Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Les Cahiers du dictionnaire
2018, n° 10. Dictionnaires et territoires - Auteur : Dotoli (Giovanni)
- Pages : 237 à 252
- Revue : Les Cahiers du dictionnaire
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- EAN : 9782406087892
- ISBN : 978-2-406-08789-2
- ISSN : 2262-0419
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08789-2.p.0237
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 02/01/2019
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
Alain Rey, Fabienne Verdier, Polyphonies. Formes sensibles du langage et de la peinture, Paris, Albin Michel – Le Robert, 2017, 192 p.
Un livre unique, inattendu, surprenant, qui fait voyager vers l’azur des mots et des couleurs. C’est l’aboutissement de l’aventure née de la rencontre d’Alain Rey et Fabienne Verdier à l’occasion de l’édition spéciale du cinquantenaire du dictionnaire Le Petit Robert, illustrée par 22 tableaux originaux de l’artiste.
Une exposition spéciale a accompagné ce livre, avec le même titre, au Musée Voltaire, organisé par la Bibliothèque nationale de Genève : un événement d’amour pour la peinture et le langage, associés dans leur voyage au sens, sous le patronage de la Ville de Genève.
Le grand linguiste et la grande peintre se rencontrent sur le pont de la création. Rencontre merveilleuse, sur la route des couleurs et des mots, à la découverte de leur inspiration réciproque, sous le signe de l’unité de l’acte de création.
Ce sont les forces telluriques du monde qui se déchaînent dans l’univers et qui se marient dans les mains et dans le cerveau et dans le cœur de deux immenses créateurs, une peintre et un linguiste. Comme quoi, l’art est unitaire. Un retour à l’art total. Le cosmos chante. La terre chante. Le langage chante. La couleur chante.
Toutes les formes sensibles du monde sont en marche, autour de formes sensibles, dans une polyphonie, d’après le titre du volume et de la rencontre qui le produit, qui laisse parler mots et art, à travers les tableaux, les films, les photographies, les voyages des hommes et de leurs paroles, dans l’atelier central du monde : celui de l’être humain.
Cinq lignes conduisent l’art du langage et de la peinture, par des pages qui sont des haltes de merveilles : arborescence-allégorie, les forces du monde (force-forme, dualité-dialogue, onde-ordre, rythme-reflet, instabilité-ivresse), la ligne musicale (musique-mutation, labyrinthe-liberté, harmonie-hasard, voix-vortex), le chant de la terre (sinuosité-sagesse, grotte-genèse, esprit-évasion, joie-jeu, tectonique-transformation), l’Un 238(univers-Un, vide-vibration, nuit-noir), avec une Annexe sur l’expérience du langage, qui est aussi expérience d’art pictural.
Un livre-lumière, qui fait rêver comme le plus petit objet de la terre, le point infinitésimal de l’atome, entre l’univers et le vide qui fascine et fait peur à Blaise Pascal et à tout grand artiste et à tout poète créateur de langue.
Tout est Un et unité : Plotin l’affirme bien. Tout est plein, même le vide (René Descartes). « Il y eut la lumière » (p. 172) et il y aura la lumière, tant que l’être aimera le cœur de l’homme, qui toujours dira ses rêves et ses désirs, ses affres et ses infinis, par les nuits étoilées, nos champs d’amour éternel.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Cours de Civilisation française
de la Sorbonne
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Alain Rey, Lassaâd Metoui. Le pinceau ivre, Paris, Découvertes Gallimard – Institut du monde arabe, 2018, non pag.
Alain Rey, le grand linguiste que nous aimons, que je considère le plus grand de nos jours, entre fin du xxe siècle et début du xxie, adore les formes. Il ne faut jamais oublier qu’au début de sa carrière il s’est formé en histoire de l’art et en littérature et qu’il adorait les mathématiques. L’amour pour le dictionnaire viendra par la suite.
