie et les mésaventures de certains missionnaires, membres dordres mendiants, Paola Vismara a observé limportance du rapport avec lislam, y compris dans une ville qui, pour des raisons géographiques, nétait pas marquée par une connaissance directe du monde musulman, mais plutôt par un savoir élitiste et livresque. « La frontière, matérielle ou psychologique – concluait Paola Vismara – était souvent source de connaissance, un lieu de rencontre et déchange : les sources témoignent dun conflit mais, en même temps, dune rencontre entre des civilisations et des cultures6. » Ce thème a de nouveau stimulé son intérêt dans les dernières années de sa vie, au moment de la conception du colloque de lAccademia Ambrosiana sur lesclavage en méditerranée et en Atlantique, dans lequel se sont impliqués des collègues et des amis du Brésil, dont Marina Massimi, Alcir Pécora et Carlos Zeron7.

Autre développement inattendu dans la recherche de Paola Vismara, son étude datant de 2009 sur la dévotion à une statue de Jésus appelée le 19Christ de Medinaceli et conservée à Madrid dans une église des années 1930. Dans son texte, elle observait : « Les raisons pour lesquelles un historien choisit tel sujet plutôt que tel autre ne sont pas strictement intellectuelles8. » En effet, durant ces années, Paola Vismara se rendait souvent à Madrid pour des raisons familiales. Lors dune de ses promenades en ville, elle a remarqué une longue file de fidèles qui, depuis une église anonyme, sétirait sur tout le pâté de maisons. Fait curieux, dautant que ce jour-là la neige, insolite, tombait sur Madrid. Cela a été le point de départ de cette recherche sur la dévotion à cette statue. Cette dernière datait du xviie siècle et avait appartenu aux capucins espagnols dans une église située en terre barbaresque avant dêtre pillée par les Maures et récupérée après paiement dune rançon, exactement comme cela se pratiquait pour les personnes. La statue, acheminée à Madrid avec de grandes célébrations, est devenue le signe du Christ outragé. Depuis lors, elle a continué et continue encore à assumer une double fonction : inspirer les âmes sensibles à la religion et gratifier les hommes de grâces particulières.

Le cas espagnol a permis en outre à Paola Vismara de revenir à Milan où, au xviiie siècle, une copie de la statue madrilène était portée en procession à loccasion de la libération des esclaves chrétiens détenus par les Maures. Son texte se clôt par une enquête sur la dévotion contemporaine qui liste les aspects marquant une continuité avec lhistoire ancienne, mais encore vivace et toujours aussi attractive.

Si Milan était sans aucun doute le centre affectif et intellectuel de Paola Vismara – le Milan du xviiie siècle et celui daujourdhui –, un autre pôle géographique lattirait depuis le début de sa carrière : la France, sa seconde maison selon ses dires.

Partie de son centre, de la culture religieuse de sa ville, Paola Vismara a progressivement élargi ses recherches à la péninsule et à lEurope, tout en portant en effet une attention particulière à lhexagone, terre dun sentiment religieux fort et contrasté, profond et vivace, secoué par des ferments novateurs, mais toujours proche de lÉglise de Rome. À lévidence, le catholicisme doutre-Alpes a occupé une place centrale dans sa réflexion. Elle sen était rapprochée par létude des grandes questions 20dont débattaient la communauté scientifique et les personnalités les plus en vue. Le résultat de ce processus a été un long partenariat durable qui a associé Paola Vismara à plusieurs centres de recherche en France et à plusieurs générations dhistoriens français. Elle a composé un cycle qui commençait par létude de saint Augustin, avec laide de Henri-Irénée Marrou, et se développait à travers ses travaux sur le sentiment religieux, sur la dévotion, sur largent et lusure, pour ne citer que les plus importants. Ce travail, avec les interrogations quil suscitait, elle la partagé avec de nombreux collègues et élèves, tant en France quen Italie.

Ceux qui lont connue savent que lœuvre et laction de Paola Vismara se nourrissaient de passion spirituelle et dengagement civil qui sexprimaient par lenseignement et lécriture, mais également par le sens dappartenance à une communauté intellectuelle internationale. Ces traits se révèlent encore plus clairement dans ses rapports avec la France, car lintérêt pour cette dernière a rythmé ses travaux depuis ses débuts.

