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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Les Premiers Livres de Claude Simon (1945-1954)
  • Auteurs : Theeten (Griet), Serça (Isabelle), Laurichesse (Jean-Yves), Duffy (Jean), Zemmour (David), Cherry (Alina), Blanc (Anne-Lise)
  • Pages : 191 à 240
  • Revue : La Revue des lettres modernes
  • Série : Claude Simon, n° 7
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406064770
  • ISBN : 978-2-406-06477-0
  • ISSN : 0035-2136
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06477-0.p.0191
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/06/2017
  • Périodicité : Mensuelle
  • Langue : Français
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Troisième partie

Comptes rendus1

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Ilias Yocaris (dir.), Sofistikê, no 1, « Un monde à découvrir : le style de Claude Simon », 2009, 200 p.2

Créée par Yves Le Bozec et Ilias Yocaris, la revue Sofistikê est consacrée « à la langue sous tous ses aspects » et cède la parole à des disciplines aussi diverses que la linguistique, la grammaire, la stylistique, la rhétorique et la pragmatique. Pour ce premier numéro, avec des contributions de qualité, les éditeurs ont choisi dattirer aussi bien des spécialistes de Claude Simon que de lanalyse stylistique.

Ilias Yocaris, éditeur de ce numéro, ramène la critique simonienne à une approche stylistique. Certes, les premières études abordaient déjà cet aspect de lécriture simonienne, mais, dinspiration structuraliste, elles étudiaient le fonctionnement du texte sans rendre compte de la présence de lécrivain et refusaient daccepter quun message se cache dans les romans. Rattrapées par les travaux qui ont exploré des domaines tels que la mémoire psychologique, lhistoire de lart, la sémiotique de limage, lépistémocritique, la linguistique de corpus ou la poétique de lautofiction, les études analysant les particularités stylistiques sont restées numériquement inférieures aux travaux relevant dautres centres dintérêt. Pourtant, comme laffirme Yocaris, il reste encore de la matière à creuser. Qui plus est, étudier les particularités formelles de lécriture simonienne mènera sans aucun doute à démontrer la richesse de cette œuvre sans réduire sa complexité discursive. Les cinq articles publiés dans ce numéro en constituent la preuve.

Dans lintroduction générale du numéro, Yocaris fait le point sur les domaines dans lesquels se situent essentiellement les études stylistiques sur lœuvre simonienne publiées jusquà aujourdhui. Il relève essentiellement cinq angles dapproche : la métatextualité des récits simoniens, le rapport entre style et narration, lintertextualité (générale et restreinte), lemploi des figures de style et finalement le rapport entre 194style et syntaxe. En prenant soin dindiquer les défaillances théoriques et les hésitations méthodologiques dans chacun des domaines relevés, Yocaris montre des possibilités pour les futurs critiques.

Sen tenant à un seul roman ou effleurant une large partie de lensemble des textes simoniens, revisitant lépoque formaliste de lauteur ou offrant une analyse de la forme des derniers romans de lauteur, chacun des articles présentés approfondit au moins un domaine cité par Yocaris et apporte une nouvelle approche dans létude stylistique de lœuvre de Claude Simon.

Dans « Comment noyer le poisson, ou le “non-dit” dans Triptyque », Ralph Sarkonak sattache à déterminer comment Claude Simon met en avant le non-dit au moyen de son style. Partant dun extrait de Triptyque – la noyade accidentelle dune petite fille, qui nest jamais explicitement racontée – le critique analyse la présence-absence de cet événement traumatique qui occupe le noyau du roman. Il démontre que Claude Simon réussit à donner un nouveau sens à certaines composantes textuelles à partir déléments linguistiques qui sont a priori dépourvus de sens. Sarkonak explique comment la mort de la fillette, absente au niveau de la littéralité de la fiction, est représentée au niveau de linfratexte. Il relève ainsi de nombreuses allusions dans le texte qui annoncent ou renvoient à la noyade : il sagit dassociations lexicales (« sarcophage » [T, 749]) et homonymiques (« noyers » [744, 749]) mais aussi dassociations par métalepse (la scène des fouilles nocturnes). La lecture linéaire que propose Sarkonak fait toutefois apparaître une évolution : la littéralité se substitue petit à petit à linfratexte. Se basant sur un certain nombre de citations bien relevées, Sarkonak prouve que le vocabulaire de la mort et de la noyade prend de plus en plus dimportance. Enfin, linfratexte et la littéralité coexistent dans le roman simonien et atteignent un climax au moment où « limpression de catastrophe » (864) décrite par Simon coïncide avec « une mise en abyme métatextuelle du non-dit » (Sarkonak, p. 47) quand lécrivain parle d« un certain nombre dimages [qui] ont été sautées » (T, 865).

Dans sa conclusion, Sarkonak invite à élargir sa méthodologie, appliquée ici à un extrait de Triptyque, vers dautres textes simoniens. Pensons à lextermination des Juifs dans Histoire, qui constitue un autre infratexte à la fois présent et absent3. Le suicide dHélène dans Histoire et lextermination de Gaguy dans Le Tramway se prêtent également à de telles analyses. Lapproche de Sarkonak présente dautres intérêts encore : 195en combinant la stylistique sans formalisme avec la thématique, lauteur de cet article présente une analyse novatrice de lœuvre de Claude Simon. De plus, ce texte apporte de nouveaux éléments pour la méthodologie de létude des fictions relatant un traumatisme, qui sancre souvent davantage dans la thématique que dans la stylistique.

Stéphane Gallon, dans « Les hypotyposes de Claude Simon », aborde lœuvre à partir du point de vue stylistique, en analysant lhypotypose dans lextrait de LHerbe où la vieille Marie ouvre une boîte de berlingots et la lègue à Louise. Afin de déterminer la manière dont lécrivain sest approprié la figure de style qui dépeint des tableaux dune manière vive et énergique, Gallon examine jusquà quel point il reste fidèle à la tradition rhétorique et comment il sen écarte pour donner son propre style à ses hypotyposes.

Gallon constate que Claude Simon met en œuvre de nombreux procédés traditionnellement utilisés pour actualiser une scène, de lénallage temporelle à la technique in medias res en passant par des procédés de caractérisation. Mais tout en respectant la tradition rhétorique, Simon estampille ses descriptions en jouant sur la vue, louïe et lodorat, cherchant ainsi à faire entendre, faire sentir et avant tout faire voir4. Larticle énumère et analyse un grand nombre de techniques simoniennes utilisées à ce propos dans LHerbe. Le questionnement rhétorique et stylistique mène Gallon à une réflexion philosophique. Selon le critique, lobjectif de Simon serait datteindre « une réalité plus réelle que le réel » (RF, 283), comme lécrivain le note lui-même dans La Route des Flandres, une réalité ultime que Gallon rattache à leidos husserlien.

Lapproche multiple de Gallon lui permet détablir une poétique de lhypotypose simonienne dans ce fragment de LHerbe, quil sagit de vérifier dans dautres extraits et dautres romans. Larticle intéresse par le lien quil établit entre dune part lhypotypose propre à Claude Simon et de lautre la représentation du temps chez lauteur. Gallon argumente que lextrait analysé contient un « condensé dhypotyposes symboliques » (p. 86) – la répétition, linfini, léternel – qui constituent autant de variantes de leidos, de la réalité perçue. La somme de toutes ces hypotyposes doit conduire à découvrir linvariant. Et linvariant de 196la réduplication, de la répétition à linfini et de laspect cyclique nest autre que le temps. La réalité derrière le réel que cherche à rendre ainsi Claude Simon serait alors une représentation du Temps. Par conséquent, la scène de LHerbe ne se limite pas à lhistoire de Louise et de Marie mais traite de lhomme en général. Cest ainsi que Gallon peut conclure son article en affirmant que lhypotypose simonienne telle quil la définie mène les lecteurs à réfléchir sur leur propre existence.

Dans « Le Tramway de Claude Simon : “histoire de tuyaux” », Michel Bertrand étudie lisotopie de la conduite, qui est emblématisée dans ce roman par le motif des conduits, plus précisément par des tuyaux. Dans un premier temps, Bertrand sattache à démontrer comment les tuyaux servent de métaphore de lorganisation structurelle de la fiction. Les tuyaux renvoient aux raccords analogiques « qui créent des connexions transversales entre les différentes composantes du récit simonien » (Yocaris, p. 21). Il sagirait donc dune « mise en abyme textuelle5 » – suivant la dénomination de Lucien Dällenbach – qui établit une transition entre les œuvres antérieures de Claude Simon et son roman testamentaire, mais qui crée aussi des raccords intratextuels.

Bertrand fait remarquer que le texte simonien met laccent sur la couleur des conduits. Dun jaune cru ou dun bleu outremer, les tuyaux sont pourvus de propriétés conductrices, et ceci pour trois raisons. Premièrement, les couleurs des tuyaux permettent de suivre la genèse du texte. En effet, à partir des références aux couleurs, Bertrand réussit à relever toute une série dhypotextes de la séquence de lhôpital. Par la mention de la couleur jaune, lincipit et lexcipit du Tramway renvoient à ceux de La Bataille de Pharsale. Le jaune que le protagoniste du Tramway discerne à lextérieur de lhôpital rappelle une scène similaire dans Le Jardin des Plantes et dans Cendre, mais aussi dans La Bataille de Pharsale. En deuxième lieu, les couleurs permettent détablir des rapports entre les trois séquences au sein du Tramway : le tramway, lhôpital et les scènes balnéaires. Le rouge, le bleu et le cadmium (teinte de jaune) du tramway renvoient au pyjama et à la robe de chambre du compagnon de chambre ainsi quaux tuyaux à lhôpital, qui renvoient à leur tour au rouge du soleil, au bleu de la mer et au jaune du sable dans la scène balnéaire. Enfin Bertrand se concentre sur les tuyaux de 197couleur « bleu outremer », dont le choix du déterminant « outremer » se révèle dimportance car il suscite trois images différentes : labsence de la mère (en effet, lenfant du tramway est “outre-mère” puisque sa mère est décédée), les années que la mère du narrateur a passées outre-mer et enfin la mère qui outrepasse son rôle de mère à la mort du père.

Dans sa lecture du Tramway, Bertrand illustre de façon détaillée comment le vocable “tuyau” ainsi que les couleurs jaune et bleu outremer permettent de rendre compte du dispositif macrostructural constitutif du roman. Cette étude contribue ainsi aux analyses intertextuelles de lœuvre simonienne : lauto-engendrement du texte sexplique à partir de quelques mots qui renvoient à tout un réseau de références intertextuelles, aussi bien dintertextualité générale que restreinte. Ces ramifications discursives qui montrent que le texte simonien sorganise selon les « méandres de la mémoire » (Bertrand, p. 128) peuvent nous renseigner sur la méthode de composition de nombreux romans de lécrivain.

Dans la quatrième étude proposée dans Sofistikê, « Désir du rythme, rythme du désir : autour dun éventail », Stéphanie Orace sattache à déterminer ce qui crée le rythme particulier de la phrase simonienne. À partir dune définition précise du rythme – la dialectique ordre/désordre, continu/discontinu, mouvement/immobilité –, elle démontre que les répétitions avec ou sans variation se retrouvent dans le texte simonien à différents niveaux : celui du phonème, du mot, du syntagme et de la phrase.

Peu détudes jusquici ont offert une méthodologie qui permette danalyser stylistiquement les éléments créateurs de rythme. La lecture dOrace a le mérite de montrer quune analyse détaillée de la rythmique à partir dune étude textuelle peut éclairer un grand nombre de caractéristiques de lécriture et de limaginaire simoniens. Dans un premier temps, elle exemplifie à partir dHistoire le fait que le rythme se trouve en corrélation avec la thématique de lindicible, qui se trouve au cœur de ce roman et qui a souvent fait lobjet danalyses thématiques. Le rythme respiratoire, créé par des retours à la ligne, des parenthèses et tirets qui brisent la linéarité, contribue stylistiquement à exprimer ce vide. À partir de lobservation de Pierre Caminade selon laquelle les descriptions de Simon ressemblent à des scènes de films pornographiques6, Orace affirme que ce rythme particulier contribue à érotiser le texte simonien. Dans 198un deuxième temps, elle met en relation dune part lomniprésence de locutions adverbiales comme “sinon… du moins”, “non [pas]… mais”, “non seulement… mais”, dautre part la rythmique simonienne caractérisée par loscillation dont il a été question. Enfin, elle établit un lien entre lOrigine et le rythme : daprès la critique, le rythme créé par la fragmentation permet au texte de mettre en forme le temps, « de lui donner une forme et par là de lui redonner vie » (Orace, p. 161). Orace arrive ainsi à une conclusion contraire à celle de la plupart des études sur lœuvre simonienne, qui, elles, mettent laccent sur la place de la mort, du rien et sur le travail destructeur du Temps.

Le numéro de Sofistikê se conclut sur un article de Catherine Rannoux, « Aiguillages et voies de traverse, les trajectoires de la phrase dans Le Tramway de Claude Simon », qui sintéresse à son tour au couple antinomique continuité/discontinuité propre à lécriture simonienne. Dans son analyse du Tramway, Rannoux ne se base pas sur le rythme mais sur la construction phrastique. Elle prend pour but de montrer comment Claude Simon réussit dans son roman testamentaire à renouveler son style : tout en semblant sassagir et emprunter des formes conventionnelles, la phrase offre un jeu de variations sur lensemble du texte. En effet, les marqueurs de reprise lexicale ou de continuité syntaxique masquent des ruptures de construction, constituant ainsi « de nouvelles formes de télescopages » (Rannoux, p. 167). Paradoxalement, Claude Simon réussit à masquer le travail de discontinuité par des caractéristiques stylistiques que, dans ses autres textes, lon considère comme des « facteurs manifestes de ruptures ». Dans cet article, Rannoux relève plusieurs techniques utilisées par lécrivain pour créer une impression illusoire de continuité.

