Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Les Cahiers du dictionnaire
2013, n° 5. Dictionnaire et enseignement - Auteurs : Melnikienė (Danguolė), Blanco Escoda (Xavier), Boccuzzi (Celeste), Rizzi (Carmela)
- Pages : 341 à 367
- Revue : Les Cahiers du dictionnaire
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- EAN : 9782812420252
- ISBN : 978-2-8124-2025-2
- ISSN : 2262-0419
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2025-2.p.0341
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/01/2014
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
Giovanni Dotoli, Le Dictionnaire de la langue française. Théorie, pratique, utopie, préface de Danièle Morvan, Paris, Hermann, 2012, 440 p. (« Vertige de la Langue »).
Quoi de plus captivant, passionnant, enrichissant que la conversation amoureuse et philosophique sur le « livre du monde » (p. 11), symbole même de la réalité, qui n’est autre que le dictionnaire. Giovanni Dotoli nous invite une fois de plus1 de dialoguer sur ce « texte-miroir du passage par ce monde » en focalisant toute son attention sur « le dictionnaire de la langue française », « miroir de la langue de France et des nombreux pays qui l’ont choisie en partage » (p. 11).
En France dont la tradition lexicographique remonte au xvie siècle et qui possède actuellement un immense potentiel dans ce domaine – selon Jean Pruvost « aucun pays en à peine trente ans (1964-1994) ne peut se targuer de disposer de six grands dictionnaires2 », la métalexicographie devient, durant les dernières décennies, un lieu de plus en plus privilégié de la recherche linguistique. Il suffit d’y mentionner des ouvrages fondamentaux de Josette Rey-Debove, Alain Rey, Bernard Quemada, Jean Pruvost pour montrer la véritable ampleur de ce phénomène.
Dans ce cadre « l’originalité de la démarche de Giovanni Dotoli relève de cette fécondation, instillation, insémination du savoir par la poétique – et aussi du sens de la formule, illustré dans tant d’autres de ses œuvres. Déjà, l’ordre des sujets abordés, de l’imprévu au nécessaire, du particulier au plus général, bouscule, voire inverse les perspectives3 ». Ce livre volumineux de 400 pages propose non seulement
une large réflexion sur de différentes facettes « du dictionnaire du sens total » (p. 179) – dictionnaire général monolingue – décrivant, d’après Josette Rey-Debove, « un ensemble de sous-langues représentées par des regroupements d’idiolectes ayant en commun des habitudes de langage, notamment et surtout lexicales4 », tels que les langues régionales (espace – ii, x), les langues sociales (milieu – i, ii, iii, v), les langues thématiques (activité – v, viii, ix, xi) et les états de langue (temps – vi, xvii), mais aussi des observations pertinentes sur des ouvrages lexicographiques plus spécialisés, destinés à mettre en relief un des aspects du langage (ix – dictionnaire et culture, xv – dictionnaire et sport).
Le discours passionné sur la lexicographie française, proposant « en forme d’éventail les thèmes propres au dictionnaire, définitions ou terminologies5 », ne se borne pas aux sujets purement linguistiques. Les deux chapitres (xii et xiii) sont consacrés aux « artistes et artisans du dictionnaire » (p. 214). Tout d’abord, à Alain Rey, symbole-même de la lexicographie française du xxe siècle, cet « artiste à plain titre », dont « la linguistique dictionnairique appartient plus à l’art qu’à la banalité sublime de la construction du dictionnaire » (p. 216), puis à Henri Meschonnic, lexicographe, traducteur, poète, pour lequel « le dictionnaire de la langue française est sens du discours, dialogue et communication, ouverture sur le monde et sur les mondes », unissant « l’oral et l’écrit, les littéraires et les linguistes, les théoriciens et les poètes, les philologues et les écrivains » (p. 236).
Mais en fait, existe-il le tandem le plus naturel et le plus sacré que celui de l’écrivain et du dictionnaire ? Le livre de Giovanni Dotoli nous apporte la réponse bien documentée et argumentée à cette question. Dans le chapitre xvi, en s’appuyant sur des témoignages captivants et parfois surprenants, l’auteur dévoile, pas à pas, comment à partir du xviie siècle, « le dictionnaire de la langue française se confirme l’ami de l’écrivain, l’instrument de la connaissance, la source de l’enchantement, de la découverte et de la croissance culturelle » (p. 316). Le dictionnaire devient pour l’écrivain sa principale source de référence : c’est dans « le dictionnaire qu’il découvre le rythme de sa création, la force d’aller et d’inventer, le champ de l’épopée des mots » (p. 317)
L’analyse fine et exhaustive de différents aspects du langage dans le dictionnaire tels que sa normalisation, la formation et la description du sens des mots, la définition synonymique, l’ordre des mots dans la nomenclature etc., conduit l’auteur vers un des problèmes les plus épineux de la lexicographie et de la métalexicographie contemporaine : celui du « non conventionnel » dans le dictionnaire (ii).
« La langue non conventionnelle est celle qui ne rentre parfaitement pas dans la convention générale », « c’est en somme la langue de l’interdit » (p. 19). D’après G. Dotoli, il ne s’agit pas du tout ici d’argot ou de langue secrète ou marginale : c’est « la langue de tous les jours et la langue de notre vie ouverte et secrète qui est mise en cause ». Comme le souligne Josette Rey-Debove, « le domaine tabou par excellence est la sexualité – au sens freudien –et tout ce qui s’en approche6 ». Certes, le but du dictionnaire général n’est pas de fixer tous les « mots-scandales » (terme d’Alain Rey) possibles ; il ne tient pas non plus à rivaliser avec les ouvrages lexicographiques spéciaux qui traitent exclusivement le lexique de ce type. En même temps, le dictionnaire qui se veut objectif « n’est pas un manuel de catéchisme » (p. 19) : trop de « respect de la norme sociale a une action profondément désorganisatrice qui nuit à la fidélité de la description linguistique7 ». L’aperçu historique des dictionnaires français amène Giovanni Dotoli à conclure que même à nos jours, malgré « la grande libération de la parole qui s’est produite en mai 68 », elle « n’a pas encore débouché dans le dictionnaire de la langue française » (p. 32). Il s’en suit donc « la proposition tout à fait naturelle » de l’auteur de faire retourner dans le dictionnaire de la langue française les mots injustement taboués. Dans ce cas-là, « il ne s’agit uniquement de restituer à la langue son expressivité et sa vérité, ni d’une libération langagière, mais de libérer la langue du dictionnaire de son caractère conventionnel, de ses si je peux me permettre, si j’ose dire, et de ses guillemets, qui sont une sorte de pardon avant la lettre » (p. 32).
Le mérite incontestable de ce livre consiste dans son intérêt particulier accordé au dictionnaire bilingue. Ce « parent pauvre » du dictionnaire monolingue se tient le plus souvent à l’ombre de sa gloire, délaissé (ou presque) par les métalexicographes les plus éminents. Pourtant, il n’en est pas moins vrai que ce « gigantesque territoire des mots flottant entre
les cultures, accessoire infini mais toujours insuffisant de la traduction, pont entre les victimes de Babel, n’est pas un lieu de rigolade, mais de réflexion, sûrement8 », et « toutes les techniques utilisées dans les meilleurs dictionnaires bilingues […] sont précieuses pour la lexicographie générale » et « la connaissance des sociétés […] très différentes des nôtres trouve dans ce type d’ouvrages un instrument d’investigation irremplaçable9 ». Des réflexions sur le dictionnaire bilingue proposées dans ce livre sont d’autant plus précieuses qu’elles résultent d’une fructueuse expérience personnelle : Giovanni Dotoli est concepteur et directeur d’un projet national de vaste envergure Lessicografia e metalessicografia : il dizionario bilingue. La costruzione di un nuovo dizionario bilingue francese-italiano / italiano-francese et di nuovi dizionari di specialità. Cette entreprise de longue haleine a pour son but de bâtir une vision nouvelle du dictionnaire bilingue : le bilingue qui « se voit régulièrement qualifié d’ ’outil’ […], c’est-à-dire d’un objet qui permet d’exécuter un travail » et qui est classé dans la catégorie des ‘usuels’10 », est considéré ici comme « un poème de la langue, un poème en prose qui fait toujours rêver » (p. 253), « c’est un dictionnaire qui s’ouvre sur le monde, charpenté entre le passé et le futur : un miroir du temps et du cœur » (p. 257).
