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Classiques Garnier

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Dans le domaine de la littérature du voyage, Félix Fabri jouit depuis longtemps d’une certaine notoriété. Il la doit d’abord à son premier et seul éditeur jusqu’à aujourd’hui, Konrad D. Hassler, qui publia, entre 1843 et 1849, le texte latin de son monumental récit de voyage en Orient1. Dès la fin du xixe siècle, Aubrey Stewart donnait une traduction anglaise du texte, allégé cependant de ses « longueurs2 » et dont Hilda F. M. Prescott, au milieu du xxe siècle, allait tirer la matière de ses deux ouvrages sur les voyages de frère Félix3. Curieusement, il fallut attendre la fin du xxe siècle pour que paraisse en Allemagne, pourtant terre d’élection de l’auteur, une traduction, intégrale cette fois, de l’Evagatorium4, alors même que plusieurs études importantes sur Fabri y avaient été publiées, comme celle de Max Haussler ou de Herbert Feilke5. Les Français, quant à eux, pouvaient découvrir l’auteur grâce

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à Jacques Masson, qui, en 1975, avait traduit la partie égyptienne du voyage de 14836.

Nicole Chareyron, grande spécialiste du récit de voyage au Moyen Âge, avait très tôt reconnu dans l’« Évagatoire » « un titre unique, pour une œuvre unique, d’un auteur unique7 ». Car contrairement à tant de pèlerins, frère Félix a tendance à se mettre lui-même en scène, à dessiner son propre personnage. Il a ainsi radicalement transformé le traditionnel récit de pèlerinage en une œuvre « où l’individu, “ondoyant et divers”, s’installe pour longtemps et revendique le droit d’exprimer son identité psychologique, morale, intellectuelle dans tous ses détours et recoins, dans toute sa complexité8 ».

Dès 1998, Nicole Chareyron m’avait proposé d’œuvrer avec elle à la réédition du texte latin et à sa première traduction intégrale en français avec la volonté, d’une part, de faciliter l’accès des spécialistes et du lecteur curieux à un ouvrage exceptionnel, avec celle, d’autre part, d’éclairer l’œuvre d’une annotation aussi riche que possible9. Pour mener à bien l’entreprise, nous avions ainsi formé une petite équipe mouvante, faite de collègues et d’étudiants de l’université Paul-Valéry travaillant dans le cadre de leur mémoire de master. Cette collaboration a abouti à la publication de trois volumes, dont deux sont sortis aux Presses universitaires de Paul-Valéry10 et le troisième aux Presses Universitaires de la

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Méditerranée (PULM)11. Malheureusment, le 13 janvier 2007, Nicole Chareyron nous quittait trop tôt, à l’âge de 55 ans, à la suite d’une longue maladie, contre laquelle elle avait lutté avec un courage et un optimisme rares. Nous perdions alors un de ces compagnons de voyage aux côtés desquels, pour citer son cher Félix Fabri, « tous les inconvénients semblent légers et supportables » et grâce auxquels « l’on connaît la joie, même dans l’adversité » (Evagatorium I, 2, fo 54 a)12. Michel Tarayre, collaborateur actif dès la première heure du projet, et moi-même avons voulu poursuivre l’ambitieux projet initié par Nicole. En 2012, le tome IV, le premier auquel notre amie n’avait pas participé, était enfin prêt à sortir aux PULM, comme le tome III, quand nous avons appris que notre éditeur ne souhaitait pas poursuivre l’entreprise, la restructuration des anciennes Presses de l’Université Paul-Valéry en Presses Universitaires de la Méditerranée ayant imposé un nombre limité de collections, dans lesquelles l’Evagatorium ne pouvait plus trouver place. Je me suis donc mis en quête d’un nouvel éditeur. Le directeur des Classiques Garnier, Monsieur Claude Blum, a tout de suite été séduit par le projet et a bien voulu reprendre la publication depuis le premier tome, le quatrième devant sortir à son heure en coédition entre les éditions Garnier et les PULM. C’est une chance inespérée pour nous et surtout pour Frère Félix, et nous tenons, Michel Tarayre et moi-même, à exprimer toute notre gratitude envers notre nouvel éditeur.

Nous n’avons pas cru pouvoir réimprimer simplement les trois premiers volumes que Nicole Chareyron et moi-même avions dirigés. Il fallait bien sûr les adapter aux normes des Classiques Garnier, mais surtout notre connaissance du texte, notamment de ses sources, s’est considérablement accrue depuis les premiers pas de l’entreprise et nous avons donc décidé de tout reprendre : la traduction, les notes, le texte

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latin et l’introduction générale. C’est donc en grande partie une œuvre nouvelle que l’on trouvera ici, mais il va de soi que les trois premiers volumes ont une dette énorme envers le travail de Nicole Chareyron. C’est tout naturellement à sa mémoire que nous voulons dédier cette nouvelle aventure éditoriale, dans laquelle nous n’aurions sans doute jamais été entraînés sans elle.

