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Classiques Garnier

Résumés et abstracts

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Les Dialectiques de l’ascèse
  • Pages : 407 à 422
  • Collection : Rencontres, n° 18
  • Thème CLIL : 4127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie éthique et politique
  • EAN : 9782812439742
  • ISBN : 978-2-8124-3974-2
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3974-2.p.0407
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/11/2011
  • Langue : Français
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Résumés et abstracts

« Les origines esséniennes de l’ascétisme chrétien, de Marc Philonenko »

La découverte des manuscrits de la mer Morte, à partir de 1947, a renouvelé la question de l’origine de l’ascétisme chrétien ; dans la mesure où existent des liens entre érémitisme et monachisme, le milieu essénien, qui renonce à la propriété et à la sexualité, permet de comprendre la naissance de l’idéal ascétique. On s’intéresse en particulier à l’expression « Fils de l’Alliance », absente de la Bible hébraïque mais présente dans un verset d’Ezéchiel selon les Septante, et qui fait partie des tournures par lesquelles les Esséniens se désignaient eux-mêmes. On la suit jusqu’aux Exposés d’Aphraate, le sage persan, qui exhorte les chrétiens orientaux au ive siècle.

The discovery of Dead Sea Scrolls, from 1947 onwards, did renew the issue of the origin of Christian asceticism ; in so far as the ways of life of the hermits and of the monks are connected one to the other, the knowledge of the Essenian community, where there is no place for property or for sexual intercourse, makes it possible to understand how the ideal of asceticism arose. One is particularly concerned with the phrase « Sons of covenant », which doesn’t occur in the Hebrew Bible, but is present in a verse of Ezekiel according to the Septuagint ; with this phrase, among other ones, the Essenians used to designate themselves. One is dealing with it up to the 4th century, when Aphrahat, the Persian Sage, is exhorting the Eastern Christians.

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« Sur l’expression lexicale des notions d’ascèse et d’exercice moral et
spirituel en latin, de Jean-François Thomas »

L’ascèse chez les philosophes latins se définit comme un travail sur soi afin de s’élever progressivement vers la sagesse. Pour la dénommer, s’est constitué tout un réseau lexical. Exercere – exercitatio expriment au propre l’effort en vue d’écarter ce qui menace l’équilibre intérieur, meditatio ainsi que commentatio mettent l’accent sur le travail de l’esprit et sont aussi utilisées des métaphores sportives et militaires marquant la dynamique de l’effort. Cette lexicalisation se retrouve pour l’ascèse chrétienne et ses spécificités, entre autres sa capacité à éprouver la profondeur d’une qualité. Le terme latin ascetis s’applique au moine mais le fr. ascète, qui en est issu, ne se développe que dans les années 1860-1890, à partir des écrits d’Amiel et de Renan, qui réfléchissent justement sur la recherche du supplément d’âme.

Ascesis in Roman philosophy was defined as work on the self with a view to a gradual achievement of wisdom, and a whole lexical network was developed to refer to it. Exercere – exercitatio referred specifically to the effort to parry threats to inner balance ; meditatio and commentatio focussed on the work of the mind, and could be used as military or sporting metaphors for the dynamics of effort. The same lexicology served for Christian ascesis, with its specificities, including the capacity to perceive the depth of a quality. The Latin term ascetis was applied to monks ; the French derivative, ascète, on the other hand first appeared as late as the 1860s-1890s, in the writings of Amiel and of de Renan, concerning the quest for spiritual enrichment.

« L’importance de l’askèsis dans la Géographie de Strabon, de Stefania Bonfiglioli »

Le terme askèsis est un mot clef à l’intérieur de la Géographie de Strabon, dans la mesure où il se rattache au sujet principal de l’ouvrage : la terre conçue comme oikoumenè (monde habité et connu). Toutes les askèseis de Strabon sont des pratiques qui marquent l’identité d’un sujet collectif et impliquent un changement progressif qui est celui de la civilisation, voire de la transformation d’un simple lieu en un lieu heureusement

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habité. L’œuvre de Strabon constitue un témoignage précieux de la tradition textuelle de l’askèsis et de ses signifiés dans la culture païenne jusqu’au début de notre ère. Mais c’est surtout la philosophie éthique qui exerce son influence sur le champ sémantique de l’askèsis du géographe. En particulier, sa source principale à ce sujet est Aristote, qui a lié la notion d’askèsis à la pensée pratique concernant les actions humaines et leur but, le bonheur.

