Comptes-rendus de lecture
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Malraux et le temps
2018 – 1 - Auteurs : Thompson (Brian), Aleksíc (Branko), Bennis (Aziz), Doudet (Sophie), Özmen (Kemal)
- Pages : 179 à 203
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : André Malraux, n° 14
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406064725
- ISBN : 978-2-406-06472-5
- ISSN : 0035-2136
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06472-5.p.0179
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/02/2018
- Périodicité : Mensuelle
- Langue : Français
Jean Lacouture, Malraux, une vie dans le siècle, Paris, Seuil, 1973.
Jean Lacouture a tiré sa révérence le 16 juillet 2015, à 94 ans, mettant fin à une longue carrière de journaliste et de biographe hors norme. Parmi ses nombreuses biographies figure un André Malraux, une vie dans le siècle1 tout à fait remarquable encore aujourd’hui, plus de quarante ans plus tard. Il mérite la relecture ; j’ai beaucoup appris ou réappris en m’y plongeant de nouveau et en sors avec une admiration encore accrue pour l’homme et pour son talent de chercheur, d’écrivain et de biographe.
De chercheur, assurément. Lacouture s’est donné beaucoup de mal à fouiner dans l’Histoire ainsi que dans les nombreuses histoires, voire légendes ou mythes, qui entouraient son personnage pour essayer de distinguer le vrai du faux, le vécu du rêvé, imaginé ou carrément inventé (par Malraux ou par d’autres, que celui-ci encourageait ou laissait faire). Anecdote : un de mes étudiants dans un séminaire sur Malraux en 1971 a déniché son exemplaire des Conquérants2 chez les bouquinistes ; il contenait un dépliant publicitaire des années Trente présentant le roman comme le vécu de l’auteur lui-même en Chine, comme le fait d’ailleurs la postface de la traduction allemande, sûrement fournie par Malraux, qui fait de lui le commissaire suppléant de la propagande à Canton (Lacouture tire tout cela au clair à la page 113). Malgré son admiration évidente pour son sujet, Lacouture arrive en général à faire ainsi le tri, à ne pas se laisser fourvoyer. Sans se contenter de recherches en bibliothèque ou dans des archives, en bon journaliste de terrain, il a interrogé beaucoup d’acteurs dans la vie mouvementée de Malraux et, à plusieurs reprises, Malraux lui-même. Ainsi arrive-t-il à éclairer plusieurs pans de cette « vie dans le siècle » de façon nuancée et juste.
D’écrivain, sans le moindre doute. Auteur de plus de 70 livres en plus de sa carrière de journaliste, Lacouture avait la plume facile et écrivait « plus vite que son ombre » : d’après Luc Cédelle, il bluffait ses 180plus brillants collègues au Monde en tapant ses éditoriaux de politique étrangère en un quart d’heure, debout3. Il parlait aussi facilement et rapidement, d’ailleurs. Dans les divers colloques où je l’ai croisé, il balançait ses communications, évidemment fort bien documentées, à partir de quelques notes, comme des rafales de mitraillette !
De biographe, cela va sans dire. En l’occurrence, Lacouture nous donne un portrait nuancé non seulement de l’homme Malraux – qui se gardait bien de parler de lui-même ; ce n’est pas pour rien que ses mémoires s’intitulent Antimémoires ! – un homme qu’il ancre bien dans son « siècle » sur le plan historique, politique et littéraire. Un peu moins sur le plan familial, mais la réticence de Malraux sur ce plan ne rend pas la tâche facile. Il nous aide à comprendre en plus comment cet homme a réussi à transformer les matières premières puisées dans son siècle et dans ses expériences en une œuvre qui les dépasse. Ce sont ces transformations qui m’intéressent en premier lieu ici.
Nous savons que pour Malraux, l’art n’est jamais une reproduction mais plutôt une transformation, une transfiguration du réel. Dès Les Voix du silence4 en 1951 et jusqu’au posthume L’Homme précaire et la littérature, Malraux insiste sur cette transformation : « comme le peintre, l’écrivain n’est pas le transcripteur du monde, il en est le rival5 ».
Ce fil d’Ariane parcourt le Malraux de Lacouture. Parlant de l’expérience de Malraux en Indochine ainsi que de son manque quasi total d’expérience en Chine, il écrit qu’« il est vrai que ses visions refont un monde aussi vrai que le vrai, et que son Asie rêvée s’impose presque aussi fort qu’une Asie vécue » (p. 115). Lacouture appelle avec raison les quatre romans asiatiques un « torrent d’imagination » (p. 117), La Condition humaine « une œuvre […] puissamment imaginaire » (p. 161). Il fait quelque peu une exception pour L’Espoir étant donné l’expérience réelle de Malraux en Espagne : « […] on se gardera de parler d’une “Espagne rêvée”. Elle fut vécue pendant sept 181mois par le romancier, dans la plénitude de sa souffrance et de leur commune générosité […]. Reportage génial, certes, et par là sublimant la réalité. Mais reportage, et par là reflet de la vérité. » (p. 229). Personnellement, et après mes conversations avec Malraux, je crois que la transformation de l’expérience vécue est tout aussi grande dans L’Espoir. Et cela continue d’être le cas dans Les Antimémoires et tous les textes qui vont s’y joindre dans Le Miroir des limbes. Malraux ne se raconte pas, ne parle pas de son enfance – sujet quasi interdit, surtout ce qui touche à sa mère. Pour Lacouture, c’est « l’œuvre de Malraux par excellence, celle où s’accomplit la fusion-confusion du vrai et de l’imaginaire, de l’expérience et du rêve, de la matière première vécue et de l’art qui la transforme » (p. 400).
Je mets l’accent ici sur ce plan littéraire, mais Lacouture suit d’aussi près les actions de Malraux sur la scène politique, au sens très large. Il est intéressant de noter que le parcours de ce lecteur et admirateur de Malraux recoupe à plusieurs reprises celui de son aîné de 20 ans. Lui aussi entre très tardivement dans la Résistance, se tenant à l’écart du conflit pour faire un diplôme à Sciences Po (Il regrettera toute sa vie ce retard). Il s’engage ensuite dans la DB du Général Leclerc comme Malraux dans la brigade Alsace-Lorraine. Après la guerre, il suit Leclerc en Indochine à l’âge où son aîné y était parti, rencontrant Hô Chi Minh, se faisant la main en tant que journaliste – comme Malraux à Indochine –, et devenant, comme celui-ci, fervent anticolonialiste. Il rallie de Gaulle, non au gouvernement comme Malraux, mais comme admirateur et par deux fois biographe ; il n’écrivait d’ailleurs ses biographies que sur des personnes qu’il admirait et respectait.
Jean Lacouture s’est éteint paisiblement dans sa maison de Roussillon, dans le Vaucluse – maison où il avait succédé à mon ami Larry Wylie qui y avait vécu et écrit son livre pionnier, Village in the Vaucluse6. Professeur de la Civilisation de la France à Harvard, arrivé, comme moi, en 1959, Larry m’a donné mon premier diplôme de la main à la main quatre ans plus tard. Jean Lacouture, quant à lui, m’a fait l’honneur insigne et le grand plaisir de me citer, seul, et de façon fort élogieuse, dans son 182article sur le colloque de Montréal, « François Mauriac, polémiste », en 19807. Paix à son âme !