Le style du livre, poétique et harmonieux, parsemé de points d’interrogation, incite le lecteur au dialogue inter pares. C’est à ce titre que l’ouvrage de Giovanni Dotoli devient, comme le dictionnaire de la langue française lui-même, « le livre d’allongeails possibles, ad libitum, dans le livre et hors du livre » (p. 338). Cela confirme une fois de plus la pensée brillante de Claude Lévi-Strauss d’après laquelle « le savant n’est pas l’homme qui fournit de vraies réponses ; c’est celui qui pose les vraies questions ».
Danguolė Melnikienė
Université de Vilnius
Danguolė Melnikienė, Le Dictionnaire bilingue : un miroir déformant ?, préface de Giovanni Dotoli, Paris, Hermann, 2013, 182 p. (« Vertige de la Langue »).
L’ouvrage de D. Melnikienė est, à ma connaissance, la monographie qui met le plus clairement en évidence les spécificités du dictionnaire bilingue, ce “parent pauvre” de la lexicographie qui exige, pourtant, la prise en considération simultanée des données de deux traditions lexicographiques, ainsi que des moyens appropriés pour les mettre en rapport.
Le livre s’ouvre sur une Introduction (en guise de chapitre i) qui analyse, entre autres, la question des rapports délicats entre lexicographie bilingue et lexicographie monolingue. Il s’agit d’un texte très bien documenté, car l’auteur maîtrise plusieurs traditions métalexicographiques et s’appuie de façon pertinente sur leurs grands auteurs. Parfois, et c’est à regretter, jusqu’au point de laisser un peu dans l’ombre son irremplaçable expérience en tant qu’auteur des dictionnaires bilingues de référence pour sa communauté linguistique.
Le chapitre ii est un historique passionnant et unique (du moins en langue française) de la lexicographie bilingue lituanienne. Nous y découvrons un Immanuel Kant féru de langue lituanienne et sommes renseignés sur les rapports, souvent difficiles, des Lituaniens avec les Polonais, les Prussiens et les Russes. Nous apprenons aussi jusqu’à quel point l’Union Soviétique conditionnait le dessein des dictionnaires bilingues et nous assistons à l’éclosion de la lexicographie bilingue qui a fait pendant à l’Indépendance lituanienne restituée. Si le lituanien-russe jouait un rôle majeur à une certaine époque, la langue de choix est désormais l’anglais, suivi de l’allemand, le français, le polonais… Il est intéressant de constater qu’entre 1990 et 2012 on produit presque autant de dictionnaires bilingues lituanien-espagnol (6,12 %) que de dictionnaires lituanien-russe (7,14 %), que les dictionnaires lituanien-letton sont très peu nombreux (1,02 %) et qu’il n’existe par de dictionnaire lituanien-estonien pour cette période. Mais ce n’est pas tout : nous découvrons un bilingue anglais-lituanien de plus de 100 00 entrées ! (Bronius Piesarskas).
Nous trouvons également d’autres produits rares : un dictionnaire d’encodage lituanien-norvégien (Jakaitiene ; Berg-Olsen, dirs) ; une tentative d’obtenir un bilingue parfaitement bidirectionnel (Piesarskas et
Svecevicius) avec une séparation soignée des acceptions du mot-vedette et de très nombreux exemples. Mention à part mérite, bien entendu, la lexicographie bilingue franco-lituanienne. Elle est dominée, jusqu’aux premières années du siècle en cours, par des dictionnaires de l’époque soviétique, vieillis et peu adaptés aux besoins actuels. La situation est redressée par l’œuvre du propre auteur (Melnikienė, 2001 et 2006), qui se cache par modestie derrière des sigles qu’il résulte parfois un peu malaisé de suivre (p. 49).
Le chapitre iii est un rendez-vous avec la mauvaise conscience de (presque) tout auteur de dictionnaire bilingue. Ščerba (que D. Melnikienė a lu dans le texte11) a raison : la structure d’un dictionnaire bilingue doit opter soit pour la version, soit pour le thème. La synthèse n’est pas vraiment possible, puisque les informations à offrir dans chaque cas sont différentes. Il faut, donc, quatre dictionnaires bilingues pour traiter une paire de langues donnée : un dictionnaire d’encodage pour chaque langue cible et un dictionnaire de décodage pour chaque langue source. Or, difficilement un lexicographe trouvera un éditeur prêt à financer, d’abord, et à mettre sur le marché, ensuite, quatre dictionnaires pour une seule paire de langues12. En effet, tout éditeur répugne à reconnaître que son dictionnaire est optimisé seulement pour le thème ou pour la version. La tentation est forte d’essayer de faire croire que l’on a réussi la synthèse, que le dictionnaire résultant serait en même temps le meilleur outil pour l’encodage en langue cible et pour le décodage de la langue source (et, dans la même veine, qu’il serait le meilleur à la fois pour le lycéen, pour l’étudiant universitaire, pour le traducteur…).
La bidirectionnalité relève de l’utopie signale, très à propos, Danguolė Melnikienė. En tout cas sur support papier (et sur support numérique cela reviendrait à afficher alternativement deux dictionnaires ou certaines parties de deux dictionnaires ; le travail lexicographique reste à faire, de toute façon, pour l’encodage et pour le décodage). D. Melnikienė ne se contente cependant pas de ces constatations générales et s’interroge sur les moyens de réussir, du moins, une bidirectionnalité partielle. Les aperçus grammaticaux donnés en annexe de certains bilingues ne sont
certainement pas la réponse. D’abord, parce qu’ils doivent se trouver parmi les pages les moins lues au monde, qui sait si devant ou derrière les licences de logiciel et les notices d’utilisation des voitures. Il ne semblerait pas que d’autres types d’annexes (toponymes, proverbes, etc.) contribuent non plus à une bidirectionnalité réelle.
Pour ce qui est de la macrostructure, la macrostructure à nid n’est pas non plus une solution dans la mesure où elle exige une compétence considérable de la part de l’utilisateur. Certaines lemmatisations (par exemple, présenter une forme supplétive comme lemme avec renvoi à la forme canonique) peuvent aider l’utilisateur pour qui la langue source est la langue étrangère, mais elles sont inutiles pour le natif de cette langue. En microstructure, le fait de présenter, à côté de l’entrée, son paradigme ou une partie de son paradigme morphologique constitue encore une aide non négligeable pour celui qui a la langue source comme langue étrangère. Par contre, les définitions permettant de distinguer les différentes acceptions du lemme seront les bienvenues pour l’utilisateur qui a la langue cible comme langue étrangère. Finalement, la langue choisie pour présenter l’appareil métalangagier (abréviations, gloses…) peut se révéler crucial, spécialement si les deux langues sont typologiquement éloignées.
Le paradoxe reste entier : on sait qu’il n’est pas possible de produire un dictionnaire bilingue parfaitement bidirectionnel, mais on essaye pourtant sans cesse.