Dès ses premiers travaux dans les années 1980, Paola Vismara a participé aux rencontres du Centre dhistoire religieuse de Fontevraud, animées par une véritable liberté desprit qui était considérée nécessaire à la recherche historique. À cette époque, elle sest liée aux personnalités les plus représentatives du mouvement catholique universitaire de Paris : Bruno Neveu et Jean-Robert Armogathe, connus pour leurs études sur lhistoire religieuse et sur la philosophie du Grand siècle. Des échanges profonds se sont alors établis entre Paris et Milan, entre lEPHE et lAccademia Ambrosiana, lUniversità degli Studi di Milano et le Collegio Borromaico di Pavia. Un partenariat solide sest créé et consolidé au cours de deux décennies. Cette amicitia, au sens que lui donnait Pétrarque, sest bientôt élargie à la génération suivante de chercheurs qui sont arrivés à la Sorbonne et à lEPHE. Vers le début du nouveau siècle, Alain Tallon, Olivier Chaline et Jean-Louis Quantin ont animé plusieurs projets de recherche, tout en y associant Paola Vismara qui a également participé à leurs cours et séminaires. Le livre Oltre lusura, qui a connu un certain succès éditorial, a été présenté par lauteur dans le séminaire dAlain Tallon à la Sorbonne.

En lespace de quelques décennies, les travaux de Paola Vismara se sont répandus dans le monde universitaire français, montrant par là combien son œuvre y était bien accueillie. En effet, Paola Vismara avait multiplié ses relations avec dautres établissements universitaires 21et dautres laboratoires de recherche. À Nancy, elle sétait liée depuis un moment à Louis Châtellier et à son école, à Lyon elle fréquentait régulièrement le Centre dhistoire religieuse André Latreille où elle rencontrait des spécialistes reconnus, tels que Philippe Martin et Bernard Hours. À Clermont-Ferrand, elle avait institué un partenariat solide avec Bernard Dompnier. Ensemble, ils avaient lancé une vision nouvelle de la dévotion et organisé des recherches et des rencontres portant sur les pratiques de la religiosité baroque. Sa collaboration avec dautres cercles intellectuels français sétendait jusque Chambéry, Bordeaux et enfin Grenoble qui, en entrant à leur tour dans ce mouvement intense déchanges, ont participé à la dimension internationale centrée sur la France que lon conférait au magistère de Paola Vismara. La valeur de ces partenariats entre Milan et la France sest en outre révélée à travers sa participation de part et dautre aux cycles doctoraux et aux habilitations (HDR) qui ont formé la dernière génération de spécialistes des deux côtés des Alpes. Par ailleurs, larrivée de ces dernières générations de chercheurs a consolidé la continuité du groupe dexperts en sciences religieuses auquel appartenait Paola Vismara. Jean-Louis Quantin avait succédé à Bruno Neveu à lEPHE, de même que Sylvio De Franceschi succéda à Jean-Robert Armogathe dans la même institution.