Brian Thompson
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André Nolat, Les Figures du destin dans les romans de Malraux (Préface de Bernard Baritaud), Paris, L’Harmattan, collection « Espaces littéraires », 2014.
Que Malraux « parle passionnément du “Destin” des êtres, comme les âmes religieuses parlent de Dieu » Lucie Mazauric l’a noté dès 1939 (Avec André Chamson) ; et que « Malraux ne s’adresse qu’au destin », Jean Grosjean l’écrivit sur la jaquette de l’editio princeps des Antimémoires de son ami, en 1967. La fiction d’une tutelle divine devenue surannée, c’est à l’homme seul d’assumer son destin… Il appartient à André Nolat de constater que les lignes de force du texte malrucien sont ordonnées par les mots-clefs comme destin et dialogue – ce dernier englobant les deux autres : métamorphose et cortège (p. 30). En analysant le champ lexical pertinent de six romans de Malraux, mais aussi de nombreux autres textes hybrides (soit en total plus d’une vingtaine d’ouvrages de Malraux) ; tirant parti de la méthode de superpositions inventée par Charles Mauron pour constituer une grille de lecture « mythocritique8 », Nolat compare les réseaux continus d’associations autour du destin à ce que Malraux appelle lui-même chez les peintres des « schèmes initiaux » (IV, VS, 555).
183Nolat poursuit la réflexion de Malraux et de ses contemporains sur ce destin filé et coupé par les trois Moires ou Parques (p. 42) à partir de l’enfance troublée, détestée par l’écrivain, jusqu’à ses engagements culturels et politiques à l’étranger d’abord – sa mésaventure en Indochine avec le vol des statues du temple de Banteay Srei, la condamnation, l’appel et le retour en France en 1923, le nouveau voyage, la rédaction du journal l’Indochine enchaînée et son inscription au Komintang en 1925 ; puis l’engagement en Espagne dix ans plus tard –et en France avec la Résistance et aux côtés de Charles de Gaulle.
En apparence fixé, le destin est susceptible d’être modifié, soit par le libre choix intérieur, soit conjugué par le temps de l’Histoire extérieure. L’expérience des grands événements extérieurs historico-politiques, tout d’abord la Révolution populaire en Chine de 1925, a donné à Malraux l’impression irrémédiable que « le destin du monde tourne » (La Condition humaine, éd. Folio, no 1, citée par Nolat p. 110). C’est aussi le cas accompli avec la République espagnole, puis avec la Ve République, dont le protagoniste principal, le général de Gaulle, écrira dans ses Mémoires d’espoir :
À ma droite, j’ai toujours eu André Malraux. La présence à mes côtés de cet ami génial, fervent des hautes destinées, me donne l’impression que, par là, je suis couvert du terre à terre. L’idée que se fait de moi cet incomparable témoin contribue à m’affermir. Je sais que dans le débat, quand le sujet est grave, son fulgurant jugement m’aidera à dissiper les ombres.
Ce fragment formidable, de style militaire (le général se sent « couvert du terre à terre ») que Nolat cite p. 25-26, offre l’occasion de distinguer les notions de destin et de destinée. « La destinée, c’est la vie qui s’accomplit, dans le contexte d’une nécessité mêlée à une volonté plus ou moins affirmée ; la vie qui se construit à partir de donnés, de hasards, de circonstances, et que la mort fige. », écrit Nolat. En effet, la mort se présente dans L’Espoir telle l’ultima res : « La […] tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin, qu’à partir d’elle rien ne peut plus être compensé. » (L’Espoir éd. « Folio » no 20, p. 294 ; cité par Nolat p. 81). D’où aussi la fiction qu’on peut « posséder la mort », comme Malraux s’imaginait lors du suicide manu militari de Yukio Mishima en 1973 (op. cit. p. 83).
Avant cette dernière instance, la conscience qu’on prend graduellement de son propre destin ou de sa condition humaine, peut inclure les 184« démons » qui nous habitent : « il y a des temps où la maladie gagne du terrain et des temps où elle en perd » (p. 50). La maladie ne nous est pas étrangère : « Mais non : la maladie, c’est soi, c’est soi-même […] » (Les Conquérants, 1928, p. 225 ; cité par Nolat, p. 76 n.). La peur du Temps s’écoulant inexorablement vers la mort, que Malraux assimile à un cancer (p. 47), peut se transformer soit en un fatalisme – « l’abandon à son destin », comme dans la guerre de 1914, où la masse des soldats se voit soumise à la tuerie impérialiste, mais aussi une exaltation du Temps – celui des victoires sur ses propres faiblesses, ou sur l’ennemi étranger dans une guerre, par exemple. Les révolutionnaires chinois ont su ce que c’est qu’« accepter son destin », et « ce que c’est que le destin limité, irréfutable, qui tombe sur vous comme un règlement sur un prisonnier » (La Voie royale, 1930, p. 36 et 59). Cette dernière citation (p. 78) s’accorde avec l’épigraphe que Nolat a prélevée des Pensées de Pascal, s’imaginant « un nombre d’hommes dans les chaînes, et tous condamnés à mort / […] / C’est l’image de la condition humaine » (cité en exergue, p. 7). Mais Malraux semble « un pascalien sans Dieu », comme le pense Manès Sperber. Les dires paradoxaux de Malraux, ce « au destin de l’homme, l’homme commence et le destin finit » (Les Voix du Silence, 1951, p. 73 ; cité par Nolat, p. 48), ne signifient-ils pas que les rôles peuvent être inversés ?
Ainsi, les énoncés paradoxaux sur le destin que Nolat analyse dans la revue Verve de 1938 mais aussi dans Les Noyers de l’Altenburg (op. cit. p. 111), parlent de l’étrangeté du destin, même là où il est le plus propre à l’homme ; ils parlent de « l’indépendance du monde » à l’égard d’un individu, même là où il y a l’interdépendance ! Malraux le formule clairement dans Les Voix du silence (p. 628) en parlant de la légende du roi Œdipe : « il ressent profondément l’intrusion de l’homme parmi des forces dont il n’était que l’enjeu – l’intrusion du monde de la conscience dans celui du destin. » (cité par Nolat, p. 179). Il en résulte que l’expérience de l’étrangeté qu’éprouve le personnage de Kyo dans le roman La Condition humaine, l’un des « trois romans asiatiques » qui se taille la part de lion dans l’analyse, peut difficilement être choisie comme paradigme du destin dans la conception éventuelle de Malraux, ni comme « modèle » de l’être humain qui « se découvre, en premier lieu, étranger à lui-même » (p. 54), et en deuxième lieu, « étranger à autrui » sinon « étranger sur terre », etc., comme insiste Nolat (p. 64 185sq.). Postuler que « l’existence de chacun est unique donc incommunicable » (p. 65), force un peu l’ancien adage de Leibniz sur l’indiscernable (comparer le cri de Perken dans La Voie royale p. 36 au destin comme « la niche à chien élevée sur sa vie unique », cité par Nolat p. 76), vers une conclusion un peu hâtive où « Malraux, le premier, a défini ce concept d’incommunicabilité » (p. 65).