Ce livre sur Lassaâd Metoui, « pinceau ivre », confirme cet attachement aux formes de l’art et du monde, et simultanément l’entente sublime avec ce peintre. De fait c’est le quatrième livre qui voit leur profonde collaboration : Le voyage des mots. De l’Orient arabe et persan vers la langue239française – 2014, Le voyage des formes. L’art, la matière et la magie – 2014, Pourvu qu’on ait l’ivresse. De l’alcool à l’extase : un voyage à travers les arts et les lettres – 2015. C’est une coopération sublime, entre art et mot, peinture et création de la langue.
Un jour Lassaâd Metoui a rendez-vous avec Le Petit Robert. C’est un amour immédiat pour l’inventeur de ce dictionnaire, le plus important depuis un demi-siècle. Les deux hommes se rencontrent dans le rêve. Metoui va à la rencontre de Rey, et c’est l’étincelle de la poésie de la langue et de la peinture. Les formes se colorent. Le clair et l’obscur se marient. Le son et la graphie des mots se marient avec le secret des signes.
Et c’est l’émotion vivante de l’art. Le mot se fait art comme la toile. Le calame du calligraphe est performant à l’infini, comme la trace des mots.
C’est un retour à l’origine, à la lumière qui fut. Langage et art sur la même table. Charles Baudelaire l’avait bien compris. Guillaume Baudelaire fera la même chose. L’ordre des formes du monde est aussi l’ordre de la parole. C’est une rencontre dans l’azur, sur la lignée de Gaston Bachelard et d’Henri Bergson. « On a vu ici même une tentative lumineuse ».
Un livre à admirer, à aimer, un chef-d’œuvre de l’art moderne, avec une mise en pages qui nous conduit vers les terres bleues du mystère.
Giovanni Dotoli
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Alain Rey, Pierre qui roule n’amasse pas mousse et autres proverbes illustrés par Grandville. Un hommage à l’œuvre d’un grand artiste romantique : Grandville, Paris, BnF Éditions, 2017, 208 p.
Alain Rey ne finit pas de nous surprendre. Linguiste gigantesque à l’humanisme-humanité uniques par les temps que nous vivons, le voilà se lancer dans le commentaire d’un des livres les plus beaux de l’histoire 240du livre en France et en Europe : les Cent proverbes illustrés de Grandville, parus à Paris en 1845, chez Henri Fournier, 7 rue Saint-Benoit.
La « Notice biographique » en fin de l’ouvrage, par Carine Picaud, nous donne des éléments biographiques précieux sur ce dessinateur passé à l’histoire comme un génie dans son genre (1803-1847), collaborateur de deux journaux importants à l’époque du Romantisme, « La Caricature » et « Le Charivari ». Visionnaire fantastique, Grandville est aussi l’auteur de : Métamorphoses du jour (1828-1829), Scènes de la vie privée et publique des animaux (1852), Un autre monde (1844). Il a aussi illustré les fables de La Fontaine (1838-1840), de Lavalette (1841) et de Florian (1842), et les Voyages de Gulliver (1838) et les Aventures de Robinson Crusoé (1840).
Alain Rey se fait excellent écrivain commentateur. Les cent proverbes de Grandville deviennent l’occasion heureuse de tracer l’histoire des traditions populaires françaises, de la vie d’autrefois, d’une philosophie éternelle du peuple rural, en France et dans toute l’Europe, un temps qui n’est mort qu’à notre époque de vitesse et de voyage supersonique allant presque toujours nulle part.
Alain Rey découvre et commente la poésie des proverbes et de la langue du peuple, et simultanément se fait poète lui-même, et quel poète ! – je sais que non seulement il aime la poésie, mais qu’il écrit des poèmes intimes qu’il refuse de publier – mais un jour…
Le savoir folklorique est le champ unifiant de toute l’Europe. Le proverbe est la bouche du peuple : en quelques mots, cette forme dit l’infini, par adages, fables et refrains. Conservateur et souvent misogyne – mais les femmes se vengent, étant elles-mêmes les êtres de transmission de cette parole, plus que les hommes –, plein de préjugés, de contes, de mythes et de blagues, il exprime la sagesse millénaire des gens qui ne comptent pas, mais qui par contre sont l’essence de la culture populaire.