Comme dautres articles dans le numéro de Sofistikê lont prouvé, le lien entre continuité et discontinuité est bien une constante dans lœuvre simonienne. Le Tramway présente la particularité que les variantes sont toujours subreptices. La bifurcation au niveau compositionnel désirée par Claude Simon sert selon Rannoux des enjeux précis. Il sagit dune manière de créer un certain rythme et dinscrire une faille dans lavancée de la fiction : « [] cette tension entre continuité feinte et rupture fait du manque un élément constitutif de lécriture du Tramway [] » (p. 174). Ainsi, le livre tait la mort en général ainsi que la disparition de Gaguy.

Une telle analyse de la composition du Tramway démontre que Claude Simon semble revenir à ce qui a déjà été dit ou évoqué uniquement 199« pour suivre un nouvel “aiguillage”, livrant un autre pan de la mémoire » (p. 181). La « reprise ne boucle pas » mais « permet au contraire de faire dévier la trajectoire vers un autre lieu de mémoire » (p. 181). Rannoux peut ainsi conclure que lellipse de la narration constitue une vraie caractéristique de lécriture simonienne.

Griet Theeten

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Laurence Cadet, De Proust à Simon : le miroitement des textes, Paris, Champion, « Recherches proustiennes », 2011, 337 p.

Comme lindique le titre, Laurence Cadet interroge dans ce livre la filiation proustienne de Claude Simon – filiation majeure à ses yeux, ce avec quoi nous ne pouvons quêtre daccord. Proust a toujours été en effet pour Simon, comme elle le montre dans son livre, si ce nest un père, du moins un compagnon de route tout au long de son parcours décrivain, même si ce compagnonnage prend des aspects très différents au fil de lévolution de son écriture.

La démarche adoptée est celle de la poétique comparée. Laurence Cadet voudrait en effet dépasser les études de critique intertextuelle qui se limitent trop souvent, de son point de vue, à lanalyse des citations de Proust que Simon intègre dans son œuvre, comme dans La Bataille de Pharsale ou Le Jardin des Plantes. Par ailleurs, si elle reprend la théorie de linfluence, Laurence Cadet ne veut pas pour autant poser une relation causale (du père vers le fils), mais plutôt étudier la filiation (du fils vers le père) ou mieux encore inviter à « une lecture miroitante et réfléchissante » (p. 19) entre les deux auteurs dans une perspective hypertextuelle. La méthode utilisée croise ainsi comparatisme et intertextualité dans un dialogue fructueux. Du comparatisme, Laurence 200Cadet reprend lambition détudier, au-delà des citations elles-mêmes, la poétique romanesque des deux auteurs en sattachant aux analogies formelles et/ou thématiques. De linfluence, elle retient la perspective diachronique, qui dégage différentes étapes dans cette filiation littéraire. (Ce sera dailleurs le plan suivi par le livre.) Enfin, de lintertextualité, elle retient létude des textes, de leur imitation ou de leur transformation qui exhibent la filiation critique de Proust à Simon.

Ceci étant posé, le livre retrace lévolution de cette filiation proustienne suivant trois périodes de la production de Simon – ces trois périodes constituant les trois parties du livre. La première, intitulée « Proust le précurseur », couvre les années 1947-1967 ; alors que, dans limmédiat après-guerre, lauteur de la Recherche est loin de connaître lengouement dont il sera lobjet plus tard, Simon pose Proust comme un modèle : de même que Faulkner, Joyce ou Kafka, Proust offre le modèle de ce quon peut appeler le roman phénoménologique, qui signe la mort du roman réaliste du xixe siècle. La seconde période, intitulée « Proust et laventure scripturale », renvoie aux années 1969-1975, qui voient triompher le « Nouveau nouveau roman » et les théories formalistes comme celle de Jean Ricardou. Proust passe alors du rang de modèle au rang de matériau ou de « générateur » (ce serait quasiment un modèle à abattre) et la madeleine nest plus un souvenir involontaire mais une théorie mathématique. Enfin la troisième et dernière période va de 1981 à 2001, date de la parution du dernier livre de Simon, Le Tramway ; cest celle de la maturité, qui verrait « le retour dune filiation élective, dune fidélité immuable » (p. 23) à Proust, laquelle se signale non seulement par le fait que Simon cite Proust dans ses romans, mais aussi quil va jusquà le commenter, mettant en scène un « réfléchissement critique » des textes (Le Jardin des Plantes).

La première partie insiste sur les analogies thématiques comme par exemple la mémoire, le sommeil, la mort ou encore la maladie (expérience commune aux deux écrivains) : la tante Léonie chez Proust et la figure maternelle chez Simon sont ainsi rapprochées. Laurence Cadet met laccent sur une certaine « corporéité » du langage que Simon prise chez Proust et que lui-même met en œuvre dès ses premiers récits ; cette volonté de saisir le monde sensible – cette saisie phénoménologique du réel – saccompagne chez les deux auteurs de lanalyse de la réversibilité du sentant et du senti. Le primat de la sensation sur lidée ou sur les vérités de lintelligence (et tout particulièrement le rôle central de la 201sensation dans le fonctionnement de la mémoire) est une référence qui perdurera chez Simon et traversera les trois périodes distinguées dans son œuvre. Laurence Cadet montre alors comment cette esthétique de la vision qui se fonde sur les tableaux de la mémoire est commune aux deux auteurs – à ceci près que chez Simon, cartes postales, photographies et autres archives en constituent le fonds matériel.

Dans cette première période, Simon déclarait sa fidélité à Proust avant tout dans des épitextes et autres entretiens. Dans la seconde, qui est la période formaliste, Simon intègre des citations de Proust dans ses propres textes, mais ces citations sont tronquées ou réduites comme dans La Bataille de Pharsale : cest ce que Laurence Cadet appelle le “jeu intertextuel” que revendique alors Simon. Proust nest pas le seul auteur convoqué à ce jeu, mais cest de loin lun de ceux qui lest le plus souvent. Sont ainsi examinées les réécritures parodiques ou burlesques de passages de la Recherche qui font que Proust, de modèle esthétique devient un des éléments du dispositif romanesque de Claude Simon. Laurence Cadet souligne cependant que si lon trouve peu de citations fidèles de la Recherche dans La Bataille de Pharsale, celles-ci occupent une place de choix, comme par exemple lexergue de « Lexique ». Contrairement à dautres, elle ne voit pas que ce travail sur la citation et autres emprunts signe une rupture radicale avec Proust ; lauteur de la Recherche, rappelle-t-elle, connaît dailleurs les vertus du pastiche quil a pratiqué et dont il a loué les vertus émancipatrices. Sil y a rejet, cest celui de lanalyse psychologique, comme par exemple à propos de la jalousie, thème du roman de 1969. Mais dun autre côté, Simon voit dans lobservation des détails – cailloux ou fleurs – la véritable leçon de modernité de la part de Proust, leçon quil entend retenir.

Après une revue de ces passages intertextuels qui suivent, pour reprendre la formulation de Barthes dans S/Z, « le retour du même et lavènement du différent », lauteur dégage deux points communs aux deux auteurs, au cœur de cette deuxième période où Simon semble le plus éloigné de Proust : la métaphore et la musicalité. La métaphore a en effet pour Proust comme pour Simon une fonction poétique de premier plan – le cheminement de lécriture, pour reprendre la formulation de Simon, se faisant “mot à mot”. Pour ce qui est de la musicalité, Laurence Cadet voit dans les longues phrases de Proust et de Simon le même rythme à lœuvre, de même quelle y voit une négligence pour la ponctuation. (Deux points auxquels pour ma part je ne saurais souscrire entièrement : Claude Simon 202a déclaré que les problèmes liés à la ponctuation sont « parmi les plus difficiles à résoudre dans lécriture7 » et lusage des parenthèses témoigne à lui seul de limportance de la ponctuation chez Proust dune part ; dautre part, la phrase chez Proust et chez Simon, de mon point de vue, ne fait pas entendre le même rythme, le cadre phrastique chez Proust, même distendu à lextrême, étant maintenu, alors quil a été jeté par-dessus bord chez Simon où lunité textuelle est celle du paragraphe.)

La rupture avec lère scripturale ouvre sur la troisième période distinguée chez Simon. En 1981, le futur prix Nobel prend ses distances avec les théories du Nouveau Roman et déclare, au rebours dune citation célèbre, qu« une fiction est à la fois le récit dune histoire et lhistoire dun récit » (p. 235). Il dira même en 1989 : « à partir de LHerbe, mes livres sont tous à base de vécu8 ». Lécriture passe alors chez lui par une réhabilitation du sujet lyrique dune part, et par ce que Laurence Cadet appelle « les soubresauts du récit » (p. 235) dautre part. Le sujet nest plus une forme, il intègre le sujet autobiographique, ou plutôt « un sujet autobiographique fictionalisé » (p. 207), qui ouvre sur une polyphonie. Quant au récit, lauteur sappuie sur une formule de Ricardou dans Le Nouveau roman, selon laquelle tout récit sadonne à un « jeu byzantin » entre « leuphorique et le contestataire » (p. 276) ; elle montre alors quil y a bien chez les deux auteurs dun côté « euphorie », cest-à-dire un récit herméneutique, avec une énigme posée dès le début – dans la Recherche comme dans Les Géorgiques avec le secret du général L. S. M. –, une enquête ou une recherche (sens du mot « histoire » en grec, rappelle Simon) et un dénouement qui ouvre sur lécriture à venir ; mais il y a aussi « contestation », à lintérieur du récit, de ce récit lui-même, avec tout particulièrement la mise en cause de la notion de causalité, chez Simon comme chez Proust : Simon note dailleurs dans son Discours de Stockholm que la mort dAlbertine est, contre toute attente, le fruit du hasard et il écrit dans Le Tramway que « les problèmes de vraisemblance nembarrassent pas Marcel Proust » (p. 257). Dans le même sens, le temps cyclique (litératif plus que le singulatif) met à mal chez les deux auteurs la progression narrative et la fonction même du dénouement, à vrai dire impossible. (Il nous semble cependant que lon est en droit de voir dans lépiphanie finale du Temps retrouvé autre chose que « lillusion dune issue ».)

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Le dernier chapitre de la troisième partie, le plus novateur, sattache au Jardin des Plantes dans une étude à la fois très précise et très ouverte, suscitant des lectures suggestives : avec ce roman, montre Laurence Cadet, on passe à un « vaste réfléchissement essayiste » (p. 278). La Recherche est certes présente dans le texte de Simon (et il y a loin du détournement parodique de La Bataille de Pharsale aux citations fidèles du Jardin des plantes) ; mais ce qui est le plus intéressant, cest quil nintègre pas seulement le texte de Proust, mais aussi des extraits de sa correspondance, qui voisinent par ailleurs avec des extraits de textes historiques comme les Carnets de Rommel, voire avec la fameuse lettre dun colonel du 8e régiment de Dragons reçue par Simon. Laurence Cadet se livre alors à une analyse fine du « réfléchissement textuel » (p. 289) quoffre Le Jardin des Plantes, fondé sur des contrastes ou des analogies. Ainsi par exemple le travail sur lenchaînement des paragraphes (tel celui sur les envolées onomastiques de Simon à partir des noms des villages traversés pendant la guerre, qui est suivi par un paragraphe présentant la citation de Sodome et Gomorrhe où le lift affirme que Camembert est le nom de Cambremer) nest pas loccasion pour Simon de se livrer à une critique ironique de lesthétique proustienne, mais bien plutôt de prolonger lintertexte proustien. Laurence Cadet prend aussi en compte linsistance de Simon sur lhomosexualité et, plus généralement, sur des éléments biographiques de Proust dans Le Jardin des Plantes, qui ouvre sur une part fantasmatique. Enfin, au-delà de cette projection personnelle de Simon, elle montre comment le portrait sado-masochiste de Proust renvoie au sado-masochisme du xxe siècle, les humiliations de « Charlus-Proust » évoquant la débâcle de larmée française en mai 1940, comme le donne à voir lentrelacement des thèmes des paragraphes. Lintertextualité ouvre ainsi sur une lecture très riche, qui va bien au-delà de quelques repérages de citations ; cette analyse de lintertextualité du Jardin des Plantes atteint lobjectif ambitieux annoncé dans lincipit du livre et la filiation proustienne chez Simon vérifie « la loi cruelle de lart » (p. 317) énoncée dans Le Temps retrouvé à propos de « lherbe drue des œuvres fécondes ».

Isabelle Serça

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Mireille Calle-Gruber, Claude Simon : une vie à écrire, Paris, Seuil, 2011, 450 p.

Le temps était venu dune biographie de Claude Simon, non par simple curiosité pour la personne de lauteur, mais parce que devenait de plus en plus problématique la tension entre une œuvre que son auteur lui-même déclarait « à base de vécu » et le caractère lacunaire des informations disponibles sur ledit vécu. La volumineuse biographie publiée par Mireille Calle-Gruber en 2011 est le premier ouvrage offrant un récit circonstancié de lexistence de Simon. Organisée en seize chapitres, elle nous conduit classiquement des origines familiales de lécrivain à sa mort en suivant les principales étapes que sont lenfance, les expériences de jeunesse, la guerre, les premiers essais littéraires, puis les grandes périodes de lœuvre, à partir du moment où « la biographie de lécrivain est désormais indissociable de la biographie de lécriture » (p. 196). Maîtrisant parfaitement lœuvre de Simon, ayant connu personnellement lauteur – jy reviendrai –, Mireille Calle-Gruber a eu aussi accès à de précieuses archives inédites, tels ces carnets tenus par Simon, qui permettent darticuler le présent des impressions vécues et leur future élaboration littéraire, par exemple autour du voyage en URSS de 1937 qui a inspiré la nouvelle « Babel » et bien plus tard un épisode de LAcacia. Elle a également recueilli nombre de témoignages de personnes appartenant à la famille ou ayant connu Simon, quil était important de collecter avant quil ne soit trop tard. Sa biographie est donc une mine dinformations nouvelles, par exemple sur les deux premiers mariages de Simon et le suicide de sa première femme, si tragiquement présent dans le filigrane dHistoire, que la chronologie « officielle » du premier volume de la Pléiade avait occultés par la volonté de lauteur. Ces informations sont portées par un récit vivant qui imbrique étroitement la vie et lœuvre, croise constamment les faits biographiques et les faits décriture, au risque parfois dune certaine confusion entre le vécu et le texte, qui naurait peut-être pas été du goût de Simon. On regrettera cependant labsence dun index des noms propres, indispensable dans ce type douvrage. Deux cahiers photographiques offrent aussi beaucoup de 205documents inédits, telle cette poignante photographie du petit Claude assis sur le bord de la « liseuse » de sa mère malade au mas des Aloès, ou encore celle de Simon « peintre au chevalet » à Montparnasse.