Askèsis is a key word within Strabo’s Geography, in the measure in which it is strictly linked to the main subject of the work : land conceived as oikoumenè (the inhabited and known world). All Strabo’s askèseis are practices marking the identity of a collective subject and implying a progressive change. It is the change of civilization, by means of which a simple place becomes a happily inhabited place. In Strabo’s Geography one may recover the textual tradition of askèsis and its meanings within pagan culture up to the beginning of the first century A.D. However, in Strabo’s texts, the main influence on the semantic field of askèsis is exerted by ethical philosophy. From this perspective, Strabo’s main source is Aristotle, who has linked the notion of askèsis to practical thought concerning human actions and their goal, i.e. happiness.

« Ascèse et lectures néoplatoniciennes du Phédon, de Frédéric Fauquier »

Les néoplatoniciens ont vu dans le Phédon la mise en œuvre de la vertu cathartique, qui permet à la fois de se détacher du corps et de se tourner vers l’intelligible. Cette purification permet de retrouver la vraie nature de l’âme, elle prend par exemple la forme du végétarisme. La différence entre la psychologie plotinienne et celle du néoplatonisme qui suit Jamblique conduit néanmoins à donner un sens différent à cette ascèse : pour Plotin elle est retour vers le fond intelligible de l’âme, pour Proclus elle est une condition non suffisante, elle doit s’accompagner d’un recours à la théurgie.

Neoplatonic writers have interpreted the Phaidon as the way to practice cathartic virtue. The cathartic virtue enables to pull away from the body and to convert to the intelligible. This purification leads to the true nature of the soul ; for example, this is possible being vegetarian. The difference between plotinian

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and post jamblichean psychology gives different meanings to this asceticism : for Plotinus, the asceticism leads back to the intelligible part of the soul, for Proclus, the asceticism is not a sufficient condition, theurgy is also necessary.

« L’ascétisme intramondain du capitalisme, de Pierre-Yves Kirschleger »

Contre une ascèse devenue cilices et flagellations, jeûnes et veilles démesurés, la Réforme protestante proclama la doctrine de la justification par la foi et refusa toutes les pénitences extérieures et méritoires. Pour autant, le protestantisme ne fut pas étranger à l’ascèse, mais sous des formes bien différentes de celles que vivait le christianisme médiéval. Max Weber, au début du xxe siècle, renouvela de manière inattendue le débat dans sa magistrale étude sur L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme : il mit en évidence l’originalité de ce qu’il est convenu d’appeler depuis « l’ascétisme intramondain » du protestantisme.

Against an asceticism become sackcloth and whippings, fasts and vigils excessive, the Protestant reformation proclaimed the doctrine of the justification by the faith and refused all external and praiseworthy penitences. However, the Protestantism was not foreign to the asceticism, but under forms very different from those whom lived the medieval Christianity. Max Weber, at the beginning of the 20th century, renewed in a unexpected way the debate in his magisterial study on The Protestant Ethic and the Spirit of capitalism : he brought to light the originality of what has been called since the « intra-mundane asceticism » of Protestantism.

« Le prince ascétique de Xénophon et la politique de Hannah Arendt, de Vana Nicolaïdou-Kyrianidou »

Cette étude essaie d’explorer la politique de Xénophon, fondée sur la maîtrise de soi (enkrateia), à la lumière de la théorie de Hannah Arendt. À l’appui de l’anthropologie politique de Xénophon, on constate que la vie ascétique qui y caractérise le chef idéal, incarné par le Cyrus de la Cyropédie, abolit le sens de la politique qui, selon Arendt, fut créé avec la polis pré-philosophique. Aussi, l’askèsis xénophontienne se trouve-t-elle tout à fait compatible avec la soumission de la communauté humaine