Heureusement, la conclusion finale de l’ouvrage relativise : « Tous les êtres sont différents, fondamentalement seuls, séparés par des barrières (certaines ne peuvent se franchir) et pourtant ils se parlent. » Et Nolat affirme que les humains peuvent opposer le dialogue au destin (p. 182). Conclusion valable dans le double sens : elle rend justice au mythe du Malraux créateur et, selon l’un des combattants pour la République espagnole, « meneur des hommes », et elle corrobore le constat sur la paire destin/dialogue comme l’un des motifs obsédants, dit en termes de la mythocritique de Mauron, de l’œuvre de Malraux… Le plus beau succès de l’ouvrage de Nolat n’est pas seulement le fait qu’il a recensé le réseau d’emplois du mot-clé destin dans l’œuvre malrucienne, mais aussi de l’avoir hissé au statut d’une métaphore. D’une part, l’usage métaphorique mène au mythe personnel de l’artiste, et de l’autre, toujours selon la psychocritique de Mauron, il permet à Nolat de lier la présence du mot clé obsédant destin, au champ lexical de la viscosité, mollesse, mollusques tentaculaires et les insectes en guise du « destin invertébré » et angoisses existentielles – sexuelles – de l’écrivain (p. 70).
La leçon qu’on peut tirer de l’analyse féconde de l’œuvre de Malraux par André Nolat réside dans cette relativisation de termes clés, précisément pour sauvegarder leur importance et pertinence lexicale : éviter le danger de généralisation. Est-ce que « le destin commande tout » (p. 44), quand on peut « l’affronter et [le] dompter » selon une belle expression de la préface de Bernard Baritaud reprenant celle de Malraux lui-même : « un destin dompté » rôde et gronde dans Les Voix du silence (p. 628 ; cité par Nolat p. 57). Ensuite, est-ce que « toute l’œuvre d’art est plus ou moins compensatoire » (p. 45 n.) – comme si nous ne pouvions nous en donner à cœur joie, de temps à temps, pour chanter d’instinct (mais non « l’art pour l’art » !), et est-ce que, enfin, le temps « frappe du sceau de l’absurde tout l’effort » (p. 47), comme si la pyramide de Khéops, la dernière existante des sept merveilles du 186monde, ou La Recherche du temps perdu, voire L’Intemporel, ne suffisaient pas pour témoigner ce qu’il reste d’efforts hors de l’angoisse du Temps qui passe… On finit par croire que le destin n’est pas tellement étranger à un être humain, mais représente son propre lot. Ainsi, pour résumer la méditation de Tchen face à la ville Shanghai sous la brume, Nolat rappelle le mot opportun de Paul Claudel, un autre grand voyageur de pays exotiques : « […] il a trouvé son destin » et « son destin l’a trouvé » (Le Soulier de satin cité p. 92). Et chacun, dira Malraux, lors d’une conférence à la Sorbonne le 4 novembre 1946, « ne peut exister contre le poids énorme du destin qu’en s’ordonnant sur une part choisie de soi-même » (cité par Nolat p. 180).
L’ouvrage de Nolat ouvre ces problèmes brûlants, jusqu’à nous avertir du relativisme même des conceptions du destin et de la crainte de la mort dans la civilisation occidentale. Il cite, page 157, le constat désabusé de Malraux en répondant dans un entretien de 1971 à propos de ses héros de l’épopée chinoise, que « le rôle des Européens dans cet immense destin était fini ». Malraux poursuivra ce dialogue autour du sens de la vie, de la mort et du suicide qui ont un sens spécifique dans les différentes civilisations (ce que Nolat discute aussi au début de son ouvrage). Malraux remarquera dans les Antimémoires par exemple que « la vie des musulmans est un hasard dans le destin universel : ils ne se suicident pas » (editio princeps, p. 33) – à la différence de l’écrivain japonais Mishima, ou de n’importe quel Européen représentant d’une religion soumise (p. 168), tel l’oncle Walter dans le colloque de l’Altenburg, se désolant que « nos pauvres destins sont effacés par le ciel étoilé » (id., p. 39). Une habile paraphrase de la fin de la deuxième Critique de Kant affirme ce qui reste à faire, nous fait espérer, par notre impératif catégorique et non pas par un dogme religieux périmé.
Branko Aleksić
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Yves Le Jariel, L’Ami oublié de Malraux en Indochine : Paul Monin (1890-1929). Une vie inachevée (Préface de Jean Lacouture), Les Indes savantes, 2014, 260 p.
Né au Vietnam en 1942, Yves Le Jariel, fils d’un administrateur des Services civils, diplômé de l’École des Hautes Études Commerciales, spécialiste de l’Indochine coloniale, a rédigé deux biographies : la première consacrée à Phan Boi Chau, leader du nationaliste vietnamien avant Ho Chi Minh, publié en 20099 ; la seconde, à Paul Monin, compagnon de Malraux dans sa lutte contre les affres de la colonisation dans l’Indochine des années 1920, préfacée par le regretté Jean Lacouture qui avait lui-même brossé un portrait de Monin dans sa biographie de Malraux10.
Avocat de renom inscrit au barreau de Saigon en 1919, démocrate aux idées progressistes, farouche opposant aux autorités coloniales et militant pour une ouverture politique en faveur des Annamites, engagé dans un combat contre les abus de la colonisation, placé nettement à côté des patriotes vietnamiens dans leur lutte pour l’indépendance, Monin s’est affirmé comme une personnalité marquante dès son arrivée en Indochine en 1918 avec sa femme Gertrude, qu’il a épousée en 1913, et jusqu’à sa mort en 1929 d’une forme pernicieuse de paludisme.
Témoin de premier plan des changements qui ont agité l’Indochine, il était parmi les premiers Français à avoir compris l’évolution inévitable vers une indépendance de celle-ci. La lecture de l’étude d’Yves Le Jariel nous replonge dans cette période essentielle de l’histoire de l’émergence d’états indépendants en Indochine.
Tombé dans l’oubli, il est presque un inconnu. Il n’a émergé d’une totale obscurité que grâce à l’amitié qui le lia à Malraux, avec lequel il dirige l’audacieux et impertinent journal-brûlot, L’Indochine, devenu, après une première interdiction par l’administration coloniale, L’Indochine enchaînée, imprimé au domicile même de Monin durant quelques semaines, 188à Saigon, de juillet à décembre 1925. En butte aux tracasseries policières, aux pressions de la cabale des colonialistes, aux difficultés pécuniaires, bravant toutes les puissances installées, ces deux publications se sont fixées pour objectif de critiquer les formes les plus contestables du colonialisme, mais sans remettre en cause la colonisation, et pour lutter en faveur d’un rapprochement des Français et des Vietnamiens en dénonçant les excès de la politique coloniale.
Cet oubli est désormais effacé grâce au récit passionnant d’Yves Le Jariel, bien documenté en dépit de la rareté des sources. En effet, l’auteur a effectué des recherches au Centre des archives d’Outre-mer (CAOM), aux archives du Ministère des Affaires Étrangères et à la Grande Loge de France. Il a plongé dans les journaux, les rapports administratifs et autres ouvrages traitant de l’Indochine de l’époque. Il a puisé également dans les documents personnels transmis par la famille de Monin et dans les souvenirs des personnes l’ayant côtoyé lors de son séjour en Indochine. Les mémoires de Clara Malraux complètent ces sources pour nous faire revivre les années de lutte de ce dénonciateur de la première heure des abus de la colonisation française, avant de rencontrer plus tard Ho Chi Minh lors de ses séjours en Chine.