Malgré cet intérêt indéniable et lévénement éditorial que constitue en soi la première biographie dun écrivain assez secret, le positionnement critique de Mireille Calle-Gruber à légard de son objet laisse pourtant perplexe. Ses liens damitiés avec le couple Simon lui ont certes permis daccéder à des informations de première main. Fallait-il pour autant que le livre tout entier soit imprégné dune empathie gênante, que ne suffit pas à conjurer cette phrase de lavant-propos : « Je ne cache pas, dans les pages qui suivent, mon admiration pour Claude Simon lécrivain immense, et pour sa traversée exemplaire, tourmentée, du xxe siècle ; cependant, ce nest pas une hagiographie » (p. 10) ? On peut en douter parfois, dautant quau début du même avant-propos, Mireille Calle-Gruber met en scène la naissance de son projet biographique sous la forme quasi religieuse dune « intimation à écrire » : « car ce fut, oui, ainsi, soudain, lévidence intérieure dun “il faut” » (p. 9). De même, le livre se clôt sur un « thrène », chant funèbre qui, pour sincère quil soit sans aucun doute, confirme une certaine confusion des genres. Dans la rédaction même du livre, le choix de désigner tout au long lécrivain par son seul prénom ne favorise pas la distance nécessaire à ce genre dentreprise, pas plus que la majuscule sacralisante (« lŒuvre » ou « lŒuvre Simon ») et les multiples hyperboles par lesquelles le dithyrambe finit par lemporter sur lanalyse des faits. Et quand lempathie va jusquau mimétisme stylistique, on finit par se demander qui écrit, la biographe ou lécrivain dont elle serait le médium, comme dans cette phrase où se reconnaît la prédilection de Simon pour les séries dadjectifs antéposés : « Cest cette attitude de facile, élégante, inconsciente et velléitaire inertie que lécrivain représentera, un demi-siècle après, dans LAcacia » (p. 94).

Un autre aspect gênant de la biographie de Mireille Calle-Gruber est loccultation à peu près systématique de la critique universitaire actuelle, en particulier française, très active au moins à partir des années quatre-vingt-dix, comme si lauteur sarrogeait une forme dexclusivité dans la médiation de lœuvre, alors même que Simon sest intéressé au travail de nombre de chercheurs français dans cette période et a été en contact avec eux. Et si par exception une manifestation universitaire est évoquée – en loccurrence le colloque sur Le Jardin des Plantes organisé à Perpignan en 2061999 –, cest de manière polémique, comme exemple de la « pugnacité » de Simon qui « sindigne des interprétations qui dénaturent son roman » et « soppose à la diffusion du volume » (p. 432-433). De manière significative, Mireille Calle-Gruber adopte exclusivement et sans aucune nuance le point de vue de lécrivain à propos dun épisode qui posait pourtant de manière aiguë la question de la liberté de la critique9. Pas un mot, dautre part, sur la création en 2003, du vivant de lécrivain, de lAssociation des lecteurs de Claude Simon, qui marque pourtant une étape importante dans louverture de lœuvre à un plus large public.

Il est donc regrettable que subjectivité et partialité viennent trop souvent parasiter un ouvrage par ailleurs fort bien documenté et qui, quand il oublie dêtre un « tombeau de Claude Simon », nous permet de prendre toute la mesure de cette « vie dhomme au long de ce siècle et aux quatre coins du monde10 » dont lécrivain a fait le matériau privilégié de lécriture.

Jean-Yves Laurichesse

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Paul Dirkx et Pascal Mougin (dir.), Claude Simon : situations, Lyon, ENS Éditions, 2011, 203 p.

Claude Simon : situations a pour origine un colloque international intitulé « Claude Simon à la lumière de lhistoire littéraire, de lhistoire culturelle et de la sociologie de la littérature » qui a eu lieu en 2008 à lUniversité Sorbonne Nouvelle. Louvrage collectif, comme lindique son titre, vise à situer lœuvre de Simon et – dans une certaine mesure – lhomme et sa vie dans leur contexte historique, politique, social et culturel.

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Lintroduction, rédigée par Paul Dirkx et Pascal Mougin, souvre sur un bilan des thèses doctorales françaises consacrées à Claude Simon entre 1990 et 2009, lequel montre non seulement une progression nette par rapport aux décennies précédentes, mais aussi une dynamique appréciable. Comme lont remarqué les deux directeurs de louvrage, cette progression et cette dynamique – qui se manifestent aussi dans le nombre de livres et darticles sur Claude Simon qui paraissent chaque année en France et qui sont recensés dans ladmirable bibliographie électronique de Christine Genin11 – sont attribuables à plusieurs facteurs : entre autres, un ajustement favorable entre le « profil apparent » de lécrivain et de son œuvre et la critique universitaire française contemporaine, linscription de La Route des Flandres au programme de lagrégation 1998 et, bien sûr, lattribution du prix Nobel de littérature à Claude Simon en 1985. Parmi les autres facteurs que Pascal Mougin et Paul Dirkx auraient pu invoquer pour expliquer cette intensification dactivité critique, il y a lentrée de Claude Simon dans la Pléiade (2006), qui avait été annoncée dans Le Monde dès mai 2002, et la création, en 2003, de lAssociation des Lecteurs de Claude Simon, avec les nombreuses activités de celle-ci. La vue densemble de la recherche simonienne en France que proposent les deux éditeurs est à la fois très instructive et fort encourageante, surtout, peut-être, pour ceux qui travaillent sur Simon depuis quelque temps et qui ont si souvent regretté ce que Raymond Gay-Crosier a, à juste titre, appelé la « réception au mieux feutrée12 » que lœuvre de Simon a connue en France pendant de longues années.

La deuxième partie de lintroduction sert à présenter de manière claire et succincte les études qui vont suivre et à expliquer la structure de louvrage, qui sorganise autour de quatre sections dont chacune aborde un aspect particulier du rapport entre lœuvre de Claude Simon et son contexte référentiel.

Les trois études de la première partie, intitulée « Les ambitions accessibles », sattachent à la problématique (auto)biographique. Jean-Yves Laurichesse ouvre les travaux en se penchant sur la question du rapport conflictuel entre Claude Simon et son héritage provincial et 208démontre la façon dont Simon sest en grande partie construit comme écrivain en rejetant la société et la culture provinciales dans lesquelles il avait grandi. Ainsi, dans lautoportrait qui se dessine en filigrane à travers ses commentaires publics et ses romans, Simon apparaît comme une figure marginale qui essaye de se démarquer explicitement de son milieu natal mais qui en même temps, et peut-être malgré lui, laisse paraître les ambivalences qui se cachent derrière ses ironies et la « férocité satirique » (p. 31) de certaines pages de ses romans. Restant dans la relation au milieu familial, mais adoptant une approche bourdieusienne, Pascal Mougin fait valoir le rôle décisif qua joué dans le développement de Claude Simon la mésalliance parentale. Ainsi cet « héritier problématique » a, dans ses romans, analysé avec « une acuité sociologique » (p. 43) lhabitus clivé qui a été le sien, expérience déterminante dont les traces sont perceptibles dans ses sarcasmes contre « les fils de bonne famille », dans sa trivialisation de toutes formes dactivité mondaine et dans son insistance sur la nature essentiellement laborieuse de lécriture. Marie-Odile André reprend le thème de la rébellion et lit Le Tricheur à travers lattitude « doblitération, de rejet [et] de reniement » (p. 53) que Claude Simon a adoptée envers ce premier roman. Mais si le meurtre du prêtre symbolise le refus de deux « modèles dexistence » (la voie bourgeoise quil renie, la voie populaire quil se refuse ou qui reste toujours inaccessible), certains éléments du roman permettent au lecteur de mesurer la distance que Claude Simon prend par rapport à un certain nombre de ses contemporains et font du Tricheur une sorte de mise en scène de son entrée en écriture.

La deuxième partie de louvrage est consacrée aux « Positionnements » – intellectuels et littéraires – de Claude Simon, et souvre sur une étude de Katerine Gosselin, intitulée « Claude Simon et le roman “nouveau” », dans laquelle elle regroupe une bonne partie des commentaires de lécrivain sur le roman « traditionnel » et sur le Nouveau Roman et tente délucider la façon dont Simon sest inscrit dans ce quelle appelle la polémique « néo-romanesque », cest-à-dire – comme elle le précise à la page 80 – dans « la polémique critique qui a créé le Nouveau Roman ». Michel Bertrand propose une lecture attentive et détaillée de la correspondance entre Claude Simon et Jean Dubuffet, au cours de laquelle il explore non seulement les goûts et les habitudes qui les rapprochaient (leur admiration réciproque, une passion partagée 209pour le travail, la frustration engendrée par tout ce qui les empêchait davancer dans ce travail), mais aussi certaines différences ou asymétries qui caractérisaient leurs échanges (la réserve et la sobriété des lettres de Simon qui font contraste avec le « vent de frénétique enthousiasme de Dubuffet » [p. 96], la connaissance compréhensive et approfondie que Simon avait de lœuvre du peintre lequel, en revanche, semble plutôt découvrir, parallèlement à leur correspondance, certains romans majeurs de Simon). Cécile Yapaudjian-Labat sinterroge sur les ambivalences qui marquent le rapport de Simon à lhumanisme, et montre la façon dont, dans son œuvre et dans ses entretiens, les valeurs humanistes sont à la fois contestées et revendiquées.

La troisième partie de Claude Simon : situations sattache à « la question sociale et politique » et commence par une étude de Patrick Rebollar où ce dernier aborde la question de la présence de la politique dans lœuvre de Claude Simon en proposant une analyse informatique et lexicométrique de la fréquence dans ses romans de certains termes politiques. Nathalie Piégay-Gros examine les fonctions et la représentation de la figure de la domestique chez Claude Simon et analyse les procédés par lesquels il déshistorise et même, jusquà un certain point, désocialise ces personnages : ainsi la servante de Triptyque, la bonne du Tramway et Batti, la domestique fidèle de L. S. M., ont été délestées de leurs attributs et fonctions traditionnels et de leur bagage sociopolitique pour revêtir des dimensions archaïques et mythiques. Tirant argument des juxtapositions de personnages et dextraits intertextuels dans Le Jardin des Plantes, Michèle Touret considère la dynamique subtile qui sétablit dans le roman entre Marcel Proust et les extraits du journal dErwin Rommel et, par extension, entre art et document, entre écrivain et écrivant, et démontre la façon dont Claude Simon a confronté les extraits intertextuels afin de mieux délimiter lactivité propre de lécrivain.

La dernière partie de louvrage est consacrée au thème de lécrivain dans son œuvre. Comme Michèle Touret, Yona Hanhart-Marmor se concentre aussi sur Le Jardin des Plantes, mais elle propose plutôt une lecture comparative de lextrait du Colloque de Cerisy sur le Nouveau Roman et de la scène avec le journaliste, qui en fait les principaux véhicules dune réflexion métacritique qui sélabore à travers le texte. Ainsi sont confrontées dans ces passages deux esthétiques tout aussi bornées lune que lautre : lesthétique ricardolienne qui a dominé le colloque de 2101971, et lesthétique du « public moyen » qui fétichise le référent. Larticle de Paul Dirkx, qui clôture le livre, est une étude de synthèse qui survole lensemble de lœuvre de Claude Simon, y retraçant la récurrence du topos du corps écrivant et examinant le processus par lequel lécrivain aurait progressivement « auctorialisé » le texte et « autonomisé » ce corps écrivant.

Le principal reproche quon pourrait adresser à ce livre pourrait concerner de nombreuses études critiques françaises : le volume et les études qui le composent accordent relativement peu dattention au contexte critique et, en particulier, à la critique étrangère. Si cette tendance non contextualisante se rencontre plus fréquemment dans la critique littéraire française que dans la critique littéraire anglo-saxonne, elle est dautant plus surprenante lorsquil sagit dun des écrivains du Nouveau Roman, étant donné que jusquaux années 1990, une grande partie des recherches sur Claude Simon, Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Robert Pinget se faisaient ailleurs quen France. Lintroduction de Paul Dirkx et de Pascal Mougin est éloquente, lucide et édifiante, mais elle reste au fond une histoire très sélective de la réception française des deux dernières décennies de lœuvre de Claude Simon ; lorsquelle mentionne la critique étrangère, ce nest jamais quen passant et elle ne remonte pas avant 1985. Les éditeurs reconnaissent quune « contribution non négligeable fut apportée par la recherche anglo-saxonne qui, dès 1985, se montra soucieuse douvrir de “nouvelles directions” » (p. 14), mais ne font pas référence au corpus critique qui sest développé au cours des années Soixante et Soixante-dix et dans les premières années de la décennie suivante, passant ainsi sous silence de nombreuses études importantes et pertinentes écrites soit par des critiques britanniques, américains, canadiens, allemands, néerlandais, suisses et autres, soit par des universitaires français ou francophones qui travaillaient à létranger13. Si les sujets et les approches de certains des articles de Claude Simon : situations (notamment ceux de Jean-Yves Laurichesse, de Michel Bertrand et de Patrick Rebollar) ne nécessitent pas une contextualisation détaillée, dans dautres cas certains aspects des sujets traités ont déjà été abordés, et quelquefois de manière approfondie, par dautres critiques (et français et étrangers). Je me limiterai ici à quelques exemples indicatifs. 211On comprend difficilement pourquoi Katerine Gosselin cite létude plutôt polémique de Nelly Wolf (Une littérature sans histoire : essai sur le nouveau roman), mais omet de mentionner la monographie très importante – et très pertinente pour son sujet – de Celia Britton (The Nouveau Roman : Fiction, Theory, and Politics, 1992). Les fonctions thématiques de Batti ont retenu lattention de plusieurs critiques, dont Maria Brewer que Nathalie Piégay-Gros cite dans son étude, mais aussi Cora Reitsma-La Brujeere, David Ellison, Metka Zupančič, et Pierre Schoentjes. Dans plusieurs des études de Claude Simon : situations, il est question du Jardin des Plantes et, en particulier, de certains passages et épisodes – la scène avec le journaliste, les citations de Rommel, de Proust et de Dostoïevski, les références à Gastone Novelli, le scénario cinématographique – qui ont déjà fait lobjet danalyses plus ou moins détaillées faites par, entre autres, Celia Britton, Wolfram Nitsch, Maria Brewer, Brigitte Ferrato-Combe et Jean Duffy. Sil est indéniable que chacune des contributions de Claude Simon : situations propose de nouvelles interprétations et des analyses parfois très fines, il nen reste pas moins vrai que souvent ces interprétations et ces analyses ne sont pas suffisamment contextualisées par rapport aux études qui les ont précédées. De ce fait, non seulement y a-t-il des répétitions darguments (ou de parties darguments) déjà connus et non référencés, mais des opportunités importantes pour ouvrir des dialogues entre les travaux menés par des générations successives de simoniens français et étrangers nont pas été saisies. De plus, il me semble quune contextualisation plus rigoureuse aurait fait mieux ressortir loriginalité indéniable de certaines des perspectives qui ont été ouvertes au cours des différentes études.