Le chapitre iv nous surprend agréablement, il est consacré aux ištiktukas que l’on peut rapprocher des onomatopées, sans que les deux réalités coïncident. Forte d’une tradition qui compte sur des ouvrages comme le Dictionnaire du lituanien contemporain (2000), avec plus de 400 onomatopées, Melnikienė nous offre une intéressante étude sur le traitement de ces formes dans cinq dictionnaires bilingues lituaniens de grande couverture.
Le chapitre v aborde la question des mots-tabous (ou « mots-scandales », savoureuse dénomination que l’auteur emprunte à Alain Rey). Les traditions lexicographiques ne se valent pas : la tradition anglo-saxonne et la russe sont nettement plus restrictives que la française à cet égard. La lexicographie lituanienne (l’héritage soviétique pesant lourd) ne commence à accueillir les mots-tabous qu’à partir de l’an 2000. Le bilingue français-lituanien se trouvera, donc, mieux pourvu que le
lituanien-français, car la caution des dictionnaires monolingues français légitime ces entrées. Au-delà de la présence dans la macrostructure, la microstructure mérite aussi l’attention de D. Melnikienė. L’équivalent lituanien du mot de Cambronne fait l’objet d’une analyse lexicographique comparée qui met en évidence de grandes différences de traitement.
Le chapitre vi pose le problème de la divergence culturelle et de sa conséquence, la non-équivalence en langue cible. « Aliénismes » (concrètement « aliénismes intérieurs ») est le terme que l’auteur retient pour les formes qui désignent un réel existant uniquement dans l’univers culturel de la langue de départ. D. Melnikienė aborde une grande variété de ces aliénismes (depuis les noms désignant des ustensiles de ménage jusqu’aux plantes, les vêtements, etc.). Comment « transporter » en français kisielius, par une définition succincte, par un hyperonyme ? La question reste ouverte et elle est à reposer pour chaque entrée lexicale. Parfois, on peut avoir recours à une « culture-pont », et proposer kwas pour gira, la forme russe étant plus familière que la lituanienne pour un lecteur français. Certains pragmatèmes et clichés constituent un cas particulier de ces « aliénismes ». Ne quittez pas ! exige une équivalence fonctionnelle : Nepadékite ragelio ! (’ne posez pas le récepteur téléphonique’).
Le dictionnaire bilingue : un miroir déformant ? possède aussi sa propre mégastructure. Les conclusions à la fin de chaque chapitre sont une aide précieuse pour la lecture et la consultation. Un glossaire regroupant un petit nombre d’entrées bien choisies complète le livre de façon très pertinente.
Je ne peux que conseiller vivement la lecture de cet ouvrage (dont la brièveté est un des charmes). Il constitue la seule porte d’entrée, pour le lecteur non baltique, à un jardin secret dont Danguolė Melnikienė nous offre la clé. Un livre-bijou, en ambre, bien entendu.
Xavier Blanco Escoda
Universitat Autònoma de Barcelona
Maria Centrella, Le Vocabulaire de l’informatique : de la norme à l’usage, Paris, Hermann, 2012, 212 p. (« Vertige de la langue »).
La modernité, affirment Josette Rey-Debove et Alain Rey dans leur préface au Nouveau Petit Robert, « pénètre la langue dans toute son épaisseur : les mots, certes, mais aussi les significations, les contextes d’emploi, les locutions, et les allusions qui sont les témoins et les signaux de notre époque ». Cette remarque ouvre l’étude de Maria Centrella, puisqu’encore plus pertinente en ce qui concerne le domaine de l’informatique et des nouvelles technologies, par lesquelles, comme l’affirmait Jacques Bureau en 1972, en préfaçant son Dictionnaires de l’informatique, l’homme est entré dans « l’ère logique », celle où il « meurt dans un monde différent de celui qui l’a vu naître », et où, « dans l’espace allongé d’une vie, le temps s’infléchit », le progrès devenant « exponentiel ». L’informatique prenait alors son essor, avec une progression qui allait s’avérer, elle aussi, exponentielle, tout comme celle de son vocabulaire qui, comme le remarquait Pierre Morvan en 1981, « plus que celui de toute autre discipline, a connu ces dernières décennies, connaît aujourd’hui, et connaîtra encore demain un enrichissement prodigieux » ; un enrichissement qui se place en France sous le double signe de l’emprunt et de la créativité lexicale.
En examinant du point de vue lexicologique et terminologique le vocabulaire officiel de l’informatique, l’étude de Centrella s’interroge sur les différentes façons par lesquelles le lexique français a été saisi par la révolution informatique, des officielles et normatives à celles de l’usage courant, à travers une analyse qui suit deux axes principaux : la norme et l’usage. Comme le souligne Silvestri dans sa préface, se référer aux deux grandes attitudes linguistiques, la norme et l’usage, représente un choix particulièrement heureux et pleinement cohérent par rapport aux deux grandes et complémentaires dimensions de chaque langue, la dimension officielle et institutionnelle d’une part, la dimension spontanée et en situation de l’autre.
Dans la première partie, consacrée à la norme, l’auteur étudie les procédés morphologiques et sémantiques sous-jacents à la création des termes de l’informatique qui ont reçu un statut officiel de normalisation de la part de la Commission générale de terminologie et de néologie, en examinant une riche documentation commentée par des observations linguistiques opportunes et minutieuses en marge de cas particuliers.
Dans la liste des termes recommandés par la Commission, émergent 362 entrées concernant l’informatique, sur lesquelles l’auteur conduit une enquête ponctuelle dont le but est d’observer, à partir d’une analyse rendant compte des situations d’interférence linguistique avec l’anglais, la « qualité linguistique » de ces néologismes, reconnue par Michel Chansou (2003) comme une condition privilégiée pour l’implantation d’un terme auprès des locuteurs.
Tout en montrant la présence très réduite d’emprunts directs à l’anglais, Centrella souligne opportunément le facteur favorable d’une composante latine ou « anglolatine » dans les lexèmes de départ ; dans le cas des emprunts assimilés, elle démontre le rôle décisif joué par la conformité structurale des termes de la langue de départ et de ceux de la langue d’arrivée, sans négliger enfin une analyse des sigles et acronymes. Un large espace critique est consacré aux calques, qui représentent le matériel lexical le plus abondant et le plus important et que l’auteur examine à la loupe en proposant une distinction entre calques structuraux, calques syntagmatiques, calques sémantiques, calques transpositionnels, tout comme aux synthèses néologiques, dans lesquelles se déploie le caractère dynamique et créatif de la Commission et qui font l’objet de commentaires métalinguistiques ponctuels et réfléchis.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, très riche et intéressante, l’auteur s’interroge sur l’implantation des termes officiels dans l’usage réel de la langue, à divers niveaux de spécialisation, l’informatique étant un secteur qui pénètre de façon massive tous les domaines de la vie, aussi bien collective que privée, d’un grand nombre de parlants. Comme le remarque encore Silvestri, « l’exploration de dictionnaires, de guides et manuels techniques et d’un corpus de presse spécialisée, suivant un gradient opératif particulièrement sagace, permet à l’auteur de passer, graduellement et tout en respectant pleinement la réalité linguistique, d’un usage de la norme (la consultation des dictionnaires) à la normalité de l’usage (la presse spécialisée), en mettant au centre, comme articulation interactive, une textualité tout à fait particulière (avec la lecture continue ou décousue des guides et des manuels techniques) ».
