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Classiques Garnier

Avertissement du nouveau tirage

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Lettres philosophiques I
  • Pages : 7 à 11
  • Réimpression de l’édition de : 1964
  • Collection : Société des Textes Français Modernes, n° 87
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406108542
  • ISBN : 978-2-406-10854-2
  • ISSN : 2777-7715
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10854-2.p.0007
  • Éditeur : Société des Textes Français Modernes
  • Mise en ligne : 18/11/2020
  • Diffusion-distribution : Classiques Garnier
  • Langue : Français
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Monument de rigueur scienti&que, l'édition de Lanson, parue d'abord en i9ocJ, demeure, près d'un demi-siècle plus tard, le chef-d'a;uvre de la critique textuelle. Le fameux graphique généalogique des diverses éditions, en particu- lier, qui avait abasourdi le profane, consterné les gens de goirt et fait ricaner la critique impressionniste, devint le triomphal prototype d'une lignée vivace. Comment se pré- sente aujourd'hui cette édition, après les travaux de N. L. Tor- rey, G. R. Haveras et R. Naves entre les deux guerres, suivis de ceux de I. O. Wade, G. Honno et R. Pomeau, auxquels s'ajoutent la monumentale édition de la Correrpondance et les publications de l'Institut Voltaire à Genève ? Ce nou- veau tirage (le précédent remonte à t937) offrait l'occasion d'un bilan, et, à défaut d'une impossible refonte, d'une indispensable mise à jour.
Dans l'établissement du texte, sa tàche essentielle, Lan- son semble avoir une fois pour toutes épuisé les ressources. Nous n'avons que très peu trouvé à corriger ou ajouter sur ce point. Une étude ~omplète des variantes, forme et fond, esquissée par Lanson dans son article de la Revue de Paris r, dépassait notre propos. Quelques Noter complé- mentairer (zq et 77, par exemple) posent de nouveaux jalons.
Il n'en va pas de même du commentaire, que Lanson lui-même avait commencé à revoir dans une ze édition (tgt5-r7) 9. Dans l'ensemble, ses notes nous comblent,
r. V. et ler Lett. Pbil. comment V. foirait un livre, A de P xv
r. En rgr8, un petit fascicule de q pp. (fort rare) recueillit, outre l'erratum de la rte éd., toutes les Additionr et correctionr, de
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mais ne nous contentent plus. Ce champion des sources et des parallèles en poussait Ja recherche à l'infini. Ce zèle serait-il encore de mise aujourd'hui ? Dans le doute, nous avons cu garde d'alourdir cette partie.
Les détails sur les personnes, au contraire, spécialement les relations anglaises de Voltaire, nous ont paru un peu courts, et nous les avons complétés t. D'autre part, si les premiers volumes de la Correspondance modifient peu, pour la période anglaise, l'image yu'en donna, des i~c 3, la remar- quable édition de L. Poulet a, la publication des Notebooks par Th. Besterman (Genève, t 95 z, z vol.) rendait caduques les pp. xlvi et xlvii, ainsi que de nombreuses notes, d'au- tant plus que le Carnet que Lanson appelle Asbburubam, et Besterman Cambridge, a cessé d'ëtre inédit, tandis que l'autre, celui de Léningrad, très mal édité par Caussy, a trompé Lanson plus d'une fois. Nous avons donc refait un dépouil- lement complet de ces deux textes, aliments d'une quin- zaine de notes nouvelles s.
L'ampleur des problèmes textuels et les strictes bornes que s'était fixées Lanson, au point de bannir l'étude d'en- semble de ses propres trouvailles par un scrupule bien incommode', interdisaient toute interprétation. Une telle sobriété, qui fit longtemps école, passerait aujourd'hui pour sécheresse. niais, en i goq, contre la paraphrase, le lyrisme et le dogmatisme, l'austérité restait encore la meilleure arme de l'histoire littéraire naissante. L'Introduction idéale
la ze, permettant ainsi aux possesseurs de la tee de se mettre à jour à peu de frais.
r. CE R. Potneau, V. en Angleterre, Les eureignementr d'une liste de JOlfrCrrptTOfl, Aunaies publiéer par la Fac. der Lett. de Toulouse, Littératures iii (Janvier tgss), E7-77, article auquel nous devons beaucoup.
z. Lanson, qui a connu cette édition, ne la cite qu'une fois (ii, p. 303), et encore pour la critiquer. Devons-nous y voir quelque dépit ?
