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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Les Cahiers du dictionnaire
    2012, n° 4
    . varia
  • Auteurs : Dotoli (Giovanni), Boccuzzi (Celeste), Rizzi (Carmela), Leopizzi (Marcella), Cappiello (Giuseppe), Costagliola d'Abele (Michele)
  • Pages : 213 à 245
  • Revue : Les Cahiers du dictionnaire
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812439841
  • ISBN : 978-2-8124-3984-1
  • ISSN : 2262-0419
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3984-1.p.0213
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/12/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Jean Pruvost, Les élections ou comment « s’eslire quelque manière de vivre » ?, Paris, Honoré Champion, 2012, 138 p.

Il fallait un connaisseur absolu de la profondeur des dictionnaires de la langue française tel Jean Pruvost pour inventer une collection comme celle-ci, et lui donner le nom le plus juste et le plus fascinant : Les mots.

Rien à voir avec le titre homonyme de l’autobiographie de Jean-Paul Sartre. Il s’agit de faire l’histoire vivante des mots qui ont l’honneur d’entrer dans cette collection, d’offrir « un voyage totalement inédit au cœur des mots, à travers les dictionnaires du xvie siècle à aujourd’hui », ainsi que nous le lisons dans la présentation de ce projet en quatrième de couverture.

Avant ce livre, neuf voyages ont déjà eu l’honneur de la une : Le vin, Le loup, La mère, Le citoyen, Le mariage, Le chat, Le chocolat, Le parfum, Le fromage.

Chaque mot choisi se présente sous le signe de la symphonie du temps dans les dictionnaires de la langue française, dans une continuité qui est un arc d’expérience, d’extase, d’âme de la langue. La diachronie-synchronie ne se pose plus. Dans cette collection, tout est en synchronie. Le mot se présente comme un hôte privilégié, par son histoire toujours jeune, à l’unisson avec la mémoire collective, en révélant le rythme biologique de la langue et de ses unités, les mots, précisément.

C’est bien le cas de ce dixième livre de la collection Les mots : Les élections ou comment “s’eslire quelque manière de vivre” ? J’affirme immédiatement qu’il s’agit d’un texte passionnant. Il naît bien sûr à l’occasion des élections présidentielles de cette année en France. Mais ce n’est que l’occasion juste pour réfléchir sur un mot de première importance au cours de l’histoire moderne et contemporaine.

En chroniqueur de la langue et en passionné de l’histoire des mots, Jean Pruvost nous offre un livre de la saveur du mot, dans un réseau qui tourne autour d’un centre. À partir du mot élection, il lui est facile de toucher les mots élire, électrice, suffrage, scrutin, vote, cens, ballotage, collège, choisir, votation, universel, éligible, éligibilité, électorat, élite, abstention, bulletin

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de vote, candidat, en passant par censitaire, dépouiller, isoloir, panachage, plébiscite, primaires, réélection, sondage, suffragette, urne, voter, campagne électorale, candidature, urne, et, bien sûr, peuple et démocratie.

On le voit, dans ce petit livre – uniquement pour sa taille, naturellement – on est au centre de l’histoire et de la vie, de la société et de son organisation, des révolutions et de la République.

Sait-on qu’élire vient du latin legere, lire précisément, donc être attentif au signe, cueillir le sens des mots et de leur enchaînement ? C’est l’ouverture idéale pour un texte de ce genre : « Ainsi, élire, élection, électeurs, électrice et élite, sont-ils de la même famille que lire et lecture : une belle famille ! ». Oui c’est notre famille à nous, la façon de nous organiser, la règle centrale du savoir vivre des êtres humains.

Sous des désignations différentes, au cours de l’histoire on a fait des rois, des empereurs, des papes, des chefs et des points de repère d’une communauté – « et firent roi par élection » (Chronique de Rains [Reims], 1260). Élire c’est choisir, séparer, « faire choix de quelque chose que ce soit » (Richelet). Par conséquent, dès 1680, on a, pour le mot élection : « s. f. Choix qu’on a fait d’une personne pour être élevée à quelque dignité, ou pour remplir quelque charge » (encore Richelet).

Mais ce même dictionnariste nous donne une définition étonnante de l’électrice : elle n’est que la… « femme d’Électeur » ! Que d’eau devra couler sous les ponts de France, d’Europe et du monde entier, avant qu’une femme puisse voter en tant… qu’électeur à plein titre. Voter, précisément. En 1788, l’année avant la Révolution française, dans son Dictionnaire critique de la langue française, l’abbé Féraud précise de façon solennelle : « VOTER, c’est donner sa voix, son vœu, son suf[f]rage. VOTATION est l’action de voter ». Les premiers signes de la démocratie moderne sont déjà dans l’air, par les mots et par les idées, après les grandes leçons des Encyclopédistes.

Il faudra attendre l’année 1944, pour donner la voix élective aux femmes. À Alger, le général de Gaulle et le Comité Français de la Libération Nationale se prononcent enfin pour l’immédiat et pour notre futur : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

À l’ouverture du chapitre iv, consacré au xixe siècle, Jean Pruvost enregistre ces mots d’une chanson populaire intitulée Le Vote universel, datée de 1848, l’année des révolutions dans toute l’Europe, pour la

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naissance des nations qui vont changer la carte du Vieux Continent : « Tout Français est électeur. Quel bonheur ! moi, tailleur, Toi, doreur, lui, paveur, Nous v’là z’au rang d’hommes. Faut savoir c’ qu’on nomme. Sachons bien, sachons bien Élire un homme de bien, Craignons bien, craignons bien D’prendre un propre à rien ».

L’avenir est au fur et à mesure aux mains de toute la communauté. Joseph Proudhon, d’après une citation dans le Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse, peut enfin s’écrier : « Il ne suffit pas que des électeurs votent, il faut qu’ils votent avec discernement » !

Ainsi ce livre de Jean Pruvost suit-il le rythme du temps de la politique et de la vie, pour parvenir à ce que de nos jours nous entendons par électorat.

Le temps où voter était un « terme qui est en usage parmi quelques Moines, & qui signifie donner sa voix pour quelque affaire qui regarde le couvent, ou la religion » (Richelet) appartient désormais à la nuit de l’histoire.

Ce livre nous offre beaucoup de surprises. Page après page, nous sommes pris par un trésor de citations et de proverbes, de dictionnaires et de petits et grands auteurs, dans un voyage merveilleux au cœur des mots de toute forme d’élection.

C’est une formule bien choisie et bien appliquée. Maurice Druon, le regretté secrétaire général de l’Académie française, a raison : « Les mots ont un visage qu’il convient de respecter » (Avertissement au Dictionnaire de l’Académie française, 1994, I, p. ix). Alain Rey le confirme de façon sublime, dans l’Avant-propos à son Dictionnaire historique de la langue française (p. ix) : « À l’image de la nature, les langues humaines, dans leur lexique, procèdent comme les arbres ou les bulbes, par couches concentriques. Ainsi, de leur cœur vers leurs surface, des signes de plus en plus nombreux se manifestent, surtout lorsque l’idiome, en l’espèce le français, s’étend dans le monde et doit répondre à des besoins nouveaux, universels. Les langues croissent à mesure que le monde change, et l’histoire, celle des manières de dire comme celle des sociétés, doit inclure le présent ».

C’est l’axe de cette collection brillamment inventée et dirigée par Jean Pruvost. Les mots de la langue française vivent, sont des verba au sens le plus profond. Nous avons la confirmation que le dictionnaire de la langue française cumule les états de la langue, en suit l’évolution

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de système, fait l’inventaire de la symphonie du temps des mots, se révèle comme un cercle englobant le temps : c’est le plus beau dossier de présentation d’une communauté parlante, celle de la France et des pays qui ont choisi la langue française en partage de communication, de culture et d’amour.

C’est précisément un dictionnaire, celui de Pierre Larousse, qui enregistre cette citation de Joseph Prudhon : « Il n’y a d’élections véritablement libres que si les électeurs ont le droit de se réunir pour discuter les candidatures ».

Giovanni Dotoli

Université de Bari Aldo Moro

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Alain Rey, Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Paris, Plon, 2011, 998 p.

Encore une fois, ce grand lexicographe, philosophe et historien du langage et, surtout amoureux de la langue française, nous fait rester bouche bée face à cet ouvrage que l’on peut définir comme vraiment innovant. Ce génie des dictionnaires qui, par son savoir ravit le public pendant des heures et des heures a dirigé et collaboré à la construction de dictionnaires tels que Le Petit Robert, Le Petit Robert des noms propres, le Dictionnaire des expressions et locutions (avec Sophie Chantreau), Le Grand Robert de la langue française, et le Dictionnaire culturel en langue française (avec Danièle Morvan).

