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Classiques Garnier

Note iconographique

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Note iconographique

Plusieurs portraits de Marie-Louise Denis nous sont connus. Elle est représentée dans une gravure de Vivant Denon intitulée Le Déjeuner de Ferney, exécutée daprès nature en juillet 1775. Elle est assise dans un fauteuil et boit son café aux côtés de Voltaire allongé : Denon en fait une figure presque comique. Marie-Louise Denis paraît également dans une gravure daprès Moreau le jeune de la représentation dIrène à la Comédie-Française le 30 mars 1778, où le prince de Beauvau plaça une couronne de laurier sur la tête de Voltaire, assis sur le devant de la loge entre Mmes de Villette et Denis. Cest cette même couronne que tient Marie-Louise Denis dans le tableau de J.-S. Duplessis conservé au Musée Condé à Chantilly1. Il la représente après la mort de Voltaire, quelques années seulement avant son soixante-dixième anniversaire. Cest peut-être le portrait le plus célèbre, la postérité ayant préféré retenir limage de la femme dans sa maturité plutôt que les représentations de la jeune Mlle Mignot.

Un portrait à lhuile sur toile, aujourdhui attribué à François-Hubert Drouais (après avoir été longtemps cru de Carle Van Loo), pourrait être daté de 1737 environ, et représenterait donc son modèle vers lâge de 25 ans, juste avant son mariage avec M. Denis en février 17382. Ce portrait de Marie-Louise, qui fut conservé au Shelburne 46Museum dans le Vermont aux États-Unis de 1966 jusquen 1997, serait donc exactement contemporain des lettres qui lui sont adressées dans ce volume.

Nous ne savons pas pour qui ce portrait fut exécuté (pour son futur mari, peut-être ?), mais Voltaire en garda une copie au pastel. Le beau pastel en question, reproduit à la p. 52 de ce volume, est conservé au Musée dart et dhistoire à Genève, et fut pendant longtemps considéré comme un portrait anonyme de Charlotte de Constant3. Les recherches récentes de Renée Loche ont révélé lidentité non seulement du modèle mais aussi de lauteur du pastel. En comparant ce pastel avec le portrait autrefois conservé au Shelburne Museum, il est évident quil sagit de la même personne, et qui plus est, que le portait à lhuile a servi de modèle pour le pastel, même si lexécution plus habile et plus délicate de ce dernier suggère que les deux portraits ne sont pas de la même main4. Daprès une notice retrouvée récemment dans les archives du Musée de Genève il savère que ce pastel intime est lœuvre de Marie-Élisabeth de Dompierre de Fontaine, cest-à-dire la sœur cadette de Marie-Louise5 ; daprès Renée Loche, la date du pastel se situerait vers 1737-1738 (donc à peu près au moment du mariage du modèle)6.

Le même document nous apprend que Mme de Fontaine a également exécuté au pastel un portrait de Voltaire, qui date de 1736. Ce portrait, aujourdhui disparu, faisait donc pendant au portrait de Marie-Louise, exécuté peu après. Les deux pastels se trouvaient dans la collection personnelle de Voltaire, qui les légua à Marc-Samuel Constant ; en 1830 ce dernier en fit don au musée Rath à Genève. Voltaire possédait aussi un autoportrait au pastel de la main de Marie-Élisabeth. Nous ne considérons en général pas Voltaire comme un grand connaisseur dart, mais ces pastels sont des œuvres intimes qui témoignent de laffection quil portait à ses deux nièces et font écho à leurs échanges épistolaires. Voltaire a en tout cas beaucoup admiré les talents de Marie-Élisabeth de 47Dompierre de Fontaine et était fier de sa renommée comme portraitiste. Le 16 décembre 1755, il lui écrit ainsi (D6631) :

Je vais faire chercher les meilleurs pastels de Lausanne. Vous en faites un si bel usage que jirais vous en déterrer au bout du monde. Toutes nos petites Délices sont ornées de vos œuvres. Vous êtes déjà admirée à Genève, et vous lemportez sur Liotard. Remerciez la nature, qui donne tout, de vous avoir donné le goût et le talent de faire des choses si agréables.

Nicholas Cronk

1 Le portrait est reproduit en couleurs dans Nicole Garnier-Pelle, Chant illy : musée Condé : peintures du xviiie siècle, Paris, Réunion des musées nationaux, 1995, p. 45, planche 15 ; et aussi dans Jean-Paul Chabaud, Joseph-Siffred Duplessis : 1725-1802, Mazan, Études Comtadines, 2003, p. xxii. Voir aussi lAlbum Voltaire, éd. J. Van den Heuvel, Paris, Gallimard, 1983, p. 223, no 307 ; et lInventaire Voltaire, éd. J. Goulemot et autres, Paris, Gallimard, 1995, p. 383. La toile fut identifiée comme le portrait de Marie-Louise Denis seulement en 1921 ; voir Jules Belleudy, « Le Portrait dune dame inconnue, du musée Condé, attribué à Duplessis », Bulletin de la Société de lHistoire de lArt français, 1921, p. 53-54.

2 Le tableau aujourdhui attribué à Drouais est reproduit en couleur dans Voltaire et lEurope, éd. Françoise Bléchet, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1994, p. 163, no 183 ; voir aussi la notice, p. 173.

3 Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, Portrait de Mme Denis, pastel sur parchemin, Genève, Musée dart et dhistoire, c.1737-1738.

4 Renée Loche, « Un portrait inédit de Madame Denis au Musée de Genève », dans Voltaire chez lui : Genève et Ferney, Genève, Skira, 1994, p. 158-160.

5 Voir Guy Périer de Férall, « La descendance collatérale de Voltaire », Studies on Voltaire and the eighteenth century, no 41, 1966, p. 292, 294.

6 Renée Loche, Genève, Musée dArt et dHistoire : Catalogue raisonné des peintures et pastels de lécole française : xvie, xviie et xviiie siècles, Genève, Slatkine, 1996, p. 425-428.