Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Libertinage et philosophie à l’époque classique (xvie-xviiie siècle)
2018, n° 15. Pierre Bayle et les libertins - Auteurs : Gengoux (Nicole), Girard (Pierre), Lærke (Mogens)
- Pages : 9 à 11
- Revue : Libertinage et philosophie à l'époque classique (xvie-xviiie siècle)
- Thème CLIL : 3126 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie
- EAN : 9782406086291
- ISBN : 978-2-406-08629-1
- ISSN : 2649-1826
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08629-1.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 16/11/2018
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
Avant-propos
Nous voulons tout d’abord exprimer notre reconnaissance à l’égard de nos prédécesseurs à la direction de la revue, Antony McKenna et Pierre-François Moreau, pour le travail qu’ils ont accompli en faisant de Libertinage et philosophie au xviie siècle une revue originale et irremplaçable qui donne au xviie siècle une dimension nouvelle. Ils ont fondé la revue en 2000, conscients qu’il fallait encourager les recherches portant sur ce versant encore méconnu du xviie siècle, un siècle entièrement dominé par l’Église et le pouvoir royal : cet « envers du Grand siècle » est celui d’une pensée critique qui, même si pour des raisons évidentes, mais trop souvent oubliées, de sécurité, elle ne peut s’exprimer ouvertement, ne le fait pas moins de façon secrète, indirecte (faux éditeurs, faux nom d’auteur, anonymat) et en utilisant une stratégie d’écriture variée qui lui sert de masque, pour lancer ses traits contre le principe d’autorité et le dogmatisme de la croyance.
Ces auteurs, que l’on a nommés les « libertins érudits » depuis l’ouvrage de René Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du xviie siècle (1943), s’appuient sur une culture antique immense qui leur permet non seulement de tisser un réseau d’allusions propice à la « lecture entre les lignes », mais aussi d’opposer à la Bible, une autre source, la philosophie des Anciens : Stoïciens, Épicuriens, Cyniques, Sceptiques etc. ou une source déjà utilisée par les théologiens (Aristote), mais qu’ils réinvestissent à leur manière. En se référant à ces penseurs d’avant le christianisme, ils nous proposent une pensée naturaliste et dépourvue de transcendance. Naît alors un épicurisme, un scepticisme et un aristotélisme « modernes » qui peuvent (ce que, du moins, ils prétendent) se concilier avec la foi mais préparent aussi la sortie de la religion. Les positions des « libertins » sont diverses et la catégorie de « libertin » a même fait l’objet de discussions. Il reste que tous ces penseurs et écrivains s’inscrivent dans des mouvements qui montrent la fragilité de la façade prétendue homogène du siècle.
10Comme les « libertins » sont aussi des lecteurs de leurs aînés du siècle précédent (Montaigne, Charron, Bodin etc.) ainsi que, bien plus tôt, des Italiens de la Renaissance (Machiavel, Pomponazzi et la tradition aristotélicienne de Padoue, etc.), il fallait prolonger leur étude dans ces directions historique et géographique. Et comme leurs écrits peuvent également éclairer des auteurs qui, à l’aube du siècle suivant, proclameront plus ouvertement leur exigence de liberté de conscience et d’expression (Spinoza, Bayle, Fontenelle etc.), il convenait de ne pas les étudier séparément. C’est pourquoi McKenna et Moreau après avoir abordé tous ces thèmes dans leur revue pendant une dizaine d’années et lancé, ainsi, de nombreuses pistes pour la compréhension du « libertinage » ont, l’an passé, au moment de changer d’éditeur (Classiques Garnier), changé le sous-titre qui devient « à l’époque classique, xvie – xviiie siècle », ouvrant ainsi le libertinage à sa dimension plus large de « libre pensée ».
Nous souhaitons prolonger leur effort en ouvrant la revue aux différents aspects de la « libre pensée » à l’époque classique, maintenant qu’il est avéré qu’elle existe bel et bien, comme le montre le succès de ces dix années de publication continue de la revue. Il nous faut l’approfondir, en explorer les formes plus ou moins fidèles à la religion, ou franchement matérialistes et athées, françaises ou étrangères, mais toutes, européennes et liées à l’essor de la République des Lettres. Les conditions économiques et sociales en expliquent bien sûr, l’émergence, et celles-ci ont aussi toujours été les bienvenues dans cette revue. L’intérêt actuel pour les Lumières rend ces études d’autant plus utiles que l’on parle souvent de façon vague et erronée des « racines » : soyons clairs, il ne s’agit nullement pour nous de découvrir des « racines ». En effet, une grande leçon, sans nul doute, d’une étude sérieuse des sources est de reconnaître qu’elles sont multiples et, finalement, se confondent. Mais dégager leur cheminement offre un intérêt majeur qui est de dénoncer les illusions d’origine idéologique.
L’importance des stratégies d’écriture des libertins fait que ces « représentations » et ces « idées » ne sont pas la propriété des seuls philosophes et la revue, malgré son titre, comprend autant d’articles écrits par les spécialistes désignés par l’Institution comme « littéraires » que comme « philosophes ». De même, nous rejetons la coupure entre les auteurs dits « mineurs » et les « grands » philosophes : les auteurs de la libre 11pensée peuvent être des poètes, des romanciers, des fabulistes, d’aimables conteurs ou des auteurs de traités systématiques, tous ayant en commun des positions, plus ou moins conceptualisées, qui remettent en question l’ontologie, l’épistémologie, la physique et la morale officielles issues de la théologie : à ce titre, ils peuvent alors, par leurs questions, leurs moqueries ou simplement leur étonnement, susciter la réflexion des philosophes (Hobbes, Bayle, Spinoza etc.) de même que, réciproquement, les philosophes peuvent fournir à ces penseurs des outils conceptuels : le dialogue est constant entre les « libertins » et les « philosophes ».
Notre revue est ouverte à tous les chercheurs. Elle se veut être à la fois spécialisée et ouverte à toutes les interprétations, comme elle l’a toujours été.
Nicole Gengoux,
Pierre Girard,
Mogens Lærke