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Classiques Garnier

Conclusion

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Conclusion

Au cours du xviiie siècle, les ingénieurs des États de Languedoc ont conçu des ponts prestigieux qui ont fait la renommée de la province jusquà nos jours. Prendre ces ouvrages comme objet détude permet une analyse à plusieurs niveaux.

En premier lieu, concernant les structures et les formes, elle met en lumière la culture technique et architecturale de ces ingénieurs. En effet, si les nombreuses antiquités romaines dont la province peut se prévaloir sont un motif de fierté et un sujet dobservation, elles nont pas réellement été source dinspiration. Toutefois, demeurant à lécart des innovations introduites à la même période par leurs confrères des Ponts et Chaussées, les ingénieurs languedociens sils intègrent quelques améliorations (arches en anses de panier, profil en long horizontal), restent ancrés dans un paradigme classique. Ils sen tiennent à une conception traditionnelle de leurs ouvrages, suivant les prescriptions de leurs auteurs de référence, Bélidor notamment. Ce relatif archaïsme formel ne soppose cependant pas à une indéniable ambition esthétique pour ces ponts remarquables par leurs dimensions exceptionnelles. Nul doute quils puisent dans leur culture artistique déjà évoquée les moyens de répondre au goût des États, leurs commanditaires, pour une certaine magnificence.

En second lieu, lhistoire de la construction de ces objets, ainsi que des dispositifs auxiliaires comme les cintres et lanalyse des processus mis en œuvre permet dappréhender les relations entre les diverses parties prenantes, le rôle respectif de chacun, ingénieurs-concepteur, ingénieur chargé du suivi des chantiers, entrepreneurs. On peut de cette manière cerner les différentes responsabilités et compétences, les apports relatifs des savoirs théoriques et des savoirs pratiques. Les ingénieurs se révèlent être des théoriciens éloignés de la pratique, peu soucieux ou peu aptes à évaluer la faisabilité (et le coût) de leurs ouvrages, se montrent en outre pris au dépourvu par les difficultés techniques. À contre-pied de leurs 432confrères des Ponts et Chaussées, ils nengagent aucune réflexion qui viserait à maîtriser ou rationaliser les processus de construction. Malgré un suivi régulier des travaux par les inspecteurs et un fonctionnement administratif bien huilé, ils laissent concrètement linitiative aux entrepreneurs. Cela ne manque pas de provoquer de nombreux litiges. Pour autant, cest dans lexpérience et la compétence des entrepreneurs et artisans que se trouve la capacité à faire aboutir les chantiers, assurant la réussite de ces réalisations.

La force des ingénieurs languedociens toutefois, tient à leur aspiration à concevoir des œuvres alliant lutilitaire et le prestigieux. Cette ambition, sur laquelle ne pèse aucune contrainte de délai, appuyée par le soutien indéfectible et la puissance financière des États, grâce au savoir pratique des entrepreneurs, leur permet de mener à bien leurs projets.