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Classiques Garnier

Notice

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Quinze Joyes de mariage
  • Pages : 7 à 11
  • Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 5
  • Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
  • EAN : 9782812439476
  • ISBN : 978-2-8124-3947-6
  • ISSN : 2261-0804
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3947-6.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2010
  • Langue : Français
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NOTICE

Les Quinze Joyes de Mariage sont un des plus jolis ouvrages que nous ait légués le quinzième siècle. On sait que c’est par antiphrase que l’auteur a donné ce titre à son livre. Chacune des prétendues Joyes forme un chapitre, et dans ces chapitres sont peintes et analysées les plus grandes douleurs que puisse éprouver un mari du fait de sa femme.

Les petites et grandes misères qui sont attribuées aux hommes mariés dans les Quinze Joyes ne sont pas des calamités propres à telle ou telle époque. Un bibliographe trouve que ce livre est une étude approfondie des vices et des travers du temps. C’était « de tous les temps » qu’il fallait dire. L’auteur aurait pu écrire le même livre de nos jours. Il n’y serait plus question de la robe du marini de l’éternelle guerre contre l’Anglais, mais les Joyes seraient toujours de même nature. Ce serait, en un mot, la même pièce représentée avec d’autres costumes et d’autres décors.

Ceci dit, nous ne saurions trop nous rallier aux précédents appréciateurs de ce livre pour admirer la profonde connaissance du cœur humain dont l’auteur fait preuve, l’esprit qui se cache sous sa feinte naïveté, et le charme qu’offrent dans notre vieille langue ces alternatives de notes comiques et de notes émues qui lui sont familières.

Les dames nous pardonneront d’admirer sans réserve une œuvre qui paraît dirigée contre elles. L’auteur des Quinze Joyes convient lui-même, à la fin de son livre, qu’il y aurait bien plus à dire sur les maris que sur leurs compagnes. C’est aussi notre avis. Généralement, d’ailleurs, les femmes ne dédaignent pas de sourire à ces sortes d’attaques. Ne savent-elles pas que, malgré leurs défauts, apparents ou réels, leur empire est immortel ?

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On ignora jusqu’en 1830 le nom de l’auteur des Quinze Joyes de Mariage. A cette époque, M. Pottier, bibliothécaire de la ville de Rouen, s’appuyant sur une énigme trouvée à la fin d’un manuscrit de cet ouvrage1, put, avec quelque autorité, l’attribuer à Antoine de La Salle2.

L’opinion de M. Pottier ayant été généralement adoptée, il nous paraît intéressant de donner une courte biographie de l’auteur supposé des Quinze Joyes.

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Antoine de La Salle naquit en Bourgogne vers 1398 et mourut vers 1462. Ses écrits nous apprennent qu’il voyagea de bonne heure en Italie, qu’il se trouvait à Rome en 1422, et que, de retour en France, vers 1423, il s’attacha à Louis III, duc d’Anjou, roi de Sicile et comte de Provence. Ce prince le nomma viguier d’Arles et le prit pour secrétaire. A la mort de Louis III (1434), La Salle passa au service de son frère, le roi René, qui lui confia l’éducation de son fils aîné, Jean d’Anjou, duc de Calabre. Vers 1448, La Salle revint en Bourgogne ; le comte de Saint-Pol le choisit pour précepteur de ses enfants et le présenta à Philippe le Bon, duc de Bourgogne. La Salle ne tarda pas à s’attirer les bonnes grâces du dauphin de France, depuis Louis XI, qui, après la Praguerie, avait cherché auprès du duc de Bourgogne un refuge contre la colère de son père. Ce fut même, croit-on, sur l’invitation de ce prince, qu’il collabora aux Cent nouvelles Nouvelles, dont la cinquantième porte son nom.