Yves Le Jariel réserve deux longs chapitres de cette biographie inédite pour retracer l’aventure commune de Paul Monin et d’André Malraux dont la rencontre date de 1925 grâce à Clara Malraux, croisée par hasard sur le bateau la ramenant en France. Cette rencontre sera un tournant décisif dans la vie de Monin :
–p. 89-149 : « Monin et Malraux : L’aventure de l’Indochine », consacré à l’analyse des articles signés par Malraux, malandrin des temples cambodgiens transformé en journaliste mordant et en pamphlétaire incisif, notamment contre Henry Chavigny, « Monsieur D’En-Avant-Pour-l’Arrière », qui ne l’avait pas ménagé durant son procès (p. 117-122), Cognacq, gouverneur de la Cochinchine qui ne tend pas à « assurer l’ordre mais bien à donner des ordres, ce qui est assez différent11. » (p. 125-127).
189–p. 151-166 : « La fin de l’aventure indochinoise commune de Monin et Malraux » : réservé au deuxième volet de son entreprise offensive raillant la comédie du pouvoir en place, L’Indochine enchaînée.
Les deux hommes se complètent bien durant les quelques mois de publication des journaux.
L’aventure indochinoise de Malraux est scindée en deux phases : l’expédition archéologique, et la création des deux journaux d’opposition au gouvernement colonialiste. Cette double aventure, au cours de laquelle il a rencontré le visage du colonialisme qu’il a appris à détester, constitue une expérience inaugurale et datée dans son parcours d’écrivain fortement engagé dans les questions de son temps.
Formidable est la métamorphose qui s’est opérée en 26 mois – entre novembre 1923 et décembre 1925 – chez cet homme, pendant qu’il vivait alors en Indochine française. Bien que fort jeune, c’était déjà un homme de pensée ; il va devenir un homme d’action. Bien qu’érudit, il était indifférent aux questions politiques ; Il va devenir un compagnon de route des révolutionnaires. Confronté aux horreurs du colonialisme, il partage les convictions de Monin qui a largement contribué à la naissance de son engagement politique et de la défense de la dignité humaine partout où elle est écrasée. Malraux est passé de la plus totale indifférence politique à l’engagement révolutionnaire et humaniste (pour reprendre le sous-titre d’un autre ouvrage consacré à la question).
En janvier 1926, le couple Malraux quitte l’Indochine. L’aventure indochinoise de Malraux est achevée. Il ne s’intéressera plus vraiment aux excès du système colonial. Il laisse Monin affronter nombre de tracasseries policières, politiques et juridiques organisées par le pouvoir colonial12. Le 27 février 1929, Monin décède à Saigon. Ses obsèques sont suivies par des milliers d’Annamites. L’avocat Beziat, le défenseur du couple Malraux devant la Cour d’appel de Saigon, prononce l’éloge funèbre.
Une biographie complète, fouillée, fort détaillée et passionnante de Monin dont la courte vie, inachevée, fut une quête ardente de vérité et de justice. Il sensibilisa Malraux aux injustices coloniales et l’initia à la 190géopolitique de l’Asie. Avec l’érudition de l’historien et la méticulosité de l’universitaire, ce livre, désormais incontournable pour comprendre le parcours de Paul Monin, précurseur des luttes d’indépendance, au terme d’une courte vie mais incomparable en audace politique, richesse intellectuelle, explore un aspect ambigu de la vie de Malraux et jette un éclairage essentiel sur cette tranche de vie peu connue et pourtant décisive pour comprendre son œuvre et son action futures13.
Aziz Bennis
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Virginie Greiner et Daphné Collignon, Avant l’heure du tigre : la voie Malraux, Grenoble, Glénat, coll. « Grafica », 2015, 168 p.
Malraux, ce n’est pas uniquement André. C’est également Clara : sans elle, sa vie et sa légende auraient indubitablement été différentes. Entre eux a existé un lien composé de passion et de complicité, d’amour et de déchirure. La scénariste Virginie Greiner et la dessinatrice Daphné Collignon ont allié leurs talents pour faire de ce volumineux roman graphique une réussite littéraire. Il est à signaler qu’il y a eu quelques bandes dessinées, mais pas de telle ampleur14.
191L’ouvrage est composé de deux grandes parties :
–La première intitulée : « Paris, 1921 » est constituée de 63 pages (p. 9-72). Elle revient particulièrement sur la rencontre de Clara et d’André, la découverte des arts asiatiques par Malraux grâce à Clara, et l’idée d’André de partir au Cambodge récupérer quelques statues.
–La seconde baptisée « Indochine, 1923 », constituée de 96 pages (p. 73-166), relate le récit d’aventure et les péripéties périlleuses du voyage en Indochine du jeune couple Malraux.
Dans ce somptueux roman graphique, librement inspiré de Nos vingt ans, troisième volet des mémoires de Clara Malraux publiés sous le titre général Le Bruit de nos pas15, les auteurs nous concoctent un portrait d’une femme toute en ambivalence : singulière, libre, créatrice. Elles témoignent à merveille de l’esprit aventureux, d’un foisonnement artistique et intellectuel d’une époque, tout en rappelant la difficulté pour une femme aussi brillante soit-elle, d’exister dans l’ombre de celui qui va devenir une personnalité politique et intellectuelle et un grand homme du panthéon culturel français.
À vingt-trois ans, Clara Goldschmidt, une jolie jeune femme de lettres, éprise de poésie, met ses compétences linguistiques franco-allemandes au service de la littérature en travaillant comme traductrice des œuvres les plus difficiles des poètes allemands au sein de la revue d’avant-garde tenue par Florent Fels, Action, où elle ne passe pas inaperçue. C’est en fréquentant ces milieux et le gratin du Paris intellectuel des années vingt, notamment le groupe de Max Jacob, qu’elle rencontre un certain André Malraux, envoûtant, érudit et un brin misogyne, avec qui elle va rapidement lier son sort.
Indépendante et rebelle, Clara est une jeune femme intelligente, cultivée et imaginative, qui rêve de liberté et d’action. Elle va cependant réaliser tout le poids de la misogynie de son époux. Alors qu’elle l’initie aux arts d’autres civilisations telles l’Indochine dont les temples d’Angkor Vat au Cambodge sont un fleuron, alors qu’elle lui ouvre 192progressivement l’esprit, celui-ci continue de considérer la culture comme « une affaire d’hommes ». Elle était souvent agacée de devoir s’effacer et de composer avec la misogynie de Malraux, un trait de caractère assez appuyé dans cet élégant album. Profondément amoureuse et fascinée par l’intelligence de son jeune époux, qu’elle a toujours jugé « d’une supériorité évidente » (Nos vingt ans, p. 76). Elle faisait de son mieux pour ne pas se sentir marginalisée. La force de ce récit réside dans la subtilité avec laquelle les auteurs racontent la relation d’André et Clara Malraux, montrée dans toute sa complexité. Lumineuse et fascinante, souvent frustrée ou heurtée par le caractère et les mots de son mari, mais qui fait ses propres choix et qui, surtout, trouve du bonheur dans cette relation.