Le Romantisme est le temps du retour à l’attention pour le peuple, qui commence à ne plus être le monstre noir de la société, mais l’être qui la soutient et qui garde l’histoire. Grandville le comprend fort bien, en produisant des dessins d’une clarté, d’une modernité et d’un rêve sublimes, entre réalisme, critique, fantasmes, comique et satire. C’est pourquoi des grands ont aimé son œuvre de dessinateur hors-norme, tout en exprimant parfois quelques incompréhensions : Charles Blanc, Théophile Gautier, Champfleury, Charles Baudelaire. Ce dernier dit tout, en affirmant que Grandville l’« effraye ».
241« Une œuvre multiple », observe justement Alain Rey (p. 14), entre dessin, poésie, récit, fable et rêve. Grandville peint « l’homme social » (p. 15) et « la comédie humaine » (p. 16), en prolongeant « la vertu du langage poétique » (p. 17). Il applique un merveilleux jeu graphique qui est signe total : écriture et dessin, phrase figée et ouverture sur l’infini du mot-graphie.
Alain Rey a le mérite immense d’avoir reproposé les Cent proverbes, et surtout de les avoir narrés comme un roman d’autrefois, en cette aube du troisième millénaire. Quelques-uns de ses commentaires sont de véritables poèmes en prose, le regard sur les mots, le monde et notre cœur.
Le dernier proverbe n’est pas là par hasard : « La fin couronne l’œuvre ».
Giovanni Dotoli
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Aurore Vincenti, Les mots du bitume. De Rabelais aux rappeurs, petit dictionnaire de la langue de la rue, préface d’Alain Rey, Paris, Le Robert, 2017, 222 p.
Quatre ans durant, Aurore Vincenti a tenu des chroniques hebdomadaires de langue française sur France Inter, dans l’émission « Qu’est-ce que tu m’jactes ? », de Dorothée Barba. L’intégralité de ces chroniques est à retenir, et à écouter avec attention, sur le site franceinter.fr.
L’auteur aime ici la langue française qui court les villes, les rues, les banlieues, qu’elle appelle du bitume. C’est une langue qui n’est pas seulement des jeunes. Ce sont des mots connus ou énigmatiques, dont la musique inédite nous enchante.
Apparemment éphémère, cette langue est ravissante, pleine de création, ouverte sur le nouveau. Entre l’histoire et l’impromptu, elle nous révèle toute sa puissance, sans jamais mettre de côté la légèreté. Elle provoque et fait de l’humour. Ainsi, Aurore Vincenti « passe au crible les plus 242belles pépites de notre vocabulaire contemporain et redonne ses lettres de noblesse à un parler souvent dévalorisé » (quatrième de couverture).
En ayant recours aux plus grands rappeurs, Booba, Oxmo Puccino, Nekfeu, elle ouvre les portes d’un monde en mouvement perpétuel, poussé par les passions et construit sur le partage.
Dans une belle édition à retenir sur le plan typographique, utilisant aussi des couleurs, Aurore Vincenti voyage de Aight à Zbeul, en fournissant aussi un lexique, un glossaire et une bibliographie fort utile.
Plus de vulgarité, plus de d’inutile conventionnel. La langue est totale, va de l’institution à la vie des jeunes. « Il n’y a d’espace où la créativité est plus forte que dans la rue » (p. 13). C’est là que l’on « coupe, on bouleverse, on ajoute » (ibid.).
Le rap gagne toute sa force. Son oralité est au cœur de la langue française, malgré l’opposition de l’Académie française et du monde savant. Le modèle de l’auteur – et je la remercie ouvertement : on est sur les mêmes rails – est Alain Rey, surtout via le Dictionnaire historique de la langue française de ce grand linguiste, dernière édition 2016.
Dans sa préface, Alain Rey souligne à juste titre l’importance de cette recherche réalisée dans la réalité de la vie d’autrefois, laquelle est un chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre.