Ceci dit, ce volume apporte une contribution fort utile à la réflexion sur les rapports complexes entre lœuvre de Claude Simon et son contexte référentiel et propose de nouvelles pistes de lecture. Louvrage se signale par la cohérence de sa conception, la complémentarité de ses principaux axes de recherche et la bonne qualité dune grande partie des études qui y sont accueillies et qui fournissent non seulement de nombreuses exégèses de détail fort pénétrantes, mais aussi de stimulantes hypothèses concernant lensemble de lœuvre simonienne.

Jean H. Duffy

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Julien Piat, Expérimentation syntaxique dans lécriture du Nouveau Roman (Beckett, Pinget, Simon) : contribution à une histoire de la langue littéraire dans les années 1950, Paris, Honoré Champion, « Bibliothèque de grammaire et de linguistique », 2011, 501 p.

Quand bien même elle propose des variations significatives dun roman à lautre, la prose de Claude Simon fait partie de celles qui se reconnaissent immédiatement. Si les « longues phrases » et lutilisation massive des participes présents ont été rapidement repérées comme des faits saillants de son écriture, il faut bien convenir que la critique a tardé à porter un regard linguistique méthodique sur ce quon peut à bon droit appeler la langue simonienne. Symptomatiquement, les travaux formalistes de Jean Ricardou lont conduit à forger de nombreux outils danalyse du fonctionnement textuel tout à fait opératoires, mais curieusement, cet outillage a trouvé sa limite précisément sur le seuil de lanalyse syntaxique. La syntaxe ferait-elle peur ?

Il paraît difficile pourtant den faire léconomie pour appréhender une œuvre profondément holistique où, en vertu dun régime spéculaire systématisé et réciproque, le dit et le dire ne cessent de sentre-réfléchir. À lexception des travaux précurseurs de Dominique Lanceraux dans les années 1970 et de quelques publications isolées, ce nest quà lorée des années 2000 que des recherches menées par des stylisticiens et des linguistes littéraires tentent dappréhender méthodiquement le style et parfois plus précisément la langue de Claude Simon14.

LExpérimentation syntaxique dans lécriture du Nouveau Roman de Julien Piat sinscrit dans cette tendance qui marque un profond renouvellement des études simoniennes. Déjà codirecteur avec Gilles Philippe dun ouvrage dont on commence à mesurer limpact dans lattention accordée 213à la question de la langue littéraire15, Piat propose de porter un regard linguistique historicisé sur le tournant des années 1950. Se font à cette époque remarquer des écrivains qui, tous édités aux Éditions de Minuit, se voient rapidement jugés comme difficiles à lire, voire illisibles, en raison de phrases qui par leur longueur retardent indéfiniment lapparition du point final ou qui, à linverse, savèrent étonnamment courtes ou tronquées, ou encore qui par leurs méandres ne cessent de revenir sur un déjà dit.

Piat concentre sa réflexion autour de lœuvre romanesque de trois écrivains – Beckett, Pinget, Simon – et dune décennie – 1950-1960 : « En se situant au carrefour de lanalyse linguistique et de lanalyse littéraire, au plus près de la forme et au plus près des effets de sens, on souhaite interroger le rapport entre les traits de langue marqués et la constitution de textes que lon dira plus volontiers “difficiles” [] qu“illisibles” : les romans de Beckett, Pinget, Simon peuvent être lus. Substituer à la notion dillisibilité celle de difficulté, cest prendre acte dune lecture effective, aux prises avec lépaisseur du texte, son opacité, ses obstacles » (p. 11). Lobjet dobservation privilégié pour cette étude sera la phrase, notion quen dépit des distorsions que lui infligent les trois auteurs, Piat ne récuse pas. Au contraire, justifie-t-il, lécriture de ces romanciers est précisément marquée par une conscience de la phrase dont ils vont travailler les possibles dans ses limites. Cest ainsi quil est conduit à introduire la notion dexpérimentation syntaxique conçue comme « exploitation systématique des possibles de la phrase » (p. 13), laquelle concerne au premier chef les phénomènes de discontinuité. Sans méconnaître les spécificités de chacun des romanciers, il entend montrer la façon dont, par cette écriture expérimentale, ils contribuent à un moment particulier de lhistoire de la phrase littéraire française.

La première partie, intitulée « Discontinuités phrastiques et opacification de la lecture », se propose de repérer, décrire et classer les phénomènes linguistiques engagés par lécriture expérimentale en termes décarts relatifs à des pratiques conventionnelles ou à des attendus. Le premier chapitre, qui sintéresse à la phrase en tant quunité prédicative, met au jour trois principales modalités dopacification : leffacement du cadre prédicatif marqué, par une tendance à la disparition du verbe conjugué (par exemple dans les phrases a-verbales) ; la dilution de ce même cadre, 214marquée au contraire par une prolifération de la prédication à lintérieur de la phrase ; enfin lémiettement, qui correspond à la dispersion sur plusieurs phrases dune seule prédication. Le deuxième chapitre est consacré à la complexité énonciative. De fait, on observe, toujours au sein de la phrase, une perturbation de lunité énonciative qui lui est en principe associée. Cela peut prendre la forme de « gloses déquivalence » (par exemple « ou plutôt » chez Simon), de commentaires métadiscursifs, ou encore dun effacement des frontières syntactico-énonciatives (par exemple labsence de délimitations dans les discours rapportés entre discours citant et discours cité). Les deux chapitres suivants sont orientés vers des questions de syntaxe à lintérieur de la proposition. « Alors que la structure canonique de la proposition repose sur la suite sujet, verbe et compléments éventuels, les réalisations quen donne le corpus se démarquent nettement de ce modèle. Le travail dexpérimentation touche les phénomènes de rection, de dépendance et dincidence, qui forment larchitecture de la proposition. » (p. 115). Sensuit donc un travail minutieux de repérage qui conduit à identifier quatre grands types dopérations : amplification, déplacement et disjonction dans le chapitre 3, et détachement dans le chapitre 4. Dans ce chapitre plus exactement, Piat sintéresse aux constructions détachées polaires, cest-à-dire situées à la marge du cadre propositionnel et phrastique, pour en conclure à la richesse des ressources offertes par cette opération : « Dabord le détachement lui-même, qui, de fait, situe ces séquences dans un entre-deux vis-à-vis de la proposition ou de la phrase hôte ; ensuite, ces séquences détachées [qui] participent à lamplification phrastique, sur le mode éventuel de la redondance, lorsquelles sappuient sur des phénomènes de double-marquage ; enfin, leur place dans une zone frontalière avec dautres unités [qui] peut avoir des effets sur leur appariement syntactico-sémantique, plus particulièrement lorsquune logique dautonomisation se fait jour, qui ambiguïse les structures syntaxiques par-delà le ponctuant démarcatif. » (p. 186-187). Au terme de cette première partie, Piat conclut à une perturbation systématisée de la linéarité phrastique, aux niveaux prédicatif, énonciatif et syntaxique, au moyen de trois grands types dopération – amplification, segmentation et disjonction – qui engagent les écritures de Beckett, Pinget et Simon dans un jeu constant avec les attendus de la langue. « Cest bien la friabilité des catégories et des appariements syntaxiques qui est au cœur des réalisations discontinues : la proposition, la phrase, 215le texte deviennent des unités en équilibre, et la constitution du sens se trouve brouillée. Lécriture expérimentale sappuie sur des structures syntaxiques épilinguistiques fortes pour mieux les entraîner à leurs limites : la multiplication de configurations imposant des programmes discursifs forts et reposant sur des caractéristiques linguistiques en elles-mêmes problématiques [] potentialise les effets de lecture “difficile” et les configure en effets de style. » (p. 189).

Intitulée « Des patrons stylistiques », la seconde partie se propose de tirer les conséquences de larticulation entre ces formes de langue et linscription littéraire et générique des textes. Elle prend appui sur les phénomènes précédemment observés pour les inscrire dans un cadre stylistique en termes de « patrons » (daprès langlais pattern), définis comme des configurations a) repérables et récurrentes dans lensemble du corpus, b) pouvant être décrites en termes linguistiques et c) organisant des effets de lecture convergents (p. 195). Cest ainsi que Piat est amené à étudier dans le chapitre 5 un patron vocal et un patron génétique. Le premier permet de faire émerger un fort effet de voix reposant sur une énonciation principalement à la première personne et sur diverses marques stylistiques doralité. Le second est à situer relativement à lécriture endophasique de la voix intérieure, ou plus exactement dune vie intérieure, et permet de montrer comment le Nouveau Roman « se construit comme roman phénoménologique » (p. 221). Dès lors, dépassant les deux patrons précédents, cest un « métapatron phénoménologique » qui est envisagé dans le chapitre 6. Piat montre que dans la continuité dun processus littéraire amorcé vers 1850, mais par des moyens renouvelés, les trois auteurs étudiés explorent les limites formelles de la phrase (incomplétude, brièveté, longueur) en tant quelle cherche à dire les différentes modalités dopérations de la conscience (perception, imagination, souvenir) qui sont aussi, nécessairement, différentes modalités de conscience du rapport au temps (successivité et/ou simultanéité). « Le caractère phénoménologique du roman, écrit Piat, permet de comprendre que le monde nest plus ici lobjet du discours romanesque : on ne cherche plus à dire un “décor”, mais la manière dont on perçoit ; non plus des relations entre des éléments extérieurs, mais des relations internes à des processus mentaux » (p. 313).

Dans la continuité logique de la précédente, la troisième et dernière partie, intitulée « Un roman phénoménologique : poétique et stylistique romanesques dans le champ littéraire des années 1950 », entend dabord 216dans le chapitre 7 mettre à jour les tenants poétiques de ce romanesque phénoménologique, en montrant que lécriture de Beckett, Pinget ou Simon prend ses distances avec la narration ou même avec la description au profit dun romanesque de lévocation. En sappuyant notamment sur des effets de rythme ou sur une syntaxe iconique créant des « images dévénements mentaux dont le roman phénoménologique entend rendre compte » (p. 360), elle « construit ses contenus davantage quelle ne les représente » (p. 349), suivant des modalités qui relèvent davantage de lanalogie que de la référence. Piat termine son étude avec, au chapitre 8, une mise en perspective plus large de la place du Nouveau Roman au sein de cette tendance amorcée dans le seconde moitié du xixe siècle qui a lié lévolution du genre romanesque à des problématiques langagières, et surtout au sein de la production romanesque des années 1950, dont la cartographie sorganise autour de trois pôles : un pôle stylistique « gauchi » dont participe lexpérimentation syntaxique étudiée dans louvrage, un pôle stylistique « classique », avatar pour lépoque de la « belle langue », et un idéal stylistique de lécriture blanche – trois pôles bien distincts qui attestent un moment linguistique de lhistoire de la littérature, en vertu duquel il apparaît nécessaire de se positionner relativement à lune de ces pratiques linguistiques.

Le travail mené par Piat conjugue ainsi une analyse historique du roman couplée à une analyse historique de la phrase, ou plus précisément du sentiment de la phrase et de ce quelle peut représenter tant dans limaginaire des écrivains que dans celui du lecteur. En même temps que réflexion historique, ce travail se veut essai de méthode, tentant de fonder lanalyse sur une stylistique des patrons, laquelle aboutit à une stylistique générique.

On ne peut que savoir gré à son auteur davoir su mener une analyse à la fois pointue et limpide, ne versant jamais dans les excès dun jargon technique que la rigueur linguistique ne manque pourtant pas de requérir. On pouvait sinquiéter a priori dun retour au Nouveau Roman et au traitement conjoint de trois écrivains dont lhistoire récente a permis de mettre en avant les singularités. Mais dans la perspective historique qui est celle de Piat, il était difficile de faire autrement. La gageure nétait pas mince qui consiste à dépasser les clichés qui associent les trois auteurs à un mouvement littéraire, lequel se voit ordinairement résumé par une énumération de positions de principes telles quelles paraissent édictées dans le Pour un nouveau roman dAlain Robbe-Grillet. Il sagissait donc 217de passer outre ces discours prémâchés – ce qua su faire Piat en prenant précisément le parti de ne pas sappuyer sur les textes théoriques mais sur la pratique romanesque – pour en revenir aux textes mêmes et à leur rapport à la langue, afin de faire émerger, avec méthode et rigueur, des récurrences syntaxiques qui ne méconnaissent pas pour autant la variation. Ne pas noyer et mêler Simon, Beckett et Pinget dans la mélasse du Nouveau Roman tout en faisant émerger par lanalyse fondée sur des observations précises un temps linguistique majeur de lhistoire du roman et de son rapport à la phrase, il fallait tout de même sy risquer. Cest ce que cet ouvrage accomplit brillamment, à laide dun travail de repérage colossal qui constitue une mine dexemples pour les grammaires à venir.

