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Classiques Garnier

Préface

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PRÉFACE

Un récit de 1829 intitulé les Mémoires dun forban philosophe et découvert dans les pages dune bibliographie ancienne constitue le cœur et le point de départ de cette recherche. À partir et autour de lui se sont nouées les questions, se sont construites les hypothèses et se sont peu à peu mises en place les réponses apportées dans ce travail. La particularité de ce roman est dêtre constitué de plusieurs variétés linguistiques différentes – de largot, un écrit de peu-lettré et des représentations de parler populaire –, et de symboliser une sorte de « théâtre de parole » (Dubreuil 2008) dans lequel se cristallisent à la fois une parole multiple et une vision du monde. Cest autour de ce rapport entre discours et littérature, puis entre discours et société que sarticule notre problématique tout en restant centrée sur le rôle joué par la littérature dans la construction, la reproduction et la diffusion des idéologies langagières et sur son impact sur lhistoire sociale.

Lapproche scientifique que nous proposons sinscrit dans une tendance actuelle de la recherche en sciences du langage qui cherche à appréhender son objet de manière englobante et à entretenir un dialogue entre différentes disciplines ; nous partons en effet de lidée que lœuvre littéraire nest pas un « isolat », quelle nest pas enfermée sur elle-même mais quelle sinscrit au contraire dans un mouvement plus large, quelle est en lien avec son époque et les conditions socio-historiques de sa production. Ainsi, cette étude se situe-t-elle au croisement de lhistoire de la langue et de lhistoire sociale des langues, tout en empruntant des concepts et des méthodologies à lanalyse du discours ou à lanthropologie linguistique mais sans pour autant exclure dautres approches, refusant par là même une démarche univoque. Au cours de ce travail, nous aborderons également, mais de manière plus exceptionnelle, des questions relatives à lhistoire littéraire et à lhistoire des idées et des mentalités dans la mesure où elles peuvent contribuer à éclairer certains aspects plus linguistiques de notre recherche. Ces dernières ne serviront 10de fait quà enrichir la vision globale du texte et de son espace discursif et à en cerner plus concrètement les enjeux idéologiques. Notre intérêt principal demeure la langue et les rapports quelle entretient avec les modalités sociales et historiques de son époque.

Notre démarche consiste donc, en premier lieu, à regarder et à analyser un texte qui se présente comme une « œuvre dart », un texte littéraire, comme une fenêtre ouverte sur la langue du passé et à cesser de le considérer comme un univers clos, une image statique, pour le penser comme un discours reflétant une réalité multidimensionnelle de la langue. Nous lavons considéré comme le fragment dun ensemble, le lieu de rencontre de différentes perspectives en lien avec le contexte sociohistorique dans lequel il est né. Nous avons de ce fait laissé de côté linterprétation qui nous mènerait à disserter de leffet esthétique de linsertion de ces bribes de langue non conventionnelle dans le récit pour nous focaliser sur leur fonctionnement textuel en vue de recueillir des renseignements sur les idéologies langagières – souhaitées, recréées ou réelles – quelles véhiculent. De ce point de vue, nous considérons lauteur du texte comme un acteur social que la parole traverse et le texte comme un moment dans le processus de lhistoire sociale de la langue. Nous cherchons à comprendre comment sont utilisées les ressources linguistiques et discursives en présence pour produire un discours caractéristique dune époque et quel rapport il entretient avec les discours hégémoniques sur la langue. Nous élargissons ensuite notre angle de vue pour nous interroger, non plus seulement sur la position adoptée par lauteur, mais sur le rôle de la littérature dans la diffusion des idéologies langagières.

J adresse mes remerciements à Andres Kristol qui, par ses conseils, ses questions et ses réflexions, m a permis de progresser dans mon cheminement scientifique. Je remercie également Sara Cotelli Kureth, Federica Diémoz et Christel Nissille pour leurs relectures et leurs conseils ; elles ont largement contribué à l aboutissement de ce texte. Je remercie enfin ma famille pour son soutien inconditionnel.