Giovanni Dotoli
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Jean Pruvost, Pleins feux sur nos dictionnaires en 2500 citations et 700 auteurs du xvie au xxie siècle, Paris, Honoré Champion, 2018, 662 p. « Champion Les Dictionnaires ».
Jean Pruvost est le symbole vivant de la maladie du dictionnaire et le chercheur par excellence dénicheur de secrets et de rêves dans un 243texte de plus en plus à la mode : le dictionnaire, depuis désormais cinq siècles. Après Robert Estienne, le fleuve ne s’arrête jamais. De plus en plus vaste, c’est désormais un océan, bleu, calme, mouvementé, presque en douce tempête permanente.
On connaissait bien le Pruvost des dictionnaires et technologies, des outils-dicos, des néologismes, des citations littéraires, de Nos ancêtres les Arabes, et puis de tant de sujets-dictionnaire, du vin au loup, de la mère au chocolat, du fromage au train, du jardin au cirque, etc.
Mais dans ce livre prouvostien au maximum, Jean Pruvost se dépasse. Sa folie dictionnairique créative nous prend, nous fait nous envoler, comme des aigles d’or, dans l’infini citationnel de la langue française, par toute sorte de livre et de presse. André Gide lui dicte le chemin à suivre : folie et raison, contrôle et aventure, espace des étoiles et livres.
« Une folie. Une utile déraison. Une œuvre condamnée à être inachevée donc imparfaite et cependant grandiose » (p. 7). Le fleuve de la langue revient à chaque page. De surprise en surprise, on découvre des étincelles d’or, des textes qui sont de véritables poèmes, des fulgurations et des éclairs, pour dire un tome petit ou grand, de spécialité ou de langue générale, monolingue ou bilingue.
Dans ce livre de merveilles, le dictionnaire s’offre à nos yeux émerveillés comme le lieu de la narration de la langue poétique, sur papier ou sur écran, par feuilletons ou par gros tomes. L’auteur individuel disparaît. Nous sommes tous auteurs. Nous participons à la route de la langue, route de poésie et de joie d’être en ce monde. Et nous tombons amoureux d’un mot, d’une constellation de mots, d’une image stellaire.
Le dictionnaire se confirme comme le livre le plus consulté et le plus lu, peut-être le plus aimé et le plus contesté. Que de directions s’ouvrent à notre esprit. Le chemin indiqué par André Gide revient : « Demeurer entre les deux. Tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit » (p. 8).
À l’instar de Gustave Flaubert, nous devenons tous des « dictionnaires vivants » (p. 169). Charles Nodier à tout compris : « Je respecte tous les talents, toutes les bonnes études, toutes les entreprise utiles, et je place au premier rang des plus honorables ouvriers de la littérature les grammairiens, les lexicographes, les dictionnaristes » (Examen critique des Dictionnaires de la langue française, « Préface », 1829, p. 14).
244Alain Rey ne parle-t-il pas d’artisanat ? L’artisan du dictionnaire est un poète de la langue. Et quel poète ! Jean Pruvost en offre 2500 preuves, par la voix de 700 auteurs, du xvie siècle à l’avenir.
Le dictionnaire est le livre le plus ancien et le plus jeune de l’écriture.
Giovanni Dotoli
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Benoît Auclerc et Philippe Flepp, sous la direction de, Le recours au(x) dictionnaire(s), « Cahiers Francis Ponge », Paris, Classiques Garnier, 2018, n. 1, 196 p.
Quelle heureuse circonstance. C’est le premier numéro d’une nouvelle revue, consacré à un immense écrivain, Francis Ponge. Les Classiques Garnier montrent encore une fois leur longue et profonde vue sur la littérature, la langue et la culture françaises. Ce sera le lieu des pratiques d’écriture de Ponge, d’une « écriture en mouvement », avec « une réflexion vivante et polymorphe » (p. 9).