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aux finalités de l’animal laborans arendtien. Jugé d’après sa virilité, conformément à l’idéal de l’enkrateia, l’homme capable de gouverner s’identifie avec le guerrier invincible dans la lutte pour la souveraineté, et le père nourricier de ses sujets infantilisés. En cela, l’amour pour la gloire, qui rend raison de la vie austère du maître de soi, s’avère être le désir de dominer et de priver les autres de leurs capacités spécifiquement humaines selon la distinction arendtienne des activités. De cette sorte, l’ambition du Cyrus, dominateur de ses passions corporelles, n’a rien à voir avec la passion pour la distinction du citoyen d’Arendt. Issue du souci de soi, la politique de l’enkratès chez Xénophon demeure étrangère à l’amour du monde qui caractérise l’« élite » politique d’Arendt.

This study attempts to explore the political thought of Xenophon, based on mastery over the self (enkrateia), in the light of the theory of Hannah Arendt. In support of Xenophon’s political anthropology, we find that the ascetic life which characterizes the ideal leader, embodied by Cyrus in Cyropaedia, abolishes the meaning of politics, created with pre-philosophical polis according to Arendt. Also, Xenophon’s conception of askēsis appears entirely consistent with the submission of the human community to the goals of the arendtian animal laborans. Judged from his virility, essential component of the ideal of enkrateia, the man capable of leadership is identified with the invincible warrior in the struggle for sovereignty, and the foster-father of his infantilized subjects. Therefore, the love of fame, which justifies the austere life, proves to be the desire to dominate others and so deprive them of their prominently human capacities according to Arendt’s distinction of activities. The ambition of Cyrus, master of his bodily passions, has nothing to do with the passion for distinction of Arendt’s citizen. Sprung from the care of the self, the political attitude of Xenophon’s enkratēs remains irrelevant to the love of the world, characteristic of Arendt’s frugal political « élites ».

« Ascèse, contemplation et dialectique définitionnelle dans le portrait du philosophe du Théétète, de Jean-Luc Périllié »

Une étude structurale de la digression concernant le philosophe (Théétète, 172c-174a) devrait nous permettre de mieux comprendre la signification que Platon accorde à l’ascèse contemplative et la méthode avec laquelle il reprend les discussions des dialogues antérieurs et les

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anciennes traditions philosophiques. La progression en trois parties de l’extrait révèle que l’auteur obéit à une méthodologie précise, passant des philosophes comme choreutes, aux coryphées, pour terminer par une réduction à un modèle unique à caractère théâtral. Cette réduction s’établit selon un double plan : positif avec l’ascèse contemplative, négatif avec le thème adjacent du ridicule philosophique. Une telle méthode d’intégration par réduction est de type dialectique. Platon semble dès lors résumer une recherche définitionnelle sur le Philosophe, annoncée au début du Sophiste, qu’il n’a pas représentée par un dialogue complet, comparable au Sophiste et au Politique.

A structural study of the digression concerning the philosopher (Theaetetus, 172c-174a) should allow a better understanding of the meaning that Plato grants to contemplative asceticism and his method of reviewing the discussions of prior dialogues and ancient philosophic traditions. The progress in three parts of the extract reveals that the author follows a precise methodology, from philosophers as members of the chorus through the coryphaeuses, to end with a reduction to a unique model with theatrical character. This reduction operates through a double plan : positively with the contemplative asceticism and negatively with the neighbouring theme of the philosophic ridiculousness. Such a method of integration by reduction is truly dialectical. Plato seems thus to summarize a definitional research on the Philosopher, announced at the beginning of the Sophist, but not represented by a complete dialogue comparable to the Sophist and the Statesman.

« Problématique ascèse épicurienne, d’Alain Gigandet »

Ce ne sont pas seulement les contenus des exercices spirituels, mais la conception même de l’askèsis philosophique que l’épicurisme est conduit à modifier. Il faut voir dans le « raisonnement sobre », calcul qui consiste à privilégier les plaisirs stables et sans conséquences douloureuses, la toile de fond de l’ensemble du dispositif « ascétique » des épicuriens. Le but de ce dernier est avant tout l’esquive, l’évitement de la douleur : stratégie qui mobilise toutes les ressources de la physique épicurienne, à commencer par la théorie de la pensée et des simulacres. On s’en convaincra grâce à une relecture du texte que Lucrèce consacre à la passion amoureuse à la fin du chant IV du De rerum natura.