Un autre mérite de ce travail est son caractère stimulant et linvitation au débat quil suscite, en particulier sur la notion dexpérimentation et le statut de la phrase – on nous permettra dans ce cadre de nous concentrer sur lœuvre de Claude Simon. Chez celui-ci, le champ de lexpérimentation littéraire pourrait aussi bien être associé à ses quatre premiers romans (du Tricheur au Sacre du printemps) dans la plupart desquels Simon sest essayé à écrire des romans de facture conventionnelle. Si lécriture tâtonne encore dans Le Vent puis dans LHerbe, elle semble atteindre une pleine maîtrise dans La Route des Flandres. Autrement dit, et paradoxalement, les œuvres sont jugées dautant plus expérimentales quelles constituent pour Simon la pleine affirmation dune manière personnelle, pour paraphraser le titre de larticle que lui consacre Claude Sarraute à la parution du roman de 196016. Peut-on parler dexpérimentation à propos dune œuvre qui ne cherche plus mais, au contraire, semble avoir trouvé ? On répondra certes quil convient de distinguer entre lexpérimentation dune écriture qui se cherche et lexpérimentation dans lœuvre elle-même comme forme voulue comme telle par le romancier. Certes, mais cela a pour conséquence, et Piat le dit bien, de conserver la phrase comme objet dexpérimentation autour de laquelle se structure lécriture.

Et cest là un autre questionnement qui souvre : faut-il penser lécriture simonienne relativement au modèle phrastique ? Si lon écoute Simon dans les entretiens quil accorde en 1960, cela ne va pas de soi : « Tout bouge, rien nest fixe, déclare-t-il à Madeleine Chapsal. Le langage lui aussi est naturellement mouvant. On ne peut pas sexprimer en 1960 218avec la phrase de Stendhal, ce serait se promener en calèche17 ! ». Plus radical encore, il affirme à Hubert Juin : « Je nessaye pas de rendre, de décrire des pensées, mais de rendre des sensations. Or, la phrase (dans son organisation) convient fort mal à ce que je veux faire18 ».

La phrase serait-elle donc un modèle quéprouve le romancier dans le cadre dune démarche expérimentale, ou bien tout simplement une forme langagière qui nest plus opératoire pour rendre compte de son écriture ? Les enjeux ne sont pas minces, qui nous relient à lensemble de la pratique romanesque de Simon. En effet, la phrase est une structure linguistique fondée sur lordre et la hiérarchie (cf. les notions de propositions principales et subordonnées, les divers phénomènes de rection et de dépendance). Or la vision du monde qui domine dans Le Vent, LHerbe et La Route des Flandres – et avec elle la syntaxe pour le dire – se caractérise par lexact contraire : labsence de toute hiérarchie, tous les éléments étant disposés « sur le même plan », comme Simon lécrit dans LHerbe à propos des notations portées sur le carnet de Marie. La phrase est associée dans lunivers simonien à une vision du monde hiérarchisée et rationalisée, comme en témoigne plus tard lutilisation exclusive de phrases relativement simples dans Les Corps conducteurs pour évoquer, notamment à travers la grande ville américaine, une hyper-rationalisation de lespace. En tant que manifestation dune telle vision du monde, elle peut être présente dans les romans des années 1957-1960, mais, dans ce cas, moins comme objet expérimental que comme forme linguistique liée à une certaine vision du monde ou dun certain rapport du sujet au monde.

Cela ouvre la possibilité dun autre point de vue, qui redonne à la phrase un statut au sein de lécriture de Simon, semblable à celui quoccuperait la notion dordre dont elle serait la manifestation sur le plan syntaxique. À maints égards, lunivers romanesque simonien est à saisir au sein dune tension entre ordre et désordre, ce quexpriment notamment plusieurs épigraphes (on pense en particulier à celles du Vent et dHistoire19). Dans ce cadre dialectique qui affecte toutes les composantes (thématiques, stylistiques, etc.) de lunivers romanesque simonien, le modèle phrastique 219représenterait sur le plan stylistique cette tension et cette aspiration vers un monde qui serait saisi de manière rationalisée, aspiration dont le roman semploie à montrer linanité. Dans une vision géométrique, si lon veut, de la place de la phrase au sein de lécriture simonienne, on serait donc porté à lenvisager comme pôle plutôt que comme axe.

Parce quil le rejette tout en lui assignant un certain statut au sein de lœuvre, le modèle phrastique assume ainsi chez Claude Simon une fonction romanesque paradoxale. Ce nest pas le moindre des mérites de létude de Piat que davoir montré minutieusement que cette tension bien connue de lœuvre simonienne devait et pouvait se décrire aussi en termes syntaxiques.

David Zemmour

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Claude Simon, Quatre conférences, textes établis et annotés par Patrick Longuet, Paris, Minuit, 2012.

Comme lindique son titre, Quatre conférences réunit quatre conférences prononcées par Claude Simon à létranger entre 1980 et 1993. Nétant le produit ni dun philosophe, ni dun théoricien de la littérature, comme Simon tient à le souligner à plusieurs reprises, ces réflexions « très subjectives » (p. 81) se sont développées au cours des années en parallèle de son activité décrivain, et elles procèdent directement de son travail sur la langue, en reflétant également un certain nombre de ses préoccupations : ses lectures, ses goûts, son enthousiasme pour la peinture. Pour les habitués de lœuvre simonienne qui retrouveront dans ce recueil les échos de certaines perspectives exprimées par Simon dans dautres entretiens, colloques ou articles, ces quatre textes se lisent également comme des étapes essentielles dans lélaboration dune pensée 220sur la littérature inlassablement reprise et enrichie. Bien quil sagisse de quatre conférences distinctes, prononcées à des moments différents, on y distingue une grande cohérence grâce à quelques fils conducteurs qui se croisent dans le recueil : plusieurs références récurrentes (Proust, en particulier, qui est cité dans toutes les conférences, mais également Flaubert, Stendhal, Tolstoï, Faulkner, Joyce, Valéry, Élie Faure, Cézanne, Picasso), des parallèles entre la peinture et la littérature, lintérêt que porte Simon au rôle de la description dans le récit, son refus du roman traditionnel, ainsi que le rejet de toute finalité sociale de lart. Par ailleurs, les annotations fournies par Patrick Longuet, de même que linclusion dune conclusion rédigée par Simon pour une version alternative de la deuxième conférence, « Écrire », permettent au lecteur de saisir le cheminement et les variations de la pensée simonienne, en complétant ainsi ce recueil qui représente un excellent outil de travail, indispensable aux spécialistes, mais également accessible aux novices qui désirent sinitier à lœuvre de Simon.

La première conférence, « Le poisson cathédrale », prononcée en 1980 à Göteborg, a plusieurs mérites. Tout dabord, elle montre Claude Simon sous un jour particulier, comme lecteur passionné de Proust, qui, en communiquant sa propre émotion à la lecture dun extrait dÀ lombre des jeunes filles en fleurs, ravive lintérêt du lecteur pour le chef-dœuvre proustien et linvite ainsi à une (re)lecture de la Recherche. Dans cette étude, Simon procède également à une évaluation du rapport entre narration et description, et à la réhabilitation de la fonction de la description, reléguée pendant longtemps à un rang secondaire par la valeur prééminente accordée à la narration, considérée comme moteur du récit. En sappuyant sur les principes énoncés par les deux formalistes russes quil mentionne fréquemment, Tynianov et Chklovski, et en les illustrant par lextrait proustien, Simon propose un renversement du rôle accessoire de la description, à travers une mise en évidence de son caractère dynamique qui contribue substantiellement à la progression du récit. À laide de la définition que donne Chklovski du « fait littéraire » – « le transfert dun objet de sa perception habituelle dans la sphère dune nouvelle perception » (p. 13) –, Simon montre comment le poisson qui constitue le noyau de lextrait descriptif proustien est retiré de son contexte quotidien et apparemment banal (le repas du narrateur au Grand-Hôtel de Balbec) et transposé, par le biais de multiples transferts métaphoriques, 221dans un contexte où se rencontrent les profondeurs marines, des échos des époques primitives, ainsi que des références architecturales. Le réseau métaphorique qui établit des rapports entre les composantes de cette description et divers éléments de lœuvre entière met en relief la place capitale de la description dans léconomie du récit ; elle y détient, tout comme la narration, un rôle actif, car elle « travaille, agit [] rassemble ce qui était épars, ordonne ce qui paraissait désordre, règle minutieusement les détails de cette grandiose cérémonie où entrent en scène lunivers tout entier, le passé et le présent [] » (p. 36).

Dans la deuxième conférence, « LAbsente de tous bouquets », prononcée à Genève en 1982, Simon examine le concept de modernité en relation avec deux autres notions : celle de progrès dabord, ensuite celle de fragmentation ou de discontinuité. Cette analyse prend appui sur un grand nombre dexemples fournis par lhistoire de lart et lhistoire de la littérature, dont lauteur se sert afin déchafauder des analogies entre les deux domaines. Simon commence par dissocier lidée de modernité de celle de progrès, compris « dans le sens dune marche vers un mieux ou un meilleur » (p. 42), et par conséquent inexistant en art, selon lui, étant donné que « [c]haque époque a sa modernité, et lhistoire de lart est faite dune série dinnovations ninstaurant jamais quun “autrement”, en aucun cas un “mieux” » (p. 42-43).

Simon signale par la suite une autre erreur fréquente qui consiste à associer le concept de fragmentation à celui de modernité. Lidée de fragmentation nest pourtant pas tout à fait nouvelle. Si les peintres (à partir des Cubistes) ou les romanciers « modernes » (en commençant en particulier par Proust et Joyce) ont le mérite davoir exhibé la fragmentation du réel dans leurs œuvres, cette discontinuité est en fait inhérente à la manière dont on perçoit le monde environnant. Cependant, le caractère fragmenté de la perception a longtemps été caché par un type de représentation qui sefforçait de donner « la sensation dun inventaire complet et non fragmenté du monde visible “réel” » (p. 52). Simon situe pendant la décennie 1910-1920 ce changement radical au niveau de la représentation qui tend dès lors à la « non dissimulation des vides ou des trous » (p. 59). Or, le déploiement de « ces plages de vide » (p. 55) entraîne nécessairement une modification dans lagencement des éléments du récit dont lorganisation nest plus dictée par la loi de cause à effet, mais par les qualités propres à ces éléments mêmes : « [] les 222harmoniques, les dissonances, passages, dérapages, contrastes, etc. » (p. 59). Larticulation du récit ne se fait plus en fonction dun modèle extérieur – une réalité sociale ou psychologique que le romancier viserait à reproduire – mais en tenant compte uniquement des exigences du matériau langagier, des sonorités des mots et des harmonies qui se créent entre les différents éléments de la phrase. Il ne faut pourtant pas croire que Simon privilégie ainsi la forme au détriment du fond. Sil rejette la causalité à fonction didactique et moralisatrice qui régit, dans son opinion, lunivers du roman traditionnel, il reconnaît également les dangers de lextrémisme formaliste de Jean Ricardou (quil avait pourtant adopté, à des degrés divers, surtout dans les années Soixante-dix). Claude Simon fait preuve dune grande finesse quand il essaie de trouver un juste milieu, en apportant au célèbre chiasme de Ricardou qui définit le récit non plus comme « lécriture dune aventure » mais comme « laventure dune écriture », la correction suivante : « Le roman ne cesse dêtre le récit dune ou plusieurs aventures en même temps et dans la mesure où il est aussi laventure dun récit. » (p. 61).

Dans la troisième conférence, « Écrire », donnée à lUniversité de Bologne en 1989, Simon se penche derechef sur une question qui lui a été posée quelques années auparavant par le quotidien parisien Libération : « Pourquoi écrivez-vous ? ». Cette reconsidération engendre, à son tour, deux autres questions : « Quest-ce quécrire ? » et « Écrire quoi ? ». À la première interrogation, Simon répond en invoquant, simplement, la nécessité pour tout être humain de “faire” quelque chose, afin de se donner une raison dêtre. À travers des références à son propre vécu et à son expérience décrivain, Simon met en avant le rôle du hasard dans lécriture, se livrant ainsi à la démystification dune certaine conception de la littérature qui perpétue le mythe de linspiration créatrice qui planerait, comme une sorte de grâce, sur lécrivain, ou celui de lécriture comme vocation à laquelle seraient seuls prédestinés certains élus. Simon insiste en revanche sur le côté laborieux, mais non pas dépourvu de plaisir, du processus délaboration dune œuvre littéraire, en répondant à la question « Quest-ce quécrire ? » par « travailler dans et par la langue » (p. 80). Afin daborder la troisième question, lécrivain retrace quelques-uns des changements les plus importants survenus dans le domaine du roman au cours des xixe et xxe siècles. En traitant de la question du roman traditionnel, Simon en critique certains aspects quil regarde 223comme réducteurs, notamment le personnage – développé selon une optique univoque qui aboutit à des « “types” sociaux aux psychismes simplifiés jusquà la caricature » (p. 82) –, et la fable, conçue comme une histoire à valeur moralisatrice, et organisée, de surcroît, en fonction dune causalité qui enferme les personnages dans la sphère inéluctable de la prédestination. Si cette conception de la fable persiste chez les grands romanciers du xixe siècle, Simon discerne également dans leurs œuvres les premiers signes de modifications capitales ; il identifie ceux-ci comme visant particulièrement le rôle de la description. Le changement est ainsi annoncé par les descriptions non stéréotypées chez Balzac, par la multiplication des descriptions chez Flaubert, ainsi que par leur fragmentation et répartition à travers le récit entier chez ce dernier. Ces innovations culminent dans lœuvre de Proust par leffacement de la distinction entre description et narration. Simon remarque un autre changement significatif, portant sur la fable cette fois. Dans la mesure où celle-ci commence à perdre sa pertinence, laccent est mis de plus en plus sur la manière dont lhistoire est racontée. Par conséquent, le sens qui dans le roman traditionnel précédait lhistoire (étant antérieur au travail de lécrivain qui élabore son œuvre), se dégage dans le roman contemporain, au moins en ce qui concerne Simon, précisément du travail qui génère lœuvre, grâce aux possibilités multiples que propose le fonctionnement de la langue.