Cette revue recueillera surtout les travaux du séminaire de « La Fabrique pongienne », organisé conjointement par le Labex OBVIL de l’Université de Paris-Sorbonne et le Groupe Marge de l’Université Lyon III, avec l’appui de la Société des Lecteurs de Francis Ponge. Un Ponge vivant donc, dans ses textes et aussi dans sa vie, de l’œuvre et de l’homme. Grâce à un plongement heureux dans les archives, on découvrira des inédits, des projets, des visons du poète.
Ce premier numéro concerne une question-clef de Francis Ponge : son rapport avec les dictionnaires, rapport unique et profond, à l’égard des autres poètes, précisément avec le dictionnaire Littré. C’est aussi une 245sorte de chantier pour le Dictionnaire Ponge en cours de réalisation sous la direction de Jean-Marie Gleize, toujours aux éditions Classiques Garnier.
Dans ce premier numéro, des notes inédites du poète sur Stéphane Mallarmé, par un spécialiste mallarméen, Bertrand Marchal. On découvre de véritables étoiles. Le dossier « Le recours au(x) dictionnaire(s) », avec des articles de Benoît Auclerc et Pauline Flepp, Jean-Marie Gleize, Pauline Flepp, Pierre-Henri Kleiber, Jacques Neefs, Cédric de Guido, Alain Milon, Thomas Schestag. Un « Atelier contemporain » par Christophe Lamiot Enos.
De véritables pépites apparaissent. Le rapport de Ponge au dictionnaire, comme il arrive chez Mallarmé, se révèle comme un rapport de création, de langue-énergie, de langue-mouvement. Chez Ponge, le dictionnaire n’est pas un cimetière de la langue, mais le lieu de sa force, de sa poésie, de sa vie.
Giovanni Dotoli
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Pierre Enckell, Dictionnaire historique et philologique du français non conventionnel, préface de Pierre Rézeau, Paris, Classiques Garnier, 2017, 1294 p., « Travaux de lexicographie ».
L’auteur de ce dictionnaire unique en son genre nous a quittés en 2011. Il fut lieutenant de la marine marchande et inspecteur de la sécurité des navires à Alger, et par la suite journaliste.
Il avait le goût de la langue française et des mots. Nous lui devons des ouvrages qui font date dans l’histoire de la lexicographie française : le Dictionnaire des façons de parler du xvie siècle. La lune avec les dents (2000), le Dictionnaire des onomatopées, avec Pierre Rézeau (2003), un véritable chef-d’œuvre, et le Dictionnaire des jurons (2004).
246Encore une fois, un non linguiste fait un grand dictionnaire. L’auteur suit un double critère : d’un côté l’appartenance à l’oral scripturalisé, de l’autre l’aspect inédit par rapport à la recherche courante.
Les entrées sont d’une grande clarté. Catégorie grammaticale, définition, citations bien datées et référencées, commentaires historiques et étymologiques, renvois à des mots apparentés.
La masse des citations est étonnante. On comprend que l’auteur était un lecteur acharné, sans les idées fixes préétablies des littéraires et des linguistes. L’oral du passé revient avec tout son potentiel et sa fraîcheur.
Le préfacier souligne avec la plus grande pertinence l’importance de ce travail de recherche d’une vie, une « somme considérable, fruit de longues années ». Pierre Enckell se révèle comme un grand chasseur de mots. Il déniche même les variantes graphiques. Ses dates remontent parfois de quelques siècles !
C’est un dictionnaire d’une grande richesse, à utiliser à l’unisson avec les dictionnaires monolingues et bilingues de la langue française, avec le maximum d’utilité.
Giovanni Dotoli
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Luc Foisneau, sous la direction de, avec la collaboration d’Élisabeth Dutartre-Michaut et Christian Bachelier, traductions de Delphine Bellis, Luc Foisneau et Claire Gallien, Dictionnaire des philosophes français du xviie siècle. Acteurs et réseaux du savoir, Paris, Classiques Garnier, 2015, 2138 p.
