Aller au contenu

Classiques Garnier

[Introduction de la troisième partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Villes sacrées . Reliques et espaces urbains à l’époque moderne
  • Pages : 281 à 282
  • Collection : Constitution de la modernité, n° 21
  • Thème CLIL : 4127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie éthique et politique
  • EAN : 9782406103417
  • ISBN : 978-2-406-10341-7
  • ISSN : 2494-7407
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10341-7.p.0281
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/10/2020
  • Langue : Français
281

Durant toute la période moderne, si certaines reliques sont placées à lécart du monde des échanges et des circulations, cest principalement pour leur valeur spirituelle et surtout patrimoniale. Ce dernier terme nécessite des précisions quant à son sens et à son emploi dans son association avec les reliques. Le fait patrimonial est un processus créateur de perpétuation dun réel en devenir. Il exprime le désir humain dune continuité vitale, matérielle, spatiale et temporelle. La construction patrimoniale consiste donc en la décision de poursuivre un réel éphémère qui peut être à tout instant perdu. Elle renvoie ainsi les sociétés humaines à leur propre disparition et à ce quelles veulent transmettre aux suivantes. Le processus de patrimonialisation oscille entre le travail de deuil dun réel sans cesse disparu et la constitution dune mémoire dans lobjectif dune projection dans le futur. Les objets patrimonialisés traduisent une conscience indispensable du passé dans la constitution dune identité, assurant la continuité entre deux générations successives. Toute patrimonialisation nécessite donc des dispositifs de conservation et de transmission pour permettre une appropriation collective sur la durée moyenne de ces objets1.

Les reliques peuvent pleinement participer à ce processus de patrimonialisation. Par leur nature même, elles renvoient à un passé qui leur confère sens et valeur. Elles apparaissent ainsi comme de possibles points dancrage qui permettent aux sociétés qui les possèdent de projeter un passé dans leur présent et leur futur. Les historiens et historiennes saccordent sur limportance du sacré dans la construction historique des patrimoines. Des chercheurs comme Jean-Pierre Babelon et André Chastel font du concept chrétien dhéritage sacré de la foi une des racines de la notion de patrimoine2. À ce titre, les reliques ont pu jouer ce rôle de précurseur que ce soit dans les modalités de conservation ou dans les tentatives délaborer un cadre juridique autour du droit à la propriété 282pour les différentes églises. Le lien entre les corps saints et la constitution des premières collections patrimonialisées a dailleurs été souligné par Krzysztof Pomian dans son étude sur la genèse des collections dart3. Et ce nest pas un hasard si liconoclasme révolutionnaire a été souvent qualifié de vandalisme par les historiens de lart, regrettant la perte dun patrimoine religieux4.

Les reliques peuvent également créer un sentiment dappartenance communautaire. Cette appropriation collective peut se réaliser à léchelle dune ville entière ou dans des communautés de taille plus réduite, notamment dans un cadre paroissial. Dans tous les cas, ces corps saints sont le support dune identité sociale grâce à la représentation de la société urbaine dans sa continuité historique quils contiennent. Les différents rituels, processions et autres cérémonies religieuses matérialisent ces liens communautaires autour des reliques. Dautres usages, notamment scripturaires, peuvent faire des corps saints des piliers de lidentité urbaine. Létude de ce processus de patrimonialisation dans les quatre villes sur un temps long pose ainsi la question de la place du religieux dans les affirmations identitaires, relevant du vaste débat sur le désenchantement du monde.

1 Sur la définition du fait patrimonial, voir notamment Jadé Mariannick, Enjeux et perspectives dun fait patrimonial en devenir. Thèse sur travaux, Museum National dHistoire Naturel, Paris, 2009. Voir également sur ce sujet les différents billets quelle a rédigé dans son carnet Hypothèses : https://faitpat.hypotheses.org/.

2 Babelon Jean-Pierre et Chastel André, La notion de patrimoine, Paris, Éditions Liana Levi, 1994.

3 Pomian Krzysztof, Des saintes reliques à lart moderne : Venise-Chicago, xiiie-xxe siècle, Paris, Gallimard, 2003.

4 Sur le vandalisme révolutionnaire voir Baczko Bronislaw, « Vandalisme » dans Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988. Sur le lien entre les destructions révolutionnaires et lémergence dun premier patrimoine national, voir Boulad-Ayoud Josiane, Labbé Grégoire et la naissance du patrimoine national ; suivi des Trois rapports sur le vandalisme, Québec, Presses de lUniversité de Laval, 2012.