Les études de Paola Vismara se regroupent, entre autres, autour dune longue réflexion sur les rapports entre État et Église, entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, autrement dit entre liberté et autorité à lépoque moderne et contemporaine. Loriginalité de ces recherches, qui reflètent sa personnalité exigeante, réside dans sa capacité à comprendre et à restituer les tensions qui animaient les relations entre religion et politique, afin de montrer, par exemple, que lÉtat moderne à lépoque des Lumières ne constitua pas nécessairement une source de progrès et de liberté, de même que lÉglise catholique nafficha pas des positions uniquement conservatrices. Dans ses travaux sur le jansénisme italien par exemple, on constate en effet que certains secteurs de lÉglise – ceux qui relevaient de lautorité des évêques – participèrent à la déchristianisation de la société au nom dune modernité, mal comprise selon Paola Vismara, qui favorisa laffaiblissement du sentiment religieux. Dans les essais sur Dogme et discipline ecclésiastique dans lItalie du xviiie siècle et Linfluence de la France, du Synode de Pistoia à auctorem fidei(publiés dans le volume présent, p. 251-271, 113-130), la question de lautorité de lÉglise est traitée à 22travers le prisme de la discipline ecclésiastique. Selon Paola Vismara, une partie des principaux acteurs séparaient le dogme de la discipline, tout en distinguant la discipline extérieure de la discipline intérieure, la première étant considérée comme fondamentale et lautre comme secondaire. Cette opération aboutit finalement à la séparation entre la foi et les pratiques religieuses. Dans les années soixante du xviiie siècle, ce débat se focalisa sur lintervention des autorités ecclésiastiques en matière disciplinaire, afin dindiquer et de comprendre dans quelle mesure lintroduction de changements était possible. Dans les années suivantes, ce même débat évolua sensiblement vers la question centrale du rôle du prince dans le domaine religieux. Or, par le biais de la discipline et de la réforme de lÉglise, Paola Vismara montre que le problème fondamental était en réalité celui de lessor de la juridiction ecclésiastique et des prérogatives du souverain pontife. Lanalyse de lauteur prouve quune partie de lÉglise, ayant choisi dabandonner le modèle de lantiquité religieuse au profit de la modernité, fut capable de prendre ses distances vis-à-vis du jansénisme et du rigorisme qui accordaient aux princes souverains le pouvoir de décider de la discipline extérieure. Paola Vismara fait clairement comprendre que les effets de lorientation janséniste auraient limité drastiquement la sphère dintervention de lÉglise et affaibli lautorité de celle-ci. Sur le plan historique et disciplinaire, linfluence de la culture française, précisément restituée dans le texte sur le Synode de Pistoia, savéra décisive pour lévolution du jansénisme italien. Dans sa confrontation avec lautorité de lÉglise, ce dernier semble se comporter de manière analogue à celui des Parlements français dans leurs rapports avec la monarchie absolue. Ces deux mouvements furent dailleurs assez proches au cours du xviiie siècle : les magistrats gallicans adhéraient souvent au jansénisme et vice-versa. Il est intéressant dobserver un certain parallélisme dans laction de ces deux sphères. En effet, de même que les jansénistes remettaient en cause lautorité du pape à travers le débat sur la discipline de lÉglise, les Parlements français remettaient en question lautorité absolue du souverain à travers le débat sur le droit de remontrance. Lissue de ce combat au cœur de ces deux grandes institutions millénaires est clarifiée par Paola Vismara. Dans son analyse, elle indique que, dans le cas du jansénisme, le débat au sein de linstitution ecclésiastique renvoyait à la question entièrement politique du statut de lÉglise. Dans le cas des Parlements, lacceptation progressive de la part de la monarchie du 23droit de remontrance déboucha sur lélargissement de la vie politique, affaiblissant les fondations de la monarchie elle-même et ouvrant la voie à une crise irréversible du droit monarchique – et pas uniquement des finances publiques – qui finit par renverser les Parlements eux-mêmes en tant quinstitutions de la royauté. Paradoxalement, le résultat fut à lopposé de celui escompté par les magistrats gallicans : au lieu daccéder au statut de partenaire privilégié du roi, ils contribuèrent à la destruction de la monarchie et à la naissance dun système politique inédit dont ils furent exclus à jamais. Ce parallèle nous aide à comprendre la nature de la situation dans la péninsule italienne. Le débat au sein de lÉglise de Rome fit émerger la présence active de deux visions opposées qui étaient extraordinairement importantes dans la lutte pour lavènement de la modernité. Ladhésion aux quatre articles de lÉglise gallicane déclarée par le Synode de Pistoia portait en elle le refus de lautorité historique de lÉglise de Rome et le rejet de lautorité suprême du pape, comme lavait observé le polémiste Michele di Pietro étudié par Paola Vismara. Cependant, laboutissement de ce conflit ne concorda pas avec celui entre les Parlements et la monarchie française. La Bulle pontificale Auctorem Fidei condamna les quatre-vingt-cinq propositions contenues dans les actes du synode et rejeta une vision de lÉglise qui, limitant le pouvoir du pape, ôtait à lautorité ecclésiastique ses droits sur la discipline pour les attribuer à lÉtat. Si les revendications du jansénisme italien avaient été acceptées, elles auraient entraîné la destruction dune partie de linstitution ecclésiastique. Paola Vismara montre que la papauté se plaça du côté de la modernité en repoussant dune part les thèses du jansénisme et en refusant de lautre autant la religion abstraite et autoritaire du despotisme éclairé que le fonctionnalisme politique que celui-ci comportait. Comme Paola Vismara la observé avec finesse, les membres de la commission qui condamnèrent les propositions du Synode choisirent une Église opposée à celle des jansénistes et des gallicans, cest-à-dire une Église visible, hiérarchisée, liée à son chef, et surtout populaire et ouverte à tous les fidèles. Ce nest dailleurs pas un hasard si, dans les dernières années, Paola Vismara a travaillé sur la dévotion, sur les cérémonies religieuses, sur le culte des saints et les confréries à la période moderne et contemporaine.