Décidément, il y a un retour du xviie siècle, par dictionnaires. Je rappelle les ouvrages suivants : Dictionnaire des lettres françaises. Le xviie siècle, révisé et mis à jour sous la direction de Patrick Dandrey par Emmanuel Bury, Jean-Pierre Chauveau, Dominique Descotes, 247Philippe Hourcade et Jean Serroy, Paros, Fayard, La Pochothèque, 1996 ; Dictionnaire du Grand Siècle, sous la direction de François Bluche, Paris, Fayard, 1990 ; Dictionnaire de littérature française du xviie siècle, de Roger Zuber et Marc Fumaroli, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, issu de la « segmentation » du Dictionnaire universel des littératures,sous la direction de Béatrice Didier ; Dictionnaire analytique des œuvres théâtrales françaises du xviie siècle, sous la direction de Marc Vuillermoz, Champion, 1998.
C’est dans ce contexte dictionnairique qu’il faut insérer cet ouvrage capital, résultat du travail d’une grande équipe internationale.
Le sens de « philosophe » qui est dans le titre est très large. Ce qui fait que l’on y trouve presque tous les écrivains et intellectuels du Grand Siècle. Une richesse intellectuelle étonnante se déroule sous notre regard de chercheurs attentifs.
Le xviie siècle apparaît enfin comme un siècle multiple, un véritable laboratoire, avec ses voix plurielles, de 1600 à 1700. C’est une approche pluridisciplinaire particulièrement heureuse. Désormais, pour étudier ce siècle, il faudra souvent partir de ce livre monumental, qui se lit plus comme un roman que comme un dictionnaire aux millions de données.
Giovanni Dotoli
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Jean-Louis Garitte, Brassens. Mais où sont les mots d’antan ?, Neuilly, Atlande, 2017, 760 p.
La mode des dictionnaire d’un auteur continue, avec le plus grand succès. C’est le tour inattendu d’un dictionnaire exceptionnel, consacré à l’une des voix les plus importantes de la chanson et de la poésie françaises 248du xxe siècle, Georges Brassens : Brassens. Mais où sont les mots d’antan ?, aux éditions Atlande, à Neuilly.
L’auteur, Jean-Louis Garitte, qui exerce sa profession dans un hôpital, est aussi journaliste, et surtout passionné de langue française, qui aime follement l’œuvre poétique de Brassens. Auteur lui-même de textes poétiques, il a déjà publié sur Brassens : Parlez-vous le Brassens ? (Le Bord de l’eau, 2007) et Le dictionnaire Brassens (Éditions de l’Opportun, 2011), pré-édition de ce précieux dictionnaire brassensien.
C’est un livre à parcourir dans toutes ses pages. À tout moment une surprise, une étoile de la langue de Brassens. Mots et vocabulaire, expressions, phrases défigées, allusions et similitudes, noms propres, une très utile bibliographie sommaire, index des chansons.
Georges Brassens n’affirme-t-il pas : « Chez moi tout part des mots, je suis un amoureux des mots » ? Il en résulte que Brassens est un affamé de poésie et de poésie-musique. Cet immense poète chansonnier, ce compositeur-interprète retrouve la force de sa langue, ses visions, ses airs. Tout se tient, dans une harmonie sublime : expressions et vocabulaire d’antan, références historiques et littéraires, jurons piquants et expressions argotiques.
La fantaisie de Brassens s’exprime dans sa simplicité et sa création. Il faut écouter ses chansons et se balader par ce dictionnaire, à la recherche de la beauté, qui surgit de tout mot. La langue française traverse l’histoire dans une jeunesse renouvelée, entre réminiscence et nouveautés, en nous faisant rêver. Une langue jeune, comme la poésie et la musique de Georges Brassens, un poète éternel.
Giovanni Dotoli
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Joe de Miribel, Dictionnaire de l’argot Baille, illustrations de Max Moulin, Éric Vicaire, Alain Besnault, Pierre-Antoine Rousseau, préface de l’Amiral Pierre-François Forissier, avant-propos de Jean Pruvost, Turriers, Naturalia, 2017, 368 p.