3. Ce travail a été esquissé par K. R. Wilson-Jones, V. 'r Let- ters and Notebooks in Engli.rh (zy26-q J, dans Studier in Conrp. Lit., ed. W. F. McNeir, Louisiana State Univ. Press, tg6z, pp. tzo-3o.
4. C7n la trouvera dans l'azticle de la Revue de Paris cité supra, qui, en fait, appartient à l'Introduction au sens actuel du mot.
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de 1964 ne serait pas meilleure, mais autre. Où puiserait-elle

ses idées ?
Deux ouvrages seulement traitent des Lettres philoso- phlgues comme telles (on peut y ajouter l'édition de R. Navel (Garnier, 1939) et son Introduction ~). Ce sont celui d'A. Lan- toine (Les Lettrer philosophiques de Loltaire ; Coll. les Gds Événements litt. t93t), qui retrace surtout l'histoire externe des remous de la publication en 1734, et celui de C. Lupo- rini (Voltaire e le Lettrer Philosopfüelrres, Florence, 1955). essai d'interprétation marxiste et de commentaire politico- social extérieur au texte, dont l'apport reste dérisoire. Plus généralement, sans s'attarder sur la très médiocre et fau- tive compilation d'E. Sonet (Voltaire et l'influence anglaise, Thèse Univ. Rennes, iyz6), après l'honnête biographie de Cleveland B. Chase (The your:g Voltaire, NY, t9z6) et le cours d'initiation de Ch. Dêdéyan (Voltaire et la pensée anglaise, Paris, C.D.U., c956), les meilleures pages sur les thèmes indiqués par leur titre se trouvent dans Le gocît de Voltaire de R. Noves (Thèse, Paris, 1938) et La religion de Voltaire de R. Pomeau (id., i9S6).
Dans l'ordre de la table des matières, nous lirons Miss Philips sur les Quakers (cf. N. compl. t 3) ;sur Voltaire en face du système politique anglais, Constance Rowe (Vol- taire and tbe State, Co]umbia U.P., 1955). Péter Gay (Vol- taire'r Politics, Princeton U.P., 1960) et R. Pomeau (Pori- tique de V., t96;). 'fout a été dit par A. H. Rowbotham sur Tlie pbilosopfierr and the propaganda for inoculation of small
r. Seule édition séparée depuis Lanson. On préférera la réédi- tion de t96z ornée d'illustrations intéressantes.
Les meilleures notes historiques et explicatives se trouvent dans l'édition de Henri Labroue (Delagrave, tyto; dernière rééd. t938) et dans celle de F. A. Taylor (Oxford, Blackwell's French texts, t943). Les Lettrer phi/. ont encore paru dans les Mélanger (éd. J. Van den Heuvel; Coll. de la Pléiade, r96r ; notes très sommaires}. Signalons l'édition d'Arthur Wilson- Green (Cambridge UP, tq;r), les traductions anglaise d'Er- nest Dilworth (NY, t96t) et italienne (parue en 1959 ; compte rendu sous le titre L ôltaire in Inghilterra, Il Mondo 3~;~t959, P• 3). et regrettons pour finir que la seule édition scolaire française (chez Hatier) soit pitoyablement annotée.
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pax in z8th century France (Berkeley, i93G ; pp. z65-go sur V.), mais personne, hélas 1, n'a entrepris de synthèse sur l'influence de Locke. L'introdssction des théories de Newton en France au XVIIIQ riècle (tome I et unique, Avant r738 ; 1911) de Pierre Brunet traite d'une partie de Voltaire. Sur Shakespeare et sur l'Ami-Pascal, on lira les Nttes camp!. 55 et 79. Quant aux nombreux problèmes de moindre enver- gure, les ouvrages et articles à consulter ont été distribués aux points stratégiques. On nous pardonnera enfin de ren- voyer globalement ici à notre thèse à paraître sur La for- tune de Loltaire en Angleterre au X ['Ille siècle, pour laquelle nous entretenons un étroit commerce avec les Lettres anglaises.