Jean Meyers

1 Fratris Felicis Fabri Evagatorium in Terrae Sanctae, Arabiae et Egypti peregrinationem, éd. K. D. Hassler, 3 tomes, Stuttgart (Bibliothek des Literarischen Vereins, 2-4), 1843-1849 (ces trois volumes ont été réimprimés par l’University of Innsbruck en 2007 et par Nabu Press en 2010). En fait, le titre de l’œuvre, tel que le donne lui-même l’auteur dans son Epistola, est simplement Evagatorium Fratris Felicis (« Les errances de frère Félix ») ; quant au manuscrit autographe, il porte le titre : Felicis Fabri ord. Predicatorum Evagatorium seu duplex peregrinatio Hierosolymitana. Nous avons quant à nous retenu le titre original « Les errances de frère Félix », tout en ajoutant « pèlerin en Terre sainte, en Arabie et en Égypte » pour rappeler le titre de l’édition de Hassler, qui est le plus connu et le plus souvent cité.

2 Félix Fabri, The Wanderings of Felix Fabri, trad. A. Stewart, Londres (Palestine Pilgrims’ Text Society, 7-10), 1896-1897, réimpr. New York, AMS, 1971. En 1881, l’italien Domenico Zasso avait donné une traduction du traité XI : Venezia nel MCDLXXXVIII descrizione di Felice Fabri da Ulma, trad. italienne de D. Zasso, Venise, Tipografia dell’Ancora, 1881.

3 H. F. M. Prescott, Friar Felix at Large, Yale, 1950 ; Once to Sinai, Macmillan, 1958. On lui doit aussi The Jerusalem Journey in the Fifteenth Century, Londres, Eyre and Spottiswoode, 1954, qui fut traduit en français sous le titre Le voyage de Jérusalem au xve siècle, Paris, Artaud, 1959 et dont l’essentiel porte sur l’Evagatorium.

4 Felix Fabri, Evagatorium über die Pilgerreise ins Heilige Land, nach Arabien und Ägypten, trad. H. Wiegandt et H. Krauss, 2 vol., sans lieu ni date [en fait : Stadtbibliothek Ulm, 1998].

5 M. Haussler, Felix Fabri aus Ulm und seine Stellung zum geistigen Leben seiner Zeit, Tübingen, 1914 ; H. Feilke, Felix Fabris Evagatorium über seine Reise in das Heilige Land. Ein Untersuchung über die Pilgerliteratur des augehenden Mittelalters, Berne-Francfort, P. Lang (Europäische Hochschulschriften, 156), 1976.

6 Le Voyage en Égypte de Félix Fabri (1483), trad. J. Masson, Paris – Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, 1975. Cet ouvrage s’inscrivait dans une collection entreprise au sein de l’Institut Français d’Archéologie Orientale du Caire sur les voyages d’Européens en Égypte. Un des mérites de cette édition est de proposer, à la suite de la traduction du texte latin, une traduction de la version allemande du voyage (vol. 3), faite par Gisèle Hurseaux. Cette version a aussi été traduite en allemand moderne par Herbert Wiegandt : Felix Fabri, Galeere und Karawane : Pilgerreise ins Heilige Land, zum Sinai und nach Aegypten 1483, trad. H. Wiegandt, Stuttgart, Erdmann cop., 1996.

7 N. Chareyron, Les Pèlerins de Jérusalem au Moyen Âge. L’aventure du Saint Voyage d’après Journaux et Mémoires, Paris, Imago, 2000, p. 18.

8 N. Chareyron, « Errances et digressions dans un récit de voyage au xve siècle : l’Evagatorium de Frère Félix Fabri », La Digression dans la littérature et l’art du Moyen Âge, Actes du 29e colloque du CUERMA, Ch. Connochie-Bourgne (éd.), Marseille, PUF (Sénéfiance, 51), 2005, p. 122.

9 L’édition de K. D. Hassler ne comprend aucune annotation, et il n’y a quasiment aucune note ni chez A. Stewart, ni chez H. Wiegandt-H. Krauss ; seul J. Masson prend la peine d’identifier les sources de Fabri et les lieux qu’il traverse.

10 Félix Fabri, Les Errances de Frère Félix, pèlerin en Terre sainte, en Arabie et en Égypte (1480-1483), t. I : Premier et deuxième traités ; t. II : Troisième et quatrième traités, texte latin, introduction, traduction et notes sous la direction de J. Meyers et N. Chareyron, Montpellier, Université Paul-Valéry, Publ. du CERCAM, 2000 et 2003.

11 Félix Fabri, Les Errances de Frère Félix, pèlerin en Terre sainte, en Arabie et en Égypte (1480-1483), t. III : Quatrième traité (suite), texte latin, introduction, traduction et notes sous la direction de J. Meyers et N. Chareyron, Montpellier, PULM, 2006.

12 Dans le système de renvois à l’Evagatorium, je me reporte aux divisions mêmes de l’ouvrage (cf. infra) en mentionnant d’abord la partie (I ou II), le traité (1 à 11), puis le folio du manuscrit : le reste donne soit les références aux volumes de l’édition montpelliéraine (Meyers-Chareyron, t. I, II ou III), soit à la traduction du Voyage en Égypte (Masson, t. I, II ou III), soit à l’édition de Hassler (Hassler, t. I, II ou III).