Un livre-surprise ! Un chef-d’œuvre dans son domaine ! Quand j’ai eu ce livre dans les mains, je me suis écrié de joie. Et en poète de double langue, française et italienne, j’ai trouvé de l’inspiration immédiate. Stéphane Mallarmé aurait aimé ce dictionnaire. Outre le Grand Littré, qu’il utilise fréquemment, ce qui explique parfois ses énigmes, l’utiliserait, pour ses secrets et ses ouvertures sur l’infini.
L’auteur est docteur en sciences du langages, collectionneur de dictionnaires de la marine, et surtout un formidable expert de l’argot-Baille, « ce jargot peu connu, mais bien vivant ». Il nous donne ici un océan de langue de la mer. On le connaît, en ce domaine, comme l’auteur de Entre jargon et argot : expérience marine. Un argot de marine : l’argot-Baille, 2013, dans les Actes du colloque du 6 décembre 2012 sur « Terminologie de l’énergie et des transports », Un argot inconnu et presque oublié (2015), Maman, les p’tits bateaux (2016), et de divers articles sur ce même sujet.
Mais, dans ce dictionnaire, il se dépasse. Une œuvre pour lexicographes, écrivains, poètes bien sûr, et gens de la mer de toute sorte. JeuMeu, je préfère l’appeler ainsi, dans le halo de ses rêves, enrichit énormément L’argot-Baille de Roger Coindreau.
1780 entrées, parfois à la limite du folklo-humoristique, mais qui nous disent tout le temps que l’on est en pleine science du langage. C’est un dictionnaire qui respecte toutes les normes d’un dico, et qui a toutefois surtout le souffle de la poésie. L’argot de l’École navale se fait scientifique, mais sans jamais perdre ses ouvertures poétiques, d’un point de vue sociolinguistique.
Les définitions sont parfaites, avec exemples, dates, étymologies, et comme il se convient dans un grand dictionnaire, avec des envolées 250culturelles d’ordre encyclopédique. Les illustrations de bordaches accompagnent les rêves des lecteurs consultants et des chercheurs, et, j’insiste, des poètes. Un public large, pour un ouvrage apparemment de spécialisation, des marins aux sociologues, des linguistes aux lexicographes, des argotologues aux curieux, des amateurs de mots à ceux des traditions françaises.
Et des aperçus inattendus, un chapitre sur « Argot, jargon, jargot », un sur la langue marine, un autre sur l’École navale, enfin « L’argot-Baille de A à Z », un lexique français-argot-Baille de 900 mots !, des chansons-Baille inédites et des références bibliographiques complètes fondamentales pour avancer dans la recherche en ce domaine.
Un véritable trésor, qu’il faudrait lire et relire. Une langue oubliée dans les dictionnaires et même dans les études de métalexicographie. Le grand préfacier Jean Pruvost, mondialement connu pour sa compétence en dictionnaires, le définit comme « une somme ». C’est bien lui qui a magistralement rendu compte de la thèse de JeuMeu ; Jean-Pierre Goudailler a dirigé ce livre fondamental.
Les développements historiques sont de première importance, l’analyse est fine et complète, jamais lourde d’érudition, les étymologies à la Gilles Ménage et à la Alain Rey, sont précises, documentées, et simultanément ouvertes sur la parole magique.
La dernière strophe de la chanson inédite, Le Paradis, datée de 1910, nous dit tout :
N ’ abandonne pas tous les cœurs,
Que l ’ espoir d ’ une délivrance
Fit songer à des jours meilleurs
Le Bon Dieu permit aux Bordaches
Du palais – c ’ est la Baille à terre –
Il n ’ est pas construit que je sache
Et la Baille est toujours en mer.
Au fond nous rêvons tous d’être des bordaches, nous chérissons tous la mer, comme Baudelaire.
Giovanni Dotoli
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Gisèle Séginger, sous la direction de, Dictionnaire Flaubert, Paris, Champion, 2017, 1772 p., « Champion classiques », série « Références et Dictionnaires ».
Éric Le Calvez, sous la direction d’, Dictionnaire Gustave Flaubert, Classiques Garnier, 2017, 1260 p., « Dictionnaires et synthèses ».