L’auteur se concentre tout d’abord sur les dictionnaires (le Nouveau Petit Robert et le dictionnaire Larousse dans sa version en ligne), qu’elle situe opportunément entre norme et usage : puisqu’ils attestent l’introduction et la lexicalisation des termes et des expressions, ils leur donnent, comme
l’affirment Pruvost et Sablayrolles (2003), une « consécration lexicographique », participant ainsi à l’installation d’un terme ou d’une expression dans l’usage courant des parlants (Depecker 1997). De la collection très ponctuelle de données et de leur analyse soignée on comprend pourquoi presque la moitié seulement des termes recommandés, divisés encore une fois suivant les catégories illustrées dans la première partie de ce travail, sont accueillis dans les dictionnaires en question.
L’analyse se poursuit par l’examen des guides et manuels techniques, qui représentent une typologie particulièrement représentative de textes de vulgarisation, qui s’adressent à un utilisateur non-spécialiste dans le but d’asseoir, à travers un langage clair et un vocabulaire précis, les toutes premières bases de la communication entre l’homme et la machine. L’auteur est ici également cohérente dans sa réutilisation des catégories mentionnées ci-dessus et dans son analyse, déjà proposée pour les dictionnaires, du balancement entre les termes français et anglais dans la praxis des manuels, en soulignant très opportunément une émergence plus fréquente des termes purement anglais dans ce type de textes.
Dans le chapitre consacré à la presse spécialisée, le parcours cognitif dans l’usage réel des termes de l’informatique atteint son maximum. Le corpus recensé ici, tiré de deux quotidiens en ligne, dépasse largement le million de mots et l’expansion du matériel linguistique paraît s’accroître de façon exponentielle ; on remarque ici une qualité ultérieure de ce livre, à savoir la qualité de nous plonger progressivement dans un espace linguistique de plus en plus vaste, tout en restant en même temps toujours ponctuel et précis dans son discours métalinguistique. Dans ce cas aussi la procédure d’exposition est celle qui a été rodée efficacement dans les chapitres précédents et qui nous montre ici une augmentation ultérieure de la terminologie purement anglaise, ce qui ne surprend pas dans cette typologie textuelle.
Dans la partie finale de son travail, Centrella tire les conclusions de sa recherche, en parvenant à atteindre une vue théorique d’ensemble sur la base de la solidité et de la variété des données prises en examen (on apprécie d’autant plus, en ce sens, les annexes qui enrichissent la partie finale du livre). L’analyse des résultats obtenus pour chaque corpus analysé prouve la difficulté de juger de l’implantation d’un terme de façon globale, puisque celle-ci varie en fonction des types et des situations de discours. Les dictionnaires généraux manifestent, par exemple, une attestation pas
particulièrement bonne des termes officiels de l’informatique, auxquels ils préfèrent parfois les anglicismes équivalents, et ils ouvrent leurs portes surtout aux emprunts directs ou aménagés. La comparaison du corpus des guides et manuels avec celui de la presse spécialisée montre, en revanche, la corrélation inverse, soulignée par Gouadec (1993), entre le taux de normalisation et le degré de technicité d’un texte : les termes officiels, en effet, sont d’autant moins utilisés que les documents sont techniques et qu’ils s’adressent à un public averti.
L’auteur en arrive alors à des réflexions d’ordre plus général : la langue de l’informatique, à cause de son énorme diffusion auprès de différents publics et à cause de ses multiples niveaux d’usage, tend à se soustraire aux intentions de normalisation institutionnelles, occasionnant ainsi souvent une discordance entre les prescriptions officielles et l’usage réel dans la pratique courante.
La rémanence de l’anglais est largement constatée et attribuée, dans le sillage des études de Gouadec, à plusieurs facteurs : elle vient de son antériorité, de sa situation « acquise » dans le domaine de l’informatique, le français se voyant souvent dévolu au statut de langue secondaire, voire subalterne, de l’informatique ; elle dérive aussi de l’anglicisation des objets et des véhicules de l’informatique, de la « présence de l’anglais sur l’outil », qui a été observée surtout dans la presse spécialisée ; enfin, certaines désignations anglo-américaines, telles que les sigles et acronymes, en se lexicalisant, ont perdu la marque de leur provenance, devenue imperceptible ou insensible pour le locuteur français.
D’autre part, le succès de certains termes recommandés de l’informatique, qui peuvent être considérés comme bien implantés ou en voie d’implantation, n’en est pas moins mis en relief par l’auteur, qui l’attribue non seulement à des facteurs extra-linguistiques, à savoir les différentes forces sociales et économiques qui s’exercent sur la langue, mais aussi à des facteurs internes, proprement linguistiques, à savoir les possibilités d’adaptation des néologismes au système de la langue et aux principes du lexique (Chansou 2003). Ces facteurs internes sont l’objet des réflexions d’ordre lexicologique et terminologique qui concluent ce livre particulièrement réussi, où l’auteur en arrive à proposer, en reprenant Depecker (1997), certains critères morphosémantiques pouvant contribuer à la « qualité linguistique » d’un terme de l’informatique et à son implantabilité dans l’usage : la motivation du terme français, son
inscription dans le fil de l’histoire de la langue, la création de paradigmes dérivationnels, le bon recouvrement du concept par sa désignation, la simplicité de la désignation française, la transparence du terme français, sa brièveté et sa proximité avec le terme anglais correspondant, l’adéquation connotative de la désignation au concept auquel elle renvoie.
L’étude de Centrella, construite sur une recognition fine et intelligente de trois catégories textuelles particulièrement représentatives du vocabulaire de l’informatique, propose une plus large réflexion d’ordre lexicologique, voire lexiculturel, concernant la création lexicale institutionnelle dans le domaine de l’informatique, ambitionnant de vérifier si cette discipline, encore capable de susciter de grands débats, possède vraiment, en français, une langue « claire et numérique ». Loin de prétendre à une quelconque exhaustivité concernant une matière aussi riche et en évolution constante, cette sorte de « radiographie ajournée qui met en lumière cette partie importante du lexique français contemporain » se propose plutôt de stimuler la recherche, en servant de base à des travaux complémentaires, plus approfondis et circonstanciés, concernant une langue de spécialité qui « bouge » énormément, puisque son mouvement, comme le souligne Grenié (1997), « témoigne la perpétuelle évolution des technologies et de leurs usages ».
Celeste Boccuzzi
Université de Bari Aldo Moro,
LaBLex
Jacqueline Lillo (édité par), Les Best-sellers de la lexicographie franco-italienne. xvie-xxie siècle, avant-propos de Jean Pruvost, Roma, Carocci editore, 2013, 236 p.
Une des plus intéressantes publications de vulgarisation scientifique, parues au début de cette année, est représentée par Les best-sellers de la lexicographie franco-italienne. xvie-xxie siècle. Conçu comme moyen de réflexion et de recherche dans le domaine de la lexicographie bilingue français-italien, il constitue le lieu privilégié où les évènements historiques, le progrès économique et les transformations sociales et culturelles s’entrecroisent et s’entremêlent, en donnant origine à un véritable chef-d’œuvre qui donne un cadre complet de l’évolution des dictionnaires au fil du temps. Voilà, donc, un trésor lexicographique permettant à son lecteur de chevaucher les siècles depuis le xvie jusqu’à xxie, en découvrant les raisons qui ont déterminé la naissance, le développement et le succès de chacun des dictionnaires pris en considération.
L’édition de ce « coffret séculaire » a été suivie par Jacqueline Lillo, professeur de langue française à l’Université de Palerme. Spécialiste de l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère, elle a publié des études sur les grammaires pédagogiques et les dictionnaires bilingues. Les rédacteurs des chapitres qui composent ce livre sont des chercheurs provenant de différentes universités italiennes. Animés par une fervente passion pour l’univers des mots, ils décrivent avec une grande clarté tout ce que l’on souhaite savoir sur l’histoire et les mutations des dictionnaires bilingues français/italien. En utilisant un style direct et concis, ils ont le mérite d’avoir opéré une simplification bien réussie de leurs connaissances et compétences, qui est le résultat d’études attentives ainsi que d’une activité de recherche minutieuse, en offrant l’occasion au grand public d’entrer en contact et de se passionner à la lexicographie.