Le texte de la dernière conférence, « Littérature et mémoire », prononcé à Queens University (à Kingston, Ontario) en 1993, propose une réflexion sur les rapports complexes entre littérature et mémoire, leur fonctionnement individuel et le rôle des souvenirs dans la production artistique. Pour commencer, Claude Simon distingue entre la mémoire à court terme et la mémoire à long terme, en montrant que les deux types de souvenirs quelles engendrent – récents et lointains – subissent des influences diverses qui sont autant dobstacles sinterposant entre lévénement initial, qui se trouve à lorigine du souvenir, et le sujet qui se rappelle. Il étaie sa démonstration avec un exemple quil utilise fréquemment, un extrait de Vie de Henry Brulard dans lequel Stendhal raconte son passage du col du Grand Saint-Bernard avec larmée dItalie. Simon révèle, en reprenant les citations de Stendhal, comment une représentation picturale – une gravure que Stendhal a vue après lépisode du passage, mais qui ressemblait à limage quil en gardait – ou plutôt 224son souvenir, vient sintercaler entre le souvenir de lévénement initial et lécrivain, à la manière dun écran qui médiatise et transforme le souvenir. Le concept de médiation intervient également au niveau de la perception du réel, qui se trouve faussée par une « grille assimilatrice » qui filtre la réalité si bien que « [c]e que la pensée en reçoit nest quune interprétation, une traduction codée » (p. 106). Perception et mémoire sont donc encombrées dune quantité dimages, de souvenirs au second degré, de conditionnements dordre social, génétique, psychologique, etc. Face à tous ces obstacles, lécrivain se trouve dans la difficulté de « séparer lauthentique des “interprétations codées”, distinguer limportant, le principal, du secondaire, de laccessoire » (p. 110). Comment garantir dès lors la véracité des choses rapportées ? Étant donné le caractère sélectif, subjectif et partiel de la perception dun côté, et de la mémoire dun autre côté, il est impossible de garantir lauthenticité du souvenir restitué à travers lécriture, surtout que celle-ci impose, de par son propre mouvement, un choix et un ordre à la mémoire. Par conséquent, lécrivain nest en mesure de restituer que ce qui se trouve dans son esprit au moment où il écrit, au “présent de lécriture”, pour reprendre une expression chère à Claude Simon.

Si le vécu ne peut pas être reconstitué de manière tout à fait véridique, vu la présence des filtres déformants de la perception et de la mémoire, lécrivain a tout de même lavantage de pouvoir se tourner vers une autre réalité, celle du langage, dont lauthenticité se mesure à laune des “harmonies” qui se dégagent du mouvement de la phrase, de son rythme, de ses sonorités. Le paragraphe final de la dernière conférence illustre à travers un exemple très éloquent limportance de cette réalité langagière pour Simon. En décrivant dans LAcacia un cortège de refugiés de la débâcle de 1940, après avoir énuméré un certain nombre dobjets lourds qui étaient empilés sur une charrette, Simon se rend compte quil a besoin de « quelque chose de léger, daérien » (p. 124) pour finir le mouvement de « cette phrase qui décrivait un entassement, une pyramide élevée » (p. 123). Après de longues recherches, lécrivain trouve le mot “bicyclette”, tout en précisant que ce mot ne correspond pas à la réalité vécue – il avoue que lobscurité lempêchait didentifier les objets entassés sur la charrette – mais aux impératifs de la phrase qui est en train de se former. Cette illustration reprend magistralement lun des fils conducteurs qui traversent les quatre conférences, en 225inscrivant implicitement le parcours littéraire de Claude Simon dans la continuité des itinéraires tracés par deux autres grands stylistes, Proust et Flaubert, à savoir « quen littérature seul le beau, le musical, est juste, vrai » (p. 123).

Alina Cherry

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Jean-Yves Laurichesse (dir.), Claude Simon géographe, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », série « Littérature des xxe et xxie siècles », 2013, 267 p.

Ce volume rassemble une série de textes issus dun colloque international qui a eu lieu à lUniversité de Toulouse 2-Le Mirail, les 26 et 27 mai 2011. Après une introduction brève, mais très claire, qui présente le sujet et qui donne un aperçu général des objectifs des études qui suivent, le recueil souvre sur un article de léditeur Jean-Yves Laurichesse. Revisitant la question de la signification – ou plutôt des significations – de la présence dOrion dans lœuvre et dans la réflexion esthétique de Claude Simon, ce premier article montre comment, dans La Bataille de Pharsale, la figure mythologique “naît” du mouvement du train dans lequel voyage O et qui non seulement parcourt mais pénètre le paysage, tandis que dans Orion aveugle cest le géant qui fait découvrir le paysage au lecteur, paysage qui appartiendrait à une géographie intérieure, paysage mémoriel qui « se construit en même temps quil sécrit » (p. 26).

Les articles qui suivent sont organisés sous trois rubriques : « Perspectives géocritiques », « Géographie et Histoire » et « LImaginaire géographique ». La première partie du volume réunit des travaux qui offrent diverses pistes théoriques et critiques pour saisir la complexité de la conception simonienne de la géographie et des différents espaces 226quoccupent ses personnages ; la deuxième est consacrée à des questions se rapportant à la dimension socio-historique de la représentation de lespace ; et la troisième explore limportance et les modalités de la rêverie géographique dans lécriture de Simon.

La première partie du recueil commence par une « promenade géocritique » (p. 31) effectuée par Bertrand Westphal à travers Le Jardin des Plantes, contribution qui garde un certain nombre de traces doralité (points dexclamation, incises) et qui – passant plus ou moins sous silence la « masse considérable » (p. 31) des documents et analyses consacrés au roman – se lit comme une causerie plutôt quune étude strictement analytique : causerie-promenade, certes fort intéressante, mais qui malheureusement ne prend pas en compte les commentaires souvent très approfondis et éclairants proposés par dautres critiques sur certains sujets dont il est question ici (par exemple, le rôle structurel du titre du roman et les significations quon peut attacher à la description du jardin éponyme, la mise en page particulière du début de louvrage, et la fonction thématique des références à la biographie de Gastone Novelli et à ses peintures). Dans sa contribution, Pierre Schoentjes montre que Les Géorgiques sont encadrées par deux références discrètes mais fort significatives à la géographie qui se font pendant et qui font à leur tour écho à une troisième située au milieu du texte, les trois renvois servant à mettre en lumière une thématique axée sur le rapport entre la géographie publique et la géographie privée, entre labstraction de la carte détat-major et le paysage vécu par le soldat ordinaire, entre les significations historiques dont les lieux ont été investis et « linfinité des possibles que notre imagination y rattache » (p. 47). Partant dune évocation de la diversité des lieux simoniens et de la complexité de leurs rapports avec le temps et sappuyant sur le concept de « chorème » quil emprunte à Roger Brunet, Jacques Isolery constate que la topophilie qui caractérise lœuvre de Simon se double dune topophobie tout aussi profonde. Dans le cas dOrion aveugle, cette topophobie serait déclenchée par une crise de santé qui empêche lhomme malade « dhabiter le monde » (p. 66) et elle se manifeste textuellement par la présence de certains dispositifs narratifs et rhétoriques (vues plongeantes de la ville, opposition entre lordre excessif du milieu urbain et le désordre naturel, métaphores fantasmatiques, etc.) ; mais en même temps, le texte « propose des modes de réappropriation inductive » (p. 70) fondée en partie sur la récurrence de formes chorémiques qui permettent le rétablissement dun 227ordre basé sur le réseau conjonctif de la langue. Pour Ilias Yocaris et David Zemmour, Orion aveugle et Les Corps conducteurs sont les sites dune réflexion sur la dimension cartographique de lécriture simonienne ; mais, si la configuration en quadrillage de la ville américaine informe et la vision de lespace qui sélabore dans ces deux livres et le processus de composition textuelle, les sentiments de malaise et de vertige quéprouve le malade qui marche dans la rue suggèrent une perspective plutôt dysphorique du rapport entre lhomme et son environnement physique, perspective selon laquelle les efforts quil fait pour la géométriser, et donc pour se lapproprier, se retournent inévitablement contre lui. Pour Metka Zupancic̆, les déplacements des personnages et les diverses quêtes dans lesquelles ils se trouvent engagés se font dans le cadre dune géographie qui a été consacrée par lhistoire de lhumanité mais qui, dans les romans de Claude Simon, est aussi sujette à un processus de parodie, de déconstruction et de désacralisation, et les lieux sont indissociables non seulement des événements qui sy sont déroulés et de lhistoriographie palimpseste où se sont superposées des couches dinterprétations diverses, mais aussi des incertitudes, des hésitations, du « je ne savais » de ceux qui en ont fait lexpérience, qui les ont découverts, visités ou subis.

Selon Alastair Duncan, dont la contribution ouvre la deuxième partie du volume, Les Corps conducteurs pourrait être lu comme une mise en question dune conception classique de la géographie qui la définit comme « science du paysage » et qui sarticule autour de lexamen objectif du terrain ; par contraste, le roman de Simon – par ses références constantes au temps quil fait, à la saison, à la qualité de la lumière, à la mobilité de la perspective, par la charge historique que portent certaines séries narratives, et en vertu du fait que le sujet qui perçoit est toujours situé – insiste sur lindissociabilité de lespace et du temps, de la géographie et de lHistoire. Puisant ses fondements dans un corpus de textes qui sétend sur lœuvre entière de Simon, Ralph Sarkonak examine la fascination durable de lécrivain pour lAngleterre / le Royaume-Uni, évoque les traits principaux du portrait quil en dresse (entre autres, son climat gris, son insularité, sa forte conscience de classe, son obsession sportive, le puritanisme, la raideur et lexcentrisme quinculquent ses écoles privées et le système « Oxbridge », sa monarchie symbolique, et lénorme envergure de son projet impérialiste, mais aussi son profond attachement à la démocratie et le rôle clé quelle a joué pendant la Deuxième Guerre 228mondiale) et démontre lambivalence de lécrivain à légard de « la chose anglaise » qui se laisse deviner à maints détails textuels. Passant en revue les diverses évocations de Barcelone dans La Corde raide, Le Palace, Histoire, Les Géorgiques et Le Jardin des Plantes, et reconstituant les itinéraires suivis par létudiant du Palace, Manuel Tost Planet constate lexactitude référentielle et topographique des descriptions de la ville, dimension des « romans espagnols » de Claude Simon qui est souvent sous-estimée mais qui, pour le lecteur espagnol, permettrait de « revivre des faits » qui, même sil na pas pu y assister, « restent dune grande vivacité dans la mémoire collective » (p. 147). Dans sa contribution au volume, Michel Bertrand se penche sur le statut des frontières dans les romans de Claude Simon : sappuyant sur la théorie du géographe Yves Lacoste et considérant des exemples pris à travers lœuvre de Simon, il montre la façon dont celui-ci – par les superpositions de couches dhistoire et de représentations, par les lacunes que présente la mémoire de ses personnages, par les nombreux décalages et décrochages narratifs, et par les résonances et associations générées par certains toponymes évocateurs – brouille les points de repère topologiques, conteste le découpage politique du territoire européen et met en question la géographie scolaire, vidalienne, pour y substituer une conception plus différentielle de lespace et de la terre. Cest en tant que critique, mais aussi et surtout en tant que photographe, que Pascal Mougin est intervenu dans le débat autour de la « géographie simonienne ». Comme il lexplique dans le texte qui accompagne les photographies de certains sites décrits par Simon dans ses évocations de la Deuxième Guerre mondiale, sa contribution a ses origines à la fois dans sa lecture des romans de celui-ci et dans les récits de guerre que lui a racontés son propre grand-père, points de départ tous les deux dun pèlerinage personnel qui lui a fait découvrir « le caractère incommensurable des situations » (p. 166), mais qui lui a permis aussi de créer un ensemble photographique qui, par ses qualités formelles et techniques (par exemple, le grand format des images, leur haute définition, le recours à la surimpression dans certaines images) rend hommage à certains aspects de lécriture simonienne.

Dans larticle qui ouvre la dernière partie du recueil, Wolfram Nitsch examine la récurrence des vues aériennes dans lœuvre de Claude Simon et propose une thèse selon laquelle ces perspectives qui défamiliarisent et déshumanisent les paysages survolés, qui font surgir dans lesprit du 229passager inerte des images calamiteuses, auraient leur source dans les expériences de guerre de lécrivain : ainsi les métaphores menaçantes qui ponctuent ces descriptions, les références aux déchaînements de la nature et aux cataclysmes géologiques qui ont présidé à la formation des reliefs de la surface du globe traduisent-elles le malaise profond dun ancien soldat de cavalerie hanté par la violence qui lui est littéralement tombée du ciel. Dans la lecture détaillée dArchipel et Nord quil propose et dans laquelle il rapproche lesthétique de Claude Simon de celle dÉdouard Glissant, Hannes de Vriese soutient que, nonobstant certains éléments apparemment documentaires, voire quasi-touristiques, et malgré leur brièveté, ces deux textes sont sous-tendus par « une poétique de la relation » (p. 213-214) qui vise à « reconfigurer les paysages observés et parcourus » (p. 202), leur structure éclatée, « archipélique » et le réseau déchos et de correspondances que Simon établit entre les multiples « îlots » qui les constituent, lui permettant de « recompose[r] inlassablement la surface traversée en géographie imaginaire et personnelle » (p. 214). Anne-Lise Blanc sinterroge sur la place privilégiée que Simon accorde, et dans ses photographies et dans ses romans, à des sols de toutes sortes, à leurs textures, à leurs propriétés et à leurs horizons ; mettant en lumière lintérêt particulier de lécrivain pour les sols instables et meubles et rappelant une des métaphores quil a employées pour décrire sa propre activité (« nous avançons toujours sur des sables mouvants » [DS, 902]), elle conclut que Simon y trouve des surfaces capables de recevoir non seulement les traces laissées par le passage du corps humain, mais aussi lempreinte des mots. Cécile Yapaudjian-Labat propose une lecture géographique de léros simonien qui met en évidence la fréquence du lexique et des analogies géographiques dans les descriptions de lacte sexuel, la désorientation spatio-temporelle et la perte de repères qui accompagnent lorgasme sexuel, la charge érotique que semblent posséder certains lieux, linvention dans Les Corps conducteurs dune « nouvelle cartographie érotico-astrale » (p. 238) et la logique du désir et de lexpansion à laquelle obéit lécriture de Simon. Partant de limage évocatrice de la rose des vents et constatant « le jeu dantagonismes dynamisés » (p. 241) qui caractérise la vision de Simon, Sjef Houppermans clôt le volume en portant son attention sur certains passages – quil désigne comme « intensités topologiques » (p. 243) – où cet ordre oppositionnel seffondre et laisse deviner le chaos qui le sous-tend, 230mais qui en même temps mettent à nu les principes de glissement, de dissémination, de rupture-suture sur lesquels lart de Simon est fondé.