Dans ce Dictionnaire amoureux des Dictionnaires paru en 2011, Alain Rey applique à l’objet dictionnaire une mise en abîme par le désordre alphabétique. Une idée, comme il l’affirme lui-même dans son avant-propos, qui n’est pas venue spontanément, mais qui lui a été « amoureusement soufflée » (p. 7). Il s’agit donc, dans tous les sens, d’un vrai hymne à l’amour.

Ce Dictionnaire amoureux des Dictionnaires qui commence par ABC, ABCD et s’achève par Woolf Virginia, met en alphabet beaucoup de thèmes, d’œuvres et de personnages en rapport avec cet instrument familier que l’auteur aime définir comme un illustre inconnu. L’utilisateur du dictionnaire pense connaître cet instrument mais il ne sait pas que derrière la nomenclature, la transcription de la prononciation, l’étymologie et l’histoire des mots, l’orthographe des mots, les définitions et les classements de sens, les exemples, il y a un travail de bénédictin. Chaque dictionnaire constitue le fruit d’une intense relation amoureuse qui vaut la peine d’être révélée.

Comme Alain Rey lui-même le souligne à l’occasion de la présentation de cet ouvrage à la Librairie Sauramps de Montpellier : « Les utilisateurs de dictionnaires on souvent l’impression que c’est un ouvrage qui est tombé du ciel et qui dit la vérité. Ça serait une illusion fantastique parce que tout ouvrage humain, dictionnaire ou pas, reflète la personnalité sociologique de l’endroit et du lieu et du temps ou ça a été produit. Tout dictionnaire est rempli de l’idéologie d’une époque. Ça peut être une idéologie assez spontanée et naturelle et qui n’a pas de prétention au totalitarisme ou ça peut être une idéologie totalitaire1 ». À propos

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d’idéologie totalitaire, Alain Rey a consacré quatorze pages à l’entrée Allemand (dictionnaires de la langue allemande) (p. 27-41), où il parle des effets mauvais du régime nazi tant sur la langue allemande que sur les dictionnaires. Pour Goebbels et pour Hitler, les mots représentent à cette époque-là de véritables armes et emblèmes. De 1933 à 1945, la menace de l’idéologie raciste et la purification ethnolinguistique avaient envahi de nombreux dictionnaires (p. 39). En outre, le contrôle du parti nazi était tellement efficace qu’il n’y avait pas de place pour les réactions contre le cancer idéologique qui avait frappé l’Allemagne. Pendant cette période-là, les dictionnaires reflétaient donc la personnalité nécessaire d’un certain nombre de mots qui ont été heureusement abandonnés au fil du temps.

Étant donné que l’on a parlé des dictionnaires, nous nous demandons : comment Alain Rey définit-il l’entrée dictionnaire ? Il est désormais un fait acquis qu’il le considère comme un OCMI (objet culturel mal identifié). Selon ce célèbre lexicographe, le dictionnaire est de moins en moins facile à définir. En fait, il est plus facile de dire ce qu’il n’est pas que de déterminer ce qu’il est.

« C’est la Renaissance en Europe occidentale qui fait surgir la boîte à dictions » (p. 309). Mais, de nos jours, le dictionnaire devient le compagnon de nos études, un instrument toujours incomplet pour les traducteurs et surtout un guide des mots qu’on ne connaît pas ou dont on ignore le sens. Ce coffret de mots et de sens aux mille pouvoirs qui est tantôt siège d’enfant, tantôt presse-papier, est aussi un « enjeu économique dans l’univers de l’édition et de l’électronique » (p. 311).

L’auteur du Dictionnaire amoureux des dictionnaires soutient qu’il existe des critères qui nous donnent la possibilité d’affirmer que nous sommes face à un vrai dictionnaire. Il s’agit de cinq critères rigoureux et clairs qui ont été formulés par la lexicographe Josette Rey-Debove. Un dictionnaire doit donc surtout présenter : « (1) un texte essentiellement didactique […], (2) un texte tronçonné en éléments séparables, chacun se suffisant à lui-même […], (3) une lisibilité, indépendante de chaque article, permettant une consultation plus aisée, (4) le caractère structuré, à deux niveaux, de ce texte divisé : micro et macrostructure, (5) le caractère métalinguistique dans le dictionnaire “de langue” qui parle des signes du langage […]. Une fois ces critères établis, le discours didactique doit nécessairement porter sur les signes d’une langue, différemment, on ne peut pas véritablement parler de “dictionnaire” » (p. 315).

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Parmi les savants auxquels Alain Rey rend hommage dans ce Dictionnaire amoureux ne pouvait pas manquer la lexicographe Josette Rey-Debove que nous venons de citer. D’après Alain Rey, Josette Rey-Debove représente une personnalité majeure dans le panorama de la lexicographie française qui s’est distinguée dans la pratique comme dans la théorie du dictionnaire. Elle suivait deux courants de pensée que les descripteurs de façons de dire ne devraient absolument pas ignorer, à savoir, la sémiologie issue de Ferdinand de Saussure et la sémiotique de Charles Sanders Peirce. D’après Alain Rey, le mérite de Josette Rey-Debove dépasse les innovations dans la technique des dictionnaires et les satisfaisantes réussites dans leur élaboration. Il voit chez elle « l’exemple rare d’une théorie de la pratique, en un aller-retour stimulant entre artisanat et recherche » (p. 826).

La liste des auteurs et des traditions culturels auxquels « le maître des dicos » rend hommage est trop longue pour être analysée à travers ces quelques lignes. Il a nécessairement fallu faire un choix. Mais on peut sans aucun doute affirmer que ce Dictionnaire amoureux des dictionnaires qui célèbre le 50e titre de la collection « Dictionnaires amoureux » est vraiment passionnant. Ce dictionnaire garde des curiosités qu’il vaut la peine de découvrir. Il célèbre la parole d’Alain Rey, un grand architecte des dictionnaires, qui nous raconte avec bonheur et simplicité, l’aventure des mots, d’auteurs célèbres ou ignorés, des langues et des dictionnaires de langue. Nous voulons conclure cette brève analyse du Dictionnaire amoureux des dictionnaires par les mots de son auteur : il n’a pas « l’amour » du dictionnaire, mais seulement des preuves d’amour (p. 826).

Celeste Boccuzzi

Université de Bari Aldo Moro
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Pierre Lerat, Vocabulaire du juriste débutant, Paris, Ellipses, 2007, 256 p.

Parmi les différentes publications parues ces dernières années, le Vocabulaire du juriste débutant représente une des œuvres les plus utiles actuellement disponibles sur le marché. Lieu privilégié de réflexion et de recherche sur les mots et le langage spécialisé du droit, ce dictionnaire est un ouvrage vivant, un trésor lexical permettant à son usager d’entrer dans le monde juridique, en lui ouvrant le regard sur un horizon bien plus vaste à découvrir. Voilà, donc, un manuel de consultation, au style sobre, direct et concis, qui décrit avec un soin scientifique et en même temps avec une grande clarté tout ce que l’on souhaite savoir sur les mots de ce domaine.

L’auteur de ce « coffret magique » est Pierre Lerat, spécialiste du langage juridique de renommée internationale, voire mondiale, agrégé de grammaire, docteur ès lettres, professeur honoraire de linguistique à l’université de Paris-Nord (Paris XIII).

En opérant une véritable simplification de ses compétences et en effectuant des choix bien réfléchis et jamais laissés au hasard, il a le mérite de mettre à la portée de tout le monde son savoir magistral et sa culture, qui est le résultat d’une expérience pluriannuelle d’études attentives et méticuleuses ainsi que d’une activité de recherche minutieuse, en offrant l’occasion à un grand nombre d’usagers d’enrichir leur bagage de connaissances dans la sphère lexicale du droit.

