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Classiques Garnier

Annexe II Manuel Devaldès, « L’Art nouveau », La Revue rouge, 1896

  • Prix Robert de Montesquiou 2023
  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Littérature et Art nouveau. De Mallarmé à Proust
  • Pages : 647 à 649
  • Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 124
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406143260
  • ISBN : 978-2-406-14326-0
  • ISSN : 2258-4943
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14326-0.p.0647
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/02/2023
  • Langue : Français
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Annexe II

Manuel Devaldès, « LArt nouveau »,
La Revue rouge, 1896

Le bel événement de ce janvier dernier, certes, ce fut louverture de ce sanctuaire dArt quà juste titre M. Bing a dénommé : LArt nouveau, manifestation en prélude à linstauration de lArt dans la vie journalière, geste isolée en ce pays mais marchant de concert et internationalement liée aux belles expositions dart décoratif de Londres et de la Libre Esthétique et de la Toison dor à Bruxelles.

Ma visite en un jour où la salle était délivrée des papotages du snobisme, où je pus savourer à laise du regard les formes légères et graciles de ces meubles, les suaves et gracieux contours de ces verreries, de ces vases, les couleurs si allègrement clameuses ou tendrement discrètes de ces peintures, décorations ou tapisseries, pourrait faire lobjet dun ardent poème de lAdoration du Beau.

Cest bien là le rendez-vous de ce quil y a de vraiment vivant et jeune parmi les artistes des nouvelles écoles. Là sont réalisées des conceptions inédites ou peu divulguées. On a critiqué lépithète de « nouveau » quavait donnée à son exposition M. Bing ; on na – je le crois – pas compris sa pensée. Il y a là très peu de choses irrévélées pour nous, critiques dart, mais pour la foule quil appelle à la visite de son exposition, tout cela est nouveau puisque ne date que de quelques années. Je trouve quau contraire il sest produit un effort évident à sortir des enseignements surannées en ces temps derniers et que le résultat de cette tendance figure là. Des meilleurs – sinon tous – parmi les artistes impressionnistes et symbolistes y figurent et les rares artistes frais émoulus des écoles vieillottes qui y exposent se montrent sous un jour supérieur à celui de leurs productions précédentes.

Les longues énumérations dœuvres me répugnent, cest besogne de catalogueur ; aussi bien nai-je ici quà traduire mon impression de 648lensemble, cest ce que je fais. Cependant, je signalerai en passant la dignité somptueuse du Salon Besnard, décoré dun plafond et de panneaux exquis du maître, dans la manière robuste et claire que lon sait ; une cheminée avec chauffeuses de Van der Velde et un paravent peint du si précieux artiste Bonnard sont, ainsi que les verrières des fenêtres en parfaite harmonie avec le reste de la pièce. Comme on est loin des clinquants salons Louis XV !

Je signalerai aussi la Salle à manger avec meubles de Van der Velde charmants de simplicité, la vaisselle décorée par Vuillard a le charme de linédit dans ce genre, la cheminée de Van Rysselberghe est appropriée au goût de lameublement.

Je dirai beaucoup déloges du Fumoir de Van der Velde en collaboration avec Georges Lemmen, parfaitement accueillant, rempli de la douce intimité qui sied à cette salle de confidences masculines.

La Chambre à coucher de Maurice Denis a été très diversement appréciée. Il y a là cependant dépense de force talent, mais on na pas dû comprendre la pensée, traduite en de symboliques représentations, dérotisme maladif et virginal que jai toujours aimé trouver dans les œuvres du jeune maître.

Il y a encore le Boudoir-sachet de Conder, mais tout serait à citer pour la répudiation du déjà-vu, la recherche de linconnu, du mystérieux, tout en restant dans une exquise simplicité, pour le désir de lœuvre belle, à la fois simple et évocatrice. On sent que telle est la préoccupation des exposants, et cela est bien, et cela est beau.

Il y a aussi de petites sculptures, des maîtres actuels sont représentés, Rodin, Constantin Meunier et des maîtres prochains, Jean Dampt, Fix Masseau, Alex Charpentier, Pierre Roche, Victor Rousseau.

Il y a des bijoux – oh ! quels bijoux – des poteries, des vitraux et des verreries de Tiffany, des grès de Dalpeyrat, des tapisseries. Je ne cite que très peu de noms, presque tout serait à nommer et lespace me manque. Je dis seulement que presque tout est beau et sans reproche – au moins pour lheure présente.

Il y a aussi des tableaux, et cest là le seul reproche que jadresserai à M. Bing qui eût dû sen tenir pour la peinture, à la décoration murale et ne pas chercher à assembler dinutiles toiles peintes entourées de cadres baroques sur les murs qui eussent produit un effet autrement imposant sils avaient été ornés de peintures décoratives, telles certaines 649pièces de la galerie, ou de papiers peints originaux. Encore est-ce là un détail dorganisation excusable pour une première exposition et M. Bing voulant sans doute faire intégralement œuvre de « nouveau » reconnaîtra la justesse de la critique. Le rôle du tableau de chevalet sera nul dans le monde où doit fleurir lArt rénové. Mais je ninsiste pas ; le talent de ces peintres eût été mieux employé à la décoration et cest en considérant ce quil eût pu engendrer que jai eu quand même grande joie à contempler les Luce, les Van Rysselberghe, les Besnard, les Signac, les Henri Martin, les Aman-Jean, les Brangwyn et tant dautres œuvres maîtresses.

Il est à supposer que M. Bing tiendra compte des critiques et quaussi il étendra son essai de rénovation à dautres manifestations de lart appliqué. Il y a là, en tout cas, une tentative louable, appelée à la réussite malgré les ennemis intéressés ou simplement stupides qui se sont levés contre elle. On a, par exemple, vu comment M. Arsène Alexandre, critique dart, mais arriviste avant tout, lavait salie, comment il avait retourné sa veste et vilipendé ceux quhier il soutenait.

Mais laissons ces sanies. Au sortir du Temple esthétique, franchie la porte aussi inédite de Louis Bonnier contemplées les charmantes frises de Brangwyn, limagination sessore vers les lointains du Rêve et une Renaissance – utile celle-là – apparaît imminente, pour la Vie belle et bonne.