Aller au contenu

Classiques Garnier

Note sur le titre

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Contemplations
  • Pages : 475 à 476
  • Réimpression de l’édition de : 1985
  • Collection : Classiques Jaunes, n° 524
  • Série : Littératures francophones
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782812415951
  • ISBN : 978-2-8124-1595-1
  • ISSN : 2417-6400
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1595-1.p.0551
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/04/2014
  • Langue : Français
551

NOTE SUR LE TITRE

Le titre Contemplations rime avec de nombreux titres du xixe siècle Méditations (Lamartine) ; Consolations (Sainte-Beuve) ; Élévations (Vigny) ; Illuminations (Rimbaud) ; Divagations (Mallarmé). Les érudits nous apprennent que Lamartine avait songé à ce titre avant d'adopter celui qui Je rendit célèbre, et que deux illustres incon¬ nus, au moins, avaient publié avant Hugo un recueil de vers ainsi intitulé. Le poète des Contemplations est l'héritier de Rousseau et de George Sand. Entre les deux éditions de l^élia, celle-ci fit paraître dans la Revue des Deux Mondes, sous le titre Contemplation, le chapitre lviii de la deuxième version, admirable évocation d'un lever de soleil, sui¬ vie d'une méditation lyrique. Ce titre convient parfaitement au recueil de Hugo. Puisque son adoption remonte aux environs de 1840, nous citerons ici deux textes particulièrement suggestifs. Des bords du Rhin, le xo septembre 1840, Hugo envoya à Léopoldine un lavis, « Ce que je vois de ma fenêtre ». Sous le dessin se lit cette inscription au crayon : « L'âme des poètes n'a que deux attitudes : contempler et prier. Quand leur pensée ne plane pas, elle s'agenouille. Et tous les sentiments humains sont là; la contemplation contient la joie; la prière contient la tristesse; la prière et la contemplation contiennent l'amour. » Sur une convocation de l'Académie du 3 octobre 1843 (donc moins d'un mois après le drame de Villequier), Hugo a écrit cette note (ms. 24.793) · L'âme existe et la preuve c'est que nous contemplons la création et que nous contemplons le créateur. » Les Contemplations prouvent l'existence de l'âme. En dehors du titre, le substantif contemplation est employé trois fois dans le recueil ; le substantif contemplateur, deux fois ; le verbe contem- plert trente-deux fois. P. Moreau a analysé finement le concept dans les Contemplations ou It Temps retrouvé. Pourquoi affirmer cepen-

552

dant : « La contemplation est... un regard, mais un regard tourne vers l'intérieur? » Comment ne pas citer en guise de réponse le cou¬ plet de Péguy dans le Dialogue de l'histoire et de l'âme païenne : « Lui, il portait ses deux yeux, les yeux aux lourdes paupières, aux deux poches dessous, les yeux sinon les plus profonds, du moins les plus profon¬ dément voyants qui se soient jamais ouverts sur le monde charnel, — qui sur la création se soient jamais posés. » L'infini dans les cieux, l'infini des mers, l'infini de l'âme sont les objets privilégiés de la contemplation; mais le regard de Hugo se pose sur tout. Comme Goethe distingue trois formes de vénération (dans la « Province péda¬ gogique » de Wilhelm Meister), Hugo joint à la vénération pour ce qui est au-dessus de nous, à la vénération pour ce qui est à notre niveau, la vénération pour ce qui est au-dessous de nous, et qui implique non seulement de « reconnaître les souffrances et la mort comme quelque chose de divin », mais même de vénérer ce qui est un objet de rebut, de haine ou d'épouvante. La contemplation m'emplit le cœur d'amour, proclame Hugo. Parce que tout est plein d'âmes, tout dans la création est apte à contempler. C'est pourquoi tout aboutit à des échanges de regards. Hugo étant toujours plus complexe qu'on ne dit, la pratique de la contemplation, le passage de la contemplation à la méditation, tels qu'on peut les définir d'après Saturne, Magnitudo parvi, Λ celle qui est restée en France, se révèlent d'une grande subtilité. Que l'on se reporte donc aux commentaires de ces pièces. Notons ici que si Dieu voit dès qu'il regarde, le poète ne devient voyant qu'au prix d'un effort; la contemplation est un exercice qui se prolonge ; elle exige du temps, la fixité du regard; elle provoque dans l'âme vertige et effroi, mais elle apporte la sérénité, lorsqu'elle se métamorphose en extase, lors donc qu'elle atteint son point de perfection, car elle a pour fin de mener le poète par-delà une apparence, par-delà un seuil. En même temps qu'elle prouve l'existence de l'âme, elie révèle en s'y conformant le principe de toute vie spirituelle : Si le grain ne meurt... Il faut ne plus voir les choses pour voir Dieu ; il faut que l'œil du corps s'éteigne, pour que l'œil de l'esprit s'allume. Remarquons enfin, encore que les distinguos multipliés par Hugo (contemplation et prière, contemplation et pensée, contemplation et rêve, rêve et songe) ne soient pas aisés à accorder, que la contempla¬ tion est le propre du voyant et que le voyant s'oppose au penseur, mais que, selon une note d'Océan, « il y a eu des hommes comme Orphée et Moïse, en qui le penseur était doublé du voyant ». Hugo évidemment se rangeait parmi eux.