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Epicuraneism tends to change not only the contents of spiritual exercises, but even the very concept of philosophical askèsis. The « sober reasoning », which by computing selects the steady pleasures deprived of any painful consequences, can be considered as grounding the whole Epicurean « ascetic » practice. Its main purpose is to avoid pain. In applying this strategy, it fully relies on Epicurean physics, mainly the theory of thought and simulacra. A confirmation of this is to be found in Lucretius’analysis of love passion, at the end of the fourth canto of De rerum natura.

« Discours intérieur et ascèse philosophique chez Cicéron, de Sabine Luciani »

Il s’agit de montrer que l’ascèse, en tant que travail sur soi visant au progrès moral, joue un rôle de premier plan dans la morale cicéronienne en relation avec l’analogie âme/corps et la vocation thérapeutique de la philosophie. Pour ce faire, nous proposons une relecture des Tusculanes, dont les cinq livres se présentent comme autant d’exercices destinés à guider l’âme vers la sagesse. Cependant cette pratique ascétique, qui prend la forme d’un discours intérieur, comporte d’importants enjeux théoriques puisque l’exercitatio cicéronienne s’ancre dans une psychologie dualiste, inspirée du modèle platonicien. De plus, la valorisation de l’ascèse, qui renvoie conjointement à la tradition romaine et à l’enseignement des cyniques, constitue une réponse critique à l’intellectualisme stoïcien.

The aim of the following article is to show that asceticism, as work on the self for moral progress, plays a major role in the ciceronian ethics in relation with the soul/body analogy and the therapeutic fonction of Philosophy. To prove that, I invite to a reading of the Tusculan disputations, whose five books appear as exercices intented to guide the soul towards wisdom. However this ascetic practice, which takes the form of inner speech, includes major theoretical issues as the ciceronian exercitatio roots in a dualistic psychology, inspired of the platonician pattern. Moreover, the development of asceticism, which refers to the Roman tradition and the Cynics’ teaching, is a critical response to the stoic intellectualism.

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« L’ascèse au sein de la pénitence en tant que rite de passage de l’église byzantine, de Stavros Perentidis »

La procédure de réintégration du pécheur dans la communauté des fidèles, selon les normes de l’Église orthodoxe byzantine, se fait par étapes, soit par des phases successives qui doivent aboutir au retour parfait. L’on y reconnaît le schéma des rites de passage selon Arnold Van Gennep. Durant ce procédé, l’ascèse joue un rôle prépondérant, car la maîtrise de l’esprit se fait par l’ascèse du corps. Outre ce retour petit à petit et par étapes, dans l’espace sacré du bâtiment de l’église et à la liturgie, le récipiendaire, en vue de son rétablissement spirituel, doit jeûner, effectuer un nombre de génuflexions en signe d’humilité, faire peiner le corps et pratiquer une vie à la dure (sklèragôgia). Par ces pratiques austères, il doit ainsi se montrer, à soi-même et aux autres, digne de regagner le corps de l’Église et la communion.

Reinstating the sinner in the community of believes, according to the standards of the Byzantine Orthodox Church, is done through stages or phases which should lead to a perfect come back. The pattern of rites of passage as of Arnold Van Gennep are to be spotted in such a procedure. During this process, asceticism plays a leading role as controlling the mind is done through the asceticism of the body. Besides this gradual and in stages return, in the sacred area of the church building and liturgy, the recipient, for his spiritual restoration, should fast, perform a number of prostrations to testify his humility, toil his body and live a hard life. In these austere practices, he must prove himself worthy returning to the body of the Church and to communion.