Conçu pour un usage pratique et efficace, cet ouvrage s’adresse aux étudiants italiens et français désireux d’enrichir leur bagage de connaissances en ce domaine et, en général, à tous ceux qui, ne bénéficiant pas d’une formation spécifique, approchent pour la première fois cette science. C’est un outil de référence indispensable pour ses utilisateurs, simple et précieux à la fois, facile à consulter, bien organisé. En effet, il présente une structure en quatre parties, divisées par chapitres, dont chacun aborde un siècle et l’auteur du dictionnaire qui l’a marqué, se
prêtant à une lecture aisée et immédiate, compréhensible même aux nouveaux adeptes. Chaque chapitre s’ouvre par une introduction énonçant le siècle et l’œuvre traitée, suivie d’un cadre général, partagé en sections dont la première est constituée par le cadre historique, socio-économique et culturel, donnant un aperçu complet et exhaustif de la France et de l’Italie à l’époque concernée et des rapports entre les deux Pays. Le cadre général poursuit par la biographie de l’auteur du dictionnaire et le tableau de ses éditions au cours des années. Par la suite on entre dans le vif de l’analyse du dictionnaire, en prodiguant des informations précises sur ses sources, des descriptions détaillées et techniques sur le paratexte, la nomenclature et la microstructure. Chaque chapitre se termine en illustrant les nouveautés introduites par l’auteur dans son dictionnaire et en fournissant une liste complète des éditions, les années d’édition et les éditeurs. On trouvera enfin une bibliographie générale bien nourrie, englobant des dictionnaires de langue autres que ceux qui sont cités en fin de chapitre, et les ressources électroniques utilisées. Ces dernières témoignent, d’ailleurs, de la haute valeur scientifique du travail effectué et de sa méthode qui, tout en étant ancrée à la tradition et aux documents du passé, s’avère avant-gardiste dans l’exploitation des nouvelles technologies modernes, mises à la disposition de tous les usagers anxieux d’apaiser leur soif de connaître et de satisfaire leurs curiosités.
En établissant un rapport constant entre histoire, société et lexicographie, ce livre expose et explique les facteurs historiques, socio-économiques et culturels qui tournent autour du monde des dictionnaires et donne toutes les clés pour les comprendre sans difficultés et pour employer à bon escient les données fournies. Il renseigne sur-le-champ les gens qui, à un titre quelconque, entrent en contact avec la lexicographie franco-italienne, désirant consolider leur maîtrise à cet égard.
L’avant-propos de Jean-Pruvost, spécialiste de lexicographie française de renommée internationale, professeur à l’Université de Cergy-Pontoise, directeur de l’équipe LABEX et auteur, entre autres, du manuel Les dictionnaires français outils d’une langue et d’une culture, situe le berceau des dictionnaires monolingues et bilingues dans la Renaissance italienne, période aux effets déterminants sur la pensée, la culture et les arts. Il souligne l’importance actuelle de disciplines comme la lexicographie et la métalexicographie qui touchent notre vie dans tous ses aspects quotidiens. Il manifeste son enthousiasme pour la participation à l’initiative
organisée par Jacqueline Lillo et estime la lecture de cette œuvre très instructive et caractérisée par l’élégance de la pensée et de l’écriture, la pertinence de l’analyse et l’ouverture à de nouveaux horizons. D’après lui le dynamisme de ce livre est ouvertement déclaré à partir de son titre, contenant le néologisme « best-seller », qui n’a pas d’équivalent en langue française et dont Pruvost profite pour mentionner l’exemple de la Bible, tiré du Grand Robert de la langue française. Il considère un symbole de renaissance le désir et la capacité de ces érudits pleins de talent, qui par leur écriture ont su transmettre six siècles d’histoire des dictionnaires. À ses yeux Jacqueline Lillo, étoile polaire de cette équipe d’études, incarne la joie permanente de la recherche où la tradition et l’expérience du passé sont toujours au service d’un présent en constante transformation.
Dans son introduction, Jacqueline Lillo elle-même révèle l’objectif ambitieux poursuivi dans ce livre, de reparcourir l’histoire de la lexicographie bilingue du xvie siècle à nos jours. Par des envolées rapides à travers les différents siècles, elle donne des avant-goûts au lecteur et lui fait savourer ce qui l’attend, en l’introduisant petit à petit dans une exploration captivante. Le but est celui de l’accompagner dans un voyage aventureux, à la fois historique, social et culturel au long de plusieurs époques, par le biais aussi des portraits d’hommes, qui ont consacré toute leur vie aux dictionnaires avec dévouement et ferveur, en nous laissant en héritage des œuvres d’une inestimable valeur, fruit de leur infatigable travail. Ces personnages presque héroïques fascinent le lecteur et constituent des exemples à suivre pour encourager et soutenir les nouvelles entreprises lexicographiques du temps présent. En commençant par Pierre Canal et Giovanni Veneroni pendant les xvie et xviie siècles, en continuant par Francesco Alberti di Villanuova au xviiie siècle, Cormon et Manni, Ferrari et Ghiotti au cours du xixe siècle, pour conclure par Augusto Caricati, Pierre Rouède, Antonio Chanoux et Giulio Cumino, Aldo et Livio Garzanti, Raoul Boch aux xxe et xxie siècles, le lecteur est impliqué au point de s’identifier avec ces hommes si passionnés et revivre leurs émotions et sacrifices, satisfactions et joies pour les succès obtenus. Ces dictionnaristes ont déjà la conscience de rendre un grand service à l’humanité par leurs œuvres, dont les empreintes marqueront d’entières générations de père en fils et dont les traces resteront à jamais. Comme le fait justement remarquer
Jacqueline Lillo, la biographie des auteurs permet de découvrir des aspects surprenants de leur vie et de leur personnalité. Elle précise aussi que jusqu’à la moitié du xxe siècle, ils publient tous autre chose que le dictionnaire éponyme.
Récit entre histoire et lexicographie, ce manuel offre de nombreuses références aux personnages historiques et politiques, de Catherine de Médicis et Henri II à Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche ou aux hommes de lettres tels que Molière, Racine et Alphonse Daudet ou aux savants comme Andrea Dardi ou comme les académiciens de la Crusca et leur Gran Vocabolario della Crusca ainsi qu’à Diderot et d’Alembert et à leur Encyclopédie. Ce livre décrit les changements des dictionnaires et de leurs tâches, en les représentant au lecteur presque comme des êtres vivants subissant des métamorphoses en fonction du temps qui s’écoule et des exigences toujours nouvelles du public, reflet des conjonctures politico-sociales des différentes périodes historiques. C’est pour cette raison, par exemple, que Jacqueline Lillo affirme qu’au xviiie siècle la préoccupation fondamentale d’Alberti est de mettre à la disposition de la classe bourgeoise, très laborieuse et pratiquant les arts mécaniques, une langue technique, enrichie de néologismes et d’une terminologie des arts et métiers. En outre, Lillo met en évidence que l’auteur dans son Dictionnaire « universel » bilingue montre un souci particulier pour la précision des définitions, les équivalents synonymiques et la construction méthodique des articles. De même Monica Barsi dans l’analyse des dictionnaires italien-français / français-italien publiés chez Garzanti fait remarquer l’attention de plus en plus croissante dédiée à la mise en page sur deux colonnes ainsi qu’aux critères de sélection des lemmes et procédés de lemmatisation et aux appendices, expression du but de divulgation se fondant sur un principe de clarté linguistique respectant scrupuleusement la norme. Dans le même sillage de Lillo et Barsi, Michela Murano illustre les nouveautés des dictionnaires de Raoul Boch telles que le dégroupement des homonymes de facto, la fréquence d’usage ou le choix des exemples. Il ne faut pas négliger la splendide analyse de Marie-France Merger du Nouovo dizionario comparativo delle lingue italiana e francese et du Vocabolario scolastico delle lingue italiana e francese de Candido Ghiotti qui, en ligne avec la méthode comparative introduite à l’époque, ont un indiscutable succès restant en librairie tout au long du xxe siècle.