Suite aux déboires boursiers d’un mauvais placement, et comme il est « hors de question de travailler », Malraux décide, afin de renflouer leurs finances, d’aller, en compagnie de Louis Chevasson, l’ami d’enfance bondynois, fidèle, dévoué et indéfectible, et sous couvert d’une mission archéologique, dérober quelques divinités sculptées d’une valeur inestimable du temple de Banteay Srei, au nord-est d’Angkor-Thom, l’antique capitale des rois khmers afin de les revendre à de riches collectionneurs américains. Issue d’une famille aisée, Clara doit vendre ses pierres précieuses pour payer le voyage : « Pourquoi les enfermer dans une boîte ? Qu’elles vivent et qu’elles nous fassent vivre », disait-elle au bijoutier (p. 66). Aussitôt arrivés à Phnom-Penh avec les bas-reliefs délogés, Malraux est arrêté, inculpé, jugé et placé en résidence surveillée. L’arrestation fut retentissante. Cet incident est une belle occasion pour que Clara se prouve à elle-même et à André sa capacité d’action : elle a réussi à mobiliser les plus prestigieux intellectuels français de l’époque et à obtenir finalement la liberté de son mari.
Sous un très beau coup de pinceau, des planches somptueuses, notamment celles dépeignant la découverte des temples d’Angkor (p. 108-110), en noir et blanc, dégagent une sensualité troublante, oscillant entre le charisme des personnages et la fragilité de leurs émotions, notamment par les très nombreux gros plans sur leurs visages au plus près de leurs émotions. En effet, en choisissant le noir et blanc, qui magnifie ce travail et apporte une touche poétique, voire mystique à la bande dessinée, Daphné Collignon réussit le tour de force de donner matière à la jungle et à ces temples enfouis, sans oublier qu’elle mène les personnages avec 193un art du portrait très expressif. Son pinceau contourne les visages, assouplit les physionomies, et confère aux paysages leur empreinte sombre, mystérieuse inquiétante. « On se croirait avant l’heure du tigre. Un silence épais qui s’installe juste avant que le grand fauve ne parte chasser… » (p. 132).
À partir des confessions de Clara Malraux, les auteurs mettent en scène, avec bonheur, la rencontre d’une extravertie, ardente et féministe à sa façon avec le jeune intellectuel inexpérimenté qu’était Malraux ainsi qu’un épisode peu glorieux de la jeunesse du futur grand Ministre d’État chargé des Affaires culturelles, unique et transcendé, de la ve république16.
Clara Malraux a eu le mérite immense d’éclairer des épisodes essentiels de la vie de son compagnon. Elle l’a fait avec courage et sincérité au risque de se montrer parfois antipathique. En épilogue, elle dit : « Aujourd’hui encore, je trouve que notre comportement de ces années de jeunesse ne fut pas sans grandeur… Jusqu’à ma mort, je le revendiquerai avec orgueil. » (p. 168).
Les auteurs ont signé une belle biographie, magnifiquement bien écrite et brillamment dessinée, sur ces années mouvementées de l’après grande guerre pour le jeune couple Malraux. Reposant sur des faits détaillés, ce beau livre est parfaitement mené, construit avec habileté, servi par des dialogues précis, avec un dessin délicat et sublime représentant un écrin à Clara, à travers un crayonné enlevé, idéal aussi pour saisir les mystères des temples cambodgiens.
Finis les « jeux », commence alors le « combat » politique de Malraux ; ce qui fera l’objet de notre recension de lecture du livre d’Yves Le Jariel.
Aziz Bennis
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Raoul Marc Jennar, Comment Malraux est devenu Malraux, Perpignan, CapBear éditions, 2015, 215 p.
Le livre est le fruit des deux passions de son auteur, Raoul Marc Jennar, docteur en Sciences Sociales et en études khmères de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. La première est celle qu’il nourrit depuis des années pour le Cambodge et la seconde concerne l’œuvre de Malraux. Or, il fallait un véritable spécialiste de ces deux domaines pour aborder l’un des aspects les moins éclairés de la vie de l’auteur de La Voie Royale, à savoir son aventure journalistique en Indochine entre 1924 et 1925.
Suivant pas à pas le jeune couple formé par André et Clara, Jennar fait découvrir au lecteur l’Indochine des années 20. Il décrit tour à tour le temple de Banteay Srei, les tribunaux où Malraux et Chevasson furent jugés, les différents quartiers de Phnom Penh, la bibliothèque où le futur romancier relit Nietzsche, Saigon… Abondamment illustré avec des photos, des cartes postales et des plans, le livre de Jennar ressuscite toute une époque en donnant le sentiment au lecteur d’être aux côtés de Malraux et de ses compagnons. Car l’autre atout majeur de l’ouvrage est de montrer que l’écrivain ne fut pas seul : non seulement Jennar redonne toute sa place à Clara Malraux, mais il rappelle aussi l’important rôle joué par Paul Monin, l’avocat des Annamites dont il rétablit la biographie, ainsi que celui de toute l’équipe de L’Indochine. Combinant de riches sources littéraires et historiques à sa grande connaissance de l’Indochine, Jennar fait le panorama de ce qu’était alors la colonie administrée par la France : les quartiers séparés, la corruption des fonctionnaires, le racisme au quotidien, la répression, le bagne de Poulo Condor et ses bourreaux. Tout cela Malraux, jeune dandy parisien indifférent à la politique, le découvre d’abord à ses dépens en constatant lors de son procès qu’il est moins condamné pour le vol des statues que pour ce qu’il représente aux yeux des colons : un communiste fauteur de troubles, marié à une juive et ami des Annamites. Pour Jennar, cette épreuve ouvre les yeux 195au jeune homme sur la situation coloniale et l’engage dans la voie de l’action.
Là réside le cœur de la thèse de l’ouvrage : L’Indochine puis L’Indochine enchaînée sont à la fois une revanche personnelle mais surtout l’occasion de la révélation de l’action fraternelle. Pour Jennar, il n’y a donc pas d’échec de Malraux en Indochine mais une métamorphose politique déterminante. L’auteur insiste notamment sur le rôle joué par le journal dans la dénonciation de certaines affaires de corruption très utilement replacées dans leur contexte historique. La seconde partie du livre propose en effet une anthologie thématique commentée des grands articles de Malraux et Monin. Jennar montre bien comment Malraux espère encore à l’époque une réforme de la colonisation et ne défend pas la cause de l’Indépendance. Néanmoins le conflit est inévitable tant la répression est violente et inique. La reprise de la préface de Malraux au livre d’Andrée Viollis S.O.S. Indochine, placée en conclusion, souligne ainsi l’évolution politique de l’écrivain dans les années 30.
Militant (l’ombre de Jaurès plane sur chaque page de ce beau livre) et remarquablement informé, Comment Malraux est devenu Malraux, nous mène comme dans une enquête policière des archives d’Aix-en-Provence à l’hôtel Raffles de Singapour, de la jungle de La Voie royale à celle des Khmers rouges, pour observer avec étonnement la première grande métamorphose de Malraux : l’insouciant qui portait une rose à sa boutonnière devient un journaliste révolté qui présage le grand écrivain qu’il sera. Jennar signe ici un livre d’aventures, de textes et d’idées qui se lit comme un roman : le lecteur, comme le chercheur, est comblé.
Sophie Doudet
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Jean-Claude Larrat (Dir.), Dictionnaire André Malraux (Préface de Henri Godard), Paris, Classiques Garnier, 2015, 1215 p.