Gemäß der Normen der byzantinischen orthodoxen Kirche, wird die Reintegration der Sünder in die Gemeinschaft der Gläubigen in Stufen erfolgt, durch aufeinanderfolgende Phasen, die zum perfekten zurück führen sollte. Man kann das Schema der rites de passage – oder Übergangsriten – nach Arnold Van Gennep erkennen. Während dieses Prozesses spielt die Askese eine zentrale Rolle, da die Selbstbeherrschung des Geistes durch die Askese des Leibs zu realisieren ist, dieser Mentalität nach. Neben dieser Rückkehr – etappenweise und in Stufen – in den sakralen Raum des Kirchengebäudes und gleichzeitig in der Liturgie, sollte der Sünder für seine geistige Wiederherstellung eine Reihe von Kniefällen in Demut, bzw. eine Abhärtung des Leibs (sklèragôgia) zu führen. So muß er sich würdig der Rückkehrt in der Kirche und in der Kommunion zu zeigen.

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« Discipline cléricale et contrôle du corps dans les manuels pour novices (xiie-xiiie siècle), de Jérôme Thomas »

Les traités pour novices des xiie-xiiie siècles offrent un sujet d’étude intéressant sur l’ascèse en lien avec la notion de « discipline ». Nous aborderons cette recherche de la perfection spirituelle par le biais de la disciplina dans le sens général d’éducation et d’enseignement reçu, c’est-à-dire le bon ordre que la règle doit faire régner dans la communauté en interférant sur la manière d’agir et le bon comportement. Après une définition de la discipline, nous nous pencherons sur les premiers traités pour novices puis sur l’œuvre d’Hugues de Saint-Victor, avant d’achever notre présentation sur la postérité victorine.

Treaties for novices of the 12-13th centuries offer a subject of study interesting on the asceticism in connection with the notion of « discipline ». We shall approach this research for the spiritual perfection by means of disciplined it in the educational general direction and of successful teaching, that is the good order that the rule has to make reign in the community by interfering on the way of behaving and the good behavior. After a definition of the discipline, we shall bend over the first treaties for novices then over Hugues de Saint-Victor’s work before finishing our communication on the offspring victorine.

« L’écriture comme ascèse philosophique dans le De Vita Solitaria de Pétrarque, de Jean Meyers »

On a parfois soutenu que le De uita solitaria de Pétarque était une œuvre trop abondante, rédigée sans vrai principe d’ordonnancement. Il s’agit en fait de la première histoire érudite de la solitude, une histoire par laquelle Pétrarque entend démontrer que l’ascèse de l’écrivain dans une solitude active peut avoir autant de valeur que l’ascèse du saint dans une solitude contemplative. Il s’agit par ailleurs d’une œuvre appartenant manifestement à ce que M. Foucault appelle « l’écriture de soi » et que l’on peut et doit ranger parmi les pratiques de l’ascèse philosophique.

It has sometimes been argued that Petrarch’s De uita solitaria was a work of too much abundant, written with no real ordering principle. This is actually the first scholarly history of loneliness, a story in which Petrarch intended to show

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that the discipline of the writer working in active solitude can be as valuable as the asceticism of the saint in a contemplative solitude. It is also clearly a work belonging to what M. Foucault calls « writing of the self » and that we can and must rank among the practice of philosophical asceticism.

Petrarcae liber de uita solitaria opus copiosius, sine uera ordinationis ratione, esse interdum contentus est. Hic liber autem prima solitudinis historia docta est, qua Petrarca scriptoris exercitationem in solitudine actiua tanti esse posse quanti sancti exercitationem in solitudine contemplatiua ostendere uult. Praeterea hoc opus aperte ad « scriptionem sui », ut M. Foucault dicit, pertinet ac inter artes philosophicae exercitationis numerari potest debetque.

« Vivre d’ascèse et de psaumes, ou l’art de bien vivre et de bien mourir dans les manuels de piété réformés au xviie siècle, d’Inès Kirschleger »

L’évolution de la littérature de piété privée consacre dans la seconde moitié du xviie siècle l’avènement du genre de l’exercice spirituel en régime réformé. C’est dans le cadre de la préparation à la Cène que celui-ci se développe, dessinant les contours d’une voie d’ascèse proposée au fidèle réformé. La démarche purgative emprunte alors largement ses points d’appui à la veine des exercices spirituels inspirés d’Ignace de Loyola, brouillant ainsi les frontières confessionnelles. Seul l’usage qui est fait des psaumes dans ces ouvrages tend encore à marquer la recherche d’une spécificité proprement réformée.

