AVANT-PROPOS

J’ai commencé la rédaction de cet ouvrage à une époque où l’existence des salles de cinéma était assurée, et leurs jauges susceptibles d’être entièrement remplies. Mais depuis mars 2020, dans le monde entier, la pandémie de COVID-19 a fragilisé leur existence, en empêchant les spectateurs de s’y réunir. Ne sachant pas, à l’heure où j’écris ces lignes (avril 2021), comment se passera la réouverture de ces salles lorsqu’elle pourra avoir lieu, j’ai décidé de ne pas tenir compte des effets de la pandémie sur l’évolution la plus récente des réflexions sur la réception filmique, et notamment de certaines prédictions quant au sombre avenir qui attendrait les salles obscures.

On a pu entendre, en effet, que la pandémie pourrait entraîner la disparition définitive des salles de cinéma, du fait que d’importants et puissants studios de production, notamment à Hollywood, ont pour la première fois décidé de sortir les films qui étaient prévus initialement sur les écrans directement sur des plateformes de streaming. Celles-ci ont, dans le même temps, très largement profité de la situation de confinement domestique, ce qui donne le sentiment que la pandémie a contribué à une évolution des pratiques spectatorielles vers ces dernières, au détriment des salles.

À la double question qui se pose, pour le cinéma, du fait de la pandémie (les spectateurs retrouveront-ils les salles qu’ils connaissaient ? les salles retrouveront-elles les spectateurs qu’elles recevaient ?), les réponses dépendent d’abord des stratégies de distribution et d’exploitation futures des films, à Hollywood et ailleurs, ainsi que de l’envie des spectateurs de revenir les voir en salle, donc de facteurs économiques et socioculturels. Un livre de théorie du cinéma, même s’il a pour sujet la conceptualisation de la réception filmique et du spectateur, ne peut avoir d’impact sur ce plan-là. Mais il permet tout de même de rappeler que la manière dont nous expérimentons la réception filmique et dont nous la pensons – deux niveaux qui sont interdépendants –, possède 8une dimension idéologique. Il ne peut être anodin, de ce point de vue, pour ceux qui auront le pouvoir de le faire, de choisir d’encourager la reprise de la vision collective des films en salle, ou d’accélérer la supposée inéluctable relocalisation totale du cinéma sur des écrans domestiques plus adaptés à un visionnement individuel.

Un motif d’espoir, pour les salles de cinéma, réside dans le fait, mis en valeur dans la dernière partie de ce livre, que depuis une quinzaine d’années, une inflexion pouvait être observée vers une réévaluation théorique de la réception filmique comme phénomène collectif, et notamment de la sortie en salle, au cœur de la domination du paradigme de la réception filmique comme expérience individuelle. Cette inflexion peut être interprétée comme l’expression, dans le cadre de la théorie du cinéma, d’une volonté de renouveau global de l’être-ensemble. La pandémie a suspendu cette aspiration, mais on peut donc supposer, et espérer pour les salles obscures, que cette suspension ne sera que circonstantielle et provisoire.

Mes remerciements vont à mes premiers lecteurs, José Moure, Judith Mayne, Vincent Amiel, Laurent Guido et Laurent Jullier, ainsi qu ’ à Laurent Bachler. Je remercie aussi les responsables de l ’ Unité de recherche CLARE, centre ARTES, de l ’ Université Bordeaux Montaigne, Pierre Sauvanet, Danièle James-Raoul et Élizabeth Guilhamon, pour le soutien apporté à la publication de cet ouvrage.