Cet imposant ouvrage d’érudition composé de cinq cent cinquante notices, rédigées sous la direction de Jean-Claude Larrat par une équipe internationale de dix-neuf contributeurs, chercheurs libres et universitaires, propose un parcours permettant d’évaluer en profondeur la richesse et la variété de l’œuvre de Malraux ainsi que les sources intellectuelles de sa pensée tout en apportant un éclairage pertinent sur les remous de l’époque qui ont marqué l’auteur, sur la nature, parfois problématique, de ses relations avec les personnes, sur ses positions vis-à-vis des événements et sur son dialogue avec les œuvres ayant contribué à son cheminement intellectuel, littéraire et artistique. Ainsi, Le Dictionnaire rassemble les différents fragments du visage de Malraux, dont l’action et la pensée englobent le siècle, coupés de leur contexte, disséminés dans les collections privées, les archives et les bibliothèques, à l’image d’un archéologue reconstituant un ensemble cohérent à partir des objets exhumés.
Cette vie à toute épreuve qui, avec ses nombreux paradoxes et tumultes, s’aventure dans l’histoire, témoigne-t-elle de celle-ci, ou bien est-ce plutôt l’histoire qui porte témoignage de cette exceptionnelle existence ? Il semble difficile de trancher. Une chose, cependant, est sûre : de par ses engagements provoquant de fortes objections, cet esprit alambiqué qui touche à tout est l’une des figures les plus controversées du xxe siècle. Au point qu’il n’existe ni pays ni système de pensée avec lesquels il n’ait jeté de passerelle sur le plan de l’action et des idées. Pas non plus de grands problèmes d’ordre existentiel, artistique et éthique qui n’aient traversé ses œuvres et dont il n’ait fait objet de débats. Malraux est de la race des « conquérants » qui furent de leur vivant « faiseurs de mythes », et dont la résonance renvoie le mot à sa racine étymologique muthos, fable. Sa pensée multiple y puisant à son gré s’est penchée aussi bien sur les problèmes brûlants du monde moderne que sur l’histoire 197des arts, brassant des époques et des aires aussi diverses que la période préhistorique, l’Antiquité classique, l’Égypte, le Monde pré-colombien, l’Indochine, le Proche Orient, la Renaissance, les Temps Modernes et la période contemporaine. Il faut chercher l’attrait du mythe, tout comme sa force et sa pérennité, dans la spectaculaire symbiose qu’il réalise entre l’archaïque et le moderne. Quant à la surprenante complexité de la personne, elle provient de son désir de comprendre son époque orpheline de ses valeurs fondatrices et ordonnatrices, en même temps que de sa volonté de redéfinir les références artistiques, littéraires et morales qui s’attachent à elle.
D’emblée apparaît la difficulté de définir une individualité à ce point singulière en la détachant de son contexte historique et de sa géographie culturelle. De même que celle de démêler les étapes jalonnant cette trajectoire nébuleuse et mouvante, où se bousculent dans une chronologie discontinue l’action, l’aventure, la révolution, le tragique, le destin, la mort, l’art, la métamorphose et la transcendance. Force est de constater que cette individualité multiple dans ses apparences est pourtant unique en sa réalité propre. Son unicité relève de sa volonté d’incarner, notamment par le biais de l’art, une vaste mémoire humaine ; sa multiplicité, quant à elle, provient des nécessités de l’histoire dans laquelle retentissent les échos des grands bouleversements, et de son humanisme tragique qui propose de nouveaux repères intellectuels, artistiques et éthiques à la méditation des générations futures.
La spécificité du Dictionnaire André Malraux puise justement sa source dans ce triple désir biographique, historique et philosophique, mêlant géographie, culture, histoire, philosophie, littérature, art, éthique et esthétique. Il explore les différentes facettes d’une vie et d’une pensée qui n’eurent de cesse de se renouveler dans leur dynamisme créateur et dans leur saisissante diversité, animées du souci constant de « transformer en conscience une expérience aussi large que possible ».
Par les synthèses qu’il propose, le Dictionnaire nous offre l’occasion de repenser des thèmes à l’actualité jamais démentie comme : des aires géographiques réparties sur trois continents qui nourrissent pendant près de soixante ans l’imaginaire de Malraux ; de grands espaces culturels qui servent de « lieu mental » à la métamorphose des œuvres d’art à 198travers les siècles et au Musée Imaginaire, « lieu des formes, de l’art » ; des événements historiques qui provoquent la méditation sur la brusque révélation de l’absurde et sur l’expression romanesque du tragique moderne ; des systèmes politiques et idéologiques qui transforment les individus en autant d’automates ; des systèmes de croyance qui, sans toutefois rejeter leur appartenance au fait culturel, répondent au besoin confus des vocations transcendantales ; de nombreux écrivains, poètes, peintres, philosophes, penseurs, hommes politiques, journalistes, intellectuels (dont le nombre atteint 136), tous appartenant à la même race intellectuelle que Malraux et qui nous permettent de saisir les enjeux suscités par la discontinuité de la pensée et de l’esthétique malruciennes ; des personnages romanesques par qui se traduisent les problèmes éthiques, esthétiques et métaphysiques hantant l’écrivain et qui parlent la même langue que lui ; des concepts fondamentaux et des sous-thèmes révélant, dans une tentative presque archéologique, ses thèmes originels et fondateurs ; une nouvelle conception de l’histoire littéraire jugeant que la fortune de l’œuvre littéraire est soumise à la même loi de la métamorphose que l’œuvre d’art, que la bibliothèque (intérieure) est « le lieu des formes », tout comme le Musée Imaginaire, où les œuvres entretiennent une interaction constante, que la littérature doit suivre une courbe non-traditionnelle, à savoir non une temporalité linéaire mais une trajectoire de l’aval vers l’amont sur fond de discontinuité radicale ; le cinéma qu’il considère comme un média nous permettant d’appréhender la totalité d’une civilisation et dont il utilise les techniques dans ses œuvres romanesques (découpage, succession des plans, effets de mouvement de caméra) ; la photographie, qui change radicalement notre perception de l’art et à laquelle le Musée Imaginaire se doit d’exister ; la musique qui, dans l’imaginaire malrucien, représente ce que la voix de l’homme a de plus privilégié, de plus indéfinissable et insaisissable. Ce ne sont là que quelques thèmes nous offrant, à travers des réflexions et des synthèses, la possibilité de restituer une vie exemplaire, « une vie dans le siècle » et dans sa propre histoire, houleuse comme les mers d’Ulysse. Le Dictionnaire nous rappelle la pérennité et la pressante actualité d’une pensée qui mène sans trêve une méditation sur l’existence, l’art et les dynamiques qui animèrent le vingtième siècle. Précisons également que l’ouvrage propose aux lecteurs une approche pluridisciplinaire. C’est d’ailleurs une de ses grandes qualités que de 199permettre à celui qui le consulte d’aborder Malraux par le prisme de disciplines diverses.
