Introduction

Ce cinquième numéro est consacré à l’étude de la thématique de l’enfance sous tous ses aspects, dans la culture arabo-musulmane d’aujourd’hui et, prioritairement, dans la littérature arabe contemporaine (arabophone et francophone, en ce comprise la littérature pour enfants ou adolescents. Longtemps considérée comme un élément mineur dans la société, encore peu étudiée par les critiques scientifiques, l’enfance, objet et sujet littéraire, prend, au fur et à mesure du développement de la psychanalyse, davantage de place dans la littérature contemporaine : choyée, nostalgique, sacrifiée, brisée, humiliée, maltraitée, l’enfance prend des allures de thématique fondamentale.

Reprenant à leur compte l’observation de Jean-Jacques Rousseau, selon qui « L’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres », les auteurs arabes d’aujourd’hui ont pris conscience les potentialités sensorielles et narratives de l’enfant, et les exploitent dans des textes de types variés qui vont de l’autobiographie et du témoignage à la fiction – roman ou nouvelle satirique, réaliste, initiatique, policier ou fantastique –, en passant par les genres populaires que sont la bande dessinée et le cinéma. De l’innocente victime à la garantie d’un avenir meilleur, martyr ou coupable, l’enfant est tantôt un personnage secondaire de l’espace fictionnel contemporain – témoin muet des drames du monde adulte –, tantôt le héros principal d’autobiographies justificatrices, initiatiques ou dénonciatrices. Entre réalisme et onirisme, fantasy et romantisme, poésie et humour, les romanciers adultes arabophones ou allophones se remémorent les événements de leur enfance pour justifier les orientations de leur vie future ou dressent des portraits d’enfants qui, pour survivre dans un univers hostile et cruel de traditions sclérosantes, de tyrannies ou de guerres, développent des stratégies diverses…

Dans ce volume, vingt-quatre universitaires se penchent sur le thème de l’enfance dans la culture arabe moderne et contemporaine. Ils développent cette thématique non seulement d’après les écrits d’un très riche 16et très varié échantillon d’auteurs arabes du Machreq et du Maghreb, poètes ou romanciers, mais ils étudient aussi l’image de l’enfant dans le théâtre algérien ou libanais, dans le cinéma tunisien et marocain ou dans les magazines arabes pour enfants.

Cinq axes de recherche y sont analysés : les représentations de l’enfant entre souvenirs, illusions et reconstitution, les récits d’enfance au féminin, enfance constitution et affirmation identitaires, l’enfance sacrifiée ou en lutte et la culture enfantine et adolescente de l’enfant public.

Ces travaux académiques s’appliquent à analyser les caractéristiques de l’enfance chez des auteurs arabes ou d’origine arabe, d’expression arabe ou française : pour l’Algérie, Mohamed Kacimi, Abdelkader Djemaï, Abdel Hafed Benotman ; pour l’Égypte : Sonallah Ibrahim, Gamal Ghitani, Nawāl Sa‘dāwī, Mīrāl al-Ṭaḥāwī ; pour le Maroc, Sonia Ouajjou, Safia Azzedine, Fouad Laroui, Nabil Ayouch, Rachid O ; pour la Palestine ; Mahmoud Darwich, Saḥar Ḫalīfa ; pour le Liban, Alexandre Najjar, Yasmine Char, Chouchou ; pour l’Irak, Jabbar Yassin Hussin ; pour la Syrie, Samar Yazbek, Salim Barakat, Mohed Altrad.

Ces contributions forment un orchestre symphonique qui rassemble le féminin, le masculin, le romanesque, le poétique, le théâtral, le cinématographique, le scripturaire et l’iconographique faisant émerger les interactions entre la constitution d’une identité et le retour mémoriel nostalgique à l’enfance ; les relations entre l’enfant et la société, qu’il s’agisse de sa famille ou d’un cercle plus large ; les difficultés de la construction morale, sociale, religieuse et politique de l’enfant arabe d’aujourd’hui.

Laurence Denooz
et Nehmetallah Abi-Rached