Conçu pour un usage pratique et immédiat, par conséquent efficace, ce dictionnaire se veut un instrument pédagogique utilisable à des fins personnels ou professionnels. Il s’adresse à tout juriste débutant, notamment aux étudiants français et étrangers ainsi qu’aux nombreux professionnels évoluant dans la carrière juridique et, en général, à tous ceux qui, ne bénéficiant pas d’une formation spécifique, s’approchent pour la première fois de cette discipline. Il constitue un outil de référence indispensable pour ses utilisateurs, simple et précieux à la fois, facile à consulter et bien organisé. En effet, il présente une macrostructure par ordre alphabétique, à l’instar de tout dictionnaire traditionnel, qui se prête à une lecture aisée, immédiate, compréhensible même aux nouveaux adeptes. Il expose et explique les mots, et donne toutes les clés pour les employer à bon escient. Il renseigne sur-le-champ les gens qui, à un titre quelconque, sont en contact avec la langue juridique française, désirant consolider leur maîtrise écrite ou orale.

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Ce dictionnaire répond aux exigences du public étudiant et professionnel ; en effet, sa consultation dissout facilement les doutes les plus fréquents portant sur la terminologie juridique ; une nomenclature équilibrée donne, d’une façon synthétique mais exhaustive, les définitions de 2 000 articles principaux, choisis parmi les plus récurrents et largement employés dans ce monde. Les entrées sélectionnées sont des termes français appartenant essentiellement au domaine du droit (décret) ou bien des mots d’usage commun analysés dans leur acception juridique (défaut) ou encore des mots et expressions aussi bien d’origine latine (jus sanguinis) qu’empruntés à une langue étrangère (jury), intégrés à la langue du droit.

S’ajoutent les locutions et expressions familières (homme de paille), les renvois pour les sigles et les expressions figées, la présence de nombreuses indications étymologiques qui renseignent le lecteur sur l’origine des mots, les exemples qui éclairent et illustrent mieux le sens d’un terme, en le situant dans le contexte ou dans les expressions où il peut être employé avec toutes ses constructions et nuances possibles.

En outre, un certain parti pris de la simplicité et de la proximité, présente une langue accessible et vivante, bien ancrée dans le quotidien, sans pour autant négliger le lexique technique de compétence. Les définitions sont claires et précises, couronnées de notes sur les formes et leur usage.

En ce qui concerne la microstructure, par l’analyse des rubriques et des marques lexicographiques, on peut observer que les entrées sont en gras, les indications morphologiques et grammaticales en italique et les définitions en caractères normaux. Ces dernières sont enrichies d’exemples et combinaisons usuelles en italique ou accompagnées de notes portant sur la forme, le sens ou le type de discours. Pour compléter d’une façon exemplaire les définitions et aider l’utilisateur à ne pas courir le risque d’une fausse interprétation ou de tomber dans le piège des ambiguïtés, on trouve souvent, au sein des articles, plusieurs remarques ayant le but d’éviter une erreur classique ou d’indiquer une branche juridique spécifique.

Enfin, une liste des signes conventionnels, des mentions et abréviations, utilisés pour la grammaire, les langues autres que le français et les repères chronologiques, fournit toutes les coordonnées pour déchiffrer d’une façon correcte et optimale les définitions contenues dans ce manuel.

À l’aide d’une présentation graphique aérée et parfaitement ordonnée le lecteur est emmené à la matière juridique petit à petit par une

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approche progressive et presque familière. Au fur et à mesure qu’il avance, en feuilletant pages et articles, il est de plus en plus fasciné par ce monde, séduit par des parcours encore inexplorés et conduit d’une manière rassurante à leur découverte.

Sa mise en page très bien faite et la succession systématique des entrées facilitent la consultation et rendent agréable l’utilisation de ce dictionnaire, prêt à donner des explications et des éclaircissements rapides dont l’utilisateur peut tout de suite jouir, en les mémorisant et intériorisant pour l’étude ou en les appliquant dans la pratique professionnelle.

En conclusion, on peut considérer ce dictionnaire comme un instrument fonctionnel, aisément consultable et utile à tous ceux qui ont la nécessité, pour leurs études ou pour des raisons professionnelles, de décrypter cette langue spécialisée dans tous les détails et toutes les traces évidentes de son emploi. Cela toujours au pourchas du mot juste à utiliser dans un texte juridique ou en quête de la pluralité des sens qu’il peut recouvrir.

Par sa rédaction impeccable et son aboutissement scientifique et pratique à la fois, ce dictionnaire se confirme comme un outil essentiel à la valeur indiscutable. D’un autre côté il représente un guide presque « amical », qui donne accès à une recherche avancée, infatigable et sans arrêt, capable de stimuler la curiosité de son usager. Ce dernier est, en effet, poussé à se doucement plonger dans la mer de ce domaine, avant presque inconnu ou encore mystérieux, à poursuivre son exploration captivante et charmante par un voyage aventureux dans les dédales de son labyrinthe et la forêt de significations et symboles du langage juridique.

Cet ouvrage accompagne le lecteur dans l’apprentissage des branches diverses du droit (privé, civil, administratif, public, constitutionnel, international), en le conduisant à son but final, la connaissance précise et ponctuelle de la définition de chaque mot appartenant à cette tranche si importante de la vie sociale et quotidienne, témoin et reflet de la vie réelle, riche en conventions et lois qui règlent et structurent les relations humaines.

Carmela Rizzi

Université de Bari Aldo Moro LaBLex

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François Gaudin (textes réunis et présentés par), Alain Rey, vocabuliste français, Limoges, Lambert-Lucas, 2011, 104 p.

Dans cet ouvrage, François Gaudin réunit les textes des premières interventions du colloque Alain Rey ou Le malin génie de la langue française organisé dans le cadre de la « Semaine du mot » à l’université de Rouen, les 4 et 5 juin 2009, en hommage à Alain Rey. Les autres contributions constitueront un volume à part qui paraîtra prochainement.

Les textes présentés pendant ce colloque permettent de mettre en lumière les différentes facettes d’une carrière multiple : celle du linguiste lexicographe, successeur de Paul Robert ; celle du linguiste impliqué dans les réflexions théoriques et concerné par les pratiques de la politique linguistique ; celle de l’essayiste qui s’est intéressé à la bande dessinée comme au théâtre ou à la philosophie ; celle du biographe de Furetière et de Littré ; et celle de l’érudit engagé qui a su, dans la presse et sur les ondes, démontrer avec talent que le juste usage des mots est un enjeu démocratique (cf. le site http://lidifra.free.fr/files/Programme%20complet.pdf).

En parlant d’Alain Rey et de son activité de lexicologue, de lexicographe, de linguiste et de sémiologue, tous les intervenants soulignent l’intérêt constant de Rey envers le passé et l’avenir de la langue française.

François Gaudin met en évidence qu’Alain Rey a consacré sa vie à la description de la langue française en tant que bien commun universel inaliénable. Il l’a fait, soutient-il, en conjuguant érudition et ouverture, tolérance et exigence : ni grammairien contraint à l’austérité, ni linguiste enfermé dans sa théorie, ni lettré confit dans sa suffisance, mais observateur attentif de l’évolution de la langue française, désireux de « combattre le pessimisme intéressé et passéiste des purismes agressifs comme l’indifférence molle des laxismes » (p. 11). Vocabuliste excellent, Rey a été capable, observe Gaudin, de faire devenir le dictionnaire « intéressant en soi » (p. 12).

Après avoir retracé la destinée des éditions Robert dans l’histoire de l’édition française, Jean-Yves Mollier offre dans son article, intitulé D’un encyclopédiste à l’autre ou De l’étrangeté de parler de soi dans un dictionnaire, un parallèle entre les initiatives de Pierre Larousse et de Paul Robert.

Sylvain Auroux se penche sur le xviiie siècle et éclaire les dictionnaires à la lumière de la pensée des Encyclopédistes. Tout au long de

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son texte, intitulé Épistémologie de la lexicographie : ce que nous apprennent les Encyclopédistes sur la théorie (et l’histoire) des dictionnaires, il distingue les dictionnaires des listes venues de l’Antiquité, et attire l’attention du lecteur sur le fait que la liste de mots n’est pas un dictionnaire, car elle est tout simplement à l’origine du dictionnaire.

Pendant son intervention, ayant pour titre Alain Rey : mots du jour et air du temps, Henri Mitterand ancre sa réflexion sur l’idée que, d’après Alain Rey, l’étude d’une langue ne trouve sa justification, sa valeur et son charme que dans la mise à nu des implications culturelles « qui gouvernent ses réalisations en discours » (p. 41). Il examine la production récente d’Alain Rey et notamment l’ouvrage intitulé Mille ans de langue française, histoire d’une passion écrit avec Frédéric Duval et Gilles Siouffi. Il étudie aussi les chroniques du Magazine littéraire et de France inter dans lesquelles Alain Rey, remarque Mitterand, jette les bases d’une lexicologie engagée.