Bien évidemment, il convient en premier lieu de situer dans son contexte ce Dictionnaire qui, même s’il n’est pas animé d’une vocation holistique, passe en revue différents faits et aspects de l’homme Malraux, de sa vie et de son œuvre. Quelle est la visée poursuivie par sa rédaction ? Quel est le public ciblé ? En quoi se distingue-t-il de l’ouvrage publié en 2011 sous le titre Dictionnaire Malraux (CNRS Éditions, sous la direction de Charles-Louis Foulon, Janine Mossuz-Lavau, Michaël de Saint-Cheron, avec la collaboration Aziz Bennis, 890 p.) ? Rappelons, entre autres, que les 144 entrées de ce dictionnaire sont reprises également dans le présent ouvrage (elles constituent environ 26 % de la totalité des notices). A-t-on dès lors voulu corriger certains commentaires, y apporter un éclairage nouveau ou compléter des informations supposées manquantes ? Ce n’est certes pas à nous de répondre à ces questions, mais bien au comité éditorial du Dictionnaire. Malheureusement, la préface non plus ne nous éclaire pas sur des interrogations telles que les critères présidant au choix et à l’ordonnance des « notices », les principes qui furent mis en avant pour la préparation du Dictionnaire, sa portée, ainsi que les hypothèses sur lesquelles il repose.
Faisant suite à la préface, la rédaction d’un avant-propos où auraient été reprises ces questions eût été, du point de vue du lecteur, une entreprise digne de la valeur et de l’importance inestimables de l’ouvrage. De plus, dans cette entreprise colossale et collective de 1215 pages, l’absence d’un outil de référence indispensable comme une table des notices traitées par ordre alphabétique, – même si elle soulève la question en apparence saugrenue d’une table des matières dans un dictionnaire –, ne permet pas au lecteur, avant d’avoir tourné les pages, de savoir ce qu’il va découvrir et comment se diriger dans la masse d’informations. En outre, une table des matières aurait offert au lecteur la possibilité de saisir d’un seul regard l’ampleur et la quasi-exhaustivité avec laquelle le Dictionnaire traite de Malraux. Nous aurions également souhaité voir figurer en annexe du Dictionnaire, fruit d’une collaboration internationale, une bibliographie internationale reprenant au minimum les études principales consacrées à l’auteur.
Soulignons toutefois que ces critiques dirigées sur l’aspect formel du Dictionnaire ne portent en rien préjudice à son contenu, son importance, 200sa valeur ainsi qu’à la grande qualité des écrits qui y prennent place, en un mot, au fait qu’il doive être considéré comme un outil et un guide de référence fondamentaux.
Quant à l’évaluation sur le fond des notices du Dictionnaire, au premier abord nous relèverons une grande rigueur sur le plan méthodologique, plus particulièrement dans l’agencement des textes, leur consistance interne, ainsi que du point de vue de l’adéquation des exemples aux sujets traités. Concernant l’examen des concepts, ceux-ci sont tantôt, après avoir été évalués dans leur propre champ sémantique, mis en relation avec la pensée de Malraux, tantôt, explicités directement dans le cadre du corpus et du contexte malruciens. Cependant, pour certaines notices, nous déplorons que la rigueur de l’argumentation ait été, ça et là, sacrifiée au format par définition limité de l’entrée de dictionnaire et à la nécessité d’une concision d’expression. En outre, parcourant toutes les notices, la diversité des points de vue, de la langue empêche l’émergence d’un discours total et cohérent en lui-même. Il s’agit là évidemment d’un fait presque consubstantiel à toute entreprise collective. En dépit des difficultés évoquées plus haut, d’évidence tous les contributeurs ont procédé à une analyse étendue du champ, fait preuve de sens critique, et ont été animés d’un réel désir d’analyse et de créativité.
Plus particulièrement, il faut souligner que les notices traitant des concepts artistiques révélant l’histoire de l’art sont rédigées avec une remarquable compétence qui ne pourra que séduire les spécialistes du domaine. En outre, elles laissent transparaître une grande profondeur philosophique. Considérées dans leur totalité, ce qui les lie dans une signification presque englobante, est-ce la perception de l’art de Malraux, ou bien sont-ce ces éclairantes synthèses ? Répondre à cette interrogation n’a rien d’aisé. Une autre des caractéristiques de ces études, pouvant être lues chacune indépendamment, est de faire dialoguer le lecteur avec les textes de philosophie contemporaine (Benjamin, Derrida, Blanchot). À nouveau, le choix délibéré de s’adresser à un public érudit et le traitement des concepts envisagés dans toutes leurs nuances, selon une large perspective abstraite et spéculative, risquent de décourager les autres types de lecteurs potentiels. Relevons aussi que la diversité dans la forme de rédaction des contributeurs traitant des entrées parfois proches, ainsi que la diversité des élucidations parfois contradictoires qu’ils nous proposent, confèrent au dictionnaire un caractère de colloque vivant. 201On pourrait affirmer que cette coloration polyphonique et pluraliste n’est pas le vœu le moins souhaitable pour un dictionnaire d’auteur.
Une autre particularité du Dictionnaire est d’y trouver, à côté d’une notice ayant, pour diverses raisons, insuffisamment développé l’un ou l’autre concept, une autre notice où ce concept est explicité et développé plus clairement. Peut-être même que le côté discutable de ce débordement des notices l’une sur l’autre, que nous avons observé surtout pour les écrits sur l’art, du fait qu’il tisse des liens organiques entre les entrées, doit être considéré comme un élément positif.
Au sein d’une même notice, la reprise et le renvoi sous forme d’astérisque des sujets traités dans le Dictionnaire permet de mieux faire ressortir dans ses ramifications la cohérence de la pensée de Malraux, tout en conférant une profondeur à la notice et une assise pertinente au dialogue des idées d’une entrée à l’autre.
Les écrits, qui constituent 24 % des notices du Dictionnaire, traitant des intimes de Malraux, des amis qui l’ont accompagné une partie de sa vie, des riches individualités, écrivains, poètes, peintres, penseurs, philosophes, hommes politiques ou d’État, journalistes et intellectuels, avec lesquelles, grâce à certaines lectures, il a créé des liens, situent, d’une certaine façon, sa pensée dans son contexte social et intellectuel et nous éclairent quant aux sources dont il s’est nourri. Ils nous permettent également de mieux comprendre le « laboratoire mental » de l’auteur, son parcours thématique, ses hantises, ses choix et ses préférences. Peut-être même est-ce une des richesses incontestables du Dictionnaire que de nous permettre, par l’intermédiaire des personnes avec lesquelles il entretint des relations constantes et explicites et par le portrait de l’homme qu’elles nous ont livré, d’appréhender Malraux, sa vie, son œuvre, son imaginaire, sa sensibilité plastique et de critique d’art.
Les écrits traitant de la culture, de la religion et des arts de l’Afrique, du Proche Orient (Égypte, Grèce, Mésopotamie, Perse) et de l’Asie au sens large (Inde, Chine, Indochine, Japon) nous révèlent la mystérieuse et profonde composante spatiale de l’imaginaire malrucien. D’une part, ils nous permettent, de mieux comprendre les relations problématiques entretenues par Malraux avec la civilisation européenne ayant perdu ses valeurs et ses idéaux, et de l’autre, nous rappellent ce que nous devons à l’historien de l’art qui exhuma de l’oubli un patrimoine mondial, une mémoire collective de l’humanité pour les rendre à la vie à travers 202les différentes facettes de son projet de Musée Imaginaire. Le mot de Malraux « je suis en art comme on est en religion » doit être compris non pas comme une simple boutade glorifiant l’art, mais bien comme une parole professant son appartenance à l’humanité et son défi face à la mort. Qui pourra affirmer que l’approfondissement de l’englobant de la création par l’intellectualisation de l’art, la métamorphose qui assure la survie de l’œuvre d’art et qui la rend plus intelligible et pérenne, le Musée Imaginaire qui annexe les œuvres de toutes les civilisations et où toute œuvre se révèle comme œuvre d’art et poursuit un dialogue ou une confrontation continu, l’appréhension de cinq millénaires d’histoire de l’art à travers une chronologie discontinue (le surnaturel, l’irréel et l’intemporel), n’ont pas révolutionné notre conception de l’art ?
