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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Mélodrames. Tome IV. 1809-1810
  • Pages : 9 à 12
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 50
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782406065982
  • ISBN : 978-2-406-06598-2
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06598-2.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/08/2018
  • Langue : Français
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Avant-Propos

Les années 1809-1810 couvertes par ce quatrième tome constituent une période difficile pour lauteur Pixerécourt qui, comme nombre de ses confrères, se voit contraint par un pouvoir politique autoritaire. Le décret du 29 juillet 1807, en limitant le nombre des salles de spectacle, avait anéanti ses chances dêtre de nouveau programmé à laffiche dun des théâtres « secondaires » : la Porte-Saint-Martin, où Pixerécourt avait remporté ses plus grands succès en 1805-1806, avait été fermée par décret ; lAmbigu-Comique, dont la direction était toujours assurée par le comédien Corsse, ne pouvait en aucun cas servir de contrepartie dans la mesure où Pixerécourt conservait des relations difficiles avec son directeur, pour des raisons financières essentiellement. Corsse continuait en effet dexploiter les anciens mélodrames de lauteur inscrits à son répertoire : Le Pèlerin blanc, La Femme à deux maris, Tékéli, LHomme à trois visages furent ainsi régulièrement joués à lAmbigu en 1809-1810, le plus souvent pour une ou deux soirées ponctuelles placées entre deux pièces nouvelles, ce qui, en matière de droits dauteur, ne rapportait pas beaucoup dargent.

Cest pourquoi Pixerécourt avait besoin de compter sur un autre appui afin de faire représenter ses mélodrames nouveaux. Jean-Baptiste Dubois, ancien directeur de la Porte-Saint-Martin, lui offrit cette opportunité en devenant « directeur de la scène » au théâtre de la Gaîté au printemps 1808. Sa première initiative fut de favoriser la réception de LAnge tutélaire, ou le Démon femelle en avril 1808 (cette pièce figure dans le troisième tome de cette édition), une autre fut dinciter François-Charles Bourguignon, nouvel administrateur de la Gaîté, à initier des travaux denvergure pour agrandir la scène et lenrichir des techniques récentes de lillusion. Cette rénovation était nécessaire pour accueillir La Citerne, mélodrame en 4 actes, en prose et à grand spectacle, écrit en amont de LAnge tutélaire et reçu en 1807 au théâtre de la Porte-Saint-Martin. La Citerne, qui ouvre ce quatrième tome, se donne par son usage des éléments du spectaculaire comme une synthèse et un dépassement des méthodes 10de fabrique du mélodrame « à grand spectacle » que Pixerécourt avait développé dans les années 1805-1806. Rattrapée par lactualité politique au moment de sa première représentation, le 14 janvier 1809, elle eut en outre à souffrir les affres de la censure.

Car La Citerne, qui puisait dans le fonds littéraire du Siècle dor et du roman picaresque, fut en effet représentée en pleine guerre dEspagne, au moment même où Napoléon pénétrait dans la péninsule ibérique. Contraint de supprimer les formules élogieuses à légard des Espagnols, Pixerécourt prit alors conscience de linfléchissement que les censeurs pouvaient imposer aux pièces, et de la possibilité que le mélodrame devienne par ce biais linstrument de la propagande napoléonienne. Cest ce qui explique sans doute pourquoi il délaisse pour un temps le mélodrame. Soucieux de renouer avec les théâtres lyriques (auxquels il avait destiné ses toutes premières œuvres), il rédige un drame lyrique, La Rose blanche et la Rose rouge, quil parvient à faire représenter sur la scène de lOpéra-Comique au mois de mars 1809. La pièce, qui remporte un beau succès, avait été composée sur fonds historique de la Guerre des Deux Roses ; elle lui procure la matière à lélaboration dun nouveau projet mélodramatique, Marguerite dAnjou, auquel Pixerécourt travaille darrache-pied entre le 1er août et le 13 octobre 1809.