Dans son article, Histoire et science du mot, Loïc Depecker met l’accent sur le fait qu’au fil des dictionnaires qu’Alain Rey a dirigés ou auxquels il a participé, il a toujours visé à une science du mot voire à un traitement scientifique du mot. Ainsi pose-t-il son attention sur l’importance de la dimension historique qui caractérise le travail d’Alain Rey et, dans cette optique, il démontre que chez lui la « science du mot » intègre une « science de l’histoire » (p. 61) et engage une « science du terme » (ibid.).

Dans Qu’apporte la sociolinguistique à l’article de dictionnaire ?, en abordant le concept de linguistique variationniste, Louis-Jean Calvet prend en considération la notion de « variation dans l’espace » ou diatopique, de « variation sociale » ou diastratique, et de « variation à travers le temps » ou diachronique. Il analyse la description des niveaux de langue, des registres et des milieux sociaux dans les dictionnaires. Et, en s’appuyant sur la phrase de Benveniste, « Le sémiotique (le signe) doit être reconnu, le sémantique (le discours) doit être compris » (p. 71), il rappelle la leçon selon laquelle on distingue le signe reconnu – mot retrouvé dans un dictionnaire – et le signe compris – interprété dans un discours –.

Le travail d’Alexandra Cuniţă, Le lexique est la mesure de toute chose, met en relief la longue pratique de l’« artisanat lexicographique » (p. 85) qui a accompagné la formation d’Alain Rey en tant que théoricien de la langue. L’auteur montre l’apport fondamental que Rey a donné à la sémantique, à l’examen des discours, à la sociolinguistique, et à la sémiotique.

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Le texte de Jean-François Sablayrolles, Alain Rey, le linguiste et les mots nouveaux, fournit une analyse très ponctuelle sur la façon dont Alain Rey et son équipe gèrent l’introduction de mots et de sens nouveaux dans le Petit Robert. L’auteur constate qu’ils procèdent avec prudence et réactivité en demeurant particulièrement attentifs aux mouvements du vocabulaire familier : une attention bienveillante portée à l’évolution du lexique avec une certaine précaution dans les nouvelles entrées.

Dans Alain Rey, le terminologue, le terminographe, Bruno de Bessé souligne l’apport d’Alain Rey à la terminologie. Il met en évidence que Rey s’est impliqué efficacement dans les travaux internationaux de normalisation des principes et des méthodes de la terminologie et qu’il a contribué à l’établissement d’une distinction claire et nette entre terminologie et lexicologie d’une part, et terminographie et lexicographie d’autre part. Grâce à lui, dit-il, la terminologie est devenue un domaine d’activité et de connaissance qui occupe une place dans l’enseignement et la recherche.

Le poète Salah Stétié, dans Le cheval dans la pierre. Une dédicace à Alain Rey, réfléchit sur le rapport que l’écrivain entretient avec le dictionnaire et remarque qu’il s’agit d’un rapport bâti sur l’ambiguïté : défiance et confiance, l’une dans l’autre. À son avis une grande écriture doit forcément être hérétique par rapport au dogme sur lequel elle est établie et qui lui sert de fondement : il faut aimer les dictionnaires, s’écrie-t-il, mais il faut aussi savoir aller contre eux chaque fois que le talent de la langue l’exige. Un mot sous la plume d’un créateur, donc, peut être déplacé et, même, doit l’être : car c’est justement grâce à ces déplacements que le « territoire de la langue » (p. 104) s’accroît.

Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres, collaborateur de Paul Robert pour le Dictionnaire alphabétique et analogique, rédacteur et directeur de différents dictionnaires des éditions Robert – le Petit Robert (1967), le Micro Robert et le Petit Robert des noms propres (1974), le Dictionnaire des expressions et locutions (1979), le Grand Robert de la langue française en neuf volumes (1985), le Nouveau Petit Robert de la langue française (1993), et le Dictionnaire historique de la langue française (1992) –, Alain Rey a aussi publié, en 2005, le Dictionnaire culturel en langue française qui est considéré comme une « Reyvolution » culturelle dans le monde entier. Grâce à son œuvre monumentale, Alain Rey sera à jamais un point de repère incontournable pour tous ceux qui étudieront la langue et la culture françaises.

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Et ce livre de textes réunis par François Gaudin est et sera un ouvrage de référence très précieux pour la communauté scientifique puisqu’il permet de mieux connaître l’œuvre foisonnante de cet exceptionnel, entre autres, linguiste, lexicographe, lexicologue, terminologue, terminographe et vocabuliste, et d’y entrer par nombre de côtés.

Marcella Leopizzi

Université de Bari Aldo Moro LaBLex

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Hendrik van Gorp et al., Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, 2001, 534 p.

« Le palimpseste verbal du dictionnaire a besoin de la littérature comme de l’air. Sans la légitimation de la littérature, il ne respirerait pas2 ». Giovanni Dotoli synthétise au moyen d’une métaphore le lien inextricable entre dictionnaire et littérature.

Ce sont les citations littéraires qui permettent au dictionnaire de langue d’être un « discours » et une « œuvre », affirme le professeur et poète italien de langue française sur la lignée de Voltaire qui, dans une célèbre lettre, souligne qu’« un dictionnaire sans citations » est « un squelette ».

La littérature doit se contenter d’être partie intégrante des dictionnaires de langue ou peut, elle-même, faire l’objet d’un dictionnaire ? La réponse à cette question est donnée par le Dictionnaire des termes littéraires, version française, revue et étendue de la septième édition du Lexicon van literaire termen de H. van Gorp, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, ouvrage qui constitue un point de repère fondamental dans les études littéraires du domaine néerlandophone depuis sa première parution en 1980.

Le Dictionnaire des termes littéraires, œuvre d’une équipe interuniversitaire de chercheurs belges, répertorie, de manière excellente, la terminologie de la critique littéraire, aussi bien française qu’étrangère, en couvrant le plus vaste ensemble possible de sous-domaines attestés dans le champ : ainsi passe-t-on de la rhétorique et de la métrique à la stylistique et à la narratologie, de l’histoire des mouvements littéraires aux théories de la littérature d’hier et d’aujourd’hui, jusqu’aux sciences auxiliaires telles que la psychanalyse, la sociologie, la sémiotique et la philologie, en combinant tradition et innovation, diachronie et synchronie. Le lecteur y trouve aussi bien hypallage ou onomatopée que dithyrambe ou platonisme ; mais aussi dolce stil novo ainsi que romantisme ; et encore littératures postcoloniales ainsi que stream of consciousness.

L’exhaustivité des informations, la qualité des définitions pour chaque terme ou concept et les bibliographies fournies de manière constante constituent les aspects les plus importants de cet ouvrage qui s’adresse à tous ceux – chercheurs, critiques, enseignants et étudiants – qui

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réfléchissent et s’interrogent sur le fonctionnement et sur l’évolution de la littérature et sur les différentes manières d’analyser et interpréter un texte en prose ou en vers.

Cependant, ce qui constitue la spécificité de ce manuel – comme il est annoncé dans l’introduction, le terme dictionnaire ne convient pas tout à fait – et lui permet d’être un ouvrage central dans les études littéraires du domaine francophone, est l’efficace combinaison entre le classement alphabétique, les renvois proposés en fin d’article et les tableaux de synthèse.

Les entrées sont classés selon l’ordre alphabétique en raison d’une consultation plus commode et facile par le lecteur.

Pourtant, comme dans un dictionnaire alphabétique et analogique, les auteurs ont opposé à la dispersion des informations, qui peut se vérifier à cause de l’ordre alphabétique neutre et arbitraire, les renvois entre les articles susceptibles de s’éclairer mutuellement. Les exemples de ce jeu de renvois sont nombreux. Pamphlet invite à consulter aussi manifeste, pasquinade, polémique et traité ; roman à tiroirs renvoie à feuilleton tandis que diégèse renvoie à narration et récit. De cette façon, le lecteur découvre de nouvelles et plus intéressantes pistes de recherche ou investigation en élargissant aussi son lexique du moment qu’il a accès à des réalités dont l’appellation technique lui échappait.

Les tableaux de synthèse qui suivent la dernière entrée, zeugme, zeugma – des périodes et des courants, des genres, des études littéraires, des figures de rhétorique et des types de transformation de texte – ainsi que l’index des théoriciens ou des critiques cités, enrichissent la consultation du lecteur désireux de ne rien négliger de ce domaine flou, complexe et toujours en mouvement où les théories et les concepts prolifèrent.