Parmi les notices sujettes à controverses, celle concernant les relations de Malraux à l’Islam attire l’attention. En effet, nous pouvons difficilement soutenir que, une fois posée la problématique de la représentation dans cette religion, l’affirmation d’une réelle sympathie de Malraux pour l’Islam en tant que spiritualité et source de création artistique repose sur des bases solides. Si, à différentes époques et dans divers contextes, Malraux fait bien référence au Coran, à l’art de l’ornementation islamique, à son architecture, cela ne signifie pas pour autant qu’il ignore que la prohibition de la représentation figurative dans l’Islam orthodoxe – même si cet interdit n’est pas explicitement exprimé dans le Coran – empêche le développement des arts plastiques et de la sculpture – rappelons au passage que la miniature n’est pas un art de l’Islam, et que l’arabesque n’est pas une peinture –, et que l’aniconisme musulman enferme les artistes dans le cadre restreint des arts ornementaux. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler le regard jeté dans les Noyers de l’Altenbourg par Vincent Berger sur l’Asie de l’Islam orthodoxe. Certaines des notices du Dictionnaire (« agnosticisme », « Touran ») viennent confirmer ce point de vue.
Sans conteste, l’un des points forts du Dictionnaire André Malraux, qui s’adresse à une large audience (étudiants, amateurs de littérature, public avisé, spécialistes), réside dans le fait de, s’abstenant de toute réserve et de toute interrogation intrusive concernant la biographie de l’auteur, ressaisir Malraux à travers une multiplicité de points de vue et de perspectives, de tenter d’expliquer des concepts clé et des problématiques, et peut-être plus encore de corriger certains malentendus et 203certaines idées reçues. Cependant, au-delà de cette dimension didactique, le mérite principal du Dictionnaire est avant tout de stimuler les esprits autour de nouveaux colloques et d’ouvrir des perspectives pour l’avenir en présentant au lecteur les analyses aussi diverses que pertinentes des différents contributeurs, et par là même de soulever de nouveaux débats ainsi que des enjeux inédits. La prise de position des critiques par rapport à la pensée de Malraux rappelle celle de ce dernier vis-à-vis de l’art. En effet, partant du texte de Malraux, ils élargissent par cercles concentriques le cadre de sa pensée. Il ne serait pas faux de considérer la totalité de ce Dictionnaire comme une métamorphose continue des visages de Malraux : « C’est l’un des caractères majeurs de la création […] de vouer l’œuvre à la métamorphose, donc de lui donner proprement la vie. » (VI, 908). De la sorte, l’ouvrage que nous tenons entre les mains n’est pas un Dictionnaire au sens propre. Tout comme « l’art est un anti-destin », les mémoires sont des Anti-mémoires, peut-être conviendrait-il de qualifier le Dictionnaire d’Anti-Dictionnaire, selon une terminologie qui n’aurait pas manqué de plaire à Malraux. Quoi mieux que ce concept pourrait en effet expliquer l’importance d’un écrivain inclassable qui apporta sa contribution à « la légende du siècle », l’originalité de sa pensée condamnée à la métamorphose, son actualité, sa postérité sans cesse croissantes, ainsi que l’intérêt toujours vif qu’il continue de susciter auprès des nouvelles générations ?
Kemal Özmen
1 Paris, Seuil, 1973 ; coll. « Points Histoire », 1976.
2 [1928] Paris, Grasset.
3 Luc Cédelle, « Mort de Jean Lacouture, journaliste et biographe, vorace et humaniste », Le Monde, 17 juillet 2015.
4 Paris, Gallimard. Voir, par exemple, la page 318 : « L’art naît précisément de la fascination de l’insaisissable, du refus de copier des spectacles (c’est moi qui souligne) ; de la volonté d’arracher les formes au monde que l’homme subit pour les faire entrer dans celui qu’il gouverne. »
5 Paris, Gallimard, 1977, p. 152.
6 [1957] Cambridge MA, Harvard University Press, 3e éd. 1974. C’est une lettre que Lacouture m’a adressée en été 1980 qui m’a révélé cette connexion. Lacouture avait d’ailleurs passé un semestre à Harvard en 1966. Geoffrey L. Thomas a publié un portrait de lui à cette époque dans le quotidien des étudiants, le Harvard Crimson, le 2 mars 1966.
7 Sorti dans les Cahiers François Mauriac no 8 (1981), dont mon « Mauriac polémiste quoique ou parce que chrétien ? », p. 174-186.
8 Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel : introduction à la psychocritique, éditions José Corti, 1963.
9 Phan Boi Chau, 1867-1940 : le nationalisme vietnamien avant Ho Chi Minh. Préface de Pierre Bouet, Paris, L’Harmattan, « Recherches asiatiques », 2008. 344 p.
10 Jean Lacouture, André Malraux : une vie dans le siècle. Paris, Seuil, 1973. 452 p.
11 L’Indochine enchaînée, no 3.
12 « Paul Monin, fondateur avec moi du Jeune-Annam, et le premier avocat de Cochinchine, avait donné sa démission du barreau parce que “de son temps, l’hermine se portait blanche” », écrit Malraux dans les Antimémoires, op. cit. p. 338.
13 Nous avons eu l’occasion de nous attarder sur certains aspects de l’aventure rocambolesque de Malraux en Indochine et du tapage juridico-journalistique qu’elle a provoqué. Voir les chapitres 2 et 3 de notre ouvrage André Malraux. Histoire d’un parcours entre deux tentations croisées : le réalisme journalistique et le monde imaginaire du mythomane. Lille, Presses Universitaires du Septentrion, « Thèse à la carte », 2001. 744 p., respectivement intitulés « L’invitation au voyage ou la découverte brutale du monde réel », p. 52-79 et « Les premières expériences d’André Malraux journaliste engagé : Étude des articles et des éditoriaux de L’Indochine et de L’Indochine enchaînée », p. 80-175.
14 Nous n’en citerons que deux : – Gilles Néret et Alfred Morera, La Vie de André Malraux – Scénario de Gilles Néret, dessins d’Alfred Morera, mise en couleur de Anne Foujerouse, Paris, Daniel Briand / Robert Laffont, « Une vie, une œuvre », D. Briand ; 1986, 48 p. – Jean-Pierre Pécau, Leo Pilipovic, Le Grand jeu. Tome 4 : L’Indochine – Scénario de Jean-Pierre Pécau, dessin de Leo Pilipovic, couleur de Thorn, Paris, Delcourt, « Neopolis », 2010. 56 p.
15 Paru en 1962 aux Éditions Grasset & Fasquelle.
16 Le dossier du tribunal concernant l’affaire Malraux est conservé aux Archives nationales cambodgiennes.