Le principal des ouvrages signés par La Salle est l’Histoire et plaisante chronique du petit Jehan de Saintré et de la jeune dame des Belles-Cousines, roman de chevalerie publié pour la première fois en 1507, et qui a eu de nombreuses éditions. On cite encore de cet écrivain : La Salade, « laquelle fait mention de tous les pays du monde », compilation de morale, d’histoire, de géographie et de politique, composée par l’auteur pour son premier élève, Jean, duc de Calabre (Paris, 1521) ; et La Sale, traité de morale qui n’a pas été imprimé, et dont il existe deux manuscrits à la bibliothèque de Bruxelles3. Dans la préface de son édition de la Farce de Pathelin, F. Génin a déclaré considérer La Salle comme l’auteur de cette célèbre comédie, mais rien n’est venu jusqu’ici corroborer cette opinion.

Il n’en est pas de même pour les Quinze Joyes de Mariage. Un certain nombre de faits semblent indiquer que les traducteurs de l’énigme dont nous avons parlé plus haut ont frappé juste.

Il est parlé dans les Quinze Joyes, comme d’un événement déjà éloigné, d’une bataille de Flandre, que Le Duchat4 suppose être celle de Rosbecque, laquelle eut lieu en 1382. Le Duchat en déduit que l’ouvrage a dû être écrit vers 1450. Or, le Petit Jehan de Saintré a été publié en 1459.

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D’un autre côté, nous avons dit plus haut qu’Antoine de La Salle avait dû séjourner assez longtemps en Provence : or, M. Jannet a trouvé, dans les Quinze Joyes, un grand nombre d’expressions en usage dans le Midi de la France. Plus tard, Antoine de La Salle, étant au service de René d’Anjou, s’établit en Flandre : Le Duchat a reconnu dans ce livre le dialecte picard, et M. Jannet fait remarquer qu’on trouve, dans la cinquième Joye, la locution belge si connue : Savez-vous ?

Enfin, M. Pottier constate d’incontestables analogies entre les Quinze Joyes et l’Histoire du Petit Jehan de Saintré, ouvrage dans lequel perce une satire piquante de la légèreté des femmes. Il rappelle aussi la collaboration de La Salle aux Cent nouvelles Nouvelles, véritable martyrologe des maris trompés, et c’est pour lui une preuve de plus.

Les Quinze Joyes durent obtenir un grand succès dès leur apparition. Elles sont mentionnées dans plusieurs ouvrages anciens, notamment dans les Cent nouvelles Nouvelles, dans la Sylva nuptialis de Nevizan5, et dans un Sermon nouveau et fort joyeux auquel est contenu tous les maux que l’homme a en mariage6. Rabelais lui-même y fait allusion dans son œuvre.

Les nombreuses copies des Quinze Joyes qui durent être faites lors de la publication de cet ouvrage, sont aujourd’hui perdues ; le manuscrit de Rouen est la seule que l’on connaisse. Les différentes éditions imprimées font reconnaître quatre rédactions différentes7. 11Celle du manuscrit de Rouen, jugée la meilleure par M. Jannet, est aussi celle que nous avons adoptée.

Nous avons donné toutes les notes qui nous ont paru propres à faciliter la lecture de cet intéressant ouvrage. Un certain nombre sont empruntées aux précédents éditeurs. Celles de Le Duchat sont signées : L. D. ; celles de l’éditeur de 1837 : Édit. de 1837, et celles de M. Jannet : P. J. Nous en avons ajouté quelques-unes qui nous paraissaient utiles. Nous espérons que cette nouvelle édition sera favorablement accueillie, et qu’elle contribuera à populariser un petit chef-d’œuvre encore trop peu connu.