Les pages de cet ouvrage sont parsemées des noms qui ont fait la législation scolaire en France et en Italie comme Guizot et Goblet ou Casati et Gentile avec sa célèbre réforme, lesquels ont exercé une inévitable influence sur l’évolution des dictionnaires. Les auteurs de ce livre se font porteurs et interprètes de cette influence, en décrivant ses effets et du point de vue du contenu, par l’augmentation de la nomenclature ou par l’introduction de la prononciation de Pierre Rouède, et sous l’aspect typographique et formel, visant une meilleure lisibilité et consultation pour un public d’enseignants et d’étudiants. En se faisant porte-parole du but de rendre de plus en plus clairs et accessibles à tout usager ces outils pédagogiques, devenus désormais indispensables à la didactique et à l’apprentissage du français langue étrangère, les rédacteurs de ces chapitres annoncent l’introduction d’innovations, comme les illustrations et légendes du dictionnaire Caricati, de celui de Rouède et du Petit Larousse illustré ou les encadrés grammaticaux et culturels du dictionnaire Boch, qui sont déterminantes pour leur succès éditorial, marqué de plusieurs rééditions sans cesse revues et corrigées. À ce propos Jacqueline Lillo fait ressortir que la véritable liberté de presse et d’expression s’affirme seulement avec les gouvernements démocratiques, après une longue et épuisante période où éditeurs et auteurs sont soumis à un chantage permanent par les anciens régimes politiques. En outre, elle invite à réfléchir sur le fait que, comme au début de la lexicographie bilingue les coûts très élevés de publication obligeaient les éditeurs à proposer des éditions partagées, de la même façon aujourd’hui la mondialisation force les éditeurs à collaborer entre eux pour rester sur le marché.
La lecture enivrante de cette étude, d’où jaillit une multitude de détails et curiosités encore inconnus, données scientifiques d’une rigueur inattaquable, observations et remarques résultant d’une réflexion méditée et attentive, suscite une attention et une participation voraces. En effet, le lecteur est capturé et entraîné par les mouvements tourbillonnants d’une inondation omnidirectionnelle, envahi par la poussée d’une marée bouleversante. Cet ouvrage pédagogique exemplaire est comme un volcan en pleine éruption qui enveloppe le lecteur dans son magma incandescent, toujours luisant de nouvelles suggestions, réflexions et comparaisons, un ouragan qui envoûte son usager, ravi, presque ensorcelé et hypnotisé par ses vertiges lexicographiques.
À l’aide d’une présentation graphique aérée et parfaitement ordonnée le lecteur est emmené à la compréhension et interprétation des best-sellers de la lexicographie franco-italienne par une approche progressive et de plus en plus confidentielle. Au fur et à mesure qu’il avance, en feuilletant ses pages, il est complètement englouti par ce gouffre représenté par les recherches historiques et lexicographiques conduites par ses auteurs, séduit par ses dédales encore inexplorés, impliqué et attiré dans l’orgie de termes, combinaisons de mots et d’images, noms de personnages, explications et éclaircissements de nature différente, pendant les phases de ce voyage infini et de cette recherche incessante, dont Jacqueline Lillo est la figure de référence fiable et rassurante, qui permet de décoder de façon correcte et optimale les données et informations contenues dans ce manuel.
En conclusion, on peut considérer cet ouvrage un instrument fonctionnel, aisément consultable et utile à tous ceux qui ont la nécessité pour leurs études ou pour des raisons professionnelles de décrypter les phases de la vie des dictionnaires bilingues français/italien dans tous les renseignements offerts par la compétence scrupuleuse de ses auteurs. Par sa rédaction impeccable et son aboutissement scientifique et pratique à la fois, il se confirme comme un outil essentiel. D’un autre côté il représente un guide presque « amical », qui donne accès à une recherche avancée, infatigable et sans arrêt, capable de stimuler la curiosité de son usager. Ce dernier est poussé à se doucement plonger dans la mer de ce monde par moments féerique et légendaire, et à poursuivre un chemin fascinant dans ses parcours labyrinthiques. Cet ouvrage accompagne à vol d’oiseau le lecteur, en le conduisant à sa destination finale, à savoir la connaissance ponctuelle de la naissance et évolution des dictionnaires, ces gros livres consultés à chaque moment de la journée par grands et petits, témoins importants de la quotidienneté, reflet de la vie sociale et réelle et de ses changements au cours des siècles.
À l’époque de la digitalisation et des dictionnaires en ligne, effets de la révolution technologique de la lexicographie et de la dictionnairique commencée à la fin du xxe siècle, cette œuvre magistrale évoque la puissance de la tradition et suscite l’envie presque nostalgique de revenir au passé. Elle nous invite à ne pas oublier l’héritage qu’il nous a laissé et à trouver en lui toujours un élan d’enthousiasme pour construire d’une façon plus solide notre présent. Cela dans la perspective optimiste d’un
avenir plus rose, qui actuellement trop souvent nous apparaît si incertain, en trouvant toujours dans l’expérience et dans le zèle de ceux qui nous ont précédés une confiance renouvelée dans la vie et dans nos semblables.
Carmela Rizzi
Université de Bari Aldo Moro,
LaBLex
Alain Duchesne et Thierry Leguay, Dictionnaire insolite des mots oubliés, Paris, Larousse, 2013, 286 p.
Publié par Larousse, le Dictionnaire insolite des mots oubliés est un des cadeaux offerts durant la première moitié de cette année à tous les lecteurs passionnés du séduisant domaine du langage, à la redécouverte et récupération des merveilles lexicales désormais disparues de la langue française courante ou qui, de moins en moins utilisées, risquent ce triste destin. Alain Duschesne et Thierry Leguay, auteurs de cet ouvrage, précédemment publié sous le titre de Turlupinades & tricoteries, dictionnaire des mots obsolètes, introduisent leur travail par une dédicace à la mémoire de Roland Barthes et par une citation de Ferdinand Brunetière, où les mots sont comparés aux acteurs d’un théâtre. Cela révèle déjà l’empreinte qui caractérise ce manuel, où ils invitent les usagers à une promenade pittoresque au pays féerique d’antan, en redonnant force et vigueur à termes et expressions à présent surannés, et en leur restituant la juste valeur et dignité compromises ou perdues.
La préface, intitulée « Le désir de la langue », débute par l’encouragement d’Émile Littré à lutter contre la désuétude de mots méritant d’être conservés et par la confidence de Flaubert qui nous rappelle que la langue, comme n’importe quel autre être vivant soumis aux lois naturelles, peut un jour cesser son existence. Par rapport aux langues anciennes disparues, évoquées par Georges Dumézil, la langue française semble se renouveler sans cesse par de nouveaux termes qui ont parfois une vie brève, tandis que d’autres meurent silencieusement.