Le Dictionnaire des termes littéraires, pour les caractéristiques qui viennent d’être citées, est un outil fondamental pour la didactique mais aussi un très utile compagnon de voyage pour ceux qui s’aventurent à l’intérieur des instables limites de la terminologie littéraire.

Giuseppe Cappiello

Université de Bari Aldo Moro LaBLex

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Carolina Diglio et Jana Altmanova (dir.), Dictionnaires et terminologie des arts et métiers, Fasano – Paris, Schena Editore – Alain Baudry & Cie, 2011, 238 p.

De nos jours, dans une société mondialisée, de plus en plus affligée par une accablante dépression économique et par une évidente crise des valeurs, la recherche, et notamment la recherche universitaire, peut devenir un formidable vecteur de croissance économique et un outil privilégié pour la conservation et la transmission de savoirs tout à fait fondamentaux pour une réhabilitation culturelle et éthico-morale de nos civilisations.

Voilà un ouvrage important et attendu dont la visée principale réside exactement dans l’accomplissement de cette double tâche, un besoin principal sur lequel, aujourd’hui, toute action de recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines, devrait miser : à partir d’un lien étroit avec le territoire, et avec sa singularité et ses ressources, un groupe hautement qualifié, composé de professeurs, jeunes chercheurs et doctorants des universités de Naples, sous la direction de Mme Carolina Diglio, professeur de langue et littérature françaises à l’université de Naples Parthénope et de Mme Jana Altmanova, chercheur en linguistique française à l’université de Naples L’Orientale, présente une série de contributions autour des langues de spécialité des arts et métiers. Une sorte de « miscellanées », en d’autres termes, abordant différents aspects terminologiques et lexicographiques des jargons de plusieurs professions artisanales, dont le premier mérite consiste, à notre avis, au-delà de l’incontestable intérêt scientifique, et plus proprement linguistique, dans leur apport indéniable au processus de revalorisation et de diffusion d’un ensemble de savoir-faire en contribuant ainsi non seulement à la préservation de l’identité culturelle d’un territoire, analysée dans ses rapports d’échange au niveau international, mais aussi au développement d’un créneau, celui de l’artisanat, qui souffre depuis longtemps de la concurrence d’une industrialisation significative et des effets de la mondialisation.

Cet ouvrage représente une première réflexion, remarquablement réussie, au sein d’une action de recherche plus large : les auteurs des contributions proposées, en effet, font tous partie de l’unité locale de la Campanie, coordonnée par Mme Carolina Diglio, du PRIN (Projet

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d’intérêt national) 2008, Il dizionario bilingue e i linguaggi settoriali, un projet de recherche qui s’occupe du traitement lexicographique des langues de spécialité dans le cadre du projet pivot, dirigé par M. Giovanni Dotoli, de l’université de Bari Aldo Moro, dont l’aboutissement est la rédaction d’un Nouveau dictionnaire général bilingue français-italien/italien-français.

C’est justement à partir du traitement lexicographique des unités lexicales propres aux langues de spécialités des arts et métiers, en passant souvent par une sorte d’aménagement terminologique de ces domaines, dans le but d’engager un processus de standardisation de leur nomenclature technique, que ce livre, Dictionnaires et terminologie des arts et métiers propose un voyage particulièrement intéressant et fascinant à travers les lexiques caractérisant les activités artisanales les plus connues et répandues en France et en Campanie, notamment dans la région napolitaine. Ces dernières constituent des activités qui représentent des secteurs importants de l’économie française et napolitaine et qui, en même temps, en demeurant souvent la prérogative d’une tradition populaire héritée de père en fils, deviennent la marque bien discernable d’une identité culturelle strictement liée au territoire où elles sont nées et continuent à survivre.

Comme l’affirme Mme Carolina Diglio dans la Préface, la recherche qui a conduit à cet ouvrage a été organisée en suivant deux lignes principales : premièrement elle a porté son attention sur « les termes en usage les plus intelligibles possibles » pour rendre compte, dans un deuxième temps, « d’une chose beaucoup plus complexe, de la constitution des savoirs plus spécifiques tant dans une perspective technique et scientifique que dans une dimension culturelle et diachronique ».

Les domaines qui font l’objet de réflexion vont de l’orfèvrerie à la mode et au textile, en passant par la marine, l’ébénisterie, l’imprimerie et la tradition alimentaire. Dans un souci de rigueur scientifique, l’équipe de recherche s’est servie de la collaboration d’un groupe d’anglicistes de l’université de Naples Parthénope afin d’analyser les éventuels croisements lexicaux avec la langue anglaise, souvent source d’emprunts linguistiques en raison aussi bien de la « démocratisation et de la globalisation des savoirs spécifiques » que de l’importance revêtue par les pays anglophones dans ces processus d’industrialisation qui ont inévitablement influencé voire changé certains domaines de l’artisanat. À ce propos, le lecteur pourra consulter avec profit une riche contribution portant sur les mots

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français désignant les tissus en coton ou en laine qui sont empruntés à l’anglais dans le sillon de l’importance de l’industrie textile anglaise notamment suite à la Révolution industrielle (Colomba La Ragione) ; concernant la même piste d’enquête, et en adoptant une approche éminemment lexicographique, d’autres contributions se consacrent à l’étude des anglicismes dans des domaines tels que la pêche (Amelia R. Burns), l’ébénisterie (Stefania D’Alessio), la mode (Marzia Trivellini), l’imprimerie (Virginia Formisano) ou encore la navigation (Costanza Chirico).

Au domaine de l’orfèvrerie, l’un des secteurs phares de l’artisanat napolitain, sont consacrées trois études. Dans la première, nous est proposée une réflexion, appuyée sur une rigoureuse approche lexicographique, sur la question épineuse de la traduction synonymique des principales techniques de mise en forme, d’assemblage et de finition de l’or en ne négligeant pas le traitement de l’emprunt terminologique entre italien et français en ce qui concerne certaines techniques de décor de ce métal précieux (Jana Altmanova). La deuxième contribution évoque le monde élégant et fascinant, riche en valeur artistique et symbolique, de cette pierre sculptée en relief qui est le camée, dont on suit, à travers un voyage le long des pages des dictionnaires, dans une perspective diachronique, l’étymologie incertaine et, d’un point de vue plus strictement synchronique, le traitement lexicographique actuel (Maria Centrella). La troisième étude, consacrée à l’analyse du traitement lexicologique et lexicographique du mot corail et des champs sémantiques associés, captive le lecteur par sa capacité à démontrer comment de simples pages de dictionnaires sont capables d’évoquer le monde mystérieux et fascinant qui se cache derrière ce mot (Rosalba Guerini).

Quant au domaine de la marine, particulièrement développé à Naples pour des raisons strictement géographiques, il est abordé d’une part dans une étude sur le lexique du métier de marin (notamment sur l’évolution lexicale inhérente au calfatage) et de ses interconnexions avec le métalangage d’autres domaines tels que l’art de la navigation, les mathématiques, l’astronomie, la géographie, etc. (Annalisa Aruta Stampacchia), et de l’autre par une contribution qui, en observant une différence substantielle entre les mots utilisés dans le lexique traditionnel et ceux plus proprement spécifiques du discours scientifique, étudie les différentes instances désignatives des filets et des embarcations de pêche en Mer Méditerranée (Sarah Pinto).

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Les réflexions autour du domaine de la mode sont introduites par une étude sur le lexique d’une tradition vestimentaire locale, celle de l’île de Capri des années 1960, où nous trouvons une étude sur les mots qui racontent cette tradition ; des mots qui témoignent de l’évolution entre tradition et progrès de cette réalité artisanale, des mots qui ont joué le rôle titre du succès mondial de cette coutume jusqu’à en faire un véritable mythe (Giovannella Fusco Girard). La terminologie des tissus, étroitement liée à celle de la mode, est analysée dans une contribution qui, en s’inspirant de la renommée mondiale des industries textiles de San Leucio, dans la province de Caserta, réfléchit sur les dénominations des tissus en soie. L’auteur souligne une sorte d’instabilité désignative dérivant probablement d’une conceptualisation du produit sérique qui pâtit d’une sorte de vision stéréotypée dans le cadre plus général du système notionnel des tissus préexistants (Carolina Diglio).

Le lexique propre au métier de l’ébéniste, à son tour, fait l’objet d’une étude qui, partant du caractère polysémique du vocabulaire des arts décoratifs, propose une analyse lexicographique des termes relevant des ornements de menuiserie dont on propose d’intéressantes classifications terminologiques (Gabriella Fabbricino Trivellini).