The evolution of the literature of private devotion dedicates in the second half of the seventeeth century the advent of the kind of spiritual exercise in reformed world. It is within the framework of the preparation in the Last Supper that this one develops, drawing the outlines of a way of asceticism suggested with faithful reformed. The purgative step then borrows largely its points of support from the vein of the spiritual exercises inspired of Ignace de Loyola, blurring the denominational boundaries. Only the use made of the psalms in these works tends to score again seeking a specificity properly reformed.

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« Le jeûne de carême dans les sermons catholiques français du xviie au xixe siècle, de Jean-François Galinier-Pallerola »

Une sélection de l’anthologie des Orateurs sacrés de Migne fournit une quarantaine de sermons du xviie au xixe siècle qui permet de présenter une synthèse de l’enseignement catholique sur le jeûne à cette époque. Celui-ci constitue un marqueur social du catholicisme, mais l’Église peine à en imposer la règle au xixe siècle. Les références bibliques permettent de faire du jeûne un précepte non seulement de droit ecclésial, mais de droit divin ; des considérations morales, incitation à la pénitence et à la maîtrise de soi, et des fins hygiéniques fournissent l’assise de ces sermons. Les prédicateurs laissent aux confesseurs le soin d’appliquer la règle aux cas particuliers en s’appuyant sur la Theologia Moralis d’Alphonse de Liguori. L’apologie du jeûne fait apparaître une culture philosophique commune d’inspiration platonicienne, nourrie de citations patristiques : opposition de l’âme et du corps, réduction de l’humain au spirituel, dans une atmosphère pessimiste, hostile au corps, prônant une pratique moralisatrice d’une ascèse active.

A selection of the Migne anthology on Sacred Orators provides about fourty sermons dating back to the 17th – 19th centuries which enables to present a synthesis of Catholic teaching on fasting at that time. The latter constitutes a social marker of Catholicism but the Church finds it difficult to impose its rule in the 19th century. The biblical references make it possible to consider fasting not only as a precept of ecclesial right but of divine right ; moral considerations, an urge to penance and self-mastery with hygienic aims, make up the basis of those sermons. The preachers entrust to the confessors the care of applying that rule to special cases on the grounds of the Theologia Moralis by Alphonse de Liguori. The apology of fasting throws into light a common philosophical culture of platonician inspiration, nurtured with patristic quotations : an opposition of soul and the body, a reduction of the human to the spiritual, in a pessimistic atmosphere, hostile to the body, preaching a moralizing practice of an active ascesis.

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« Dire l’ineffable : l’ascèse discursive de Plotin, de Laurent Lavaud »

Selon Plotin, le principe est ineffable du fait de sa simplicité absolue : il y a une contradiction immédiate entre l’unité de l’Un et la pluralité du discours. Cependant la philosophie doit trouver les moyens de dire quelque chose au sujet du principe. Cela exige un « ascétisme discursif » : la pensée discursive doit mettre en lumière sa propre incapacité à dire ce qu’est le principe en lui-même. La combinaison de cette discipline du logos et de la maîtrise ascétique du pathos conduit l’âme à la contemplation du principe.

According to Plotinus, the principle is ineffable, because of its absolute simplicity : there is an immediate contradiction between the unity of the One and the plurality of the discursive thought. However the philosophy has to find the means to say something about the principle. This requires a “discursive asceticism” : the discursive thought has to underline its own incapacity to express what the principle is in itself. The combination of this discipline of logos and of the ascetic control of pathos leads the soul to the contemplation of the first principle.

« Le corps en cellule, ascèse et exercices spirituels dans les sources cartusiennes du Moyen Âge, de Nathalie Nabert »

L’ascèse cartusienne fondée sur les principes de la vie solitaire inspirée du modèle des Pères du désert repose sur les enjeux multiples de l’organisation de la solitude, de la pratique de la pauvreté, du jeûne et des exercices spirituels en cellule. La communication vise à démontrer comment à travers une option de vie radicale, caractérisée par le fuga mundi et le renoncement, la dialectique de l’ascèse cartusienne repose en réalité sur une connaissance de soi et une conquête progressive du dépouillement nécessaire à toute vie contemplative.