Le dialogue avec Paola Vismara, que ses articles repris dans ce livre permettent dinterroger de nouveau, sappuyait sur la conviction que lhistoire est au fond un mystère, que lhistorien ne peut que résoudre 24en partie, approximativement. Limage quelle-même a choisie en souvenir distribué lors de ses funérailles parle de cette posture dhumilité curieuse et ouverte aux imprévus continuels de la recherche historique. Il sagit de la lithographie de Marc Chagall, La lutte de Jacob et de lAnge, qui rappelle lun de ses passages favoris de De la connaissance historique de Henri-Irénée Marrou. Étudier lhistoire, écrit Marrou, relève de

quelque chose comme la lutte de Jacob avec lAnge de Yahvé au gué du Yabboq : nous ny sommes pas seuls, nous nous rencontrons dans les ténèbres avec un Autre mystérieux (ce que jappelais plus haut la réalité nouménale du passé), réalité à la fois ressentie comme terriblement présente et comme rebelle à notre effort : nous essayons de létreindre, de la forcer à se soumettre, et toujours finalement, en partie au moins, elle se dérobe…

Lhistoire est un combat de lesprit, une aventure et, comme toutes les équipées humaines, ne connaît jamais que des succès partiels, tout relatifs, hors de proportion avec lambition initiale ; comme de toute bagarre engagée avec les profondeurs déroutantes de lêtre, lhomme en revient avec un sentiment aigu de ses limites, de sa faiblesse, de son humilité9.

Lhumble lutte contre un « Autre mystérieux » a caractérisé la vie et lœuvre de Paola Vismara – un combat silencieux et discret, qui la poussée à se battre jusque dans les dernières années de sa vie, aussi contre la maladie. Ceux qui lont connue savent que ce fut une lutte pleine de joie et despérance, comme le rappelle la citation de Dante, auteur quelle appréciait, quelle tenait à faire figurer sous limage de Chagall :

Lume è lassù, che visibile face

lo Creatore a quella creatura

che solo in Lui vedere ha la sua pace

(Paradiso, XXX, 100-102)

Giuliano Ferretti

Université Grenoble Alpes

Emanuele Colombo

DePaul University Chicago

1 « Ringrazio quanti, dai familiari, agli amici, dagli studenti ai colleghi, hanno contribuito ogni giorno a mantenere desta in me la passione per la ricerca della verità e a rendere più pieno il senso della lieta bellezza dellesistere. », Paola Vismara, Oltre lusura. La Chiesa moderna e il prestito a interesse, Soveria Mannelli, Rubbettino Editore, 2004, p. 6. Voir aussi Paola Vismara, Questioni di interesse. La Chiesa e il denaro in età moderna, Milan, Mondadori, 2009 (traduction française : Léglise et largent à lépoque moderne, traduit par Stefano Simiz, Lyon, Larhra, 2019).

2 « La storia religiosa ha una sua specificità e una sua identità e deve a mio avviso mantenerle, nellattenzione alla complessità della storia. », P. Vismara, Oltre lusura, op. cit., p. 5.

3 « dare sul passato un giudizio non emotivamente superficiale, ma storico », Luigi Mezzadri, Paola Vismara, La Chiesa tra Rinascimento e Illuminismo, Rome, Città Nuova, 2006, p. 348.

4 Paola Vismara, « Il cattolicesimo dalla “riforma cattolica” allassolutismo illuminato », in Giovanni Filoramo, Daniele Menozzi (dir.), Storia del Cristianesimo, III. Letà moderna, Rome-Bari, Laterza, 1997, p. 151-290 ; L. Mezzadri, P. Vismara, La Chiesa tra Rinascimento e Illuminismo, op. cit.

5 Paola Vismara, « Conoscere lIslam nella Milano del Sei-Settecento », in Bernard Heyberger, Mercedes García-Arenal, Emanuele Colombo, Paola Vismara (dir.), LIslam visto da Occidente. Cultura e religione del Seicento europeo di fronte allIslam, Gênes-Milan, Marietti, 2009, p. 215-252.

6 « La frontiera, materiale o psicologica, era sovente una sorgente di conoscenza, un luogo di incrocio e di scambio : le fonti restituiscono la testimonianza di un conflitto ma, al tempo stesso, di un incontro tra civiltà e culture », ibid., p 252.

7 Emanuele Colombo, Marina Massimi, Alberto Rocca, Carlos Zeron (dir.), Schiavitù del corpo e schiavitù dellanima. Chiesa, potere politico e schiavitù tra Atlantico e Mediterraneo (sec. XVI-XVIII), Milan, Centro Ambrosiano, 2018.

8 « Le ragioni per cui uno storico sceglie un argomento piuttosto che un altro, non sono strettamente intellettuali », Paola Vismara, « La devozione al Jesús de Medinaceli, “Redentor Redimido”. Tra storia e sensibilità religiosa », Memorandum. Memória e história em psicologia 21, 2011, p. 162-178, ici p. 163.

9 Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Paris, Le Seuil, 1954, p. 52.