Enfin, si le progrès technique auquel toute activité artisanale doit désormais se confronter représente le point de départ notionnel d’une étude proposant une analyse lexicographique attentive du vocabulaire de l’imprimerie, aussi bien d’un point de vue diachronique que synchronique (Maria Giovanna Petrillo), l’internationalisation, étape obligée pour toute activité artisanale de succès, inspire une contribution abordant le lexique des produits laitiers, notamment celui de la mozzarella, en tant que vecteur centrifuge d’identité culturelle (Lucia Pezzera).

Voilà les nombreuses sollicitations culturelles que nous offre ce volume, un ouvrage clairement présenté et linguistiquement raffiné qui représente, comme le souligne Mme Jana Altmanova dans son Introduction, un outil fondamental de « sémiologie culturelle » ; une œuvre, en d’autres termes, capable de photographier une réalité fascinante, celle du domaine des arts et métiers, d’en dévoiler, à travers le lexique qui le caractérise, les secrets les plus profonds et d’assurer la transmission d’une série de savoir-faire qui sont tout d’abord des signes identitaires et des marques d’identité culturelle.

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S’il est vrai que « nomina sunt consequentia rerum », étudier la terminologie c’est étudier l’ontologie ; ce volume, donc, en proposant un voyage à travers les différents vocabulaires propres aux langues des arts et métiers, devient un instrument indiscutable pour la transmission d’une série de connaissances qui se révèlent indispensables non seulement à la préservation et au progrès de ces domaines mais aussi à la sauvegarde de l’un des aspects les plus importants du patrimoine culturel d’une société.

Michele Costagliola d’Abele

Université de Naples L’Orientale LaBLex

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Alain Rey, Trops forts, les mots !, illustrations de Zelda Zonk, Toulouse, Éditions Milan, 2012, 120 p.

Alain Rey nous a habitués à des surprises de langue. Nous connaissons son ouverture, sa vision de la langue sur la longue durée, presque à la Fernand Braudel. Ouvrons, par exemple, sa Préface à l’un de ses nombreux monuments, le Dictionnaire historique de la langue française. Dans la conclusion, nous lisons : « L’ouverture du langage sur la culture, les idées et les sentiments collectifs conduit à voir dans les signes du langage des outils pour s’exprimer et pour communiquer, pour révéler la vérité et pour mentir, pour séduire et pour insulter, pour convaincre et pour égarer. Toutes les rhétoriques sociales, langues de bois du pouvoir et de l’argent, langues de fer des institutions, langues de miel et d’acide, langues d’or et d’ordure, sont convoquées pour témoigner des intarissables pouvoirs du mot. Ce mot, nous croyons nous en servir, alors bien que souvent c’est lui qui nous entraîne – par la charge que l’histoire a mise dans les sons et les lettres. Les mots sont des accumulateurs d’énergie.

Au-delà des savoirs et des informations ici réunis et mis en perspective, ce sont les idées et les passions de successives communautés humaines, un immense patrimoine émotionnel et spirituel que nous avons tenté d’évoquer. Merci aux mots les plus modestes, les plus usés, les plus humbles de la langue française, d’amener jusqu’à nous, les francophones d’aujourd’hui, les richesses d’un passé commun ».

Cette longue citation est capitale pour comprendre l’importance de ce nouveau livre d’Alain Rey. Il choisit cinquante mots parmi les plus actuels, pour expliquer aux enfants et aux jeunes gens l’énergie vitale de la langue française. De tomate à disque, de baragouiner à dinosaure, d’ordi à télé, de vampire à film, de vache à culotte, de bio à fesses, de cabinet à ciné, de dragon à monstre, de sport à vache, d’avion à viande, dans un véritable roman de la langue pour la toute première jeunesse, Alain Rey révèle avec une aisance étonnante le secret de la nature des mots.

Il va au centre de l’énergie du français, ce lieu de la poésie de la langue dont parle Yves Bonnefoy, qui est lieu et outre-lieu, lumière et outre-lumière, parce que son horizon se déplace toujours au-delà de la ligne de la langue que l’on croit avoir atteinte et touchée.

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Alain Rey explique de façon sublime qu’il ne suffit pas de mettre les mots dans des « cases-cages », dans les dictionnaires, précisément, mais qu’il faut « leur donner de la place, les mettre à l’aise pour qu’ils aient envie de raconter leur histoire ».

Et les enfants – et bien sûr nous les adultes avec eux – de découvrir, dans la joie la plus naturelle, « qu’ils sont forts, les mots ! ». Ils sont toujours à côté de nous. Ils nous font parler, écrire, communiquer, c’est-à-dire exister, dans le réseau merveilleux des êtres humains.

Nous les possédons, ou nous croyons les posséder, mais ils s’échappent comme des oiseaux, ou des papillons. À tout moment, ils nous réservent des surprises, en prenant des routes de vie et de poésie.

Ainsi Alain Rey prend-il dans ce livre quelques mots, parmi les plus connus et le plus utilisés par la fantaisie des enfants, à notre époque de globalisation, en ouvre la boîte qui les contient, et les fait s’envoler : il en écoute le chant, il en regarde l’envol.

Et les cinquante mots de ce livre prennent le vol, à la lettre, dévoilent leurs souvenirs, « leurs secrets, leurs camaraderies ». Ils se révèlent au fur et à mesure comme des êtres vivants, des fleurs qui ne se fanent jamais, qui traversent l’histoire comme des fleuves, en plein air ou dans les méandres de la terre.

Chaque mot conduit vers un autre, dans une chaîne de langue et de rêve. Les enfants et les petits jeunes aiment rêver. Ils trouvent dans ce livre le chemin de leurs rêves. Les signes du langage n’ont aucun élément de lourdeur.

Par contre, « les mots savent aussi plaisanter et jouter ». Sous l’art génial de l’illustratrice, Zelda Zonk, Alain Rey devient un véritable clown de la langue. Il joue, il saute, il court, il se libère dans l’air, comme un rouge-gorge. Les mots ne résistent jamais à son jeu, l’accompagnent, le suivent docilement, lui font confiance.

Je dirais qu’Alain Rey se fait poète de la langue française, poète pour tous, parce que la langue appartient à tout le monde : c’est le plus grand patrimoine d’une communauté, en ce cas les Français, et ceux qui l’ont choisie en partage. La troupe des mots, avec leurs sons, leurs musiques, exécutées par la fanfare des lecteurs et des parleurs, se met en marche. Comme dans une fable, elle nous amène vers des lieux de mystère et de bonheur.

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Chaque mot est le résultat d’une magie. Il est fort, très fort, comme disent les enfants. Trop forts, les mots ! Jouons avec eux, faisons la ronde de la langue avec les mots. Ils constituent « un trésor collectif à garder ». Sans les mots, sans leurs envols, notre vie ne pourrait pas exister.

Giovanni Dotoli

Université de Bari Aldo Moro LaBLex

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Benoît Meyer, Dictionnaire du football. Le ballon rond dans tous ses sens, préface de Lilian Thuram, Paris, Honoré Champion, 2012, 494 p.

Publié par la célèbre maison d’édition Champion, le Dictionnaire du football de Benoît Meyer est le dernier-né parmi les dictionnaires qui font partie du domaine du ballon rond. Il a paru dans la collection « Champion les Dictionnaires » dirigée par Jean Pruvost. Dans cette même collection, on peut aussi trouver : le Dictionnaire du rugby, le Dictionnaire des écrivains francophones classiques, le Dictionnaire du désir de lire, le Dictionnaire du désir de la bonne chère, enfin le Dictionnaire de Londres.

Le Dictionnaire du football est probablement le premier dictionnaire de football qui puisse se vanter d’avoir été préfacé par un ancien footballeur international français très célèbre tel que Lilian Thuram. Ce grand joueur est entré dans l’histoire de l’équipe de France après avoir remporté la Coupe du monde en 1998 et le Championnat d’Europe en 2000. Ses qualités de footballeur lui ont valu de nombreuses distinctions : en 1998, il a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.

