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Classiques Garnier

[Introduction à la deuxième partie]

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La première partie de notre étude a tenté de mettre en évidence la logique de lœuvre, en lien avec les caractéristiques de lécriture, autour de la défense des femmes, thèse chère à Mme de Murat. Lanalyse serait pourtant incomplète si elle ne prenait pas en compte linscription de cette même œuvre dans un univers de discours qui la déterminent et quelle sattache à critiquer. En effet, tout en renforçant les liens de cohérence entre des récits unifiés par lintérêt pour la cause féminine, la comtesse évoque, au sein de son œuvre, un interdiscours1 qui permet de saisir les véritables enjeux, essentiellement critiques, de son combat. Cest alors à un élargissement de la question féminine que nous invite Mme de Murat, conférant ainsi une plus grande portée à son entreprise, à la charnière entre deux siècles.

Peut-être à défaut de pouvoir renverser le rapport entre les sexes, Mme de Murat sintéresse en effet aux discours, quils émanent dun champ littéraire de plus en plus autonome ou quils soient issus de la sphère sociale, puisque ce sont eux qui véhiculent une certaine image des femmes, de même quils sont linstrument privilégié de lautorité patriarcale. Notre nouvel axe de travail consistera donc à observer que la question de loppression patriarcale, et plus largement celle du rapport à autrui, nentraîne pas seulement, de la part de Mme de Murat, la condamnation dun comportement ou dune attitude ressentie comme hostile, mais quelle donne lieu à la dénonciation dun discours sinscrivant dans une remise en cause de lensemble des propos qui parviennent à ses yeux et à ses oreilles, quils concernent ou non les femmes, quils sadressent ou non à elles. La lecture attentive de lœuvre permet justement de repérer la récurrence dune mise à distance des discours dautrui, en raison du rapport de force quils instaurent entre un émetteur autoritaire et un récepteur dont la crédulité est entretenue. Cest ainsi le non-respect des règles du jeu communicationnel que fustigerait avant tout la comtesse, y voyant la principale source et la modalité privilégiée de laliénation sociale2.

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Plus précisément, la défense des femmes se veut une réplique à ceux qui alimentent les préjugés sur les femmes, quil sagisse dauteurs de mémoires galants ou des représentants des autorités institutionnelles. Cest alors à une véritable analyse des discours, définis comme autant dobjets de croyance imposés avec autorité à ceux à qui ils sont destinés, que sadonne la comtesse, soucieuse de démonter les mécanismes de ce qui nest bien souvent que fiction cherchant à abuser de la crédulité des plus faibles. Il ne sagira pas de rapprocher les contenus des différents discours, mais den comparer les conditions dénonciation, les caractéristiques et les visées, afin den saisir le point commun quon pourrait reformuler de la façon suivante : la tentation de tout discours de se présenter comme un article de foi.

Dès lors, la vraie réplique consiste à une prise de distance par rapport aux discours, quil convient de décrypter pour échapper à lemprise sociale. Cette critique des autorités se traduit également par une poétique, repérable dans lensemble de lœuvre, et impliquant léducation du lecteur à un certain mode dappréhension des textes. La femme auteur qui écrit acquiert alors un statut que lui confère la maîtrise des discours, occasion inespérée dêtre valorisée pour celle qui cherche à se faire entendre à tout prix.

1 On appelle interdiscours « lensemble des unités discursives avec lesquelles un discours particulier entre en relation implicite ou explicite » (Dictionnaire danalyse du discours, op. cit., p. 324).

2 Mme de Murat emploie le terme de « discours » à plusieurs reprises dans son œuvre (voir par exemple MdeM, I, p. 343-344 ; V, p. 38, 169-170 ; L, p. 181 et 198), en le reliant le plus souvent à une figure dautorité. De façon générale, cest lensemble des pratiques socio-discursives, telles quelles sont évoquées par P. Charaudeau et D. Maingueneau dans leur introduction générale au Dictionnaire danalyse du discours annonçant létude de « productions transphrastiques, orales ou écrites, dont on cherche à comprendre la signification sociale » (op. cit., p. 7), quon tentera de repérer dans son œuvre, en observant la façon dont les énoncés renvoient également au système qui permet de les produire.