The carthusian asceticism based on the principles of the solitary life inspired by the model of the Fathers of the desert rest on the multiple stakes in the organization of the solitude, in the practice of the poverty, in the fast and in the spiritual exercises in cell. This article aims at demonstrating how through an option of radical life, characterized by the fuga mundi and the renunciation, the dialectic of the carthusian asceticism rests in reality on a knowledge of himself and a progressive conquest of the perusal necessary for any contemplative life.

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« Les avatars de l’ascèse au xviie siècle. Un argument de controverse, de Christian Belin »

Si beaucoup d’écrits spirituels du xviie siècle insistent sur la dimension ascétique de toute vie chrétienne authentique, le mot ascèse n’en est pas moins absent des dictionnaires. La maîtrise héroïque de soi n’est jamais en effet qu’un des aspects de la pénitence chrétienne, et elle ne constitue pas l’objet d’une théorie particulière. Malgré son admiration pour les Pères du désert, le xviie siècle se méfie des prouesses spectaculaires qui risquent fort de n’être motivées que par l’orgueil ou l’amour-propre. D’autre part, une intériorisation grandissante de la piété dévalue les efforts corporels en exaltant au contraire les exercices spirituels. D’importants enjeux théologiques se manifestent néanmoins : pour les augustiniens de Port-Royal, une trop grande confiance dans la valeur cathartique ou méritoire de l’ascèse ruinerait la toute-puissance de la grâce efficace ; de leur côté, les défenseurs de la quiétude craignent que l’effort ascétique ne paralyse le dynamisme du pur amour. Ainsi les débats techniques transforment l’ascèse en argument de controverse, et c’est en ce sens qu’elle est réhabilitée par l’orthodoxie ecclésiale au moment de la querelle du quiétisme. En réalité, le xviie siècle français n’a pas voulu séparer critique de la raison ascétique et critique de la raison mystique.

If many spiritual 17th century writings insist on a full Christian life ascetic dimension, the word “ascetism” remained, nevertheless, absent from all dictionaries. Heroic self control is only one aspect of Christian penitence and is in no way the object of any particular theory. The 17th century, despite its admiration for desert Fathers, was always suspicious of theirs spectacular feats which could have been motivated only by pride and self esteem. Also, an inwardly growing piety undervalues physical effort elating instead spiritual exercises. Important theological stakes surfaced nevertheless : for Port Royal augustinian writers, too much trust in cathartic or meritorious values would ruin the all powerfull efficient grace. On the other side, defenders of quietude, feared that ascetic effort may paralyse pure love dynamism. Thus, technical debates transform ascese into a controversial argument and it’s in this way that it is rehabilitated by ecclesiastical orthodoxy at the time of quietism quarrel. In reality, the French xviith century didn’t want to separate ascetic sense and mystical sense.

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« Un dieu chirurgien ? L’imaginaire de l’ascèse chez Fénelon, de Benedetta Papasogli »

Ascèse et mystique s’interpénètrent dans l’œuvre de Fénelon. L’originalité de cette alliance est scrutée ici à partir de l’imaginaire fénelonien et notamment des métaphores récurrentes de la « chirurgie » divine : l’ascèse du « retranchement », si familière sous la plume de notre auteur, se retourne, en effet, dans la mystique de l’abandon ou de l’immobilité patiente sous l’opération du Dieu qui blesse et qui guérit, qui anatomise les profondeurs de l’homme pour en consumer l’impureté. Cette thématique complexe est envisagée dans son rapport avec un fantasme omniprésent dans l’œuvre de fiction aussi bien que dans la pédagogie du maître spirituel : le meurtre du fils. L’article se propose de montrer de quelle façon la raison spirituelle de Fénelon lutte contre ce fantasme primitif, et finit par l’assumer dans une synthèse nouvelle et lumineuse dont Abraham – Abraham sacrifiant, figure du Père qui livre son fils ; Abraham qui se sacrifie lui-même dans l’obéissance de la foi – est le héros et le symbole.