D’après Thuram, « dans le football il y a une alchimie particulière qui relie les êtres et les rend plus solidaires » (p. 13). Pour le défenseur de l’équipe de France, le football crée des liens qui se renforcent de match en match. Dans le football, l’estime et l’amitié se développent avec le sentiment de construire quelque chose afin de poursuivre un même objectif commun. Lilian Thuram soutient que « le football amène à réfléchir et qu’il fait tomber les préjugés de couleur, de nationalité, de religion » (p. 14). Tout disparaît dans l’action collective de poursuivre en humilité un même objectif : le football. Pour Thuram, ce sport est donc une langue universelle qui devrait nous permettre de comprendre le fait que nous avons une origine unique et que cela devrait nous incliner vers la fraternité. Le sport est donc une langue universelle et c’est pour cela que cette langue a besoin d’être gardée dans un coffret précieux comme le dictionnaire de Benoît Meyer.

L’architecture du Dictionnaire du football se compose d’une Chronologie du football, où on peut trouver toutes les dates qui ont fait l’histoire de ce sport, d’une partie consacrée aux chiffres, à savoir les chiffres qui caractérisent le système de jeu, enfin d’un précieux dictionnaire de ce sport et de l’historique des équipes les plus importantes. En tant que « sport collectif le football nécessite d’une organisation tactique » (p. 29). À ce

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propos, il ne faut pas oublier que le rôle de l’entraîneur est fondamental dans les évolutions de tactiques en cours de match.

Dans la première partie, ce dictionnaire alphabétique et encyclopédique comporte plus de 1700 entrées. Comme tout bon dictionnaire, dans le Dictionnaire du football il y a une ample et fondamentale partie consacrée aux mots. Sa nomenclature comprend des termes (hors-jeu, imparable, marquage, remplacement, tireur, tirage de maillot, etc.), des expressions et locutions (machine à laver, ras de terre, you’ll never walk alone, etc.), des surnoms (bafana bafana, incas, Lions de la Mésopotamie, Lions de la Trigonalis, pibe d’oro, zebras, etc.) et des noms de jeu (pila paganica, pila trionalis, etc.). Les articles suivent l’ordre alphabétique et sont évidemment accompagnés de la catégorie grammaticale. On peut aussi parfois trouver des marques qui renseignent l’usager sur le registre.

Dans la deuxième partie, totalement encyclopédique, ont été analysés les pays, les clubs et les stades qui ont pris une certaine importance au cours des siècles dans le sport du ballon rond. Dans la section consacrée aux pays ont été représentés, par exemple, « 80 pays qui ont participé au moins une fois à une phase de la Coupe du Monde entre 1930 et 2010 » (p. 303). En ce qui concerne les clubs, on peut trouver dans la liste de ce dictionnaire « 170 clubs qui ont marqué l’histoire mondiale du football » (p. 373). Dans la liste des clubs, que l’auteur ne considère pas exhaustive, il y a « tous les clubs français qui ont joué au moins une saison dans l’élite depuis l’instauration du championnat professionnel en 1931-1933 (Division 1, puis Ligue 1) ou ayant remporté une coupe nationale (Coupe de France, Coupe de Ligue). En outre, beaucoup d’importance a été donnée aux clubs européens vainqueurs d’une des trois coupes d’Europe » (p. 303). La troisième liste du Dictionnaire du football comprend les stades parmi les plus prestigieux au monde, comme par exemple : l’Allianz Arena, le Santiago Bernabeau, le Bombonera, le Louis II, le Meazza (San Siro), le Maracana, le Nou Camp, l’Old Trafford, le Parc des Princes, le Stade de France (Saint-Denis) et le Wembley.

Comme l’affirme l’éditeur en quatrième de couverture, « l’ouvrage est destiné non seulement aux connaisseurs et pratiquants du football qui souhaitent approfondir leurs connaissances lexicales et clarifier les actions et les gestes correspondant à leur passion, mais aussi à tous les amoureux de ce sport désireux de découvrir le vocabulaire, l’histoire et les nombreuses anecdotes du ballon rond ».

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Ce magnifique dictionnaire permet aux amoureux du ballon rond d’apprécier ce sport sous un triple aspect, linguistique, littéraire et sportif. Ce n’est pas la moindre de se qualités. Un dictionnaire donc qui est un précieux outil de travail et de rêve, lequel ne quitte jamais la centralité de la langue.

Celeste Boccuzzi

Université de Bari Aldo Moro LaBLex

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Jean-Paul Savignac, Dictionnaire français-gaulois, Paris, La Différence, 2004, 336 p.

Le français, langue romane dont la grande majorité de l’architecture est issue du latin, auquel elle doit ses systèmes de conjugaison, sa syntaxe ainsi que ses morphologies, a été précédé par une autre langue, le gaulois, à savoir la langue de ceux que l’histoire reconnaît comme les premiers à fouler le sol qui correspond à la France contemporaine.

La grande ignorance des Français relative à cet idiome « ancestral » d’origine indo-européenne est due au fait que le gaulois n’existe qu’à l’état de traces, à savoir quelques inscriptions funéraires ou rupestres tracées dans l’Antiquité avec des caractères issus de l’alphabet grec ou latin qui parlent de la vie quotidienne et de la vie religieuse. Sa nature impérativement orale a entraîné sa disparition lors de la conquête romaine de la Gaule, pendant le ier siècle av. J.-C., et le duel successif qui l’a vu s’opposer au latin, un duel entre l’écrit et l’oral où le premier a gagné la partie.

Pourtant, de nombreux termes d’origine gauloise subsistent dans le vocabulaire français et dans la toponymie de la France, ce qui confirme le fait que le gaulois est, comme l’affirme Jean-Paul Savignac dans la préface de son ouvrage, une immense terra incognita linguistique à exploiter, afin qu’elle devienne partie intégrante de l’identité nationale.

Le Dictionnaire français-gaulois de Jean-Paul Savignac, écrivain et traducteur du grec, du latin et de la langue gauloise, garde à l’intérieur de ses nombreuses pages les secrets de cette langue ancienne déchiffrée et étudiée de manière approfondie, pour jeter un peu de lumière sur des mots ou des noms propres que l’on n’a pas l’habitude d’examiner attentivement.

C’est le témoignage le plus important de l’existence d’un véritable héritage lexical de 180 mots d’usage courant, de milliers de mots dialectaux ou termes techniques disparus ou en voie de disparition d’origine gauloise dans la langue française. Ce que Jean-Paul Savignac définit, à juste titre, comme un « trésor » insoupçonné qui a toute chance d’être familier aux Français désireux de découvrir les formes primitives d’expression de leurs Ancêtres.

Les 1100 articles qui constituent cet instrument de travail et de recherche sont présentés par ordre alphabétique, et possèdent certaines

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caractéristiques techniques en mesure de satisfaire les curiosités et les exigences de la lexicographie : le mot-vedette est en gras ; il est suivi de l’indication du type et du genre en italique et de sa traduction en italique gras ; l’authentification comme mot gaulois, grâce à la présence d’exemples des inscriptions antiques où le mot a été lu, est fournie au cas où tel mot n’est pas explicitement donné comme gaulois ; l’élucidation de son sens est réalisée au moyen de la comparaison avec des langues issues de l’indo-européen ; l’étymologie est établie chaque fois que c’est possible, et un bref commentaire explicatif est au besoin apporté.

Aujourd’hui, la traduction en gaulois de textes français n’a aucun caractère d’urgence. On se demandera alors la raison pour laquelle il faut publier et acheter un dictionnaire français-gaulois. C’est la connaissance de la langue antérieure au latin qui a un caractère d’urgence à notre époque, pour une pleine et mûre identité nationale française.

Dans cette direction, cet ouvrage si vaste et complet, loin d’être un outil de traduction au sens classique du terme, offre à ses lecteurs, spécialistes et non-spécialistes, historiens ou curieux, la chance de se faire une idée plus précise d’un passé historique et linguistique trop souvent négligé ou méprisé. Comme l’affirme Camille Jullian, dans son Histoire de Gaule, « en définitive notre langue doit son originalité, et pour ainsi dire son esprit et son âme, aux influx gaulois descendus à travers les mots et les phrases jusqu’à l’âge de maintenant3 ».

Giuseppe Cappiello

Università di Bari Aldo Moro LaBLex

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Daniel Kunth, Les Mots du ciel, Paris, CNRS Éditions, 2012, 188 p.