Le projet était audacieux puisquil sagissait dériger Marguerite dAnjou, princesse de Lorraine et reine consort dAngleterre, en symbole de la légitimité persécutée. Le sujet « anglais » était dautant plus périlleux que Napoléon avait durci le Blocus continental et engagé la Grande Armée dans des affrontements guerriers contre la cinquième coalition sur plusieurs fronts en Europe. Placée entre les mains des censeurs au mois de novembre 1809, la pièce y resta de longs mois avant dêtre finalement autorisée, moyennant dimportantes corrections. Représentée à la Gaîté à partir du 11 janvier 1810, Marguerite dAnjou ne présentait plus, dans sa version scénique, aucune allusion pouvant être décryptée comme une mise en cause de la légitimité du pouvoir de lEmpereur. Sans doute parce que Pixerécourt, désormais expert dans le maniement des outils du grand spectacle, avait enrichi sa pièce de couplets patriotiques et anti-anglais (qui disparaîtront, dailleurs, dans la version éditée du mélodrame), et surtout parce quil lavait dotée dun personnage de Français qui, occupant lemploi du niais mélodramatique, est responsable du dénouement héroïque.

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Cest exactement la même formule quil réutilise quelques mois plus tard pour Les Ruines de Babylone, jouée à la Gaîté à partir du 30 octobre 1810. Ce mélodrame historique, qui puise dans le fonds légendaire de la dynastie des Barmécides, engage une critique du pouvoir impérial et fut, lui aussi, exposé aux ciseaux dAnastasie. Enrichi dune musique militaire dont la thématique est assez étrangère à lexotisme de la fable, il revendique, dans sa version scénique, une dimension nationaliste en rendant hommage aux victoires de la Grande-Armée. Lexamen des manuscrits nen renseigne pas moins sur les intentions premières de lauteur : « Il est juste que ceux qui sont forcés dobéir soient plus ingénieux que celui qui commande » fait dire, par exemple, Pixerécourt à lun des personnages des Ruines de Babylone. Lieu de la double énonciation, cette réplique, évidemment supprimée par la censure, témoigne de la façon dont Pixerécourt, à partir des années 1809-1810, infléchit lécriture de son mélodrame en réaction au néo-césarisme de Napoléon.

Les trois mélodrames contenus dans ce tome, qui sont tous édités avec leur musique de scène originale, offrent un éventail particulièrement intéressant pour mesurer lorientation nouvelle du mélodrame pixerécourtien aux lendemains du décret de 1807. La Citerne, conçue peu avant cette date, soffre par sa nature métadramatique comme la conclusion dune époque au cours de laquelle Pixerécourt avait cherché à explorer au plus près la contiguïté entre la scène et lécrit. Dans le contexte politique très contraignant des années 1809-1810, lauteur se réapproprie la formule du « mélodrame historique » et propose, avec Marguerite dAnjou et Les Ruines de Babylone, deux pièces qui, construites sur le même modèle dramaturgique, interrogent la figure du pouvoir tout en satisfaisant, par les moyens de la mise en scène, les desiderata dun gouvernement soucieux dalimenter la ferveur nationale par la voie du théâtre. Notre édition critique, parce quelle sappuie sur lensemble des documents conservés (manuscrits de lauteur, de la censure, éditions et partitions musicales), offre laccès aux coulisses de la fabrique du mélodrame pixerécourtien dans les années glorieuses de lEmpire et de la conquête territoriale ; elle révèle un auteur désireux de se faire représenter, et donc habile dans les remaniements quil opère de façon à satisfaire les vues du gouvernement ; mais elle révèle aussi un auteur qui tente de conserver intact, au cœur même de lintrigue 12mélodramatique, le questionnement qui arme sa plume depuis le début de sa carrière, à savoir celui qui sonde la légitimité du pouvoir dans son rapport avec le droit, la justice et la vertu.

Roxane Martin