Comme cest souvent le cas dans les volumes collectifs issus de colloques, la mise en contexte des arguments exposés et le degré dinteraction avec les travaux antérieurs dans le domaine sont inégaux. Malgré cette réserve, lapport de Claude Simon géographe est évident et il faut saluer sa parution. Parmi les mérites de louvrage, on peut souligner la clarté de sa structure, la très bonne qualité de la plupart des contributions, la richesse de certaines des interprétations de détail, la combinaison fructueuse détudes de cas centrées sur un seul texte et denquêtes plus générales portant sur lensemble de lœuvre, lancrage interdisciplinaire de certains des articles, et la diversité des approches critiques, qui malgré leur dispersion, trouvent une unité dans la reprise subtilement variée dun thème dominant et dans la récurrence de certaines questions clés (les rapports entre la terre et le territoire, lespace et le temps, la géographie et lhistoire, la topographie et la toponymie, le chaos et lordre, le sujet incarné et son Lebenswelt).

Jean H. Duffy

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Claude Simon, Œuvres, vol. II, édition établie par Alastair B. Duncan, avec Bérénice Bonhomme et David Zemmour, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, 1 656 p.

Claude Simon a fait son entrée dans la « Bibliothèque de la Pléiade20 » en 2006 et cest du vivant de lécrivain (quoique le tome ne parut que quelques mois après son décès) que les éditions Gallimard entreprirent de publier un premier florilège de ses écrits intitulé Œuvres. Lauteur consentit, en cette occasion, à faire une sélection de textes 231(six romans notamment) correspondant à différentes périodes de son œuvre. Ainsi et déjà avec ce premier tome comprenant, entre autres, Le Vent, publié initialement en 1957, La Route des Flandres (1960), que daucuns considèrent comme la pièce maîtresse de lœuvre, et Le Jardin des Plantes, son avant-dernier roman, paru en 1997, on pouvait, en dépit dun corpus lacunaire, se faire une bonne idée du parcours romanesque suivi par lauteur en quarante ans décriture. Deux textes singuliers, venant compléter heureusement ce premier choix de romans, attestaient quand à eux, dès ce tome, de louverture du champ dexpression dun écrivain qui ne fut pas seulement un romancier. Lun, La Chevelure de Bérénice, est « [plutôt] un poème » selon les mots de Claude Simon lui-même. Lautre, le Discours de Stockholm, reflet écrit du discours prononcé devant la prestigieuse Académie suédoise qui lui attribua le prix Nobel en 1985, expose le point de vue de Simon sur son travail décrivain.

Le deuxième tome, intitulé Œuvres II, est paru lannée du centenaire de sa naissance. Il vient compléter la sélection initiale que Claude Simon avait effectuée et répondre heureusement à lattente que navait pas manqué de susciter le premier tome chez les amateurs de lœuvre. Une attente quil ne vient pas combler toutefois puisque, pas plus que le tome I, celui-ci ne comprend les quatre premiers ouvrages qui sont lobjet détude du présent volume de « La Revue des Lettres Modernes » : Le Tricheur, La Corde raide, Gulliver et Le Sacre du printemps. Quoique ce choix respecte la volonté de lauteur qui ne souhaitait pas leur réédition et que lidée dun puzzle qui reste incomplet ne puisse manquer de séduire le lecteur familier de lœuvre de Claude Simon, on ne peut sempêcher de trouver que ce volume aurait pu, sans manquer de faire état des fortes réserves de lauteur à légard de ces textes devenus pour certains à peu près introuvables, être le lieu et loccasion dune telle réédition. Cela aurait été au moins au bénéfice du chercheur désireux dobserver lévolution de la manière de lauteur, de mesurer précisément ce quil rejette de cette période mais aussi ce quil en reste et, finalement, ce quensuite il privilégie.

Mais il y déjà beaucoup à découvrir dans ce deuxième tome des Œuvres qui, complémentaire du premier, présente, comme lui, un ensemble réunissant des textes écrits à des périodes distinctes et témoigne de la relative variété de la manière simonienne. On y trouve LHerbe (1958), 232le deuxième roman publié chez Minuit, dont la forme poursuit après Le Vent la mise en cause implicite du roman réaliste, Histoire (1967) qui, tout en proposant des audaces formelles, confirme limportance de la matière familiale dont Les Corps conducteurs (1971) et Leçon de choses (1975), qui appartiennent à la période plus expérimentale de lœuvre, sémancipent au contraire. Les autres romans présents dans ce deuxième tome montrent toutefois la prépondérance persistante de cette matière familiale (cest peut-être même ce qui les avait fait écarter du premier tome par lauteur) jusque dans le dernier roman, Le Tramway (2001), qui apparaît cependant plus concentré sur lexistence du seul narrateur, plus elliptique et plus concis aussi, quoique conçu selon le même principe de lentrelacs, que LAcacia (1989) et Les Géorgiques (1981) qui figurent également dans ce tome. On peut aussi y lire des textes plus courts, à la tonalité singulière, qui évoquent des voyages de lauteur à létranger : LInvitation (1987), caustique, sinspire dun bref séjour en Union Soviétique motivé par un invitation à participer à un forum au Kirghizistan ; Archipel & Nord, plus lyriques, sont des impressions gardées de plusieurs voyages que lauteur effectua dans les pays nordiques.

Alastair B. Duncan, Bérénice Bonhomme et David Zemmour ont apporté à lédition de tous ces textes le plus grand soin, en suivant scrupuleusement, chaque fois, le texte de lédition originale mais sans négliger de corriger, avec laccord de Réa Simon, les coquilles manifestes, en particulier celles qui sétaient glissées dans les expressions en langue étrangère. Mais surtout, ils les accompagnent dun précieux apparat critique propre à contenter une soif éventuelle dérudition comme à répondre à un besoin déclaircissement quappelle naturellement un point obscur du texte.

Les « notes sur le texte » permettent en particulier de satisfaire un appétit savant, qui indiquent pour chaque texte ses éditions successives, signalent quand elles existent les prépublications en revues de textes brefs repris dans le texte définitif, et mentionnent lessentiel des ouvrages critiques dans lesquels ont peut trouver des documents darchive ou des manuscrits se rapportant à ce texte.

Les « notes » qui portent sur le détail du texte, participent, quand à elles, efficacement à son élucidation. Instruisant parfois le lecteur des brefs commentaires que lauteur a pu faire sur son texte ou déventuelles précisions quil a apportées après coup à loccasion dune réflexion appelée 233par des problèmes de traduction, elles le renseignent le plus souvent sur le sens de certains mots (en argot ou en langue étrangère par exemple), la présence dune citation, les particularités dun personnage légendaire ou historique évoqué dans le texte et, plus largement, explicitent les allusions bibliques, mythologiques, historiques, géographiques, proposent des rapprochements entre fiction et données du réel, signalent de probables réminiscences, identifient des emprunts (elles localisent et contextualisent en particulier les exergues toujours vaguement rattachés au texte source) y compris lorsquils ont fait lobjet daccommodements. Élucidant ce qui à lévidence mérite explication, les notes ne manquent pas, en outre, de relever à loccasion des erreurs comme la confusion que fait Simon entre Putiphar et sa femme ou sa propension à croire que le substantif « asphalte » est féminin. Si elles contribuent le plus souvent à dissiper léventuelle perplexité du lecteur, elles peuvent aussi le détromper utilement sur les interprétations hâtives que, croyant savoir, il peut avoir. Mais elles prennent également soin, quand il le faut, de ne pas procéder à des identifications trop radicales : ainsi la note 21 de LInvitation, qui engage à reconnaître clairement Lavrenti Beria dans « le chef des tueurs du séminariste » dont il est question dans le texte (I, 981), précise toutefois qu« en imaginant sa mort dans les lignes qui suivent, Simon introduit des allusions à dautres assassinats, celui de César, dans le Jules César de Shakespeare, celui de Raspoutine [] et celui éventuel de Staline lui-même [] ». Leffet dune note aussi riche est heureux qui exprime à la fois les chatoiements fréquents du sens chez Simon et les inextricables intrigues du pouvoir dans lUnion soviétique de lépoque. Ainsi les notes apportent-elles souvent des éclaircissements ponctuels qui témoignent de recherches minutieuses dont on devine quelles ne furent pas faciles à mener tant Claude Simon accommodait ses emprunts et mêlait ses références, tant aussi ses sources étaient diverses et parfois secondaires. Ainsi trouve-t-on parmi celles des Corps conducteurs aussi bien le Larousse 3 volumes en couleurs, le Guide Bleu de New York et ses environs, Paris Match, El Mercurio ou LExpress, que le Plus Beau Bestiaire du monde et apprend-t-on à la note 108 qui se rapporte à ce texte que telle citation du comte Roselly de Lorgues (CC, 528) est une « citation de troisième main : Simon cite Albert Bettex [] qui cite Léon Bloy [] qui cite lui-même Roselly de Lorgues [] ». On comprend que parfois des citations soient signalées comme non identifiées et que 234quelques notes relèvent (mais cest assez rare) de la conjecture ! Mais même lorsquelles avouent un manque, elles peuvent faire sens. Ainsi plusieurs notes indiquent que telle carte de Niñita évoquée dans Histoire ne figure pas dans la collection de celles conservées par Claude Simon : ce qui nest sans doute que leffet dune disparition malencontreuse lors dun cambriolage (la « note sur les Cartes postales dHistoire » indique cette possibilité) ne manque pas de rappeler la part dimaginaire quil y a dans le récit de la relation quentretient la mère jeune fille avec son amie espagnole. Ainsi les notes apportent-elles à peu près toujours des informations précieuses. Gardant une taille raisonnable, elles renvoient, lorsquelles méritent des prolongements, à des pages détudes particulières déjà menées. Ainsi la note 6 de la quatrième section dHistoire renvoie-t-elle à un ouvrage de Véronique Gocel qui analyse les citations de louvrage de John Reed intitulé Dix jours qui ébranlèrent le monde dans le roman de Claude Simon. Outre ces notes érudites qui permettent didentifier les références simoniennes et leur mode dutilisation, on trouve de nombreuses notes, non moins utiles, qui renvoient à dautres textes de Claude Simon, soulignent des échos, signalent la reprise voire la récurrence dun motif, dune scène, dun personnage et mettent en évidence la formidable organisation en réseaux de lœuvre.

On ne peut que saluer, à la lecture de ces notes, la perspicacité dont les trois artisans de ce travail critique font preuve pour évaluer leur nécessité tout en respectant limpératif éditorial den contenir le nombre : non seulement ils ont mesuré au plus juste lattente et le niveau culturel dun lecteur qui nest évidemment pas unique, mais ils ont su peser ce qui, dans le texte, fait écueil, repérer, en particulier, les références qui méritaient dêtre précisées mais également celles qui nen étaient pas. Par exemple, dans la IVe partie des Géorgiques, des notes tantôt indiquent des emprunts exacts faits à Orwell et tantôt signalent une « élaboration de Simon, y compris quand il paraît le citer » (note 30).

Ce travail de myope requis par létablissement des notes est avantageusement complété dans louvrage par des développements qui offrent une vue plus ample.

Ainsi, lintroduction reste générale et donne quelques repères fondamentaux pour comprendre lœuvre dans son ensemble. Elle ne craint pas de régler la délicate question de la dimension autobiographique des textes simoniens en indiquant la singularité du traitement dans lœuvre 235(où elle apparaît à la fois récurrente et modifiée) de la matière personnelle et familiale. Puis elle rappelle plus largement lattention constante que lauteur portait au présent de lécriture, propre à fournir les matériaux du texte, à partir de quoi lécrivain, examinant les possibilités de montage, bricole, incorporant souvent aussi dans son texte des éléments qui lui préexistent. Elle ne manque pas de souligner aussi limportance des arts plastiques pour lécrivain dont elle signale par ailleurs le pessimisme à légard de lhumanisme rationaliste. Enfin, elle situe Claude Simon dans son temps en examinant sa réception et ses influences.

À ces informations globales sajoutent celles, plus locales, que fournissent les « notices » élaborées avec soin. Si elles apportent en général et selon un ordre à peu près constant des précisions sur largument ou le projet du texte quelles présentent, les circonstances de son élaboration, sa genèse, sa réception (essentiellement dans la presse), sa forme et ses lignes directrices, elles saugmentent ponctuellement de remarques spécifiques qui rendent compte, par exemple, des hésitations auxquelles ont donné lieu, pour certains, les titres, ou encore de développements sur ce qui a suscité lécriture : les cartes postales dHistoire ou le général Lacombe Saint-Michel pour Les Géorgiques. On ny trouve, en tout cas, rien de systématique et chaque notice, épousant et soulignant la singularité du texte quelle examine, savère appropriée et discriminante. Lensemble des notices donne ainsi une bonne idée de lévolution des choix esthétiques de lauteur comme de la réception par la presse de ces choix.

Sur ce point précis, on observe au fil des notices une courbe constamment ascendante qui accompagne celle de lintérêt croissant que manifestent les universitaires à légard de lœuvre. Ainsi, si la presse reste, dans lensemble, réservée à la parution de LHerbe, elle devient, de livre en livre, plus favorable, en particulier à partir de Leçon de Choses, auquel, acclimatée par les lectures des Corps conducteurs et de Triptyque et instruite par les actes alors récemment parus du colloque de Cerisy consacré à lauteur, elle réserve un bon accueil. Les Géorgiques, à leur tour, connaissent un retentissement important dans la presse qui, cette fois, reconnaît, de façon assez unanime, un grand livre. Il ny a plus guère ensuite que LInvitation qui, en raison de son hybridité (on ne sait sil faut y lire un texte romanesque ou un essai politique), ne rencontre quun accueil mitigé. Les derniers textes (LAcacia et Le Tramway) font, quant à eux, lobjet dun discours critique enthousiaste.