Parmi les grandes questions qu'il faudrait aborder, seule la genèse de !'oeuvre au cours des premiers mois a été un peu développée ici à titre d'exemple (N. camp!. z). Lanson fournit parfois 1a dorumentation requise pour les autres, sans en faire lui-même usage :tableau de l'Angleterre telle qu'elle fut réellement entre 17z5 et 1735 environ, et telle que l'ont vue et dépeinte de nombreux voyageurs français ou étrangers, ceci afin de mieux jauger et juger Voltaire ; accueil fait aux Lettres en France et à l'étranger, et leur influence en général ; à tout le moins, sans négliger l'art et le style, leur place dans l'ensemble de !'oeuvre voltairien, qui bien souvent s'y rattache, fidèle ou infidèle, comme à un primordial «trésor ». L'édition de R. Navel ébauche ce dernier point, pour lequel nous indiquons encore d'autres pistes afin de montrer comment fonctionnait la mémoire de Voltaire. Le deuxième point est mal connu. Sur le pre- mier, par un livre qui demeure la plus importante contri- bution ànotre appréciation des Lettres philorophiques depuis Lanson, La culture et la civilisation britannique devant l'opinion franFaise, de !a paix d'Utrecht aux Lett. phi!. (z~z3-Z~34J. (Trans. of the Amer. Phil. Soc., nouvelle sér., vol. 38, part I, Philadelphie, 1948), G. Bonno a jeté une lumière décisive'.
Nous savons maintenant que les Lettrer sur la religion
1. La question avait été soulevée par E. P. Dargan, The ques- tion of Voltarre't primacy in ertablirhing the Englirh vogue, dans Mélanges ofjertr à F. Baldenrrperger, t93o, vol. I, pp. 18~-98.
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s'adressent à des lecteurs déjà beaucoup mieux informés qu'on ne l'a dit, et entrent dans les nuances d'une opinion éclairée. Sur les déistes anglais, Voltaire en sait moins que beaucoup de ses contemporains. De Locke, non seulement il ne révèle rien, mais il le découvre après tout le monde (sans doute dans la se éd. de la traduction de Coste), le déforme dans le sens du scepticisme critique, et, par cette interprétation, provoque une controverse chez les spécia- listes. Néophyte enthousiaste qui arrive après la bataille autour de Newton, et même fort en retard q:~ant à l'op- tique, Voltaire, qui aura son heure de gloire avec les $lé- mentr, n'intéressa guère ici que les mondains. Fn littérature enfin, les Lettres, moins complètes que les journaux et les traductions, omettent le S'pectator, Defoe et Dlilton (sur ce dernier, cf. cependant le correctif de la n. compl.), et ne sont originales que sur la comédie. Bref, en vulgarisant, sous l'autorité d'une seule prestigieuse signature, des opinions dispersées ou réservées aux spécialistes, les Lettres pGiloso- pbigares « apparaissent surtout comme une cEuvre de syn- thèse et de propagande, offrant l'attrait d'une pzésentation alerte, spirituelle et piquante ; ce n'est pas par la nouveauté et la précision de l'information, mais par la variété des aspects et le choix calculé des perspectives que peut se défi- nir lavéritable signification du tableau voltairien » (G. Bonno, op. cit., p. tG~).
Si les contemporains eux-mêmes s'y sont laissés prendre et nous ont transmis presque intacte leur conviction, avons- nous le droit de déposséder Voltaire de ses mérites au nom de la science moderne ? Magnifique exemple, et combien vol- tairien !, de l'empire des hommes de lettres sur l'opinion publique, telle sera la morale, sinon la moralité de cette
histoire.
André M. Roosssnv.