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Classiques Garnier

[Introduction de la deuxième partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Villes sacrées . Reliques et espaces urbains à l’époque moderne
  • Pages : 151 à 152
  • Collection : Constitution de la modernité, n° 21
  • Thème CLIL : 4127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie éthique et politique
  • EAN : 9782406103417
  • ISBN : 978-2-406-10341-7
  • ISSN : 2494-7407
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10341-7.p.0151
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/10/2020
  • Langue : Français
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Dans une liste burlesque que Jean Calvin naurait pas reniée, Antoine Marcourt, polémiste protestant, énumère en 1533 toutes les marchandises quil considère être échangées par lÉglise romaine :

Et pour bien dire, ces bons marchands [] rien ne leur est eschappé, dequoy à leur plaisir nayent marchandé [] dhommes, de femmes, de petitz enfans, naiz et non point encore naiz, des corps, des ames, et esperitz des vivantz, des mortz, des biens visibles et invisibles, du ciel et de la terre, et des enfers, des viandes, des temps et jours, de mariage, de vestemens, rasures, oinctures, accoustremens, de bulles, de pardons, indulgences remissions, dossemens, autres reliques et rogations, expectatives, dispences, exemptions, de sacremens et sainctes œuvres de Dieu. [] Et sans nombre de telles choses par lesquelles ilz scavent merveilleusement bien tirer argent, dont le paroure peuple est tant abismé, tant rouge, tant devoré, et de son Dieu si eslongné, quil nest possible de le croire1.

Dans cette liste apparaissent notamment les sacrements et les reliques, au cœur de ce quAntoine Marcourt décrit comme un véritable trafic. Recherchant la polémique, lauteur reprend ici un lieu commun de la critique présent chez de nombreux auteurs de la fin de lépoque médiévale, comme Boccace, Chaucer ou encore Philippe de Vigneulles. Ce thème de la marchandisation des corps saints resurgit plus tardivement et de manière inattendue. Il apparaît par exemple sous la plume de Karl Marx dans le livre 1 de son Capital :

Rien ne résiste à cette alchimie [de la marchandisation], pas même les saints osssements et encore moins les ordinaires res sacrosanctae, extra commercium homininum2.

Cette remarque de Karl Marx connaît une postérité historiographique relativement récente, puisquelle a été reprise, toujours au sujet des reliques, par Patrick J. Geary en 1986, puis plus récemment par A. Kattie Harris et dans un ouvrage sur les corps saints des catacombes de Rome3.

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Cette notion de marchandisation (commodization) est pertinente pour analyser les très nombreuses circulations de reliques qui ont lieu durant toute la période moderne. Car les authentiques et autres procès-verbaux de recognition laissent entrevoir un vaste monde déchanges, qui participe de lappréhension de lobjet par les sociétés urbaines. Les chiffres sont éloquents. Entre 1500 et 1850, le nombre de reliques double dans les villes de Lyon, Metz, Rouen et Toulouse, confirmant le dynamisme décrit dans la première partie.

1 Marcourt Antoine, Le livre des marchans dAntoine Marcourt : une satire anticléricale au service de la Réforme. Édition critique du texte, 1533-1544, introduction et notes par Geneviève Gross, Paris, Honoré Champion, 2016, p. 127-130.

2 Marx Karl, Le Capital. Livre I, Paris, PUF, 1993, p. 149.

3 Geary Patrick J., « Sacred Commodities: the circulation of medieval relics », The Social Life of Things: Commodities in cultural perspective, dir. A. Appadurai, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 169-192 ; Harris A. Katie, « Gift, Sale, and Theft: Juan de Ribera and the Sacred Economy of Relics in the Early Modern Mediterranean », Journal of Early Modern History, vol. 18, no 3, 2014, p. 193-226 ; Baciocchi S. et Duhamelle C., « introduction », art. cité, p. 28.