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Outre le compte rendu de leur réception au moment de leur publication, les notices proposent pour chaque texte une étude attentive qui en dégage quelques traits saillants : LHerbe est un roman qui apparaît complexe en raison de sa construction mais aussi des déplacements du foyer de perception, et remarquable pour la vitalité qui sen dégage en dépit du motif (celui de lagonie) quil développe, pour limportance que lécrivain y donne aux sens, à limagination, pour son traitement enfin du temps et de la vie ordinaire qui fait lobjet dune véritable mythification.

Le texte dHistoire est plus encore perçu comme un difficile montage. Selon la perspective adoptée, il sapparente à une mosaïque qui met en évidence le pouvoir associatif de la mémoire et des mots ou correspond, dans sa construction, à la figure du cercle. Les motifs (les figures féminines, par exemple) sy fondent et prêtent à confusion. La notice de ce roman est utilement augmentée dune « note sur les cartes postales dHistoire » qui fait état de la collection de cartes de lauteur, du classement quil en a fait, et de leur inégale utilisation dans le texte romanesque qui parfois les restitue assez exactement et souvent les modifie pour en faire de véritables sources de fiction.

La notice des Corps conducteurs savère particulièrement utile pour ce texte si mobile dont la forme et les effets sont dautant plus troublants quil ny a pas de hiérarchie manifeste entre les séries et quil reprend, en le modifiant, le texte dOrion aveugle écrit pour les éditions Skira. Ce texte, qui sémancipe tout à fait du modèle proustien, est proprement bouleversant : non seulement parce quil cultive lambiguïté référentielle, les écrasements de perspective, les changements de points de vue et les variations du statut narratif, produisant un « effet de kaléidoscope », mais aussi parce quil témoigne du triomphe des choses sur les hommes. Sa notice nen est que plus précieuse : non seulement elle nous éclaire sur les circonstances de lécriture et les intentions de lauteur qui y rapporte un peu sa découverte de lAmérique mais, en outre, elle nous indique les choix quil effectue à partir dOrion aveugle, nous montre comment sopèrent les glissements dune série à lautre, et nous signale les processus créatifs toujours très liés à la polysémie des mots et des figures.

La notice de Leçon de choses semploie également à lélucidation des sources du texte et constate quelles ne correspondent pas à des œuvres clairement identifiables mais à un ensemble dœuvres (Simon déclare lui-même quentre autres « le texte se réfère à un tableau de Boudin 237qui nexiste pas »). Ainsi ce texte tour à tour flou et précis, qui varie les tons avec une liberté encore inédite et donne un rôle ambivalent au manuel scolaire Leçons de Choses (il en fait à la fois une cible et le support dune mise en abyme à travers laquelle le roman exhibe sa construction), déjoue-t-il « toute tentative de rassembler les pièces de son puzzle ». La notice singénie néanmoins (et ce nest pas le moindre de ses mérites) au repérage et à la hiérarchisation des séries que traversent, en réseaux, des formes, des motifs et des mots communs.

Celle des Géorgiques fait état des recherches menées par lauteur et de limportance toute particulière de lHistoire dans ce roman. Elle est assortie dune biographie de Jean-Pierre Lacombe Saint-Michel (lancêtre qui a inspiré le personnage de Jean-Pierre L. S. M. dans le roman) essentiellement établie à partir des sources (ouvrages dhistoire ou archives familiales) qui ont assurément été consultées par lécrivain. Elle signale aussi avec précision les nombreuses « résonnances intertextuelles » (y compris celles internes à lœuvre), dont elle mesure la variété et la valeur dans le texte où elle étudie tout particulièrement le sort qui est fait au livre de George Orwell, Hommage à la Catalogne, dans la IVe partie. Par ailleurs, la notice évalue les contrastes et les analogies qui existent entre les trois figures principales du roman et nous permet de suivre la voix du narrateur dans ce texte foisonnant.

Celle de LInvitation, particulièrement riche, apporte de nombreuses indications sur les circonstances du voyage de Claude Simon en Union soviétique et retrace avec soin son parcours réel en 1986. Mais elle apporte aussi des éléments sur la genèse du texte. En loccurrence Simon sappuie exceptionnellement sur des notes prises lors de son voyage et écrit pour se « retrouver » tandis que, malade, il a dû renoncer temporairement à la plus vaste entreprise de ce qui deviendra LAcacia. Puis cest la forme du texte qui est examinée, son élaboration en spirale autour dune épine dorsale figurée par la réception plusieurs fois évoquée des invités par le secrétaire général du parti dont pas un mot du discours nest restitué. Elle nous présente enfin dintéressants éléments dinterprétation, invitant à voir dans la minutie du récit lexpression sourde dune critique mordante, repérant lexercice dune ironie à laquelle peu de choses échappent et dont le degré varie en fonction de son objet, proposant enfin de féconds parallèles entre ce texte et celui des Corps conducteurs ou encore le chapitre des Géorgiques qui est consacré à lœuvre dOrwell.

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LAcacia est lu comme un roman qui, reprenant de nombreux aspects de lœuvre fait « clef de voûte ». La notice en explique la composition puis, se référant précisément à des modèles du genre, considère sa manière de se situer dans la tradition du récit de guerre. Elle montre que les deux guerres sont surtout envisagées dans leurs contrastes et que louvrage tient en grand partie son originalité de la variété des perspectives quil offre et de la dimension mythique quil donne à lHistoire. Elle propose enfin de lire le texte comme un roman dapprentissage qui célèbre la toute puissance de lécrivain.

La notice du Tramway, quoiquelle en reconnaisse la relative simplicité, se livre à lanalyse de la forme et des perspectives adoptées dans ce texte où la vie vient faire pièce à la mort et dont lapparence fragmentaire est démentie par la continuité des associations et la présence constante danalogies et de contrastes entre les différentes figures, les divers milieux et périodes évoqués. Elle sattache aussi aux échos de lensemble de lœuvre dans ce roman mais également à ceux de lœuvre de Marcel Proust avec laquelle sétablit, dans le texte, un nouveau dialogue.

Enfin, les textes dArchipel & Nord, qualifiés de « poèmes en prose », se trouvent éclairés par lexposé des circonstances particulières qui président à leur écriture. Il sagissait pour lauteur de répondre à la commande dun éditeur danois qui publia ces textes dans des magazines touristiques. Leur forme similaire (à limage des formations archipélagiques rencontrées dans les pays visités) exprime de manière différente la fascination de lécrivain pour les pays et les langues nordiques. Le premier, essentiellement descriptif, mêle « pays vu » et « pays imaginé » pour évoquer un lieu mythique. Le second, plus ancré dans le réel, évoque toutefois lexpérience dune traversée dans un monde perçu comme archaïque, à la fois étrange et familier, et dont le narrateur éprouve les miroitements.

Mines dinformations, ces notices qui ne se contentent pas de décrire les textes et leurs circonstances mais se livrent volontiers à des interprétations sont constamment soucieuses de produire un discours clair ; elles sont donc, de surcroît, fort agréables à lire. On apprécie y compris le confort de lecture, dont on préférerait quil fût généralisé à louvrage, qui tient à ladoption, pour ces notices, de notes en bas de page.

À ce remarquable appareil critique vient sadjoindre une bibliographie mise à jour (elle est augmentée des articles et ouvrages parus depuis la publication du tome I des Œuvres dans la collection) et sensiblement 239plus pratique que celle du premier tome en ce quelle regroupe les études particulières portant sur tel ou tel des ouvrages publiés dans ce deuxième volume.

Mais la grande nouveauté de ce tome est à coup sûr laccès enfin permis aux manuscrits de lauteur déposés à la bibliothèque Jacques Doucet. La richesse de ces manuscrits est particulièrement bien signalée par les « appendices » qui prennent significativement place, dans le volume, juste après les textes de lauteur, et qui apparaissent dautant plus précieux quils restent peu nombreux. Isolés, donc, dans le volume, ils y apparaissent comme un joyau (et lon a tôt fait de ne plus regretter quils ne soient pas intégrés aux notes particulières quémaillent, du reste, quelques reproductions de manuscrits ou de documents darchive). Ce joyau, les artisans du volume lont habilement mis en valeur, non seulement en raison de la place quils lui donnent dans lorganigramme de louvrage, mais aussi en ne se contentant pas de les reproduire. Quand il sagit de plans, ils ont pris la peine de les transcrire et de les commenter brièvement. Outre des plans, on trouve dans ces appendices lextrait dune lettre adressée à Jérôme Lindon expliquant la place de O. dans la composition des Géorgiques, la quatrième de couverture de ce même roman, lextrait dune lettre que lauteur adressa au diplomate Federico Mayor où il affirme sa « liberté dexpression et daction en face de toute espèce de pouvoir », ou encore le texte remanié par lauteur de lentretien quil accorda au Figaro en 1990, intitulé « La Déroute des Flandres » (présenté dans louvrage en raison de sa date de publication et, quoiquil apparaisse plus ostensiblement lié à La Route des Flandres, comme un texte à lire « autour de LAcacia »).

On ne peut sempêcher dexprimer deux regrets concernant cette belle série dappendices : sa maigreur (qui ne laisse pas deviner labondance de documents désormais à la disposition des chercheurs), son absence de couleur (que lon regrette aussi dans les par ailleurs appréciables reproductions des tableaux stimuli livrées dans les notices de Leçon de Choses ou des Corps conducteurs en particulier). Une absence quon déplore dautant plus que, précisément, les manuscrits autographes présentent souvent de somptueuses variations de couleurs, difficilement traduisibles en mots et qui confirment, sil le fallait, limportance que le romancier accorde à la couleur. Cela, à coup sûr, na pas échappé aux trois chercheurs mais na pas suffi, à lévidence, à convaincre léditeur de consentir à reproduire en quadrichromie ces documents.

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Au total, ce volume, qui vient compléter le tome I, présente avec une œuvre romanesque de première importance, produit dun auteur minutieux, soucieux du détail comme de la composition, un remarquable appareil critique conçu par des chercheurs qui sont également des lecteurs sensibles et qui savèrent aussi capables de fournir de informations sur les textes que den signaler les traits saillants ou dexpliquer les singularités du style du romancier. En nous invitant simplement à nous engager dans la (re)lecture dune œuvre réputée difficile, ils nous disposent à apprécier lépoustouflante beauté de son langage romanesque.

Anne-Lise Blanc

1 N. B. Depuis la parution de Claude Simon 6 en 2011, lactivité éditoriale sur lœuvre de Claude Simon a été importante, en particulier autour du centenaire de sa naissance en 2013. Le présent dossier de comptes rendus ne concerne que la période 2009-2013.

2 Seul le premier numéro de la revue Sofistikê est paru. Il nest plus accessible, mais ses articles ont été mis en ligne sur le site de lAssociation des Lecteurs de Claude Simon (http://www.associationclaudesimon.org/ressources-critiques/ouvrages-collectifs/article/un-monde-a-decouvrir-le-style-de).

3 Lire à ce sujet Ralph Sarkonak, « Claude Simon et la Shoah » (CS5, 209-226).

4 Claude Simon a lui-même souvent répété cette phrase (voir Claude Simon, « Reflections on the novel : Claude Simons address to the colloquium on the New Novel, New York University, October 1982 », The Review of Contemporary Fiction, t. V, 1, 1985, p. 14-23 [p. 16]).

5 Lucien Dällenbach, Le Récit spéculaire : essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, « Poétique », 1977, p. 123.

6 Pierre Caminade, « Lyrisme – Musique du texte – Érotisme et Pornographie », Sud, 27, automne 1978, p. 113-118.

7 Annette Lorenceau, « La ponctuation chez les écrivains daujourdhui. Résultats dune enquête », Langue française, no 45, 1980, p. 88-97.

8 Lucien Dällenbach, Claude Simon, Paris, Seuil, « Les contemporains », 1988, p. 171.

9 Voir à ce sujet la note 69 de mon article « La critique simonienne et le référent. Linsistance du réel » (CS6, 132).

10 Prière dinsérer du Jardin des Plantes.

11 Voir le site de lAssociation des Lecteurs de Claude Simon, http://associationclaudesimon.org/.

12 Raymond Gay-Crosier, compte rendu de Alastair Duncan, Adventures in Words (CS3, 223).

13 Notamment les livres et articles de J.A.E. Loubère, Stuart Sykes, David Carroll, Doris Kadish, Karen Gould, Gérard Roubichou, et les articles et chapitres de – pour nen citer que quelques uns – Alastair Duncan, Anthony Pugh, Stephen Heath, John Sturrock, Karlheinz Stierle, Randi Birn, Jo van Apeldoorn, Raymond Gay-Crosier, Jean Rousset, Françoise van Rossum-Guyon, et Guy Neumann.

14 Notamment en ce qui concerne les monographies : Catherine Rannoux, LÉcriture du labyrinthe : Claude Simon, La Route des Flandres, Orléans, Paradigme, 1997 ; Ilias Yocaris, LImpossible totalité : une étude de la complexité dans lœuvre de Claude Simon, Toronto, Paratexte, 2002 ; Marie-Albane Rioux-Watine, La Voix et la frontière : sur Claude Simon, Paris, Honoré Champion, 2007 ; David Zemmour, Une syntaxe du sensible : Claude Simon et lécriture de la perception, Paris, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2008.

15 Gilles Philippe et Julien Piat (dir.), La Langue littéraire : une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, Fayard, 2009.

16 Claude Sarraute, « Avec La Route des Flandres, Claude Simon affirme sa manière », Le Monde, 5 oct. 1960.

17 Entretien avec Madeleine Chapsal, LExpress, 10 nov. 1960, p. 31.

18 « Les secrets dun romancier », entretien avec Hubert Juin, Les Lettres françaises, 844, 6-12 oct. 1960, p. 5.

19 Respectivement : « Deux dangers ne cessent de menacer le monde : lordre et le désordre » (Paul Valéry), et « Cela nous submerge. Nous lorganisons. Cela tombe en morceaux. / Nous lorganisons de nouveau et tombons nous-mêmes en morceaux. » (Rainer Maria Rilke)

20 Voir le compte rendu de Wolfram Nitsch dans CS5, p. 253-258.