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Classiques Garnier

[Introduction de la première partie]

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Le 28 mai 1898, le Saint-Suaire de Turin, alors exposé à la vénération des fidèles, est photographié pour la première fois par Secondo Pia. Si le cliché ne révèle rien de particulier, les négatifs ont laspect dune image positive. Le suaire contiendrait la figure imprimée du Christ recueillie lors de sa mort1. Les manipulations scientifiques se sont multipliées tout au long des xxe et xxie siècles afin dexpliquer et de prouver lauthenticité du suaire et de limage quil contiendrait. Le tissu est analysé aux rayons ultra-violets en 1969, 1976, 1978, 1988 et plus récemment en 20142. À chaque fois, les résultats varient et sont longuement critiqués. La réalité de la matérialité de lobjet suaire est un enjeu pour les deux camps qui souhaitent démontrer soit un authentique miracle, soit une longue escroquerie.

Cet exemple fameux du suaire de Turin pose une question a priori simple : quest-ce quune relique ? Pourtant, les différentes péripéties autour de la question de lauthenticité de la relique laissent deviner la complexité de la réponse3. Le premier problème renvoie à la tension entre un objet matériel et une croyance. Cette ambivalence est pourtant fondamentale. Elle explique le statut dobjet sacré. Un simple vêtement est sorti de la sphère habituelle des artefacts textiles pour être considéré par les institutions religieuses et par les fidèles comme un objet aux caractéristiques extraordinaires, échappant à lentendement humain. Ce constat entraîne un deuxième questionnement : quest-ce qui est à 30lœuvre dans ce processus de consécration dun objet matériel ? Dans le cas du Saint-Suaire de Turin, les enjeux se concentrent sur lhistoire du tissu. La croyance doit être ici justifiée par une connaissance scientifique. Cette approche des reliques selon une binarité vrai/faux nest pas une constante dans lhistoire du catholicisme. Elle est dailleurs largement anachronique jusquà la fin du xixe siècle. On le voit donc, pour répondre à cette question « quest-ce quune relique à lépoque moderne ? », il nous faut aborder le problème de lappréhension du sacré par les sociétés durant lensemble de cette période. Ce questionnement souligne la dimension historique des reliques. Loin de somnoler à lintérieur des autels, elles connaissent de véritables évolutions.

1 Sur lhistoire du Saint-Suaire, se reporter à Celier Odile, Le signe du linceul. Le Saint Suaire de Turin, de la relique à limage, Paris, Les Éd. du Cerf, 1992.

2 Siliato Maria Grazia, Contre-enquête sur le saint suaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1998. Cet ouvrage présente un bilan des différentes tentatives danalyses, tout en restituant dans sa démarche militante les passions parfois scientifiques sur ce sujet. Les résultats de 2014 ont été publiés dans Fanti Giulio, Malfi Pierandrea et Conca Marco, Sindone : primo secolo dopo Cristo !, Feletto Umberto, Tavagnaco, Segno, 2014.

3 Sur cette difficulté de faire émerger une définition des objets sacrés, les approches anthropologiques sont particulièrement fécondes. Voir notamment Colleyn Jean-Paul, « La forma y lo informe en el marco de un culto bamana de Mali », La Ideas del arte. De altamira a Picasso, Cuardernos de la Fundacion M. Botin, no 14, 2009, p. 101-132 ; Albert Jean-Pierre, « La mule et larchevêque, ou la fortune des substituts », Archives de sciences sociales des religions, vol. 161, no 1, 2013, p. 221-234. Le même constat se retrouve dans les approches psychanalytiques des reliques : Fédida Pierre, Labsence, Paris, Gallimard, 2005, p. 75-77.