Ce dictionnaire manifeste le regret d’assister à l’abandon des mots considérés obsolètes ou désormais inutiles par notre société moderne. D’une façon voilée ses auteurs dénoncent l’appauvrissement du lexique, déterminé par la disparition de ces mots, et s’adressent à deux monuments lexicographiques, le Littré et le Nouveau Larousse illustré, points de repère pour la rédaction de leur ouvrage. En effet, ils puisent à la multitude de citations et subtilités sémantiques du Littré et au trésor d’illustrations des graveurs du Larousse ainsi qu’aux vignettes de Leblond ou Dessertenne avec leurs images saisissantes et énigmatiques. Duschesne et Leguay nous mettent face à la nécessité d’être prudents et modestes, car l’imperfection des livres comme des individus est porteuse de vérité et suscite très souvent une attirance captivante. Ils font allusion
aux polémiques et aux débats sur la langue, à l’utilisation sauvage des termes anglais comportant un déclassement de notre langue et à celui d’un langage de plus en plus abstrait, qui nous éloigne de la réalité et nous empêche de penser. En mettant en évidence la diffusion d’un puritanisme hypocrite qui rejette des mots en les qualifiant de vulgaires, ils incitent le public à aimer la langue plutôt qu’à suivre ses règles, à établir un rapport d’affection vive avec les paroles, en les choisissant avec discernement, à réveiller tous les sens et ramener à une nouvelle vie des termes tombés dans les oubliettes.
Lieu de réflexion sur la superficialité et la dissimulation qui dominent notre temps, notre société et nos relations humaines, l’ouvrage s’adresse aux étudiants désireux d’enrichir leur bagage lexical et à tous ceux qui, après plusieurs années d’expérience, regrettent la perte de certains mots sous l’avancée tourbillonnante de l’apparence et de l’absence vertigineuse qui marquent la langue actuelle. Les auteurs affirment que le langage sert souvent de paravent pudique pour éloigner et exorciser la violence de la réalité qui nous entoure et subit un processus de dépersonnalisation, devenant progressivement neutre et vide d’émotions. Cette situation est le reflet de l’affaiblissement des valeurs et des principes moraux du passé, qui ont succombé devant la souveraineté des choses matérielles. En effet, à notre époque les objets triomphent sur les individus, en les réduisant à s’identifier avec eux au gré des formes et de la mode, laquelle n’est que le masque frivole de la mort. Ce livre pousse les lecteurs à prendre conscience de l’obsession du changement qui envahit nos esprits et de la tendance à déprécier nos semblables, en les qualifiant par des adjectifs d’où dépend leur sort et, par conséquent, à craindre le même traitement.
Ce dictionnaire est structuré en six sections (Décors, Acteurs, Affections, Manières, Discours et Coulisses), dont chacune donne ses entrées par ordre alphabétique. Les définitions sont presque toujours accompagnées de citations des grands noms de la tradition littéraire et philosophique, de Lamartine et Gautier à Beaumarchais et Rousseau, de La Fontaine et Montaigne à Corneille et Voltaire. En parcourant ses pages, les utilisateurs sont enivrés par une présentation graphique bicolore très agréable à la vue, caractérisée par des encadrés riches en images diverses et complétés par des légendes synthétiques. On passe des différents types d’objets (brosses, éventails, filtres, lanternes, plumes) aux différentes coiffures et barbes ou aux vêtements pour hommes et pour dames (pantalons,
chapeaux, berthes, palatines). Les lecteurs peuvent se délecter aussi en observant les dessins des moyens de transport, des plus familiers aux plus bizarres comme le vélocimane, le wiski, le porte-fainéant ou le palanquin. Très intéressantes sont les illustrations représentant les exercices de gymnastique suédoise ou les phases de l’apprentissage de la natation au régiment, celles plus scientifiques comme l’étude de l’atome ou encore les procédés, outils et remèdes médicaux tels que les bigophones et le respirateur ou le lavage de l’estomac et les exercices de mécanothérapie. La curiosité des usagers est capturée par les images d’instruments de musique comme le batyphon, l’harmoniflûte ou l’octobasse ainsi que d’instruments de supplice comme les buies ou des machines et appareils destinés aux usages les plus variés (télautographe et télémètre, goudronnier et bigraphe, pèse-bébé et pouponnière). Enfin très amusantes sont les scènes décrivant des jeux comme la roue, le pet-en-gueule, le trou-madame, le passe-boule, le jeu de la main chaude ou celui des Grâces. La liste d’objets étranges ou cocasses, comme le ramasse-monnaie ou le ramasse-miettes, la baignoire-sabot ou la sambue, pourrait continuer à l’infini. Leur abondance témoigne du dévouement des auteurs et de la volonté de transmettre leur passion au public des lecteurs grands et petits.
Duschesne et Leguay montrent aussi un souci particulier aux subtiles différences de signification entre deux ou plusieurs mots, en parsemant les pages de leur œuvre de jolis encadrés nommés « le sens de la nuance » (un exemple indicatif est celui qui explique les nuances des termes concupiscence – cupidité – avidité – convoitise), où ils mentionnent des éclaircissements, en les tirant du Littré et du Larousse.
En outre, dans ce livre ne manquent pas les références à la psychanalyse de Freud ou à la pensée de Nietzsche, ainsi qu’à la fonction phatique de Roman Jakobson et au désir de contact qu’on éprouve lorsqu’on établit une conversation. Les mots sont comparés à des caresses ; dans la société d’aujourd’hui, où le souci de l’efficacité l’emporte sur le déploiement sensuel du langage, la littérature est la seule qui réussit à le guérir de ses affections par la réconciliation du verbe et du silence. Elle s’occupe aussi des refoulés de la linguistique (métaphores, onomatopées, mots enfantins, interjections, gros mots, jurons et insultes), systématiquement négligés par les grammaires, qui trouvent leur place dans les textes littéraires et dans les dictionnaires.
Dans la postface Émile Littré fait ses considérations finales sur l’opportunité présumée et éventuelle de rayer de la langue vivante des mots tombés en désuétude ou désormais anachroniques pour le temps présent. Il affirme que trop fréquemment des termes inaccoutumés sont rejetés parmi les classements des archaïsmes, du langage gothique ou gaulois. Paladin de la survivance de la richesse lexicale de la langue française, il déclare que bien des termes qu’on croyait enterrés, s’avèrent encore vivants dès qu’on change de région, d’entourage ou de profession. En alléguant l’exemple de résurrection de mots vieillis dans le terrain prolifique des dictionnaires, il adresse une chaleureuse invitation aux lecteurs à ne pas gaspiller les ressources lexicales qui font la richesse d’une langue. Ce manuel se termine par un index général et par un index des illustrations, permettant de mieux se repérer en facilitant sa consultation.
Pour conclure, par cette moisson de mots oubliés, Duschesne et Leguay essaient d’accomplir la tâche hardie de faire renaître des paroles devenues désuètes et insolites par négligence, qui, n’ayant pas de remplaçants, pourraient revenir encore utiles dans notre vie quotidienne. Ils perçoivent la peur qui angoisse l’homme de la modernité, à la fois source et reflet des changements sociaux et des métamorphoses de la langue. Ces dernières se réalisent d’un côté par l’introduction de néologismes concernant les nouvelles technologies et les habitudes, le style et la conception de vie des sujets sociaux, de l’autre par la disparition souvent injustifiée de termes de bon aloi. Par la défense des mots oubliés, ils se font porteurs d’un message symbolique d’espoir et de solidarité universelle.
Carmela Rizzi
Université de Bari Aldo Moro,
LaBLex
Mariadomenica Lo Nostro, La dictionnairique bilingue. Analyses et suggestions, préface de Giovanni Dotoli, Paris, Hermann, 2012, 228 p.
Lorsqu’on entend parler de dictionnairique on se trouve face à plusieurs réactions contradictoires, et il est donc difficile de savoir entourer ses limites et son rôle scientifique.