L’une des plus intéressantes publications de vulgarisation scientifique, parues sur le marché pendant la première moitié de cette année, est représentée par Les mots du ciel. Conçu comme moyen de réflexion et de recherche sur les mots et le langage spécialisé de l’astronomie et du Cosmos, ce livre constitue le lieu privilégié de rencontre de plusieurs sciences, un carrefour où des disciplines diverses s’entrecroisent et s’entremêlent, en donnant origine à un véritable chef-d’œuvre touchant de nombreux domaines de la culture, de la société et de la vie quotidienne. Voilà, donc, un ouvrage vivant, un trésor lexical permettant à son lecteur de se plonger dans l’Univers par une exploration vertigineuse conduisant du ciel visible à l’œil nu, aux galaxies et aux planètes les plus éloignées de la Terre.

L’auteur de ce « coffret cosmique » est Daniel Kunth, astronome à l’Institut d’Astrophysique de Paris et directeur de recherche au CNRS. Très investi dans la diffusion de la culture scientifique, il a participé à différents projets de vulgarisation. Par l’écriture de ses livres et articles, il effectue une sorte de démystification des mots spécialisés et jargons de métier, pour les rendre accessibles aux non-spécialistes. En particulier, dans Les mots du ciel, dernier bijou de son génie créateur, il gagne le mérite d’avoir opéré une simplification très bien réussie de ses connaissances et compétences, résultat d’une expérience pluriannuelle d’études attentives et méticuleuses ainsi que d’une activité de recherche minutieuse, en offrant l’occasion au grand public d’entrer en contact avec l’astronomie.

La préface d’Hubert Reeves et l’avant-propos de Jean Audouze décrivent le plaisir que Daniel Kunth provoque, en nous présentant et faisant découvrir d’inattendues références et correspondances dans les mots ordinaires d’usage quotidien, avec les images courantes qui nous côtoient dans la vie de tous les jours, en nous dévoilant leur origine céleste et leur signification profonde, déguisée sous leur apparence de mots et lieux communs. Ils révèlent l’intention de l’auteur de jouer avec les mots, en les faisant rimer et en causant une explosion de calembours comme la chorégraphie d’une danse nouvelle. En établissant un constant rapport entre science, art et société, le but est celui d’accompagner ses lecteurs de manière amicale et amusante dans un voyage aventureux, à la fois littéraire, poétique et scientifique, à travers les innombrables termes d’un monde encore à franchir et explorer. L’auteur lui-même, dans

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son introduction, manifeste le souci de parcourir l’histoire ancienne des mots qui ont trait au ciel, au pourchas de leur origine dans les différentes époques et civilisations du passé, riches en croyances, superstitions, mythes, légendes, rites propitiatoires et cérémonies religieuses.

Récit entre science et histoire, ce petit livre se veut un instrument pédagogique au style sobre, direct et concis, qui décrit avec un soin scientifique et en même temps avec une grande clarté tout ce que l’on souhaite savoir sur les secrets de ce monde. Il utilise une langue accessible et vivante, bien ancrée dans le quotidien, sans pour autant négliger le lexique technique de compétence. Nourri d’anecdotes, il s’adresse, sous forme d’étude joyeuse et instructive sur les mots venus du ciel, à tous les gens plus ou moins passionnés d’astronomie. Il constitue un outil de référence indispensable pour ses utilisateurs, simple et précieux à la fois, facile à consulter et bien organisé. En effet, il est structuré par chapitres, dont chacun aborde un sujet. Précédé par un épilogue, des références bibliographiques et un appendice des personnages cités, l’abécédaire, situé en fin d’ouvrage, présente une macrostructure par ordre alphabétique, à l’instar de tout dictionnaire traditionnel, qui se prête à une lecture aisée, immédiate, compréhensible même aux nouveaux adeptes. Ce livre offre une définition précise de chaque entrée, expose et illustre d’une façon exhaustive une pluralité de mots et locutions, et donne toutes les clés pour les employer à bon escient.

Sa consultation dissout facilement les doutes les plus fréquents portant sur la terminologie astronomique avec une sélection très bien soignée des articles et expressions principaux, choisis parmi les plus récurrents et largement utilisés dans le monde scientifique ainsi que dans le monde profane de la quotidienneté.

Les entrées sont des mots français appartenant essentiellement au domaine scientifique (Bissextile, galaxie, Voie lactée), à côté de termes d’usage commun (des mots composés tels qu’arc-en-ciel, gratte-ciel et assaisonner) ou encore des mots et expressions aussi bien d’origine latine (canicule, équinoxe) ou grecque (cosmétique, panspermie) qu’empruntés à une langue étrangère (l’anglais Big Bang ou quasar, l’italien lustre ou tournesol, l’arabe nadir ou zénith, l’hébreu tohu-bohu, le japonais kamikaze), intégrés à la langue de la cosmologie.

D’une façon synthétique et équilibrée les définitions sont accompagnées, à l’occurrence, de nombreuses indications étymologiques,

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qui renseignent le lecteur sur l’origine des mots, et d’exemples qui éclairent et définissent mieux le sens d’un terme, en le situant dans le contexte ou dans les expressions où il peut être employé avec toutes ses constructions et nuances possibles. En outre, elles sont couronnées de locutions et expressions familières au sens figuré (être beau comme un astre) qui sont d’ailleurs jonchées à travers tout le livre (être au septième ciel, passer une nuit blanche, rien de nouveau sous le Soleil, avoir la Lune en tête, filer comme une comète).

Les renvois aux personnages et divinités de la mythologie grecque et romaine sont fréquents. Ils pullulent un peu partout dans le livre, en parsemant d’un charme évocateur un grand nombre de ses pages, notamment celles consacrées aux étoiles et aux planètes (Venus, Mars, Jupiter, Pluton), où on décrit les associations alchimistes entre métaux et planètes.

Innombrables sont les références aux figures historiques (Jules César d’où le mois de Juillet ou Louis XIV, le Roi Soleil), aux philosophes grecs, latins et modernes (Aristote, Platon, Pythagore, Descartes, Voltaire, Kant), aux poètes, écrivains et aux œuvres des différentes périodes littéraires (la Genèse de la Bible, la Pléiade, Le Cid de Corneille, Le Médecin malgré lui de Molière, les Poèmes Saturniens de Verlaine, Voyage au bout de la nuit de Céline, Finnegans Wake de Joyce, Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec son personnage nommé Clair de Lune, Eureka de Poe, Cosmicomics de Calvino), au cinéma de Luc Besson, aux théories des astronomes Copernic, Galilée, Kepler et Newton ou du physicien allemand Einstein, aux historiens tels que Pline l’Ancien ou Michelet ou au peintre italien Giotto.

La lecture captivante de ce livre, source inépuisable d’où jaillit une multitude de mots, symboles, emblèmes, visions, illusions et personnifications, suscite une curiosité de plus en plus vorace. En effet, le lecteur est capturé et entraîné par les mouvements tourbillonnants d’une inondation omnidirectionnelle, envahi par la poussée d’une marée bouleversante.

Cet ouvrage pédagogique exemplaire est comme un volcan en pleine éruption qui enveloppe le lecteur dans son magma incandescent, toujours luisant de nouvelles suggestions, réflexions et comparaisons, un ouragan qui envoûte son usager, ravi, presque ensorcelé et hypnotisé par ses vertiges lexicaux.

Pour conclure, par cette moisson de mots tombés du ciel, l’astronome essaie d’accomplir la tâche hardie de faire décrypter cette langue spécialisée

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dans tous les détails et traces évidentes de son emploi, en quête de la pluralité des sens qu’il peut recouvrir, à la découverte des significations symboliques et des usages métaphoriques du langage du Ciel. Il perçoit les peurs qui angoissent le genre humain et cherche à les dissoudre en leur attribuant une raison scientifique. Par son optimisme, l’astronome se fait prophète et incarne l’espoir de l’existence de nouvelles formes de vie et de peuples qui pourraient habiter d’autres planètes, Mars avant toutes, qui a stimulé la fantaisie du metteur en scène Tim Barton dans le film Mars Attacks ou de l’écrivain Ray Bradbury dans les Chroniques martiennes. Il évoque avec ironie l’épisode d’Orson Welles qui fut croire à milliers d’Américains à une invasion des Martiens. Par cet ouvrage, Daniel Kunth descend de son trône majestueux d’omniscience suprême pour se mêler avec modestie et simplicité aux hommes qui vivent la quotidienneté de tous les jours, en leur transmettant un élan d’enthousiasme pour la vie, de la confiance et du courage. Il les amène au-delà des nuages, ouvre leur regard sur de nouveaux horizons cosmiques et fait retentir leurs cœurs et âmes à l’unisson, envahis par un sentiment de fraternité et de solidarité universelle.

Carmela Rizzi

Université de Bari Aldo Moro LaBLex