Le xixe siècle lui aussi semble procéder de plus en plus par dictionnaires. Je rappelle les dictionnaires suivants : Dictionnaire des lettres françaises. Le xixe siècle, sous la direction du cardinal Georges Grente, Paris, Fayard, 1971, 2 volumes ; Dictionnaire de la Littérature française du xixe siècle, Les Dictionnaires d’Universalis, format Kindle ; Dictionnaire du xixe siècle européen, sous la direction de Madeleine Ambrière, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, concernant naturellement aussi la littérature française ; Dictionnaire des littératures de langue française. xixe siècle, Paris, Le Grand livre du mois, 1998, constitué par les textes du Corpus et du Thésaurus de l’Encyclopaedia universalis.
Mais c’est surtout dans le domaine du dictionnaire d’un auteur que la mode semble se déplacer. Pour ce siècle, je signale : Dictionnaire George Sand, sous la direction de Simone Bernard-Griffiths et Pascale Auraix-Jonchière, Paris, Champion, 2015, 2 volumes ; Dictionnaire Octave Mirbeau, sous la direction de Yannick Lemarié et Pierre Michel, Lausanne-[Paris], L’Âge d’homme – Société Octave Mirbeau, 2011 ; Dictionnaire amoureux d’Alexandre Dumas, d’Alain Decaux, dessins d’Alain Bouldouyre, Paris, Plon, 2010 ; Dictionnaire de Balzac, de Félix Longaud, Paris, Larousse, 1969.
Pour Stendhal : Petit dictionnaire stendhalien, d’Henri Martineau, Le Divan, 1948 ; Dictionnaire de Stendhal, sous la direction d’Yves Ansel, Philippe Berthier et Michael Nerlich, Paris, Champion, 2003, préface d’Antoine Compagnon, Paris, Champion, 2004 ; Dictionnaire amoureux de Stendhal,de Dominique Fernandez, Paris, Plon, 2013.
Pour Émile Zola : Le vocabulaire de Zola, d’Étienne Brunet, Genève-Paris, Slatkine-Champion, 1983, 3 volumes + 212 microfiches ; Dictionnaire 252d’Émile Zola, suivi du Dictionnaire des Rougon-Macquart, par Colette Becker, Gina Gourdin-Servenière et Véronique Lavielle, Paris, Robert Laffont, 1993 ; Guide Émile Zola, d’Alain Pagès et Owen Morgan, Paris, Ellipses, 2002.
Pour Arthur Rimbaud : Le Dictionnaire Rimbaud, par le grand rimbaldien Claude Jeancolas, première édition en 1991, aux éditions Balland, Paris, le deuxième, Le Nouveau Dictionnaire Rimbaud, en 2012, Paris, FVW Édition.
Pour Charles Baudelaire : Dictionnaire Baudelaire, 2002, Éditions du Lérot, Tusson, par Claude Pichois et Jean-Paul Avice.
Gustave Flaubert a une grande chance : il est l’objet de deux dictionnaires simultanés : Gisèle Séninger, Dictionnaire Flaubert, sous la direction de Gisèle Séginger, et Dictionnaire Gustave Flaubert, sous la direction d’Éric Le Calvez. L’année 2017 est donc une véritable année flaubertienne. Ce sont deux chefs-d’œuvre du genre. Flaubert apparaît dans sa totalité, et resplendit de son immense lumière, pour sa langue, son esthétique, son rôle dans l’histoire du roman français et européen.
Henri Béhar a raison, en observant que le dictionnaire d’un auteur « consiste à traiter l’œuvre entier d’un écrivain comme un monde fini »(Les dictionnaires d’auteur. Du pavé au disque compact, in Dictionnaires et littérature, par Pierre Corbin, Jean-Pierre Guillerm, actes du Colloque international « Dictionnaires et littérature / Littérature et dictionnaires (1830-1990) », organisé par l’Université Charles de Gaulle Lille III, 26-28 septembre 1991 [Villeneuve-d’Ascq], Presses Universitaires du Septentrion, 1995, p. 439).
Giovanni Dotoli