C’est pour cette raison que nous avons eu le plaisir de retrouver dans nos mains un livre dont, comme l’affirme Giovanni Dotoli dans sa préface, « C’est peut-être le premier livre qui introduit le mot “dictionnairique” dans son titre, à la une, en reconnaissant donc la légitimité de ce mot inventé par Charles Nodier, repris par Bernard Quemada et défendu par Jean Pruvost » (p. 10).
Mariadomenica Lo Nostro, membre fondamental de l’équipe du Nouveau dictionnaire général bilingue italien-français / français-italien dirigé par Giovanni Dotoli, a le grand mérite d’avoir « pris le risque [d’]introduire [cette discipline à part et toutefois complémentaire à la lexicographie] en société » (p. 19). Pour cette raison, nous convenons tout à fait avec l’avis de l’auteur de la préface lorsqu’il affirme : « C’était un livre indispensable, absolument à inventer, et selon le schéma qu’elle a suivi : entre la profondeur et le sérieux de la science, et la nécessité d’être clair et bref, en s’adressant aux chercheurs aussi bien qu’aux étudiants de l’Université, et je dirais au grand public lui-même. Mme Lo Nostro adopte une lignée originale. Elle ne quitte jamais la tradition de la lexicographie, celle qui naît lors des premiers grands dictionnaires de la langue française, à la fin du xviie siècle, et qui continue son triomphe avec les grandes réalisations d’Alain Rey et de Bernard Quemada. Mais elle ouvre portes et fenêtres au nouveau, avec un équilibre rare quand on se lance vers l’avenir. […] Celle de Mme Lo Nostro n’est plus une dictionnairique fermée, mais ouverte, qui ne s’oppose jamais à la lexicographie, et qui se situe sur la lignée de l’aventure merveilleuse de tout dictionnaire. […] Mme Lo Nostro suit une méthode qui englobe et qui ne divise jamais. C’est la méthode du partage, de la langue qui est l’expression de l’âme commune, du peuple, disait-on autrefois » (p. 9-10).
La dictionnairique, comme le dit l’auteur de ce livre, a donc le grand mérite de porter la lexicographie sur un plan de réalité, où la recherche peut se rencontrer avec les exigences du public.
En partant d’un très aimable entretien avec les deux pères contemporains de la dictionnairique (Bernard Quemada et Jean Pruvost), l’auteur introduit le lecteur vers ce domaine très pratiqué et pas encore systématiquement analysé.
Ce volume, accompagné d’une riche et très utile bibliographie, en cohérence avec les compétences de l’auteur, déjà coauteur de la Bibliographie thématique et chronologique de métalexicographie. 1950-2006 (Schena, 2007), offre des pistes claires et passionnantes. L’âme du lexicographe se manifeste déjà par le choix de commencer, comme s’il s’agissait d’une très longue entrée du dictionnaire, par la définition du mot dictionnairique. Pour continuer, après avoir exploré les différents outils actuellement sur le marché, en se focalisant sur un produit parmi les plus difficiles à organiser et à rendre lisibles : le dictionnaire bilingue grand format, considéré souvent un sous-produit de la lexicographie et toutefois le plus recherché par le public.
En affirmant que quelques-unes des questions les plus traitées ces dernières décennies par les plus grands experts lexicographes (les limites, la validité de l’ordre alphabétique, le choix de la taille, du type et du format dictionnaire, ainsi que les éléments réellement souhaités par les différentes typologies de public), sans avoir la prétention d’offrir des solutions univoques et définitives, l’auteur a le grand mérite d’articuler la lexicographie sur trois axes innovateurs (p. 25) et d’identifier une dictionnairique interne et externe (p. 49).
La sensibilité du lexicographe (la recherche) et les contraintes du dictionnariste (le temps, la conception, la confection et la consultation) trouvent ici leur point de rencontre et d’achèvement. Ces deux domaines ne sont plus en compétition, ne se superposent plus : ils deviennent complémentaires, pour ouvrir l’avenir à une étude à l’unisson où les différentes complexités pourront retrouver leur simplicité dans une approche unitaire. Le réalisme – manifesté par l’ouverture vers les nouvelles technologies et la conscience de leurs possibilités futures ainsi que les manques actuels et la nécessité de réinventer la manière de concevoir les dictionnaires – portent l’auteur à des réflexions très innovatrices et enthousiasmantes dans la confection du paratexte (p. 64) et de la typographie (p. 70), avec un penchant vers le choix du caractère de police apte à tous genre de public, en partant de l’emploi d’un caractère plus lisible pour un public dyslexique et donc aussi plus aisé pour tout public (p. 77),
pour ne pas parler des tables des verbes, très recherchées dans les doutes de composition et toutefois pas toujours aisément consultables (p. 81). Il n’est pas surprenant de trouver les encadrés (p. 85) et les illustrations (p. 191) à la place d’honneur, étant donné qu’ils constituent deux des chevaux de bataille de l’auteur, ici systématisés et approfondis. Pour ces raisons-là, et aussi pour d’autres éléments que nous ne citons pas, pour laisser au lecteur le goût de la découverte, nous sommes tout à fait d’accord avec le préfacier : « C’est un livre à lire et à pénétrer, pour faire avancer la recherche dans la science du dictionnaire ».
Celeste Boccuzzi
Université de Bari Aldo Moro,
LaBLex
1 Giovanni Dotoli, Alain Rey artisan et savant du dictionnaire, Fasano-Paris, Scena – Hermann, 2010 ; Giovanni Dotoli, La Construction du sens dans le dictionnaire, préface d’Henri Meschonnic, Fasano, Schena Editore, Paris, Hermann, 2008 ; Giovanni Dotoli, Dictionnaire et littérature. Défense et illustration de la langue française du xvie au xxie siècle, préface d’Alain Rey, Fasano, Schena Editore, 2008 ; Giovanni Dotoli, La Symphonie du temps dans le dictionnaire de la langue française, préface de Jean-Claude Chevalier, Fasano, Schena Editore, 2011 ; Giovanni Dotoli, La Mise en ordre de la langue dans le dictionnaire, Paris, Hermann, 2012, etc.
2 Jean Pruvost, Les Dictionnaires français outils d’une langue et d’une culture, Paris, Éditions Ophrys, 2006, p. 88.
3 Danièle Morvan, « Le dictionnaire, une passion multiple », Giovanni Dotoli, Le Dictionnaire de la langue française. Théorie, pratique, utopie, Paris, Hermann, 2012, p. 8.
4 Josette Rey-Debove, Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, Paris, Mouton, 1971, p. 91.
5 Danièle Morvan, Op. cit., p. 9.
6 Josette Rey-Debove, Op. cit., p. 104.
7 Ibid., p. 105.
8 Alain Rey, Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Paris, Plon, 2011, p. 172.
9 Alain Rey, « Les dictionnaires bilingues des différences culturelles à l’universel », Le dictionnaire bilingue, tradition et innovation, sous la direction de G. Dotoli, C. Boccuzzi, M. Lo Nostro, Fasano, Schena Editore, Paris, Alain Baudry et Cie, 2012, p. 7.
10 Élisabeth Ridel, Réflexions autour des dictionnaires bilingues et multilingues, 2009, p. 1. www.unicaen.fr/recherche/mrsh/…/Intro-Ridel_0.pd…
11 D. Melnikienė signale que Opyt obshchei teorii leksikografii (1940) n’a pas été traduit, ni en anglais ni en français. Nous nous permettons de corriger l’auteur sur ce point, il existe bien une traduction anglaise de 1995.
12 De tels dictionnaires sont possibles seulement par un travail indépendant des contraintes du marché.