Fénelon’s work is pervaded by ascetism and mysticism. The originality of this combination is examined here starting from Fénelon’s imagery and in particular from the recurrence of the images of divine “surgery” : the ascetism of “retranchement”, so familiar to the pen of our author, is in fact transformed into the mysticism of abandon or patient immobility according to the working of the God who injures and heals, twho analyzes the depths of man so as to consume his impurities. This complex theme is considered here in relation to an omnipresent phantom both in the narrative work and in the pedagogy of the spiritual master : the killing of a son. The article proposes to demonstrate how Fénelon’s spiritual reason fights with this primitive phantom, and ends up by producing it in a new synthesis, of which Abraham – Abraham the sacrificer, the figure of the Father who gives up his only son, Abraham who sacrifices himself in obedience to the faith – is the hero and the symbol.

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« L’ascèse comme voie de vérité en Russie (xixe-xxe siècles), de Franck Damour »

L’ascèse joue un rôle central dans la pensée russe, et le xixe siècle ne fait pas exception. En effet, l’ascèse a été au centre d’un débat constant sur son statut et ses finalités, débat qui traversa tous les groupes, allant des théologiens officiels jusqu’aux symbolistes en passant par les nihilistes des années 60. Tous se rejoignent sur une idée : l’ascèse est une voie de vérité. Et tous rendent compte de ce qui fait l’originalité de la pensée russe de l’ascèse : l’avoir détachée de l’idée de révélation pour la relier à celle de création.

Asceticism plays a central role in Russian thought, and the nineteenth century is no exception. Indeed, asceticism has been the focus of an ongoing debate on its status and its goals, debate across all groups from official theologians to the Symbolists through the Nihilists of the 60s. All converge on an idea : asceticism is a way of truth. And this long debate show the originality of Russian thought of asceticism : to have detached the asceticism from the idea of revelation and to have link it to the idea of creation.

« Ascétique et mystique à l’heure du renouveau thomiste, de Michel Fourcade »

Largement canalisée par le renouveau thomiste, la « vague mystique » qui s’esquisse à partir de la fin du xixe siècle dans le catholicisme interroge de façon décisive le primat donné depuis le xviie siècle à l’ascèse. Elle conduit à travers une vaste controverse théologique, qui porte notamment sur la part de l’infus et celle de l’acquis, à restaurer l’unité de la vie spirituelle et l’initiative du Saint-Esprit.

Widely channelled by the revival of the Thomisme, the « mystic wave », which comes out from the end of the 19th century in the Catholicism, questions in a decisive way the primacy given for the 17th century to the asceticism. It leads through a vast theological controversy, which concerns in particular the part of the inborn and that of the experience, to restore the unit of the spiritual life and the initiative of the Holy Spirit.

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« La pratique ascétique : une divine jouissance ?, de Jean-Daniel Causse »

Cette contribution considère l’ascèse qui trouve sa source dans la kénose chrétienne et qui se distingue d’une autre forme de l’ascèse, présente également dans le christianisme, laquelle consiste à fuir le corps au lieu de s’y inscrire. À une jouissance qui consiste à quitter le corps s’oppose le recours christologique au Dieu qui a pris chair. En référence à Nietzsche et en regard de la psychanalyse, on s’intéresse d’abord à une pratique ascétique chrétienne où le renoncement opère comme déni du corps, parfois dans une radicalisation extrême des comportements qui visent une pureté et une perfection. Deux exemples significatifs sont alors évoqués : l’anorexie mystique ou religieuse et l’acédie. Dans un second temps, on met en lumière une articulation possible entre ascétisme et kénose qui décale d’une certaine ambiance de l’époque dans laquelle nous sommes.

This contribution touches on the form of asceticism whose roots lie in the Christian concept of kenosis, to be distinguished from another form of asceticism which, although it also belongs to Christianity, consists in aiming at fleeing from the body, rather than inhabiting it. Two approaches are thus to be opposed : one is a jouissance that consists in leaving the body, the other is a Christological resort to God made flesh. Referring to Nietzsche and in the eyes of psychoanalysis, the author refers first to a type of ascetic Christian practices where renunciation operates as a denial of the body with, sometimes, extremely radical behaviors aiming at purity and perfection. Two revealing examples are discussed : that of holy anorexia and that of acedia. The author then articulates a possible link between asceticism and kenosis, a link that may actually question the atmosphere of our time.