François Tulou

1 Ce manuscrit fait partie de ceux de la bibliothèque de Rouen, parmi lesquels il est coté Y. 15-13, dans le catalogue provisoire. Il porte la date de 1404 et fait partie d’un recueil qui comprend en outre une Relation de la captivité et de la mort de Richard II, roi d’Angleterre, et des Enseignements d’un père à son fils. « On pourrait croire, dit M. Jannet, que c’est là le manuscrit original, si diverses circonstances, notamment un certain nombre de fautes, ne prouvaient que c’est l’œuvre d’un copiste qui ne comprenait pas toujours ce qu’il écrivait. »

2 « Voici, dit M. Pottier, dans une Lettre à M. Techener publiée dans la Revue de Rouen (octobre 1830), voici cette énigme et les lignes qui la suivent, transcrites, à la fin du manuscrit, de la même main que le corps de l’ouvrage : De labelle la teste oustez / Tresvistement davant le monde / Et samere decapitez /Tantost et apres leseconde // Toutes trois a messe vendront / Sans teste bien chantée et dicte / Le monde avec elles tendront / Sur deux piez qui le tout acquite. // En ces huit lignes trouverez le nom de celui qui a dictes les XV Joyes de Mariage au plaisir et à la louange des mariez. Esquelles ils sont bien aises. Dieu les y veille continuer. / Amen. Deo gracias. // « De grâce, Monsieur, quel sera l’heureux Œdipe qui surprendra le secret de ce nouveau Sphinx… Pour moi, j’avoue que j’y ai perdu mon gaulois. J’avais pourtant cru entrevoir une issue à ce dédale cryptonymique ; mais mon fil, peu solide d’ailleurs, s’est rompu au quatrième vers, et le reste subsiste impénétrable pour moi. Quoi qu’il en soit, je veux vous faire part de ma tentative d’explication… // » C’est évidemment une charade, dont il s’agit de rassembler les membres épars ; ce sont des lettres ou des syllabes qu’il faut extraire et coordonner. Or, j’ai pensé que c’étaient des syllabes, et que, puisque l’on devait décapiter la belle, sa mère, et le seconde, si l’on faisait attention que ces mots étaient écrits dans l’original de manière à ne composer avec l’article qui les précède qu’un seul vocable, on devait les considérer comme autant de mots complets, et opérer sur eux en conséquence de cette donnée. L’auteur, pensais-je, s’est peut-être amusé à combiner ce redoublement d’obscurité, qui devait, selon toutes apparences, faire faire fausse route à la plupart des interprétateurs. Les syllabes obtenues par le procédé indiqué seraient la, sa, le ; or, c’est exactement, et avec son orthographe primitive, le nom patronymique de l’ingénieux auteur du Petit Jehan de Saintré, d’Antoine Lasale. » En suivant le système adopté par M. Pottier, M. F. Génin a complété l’explication. La messe sans tête donne se. Le monde formant seulement deux pieds avec la syllabe se, donne mond. Il faudrait lire : Lasale se nond, c’est-à-dire enseigne, etc. (Athenœum français, 1854, p. 228.)

3 La Bibliothèque nationale de Paris possède les copies de ces manuscrits.

4 L’annotateur des éditions de 1726 et de 1739, publiées à La Haye.

5 Autre ouvrage contre les femmes et le mariage. (Paris, 1521). Non seulement ce livre fut mis à l’index, mais encore, paraît-il, son auteur se vit contraint par les dames de Turin de faire à genoux amende honorable au beau sexe.

6 Ouvrage cité par M. P. Jannet.

7 Ce sont, outre la rédaction du manuscrit de Rouen, celles des trois éditions suivantes : 1° Édition originale, petit in-fol. gothique à 2 col. de 50 feuillets, signatures A.-F. (Cette édition, qui ne porte ni titre ni aucune mention de date ni de lieu d’impression, a dû – selon M. Brunet – être imprimée à Lyon de 1480 à 1490. – 2° Les Quinze Joyes de Mariage, imprimé à Paris par Jehan Treperel, demeurant sur le pont Nostre-Dame, à l’Image Saint-Laurent. In-4 gothique de 36 feuillets, signatures A. E IIJ. (Cette édition, selon M. Brunet, doit être de l’an 1499 au plus tard.) – 3° Les Quinze Joyes de Mariage extraites d’un vieil exemplaire escrit à la main, passez sont quatre cens ans (publ. par François de Rosset). Paris, 1595, in-12. On voit que ce dernier éditeur se trompait sur l’âge du manuscrit qu’il avait découvert.