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Classiques Garnier

Conclusion de la première partie

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Conclusion
de la première partie

Cette première partie a mis en exergue les difficultés de rassemblement des sources relatives à lexercice de la grâce des ducs de Bourgogne, mais aussi la richesse des multiples fonds consultés. Les divers documents réunis pour constituer le corpus de ce travail sont néanmoins limités par les lacunes chronologiques et géographiques dues aux aléas de la conservation, bien quils permettent denvisager une approche de la grâce sur le long terme en complétant lanalyse des lettres avec dautres documents législatifs, judiciaires ou comptables.

Il ressort de cet ensemble documentaire que les ducs de Bourgogne exercent un droit de grâce en matière criminelle dès le début du xive siècle, sous le principat dEudes IV, sans doute peu de temps après les premières rémissions accordées par les rois de France. Les princes Valois lemploient ensuite sur lensemble des territoires dont ils héritent tels que les comtés de Bourgogne, dArtois et de Flandre. Lusage de la rémission nest toutefois pas nouveau au sein de ces espaces, comme lattestent les lettres conservées des principats de Marguerite de France, de Louis de Male et de Yolande de Flandre, qui sinspirent déjà largement du modèle royal.

La question de lexclusivité de la grâce princière est par ailleurs récurrente aux xive et xve siècles, sur les différents espaces gouvernés par les ducs. Si le prince détient seul le pouvoir daccorder des rémissions dans les deux Bourgognes dès le dernier quart du xive siècle, il lui arrive de déléguer partiellement ou intégralement ce droit à son épouse ou à dautres membres de sa famille. Il permet en outre à plusieurs de ses officiers de continuer à octroyer des grâces en son nom dans les Pays-Bas. Les abus de certains dentre eux, tels que le souverain bailli de Flandre, lamènent cependant à restreindre létendue de leurs pouvoirs en imposant de nouvelles normes juridiques, avec plus ou moins de succès comme on la remarqué. Dans le duché de Bourgogne, il doit encore gérer les conflits de juridictions réguliers entre ses officiers et ceux du roi lorsque ce dernier accorde sa rémission à des 242sujets bourguignons. Bien quun arrangement soit trouvé entre Philippe le Bon et Charles VII en 1448, il ne semble pas régler définitivement lensemble de ces problèmes. Ces éléments constituent autant de limites au processus de centralisation de la grâce princière ainsi quà son exclusivité.

Le processus de la grâce bourguignonne est quant à lui globalement similaire à celui de la chancellerie royale et des autres rémissions princières, et ne connaît que quelques évolutions sous les ducs Valois. La lettre accordée par le prince résulte généralement dune supplique qui lui est adressée par le criminel, qui la fait rédiger à laide dun clerc de chancellerie maîtrisant les discours inhérents à ces documents. Elle doit ensuite être vérifiée puis entérinée par lofficier de justice locale, désigné par le duc dans le dispositif de la lettre, qui en contrôle le contenu en présence des ayants droit de la victime, dont les intérêts sont préservés. Son enregistrement semble bien indépendant de la volonté du bénéficiaire de la grâce, et répond davantage aux normes administratives de la chancellerie bourguignonne. La diversité des pièces conservées permet en outre daffiner la distinction entre les multiples formes que prend la clémence du duc, et montre surtout quelle existe et est bien connue avant la période moderne, soulignant elle aussi lexistence de normes juridiques de la grâce, bien que les différentes valeurs juridiques des pardons, rémissions et rappels de bans ne soient pas toujours évidentes.

Lanalyse diplomatique de la lettre de rémission montre les évolutions structurelles de ce document dEudes IV à Charles le Téméraire, en particulier lenrichissement du récit du suppliant mais aussi un rapprochement avec le droit, qui est marqué par lajout de formules au sein du dispositif telles que la mention de linformation judiciaire effectuée par lofficier de justice en préalable à loctroi de la grâce, ou bien la précision de lofficier chargé de procéder à lentérinement de la lettre, qui constituent autant de marqueurs de la légitimité de lacte ducal. Ces évolutions structurelles reflètent celles des normes administratives de la chancellerie durant le xve siècle, qui amènent à la mise par écrit de certaines normes juridiques de la rémission.

Les trois premiers chapitres de ce travail permettent ainsi de présenter le cadre institutionnel dans lequel sexerce le droit de grâce des ducs et duchesses de Bourgogne, son processus ainsi que certaines normes juridiques et politiques qui le régissent, mais aussi ses limites. Il est alors possible détudier la criminalité pardonnée par le prince, les individus susceptibles de bénéficier de sa clémence mais aussi les compensations quil exige en échange de sa miséricorde.