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Classiques Garnier

Lettre de Monsieur de Racan, à Monsieur de Malherbe, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roy suivi de Stances

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Bergeries (Poésies II)
  • Pages : 14 à 19
  • Réimpression de l’édition de : 1991
  • Collection : Société des Textes Français Modernes, n° 54
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406104704
  • ISBN : 978-2-406-10470-4
  • ISSN : 2777-7715
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10470-4.p.0052
  • Éditeur : Société des Textes Français Modernes
  • Mise en ligne : 06/11/2020
  • Diffusion-distribution : Classiques Garnier
  • Langue : Français
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LETTRE
DE MONSIEU R
DE RACAN,
A MONSIEUR DE MAI,HERBE,
GENTILHOYIME ORDINAIRE

de la Chambre du Roy '.

MONSIEUR,
Je vous envoye ma Pastoralle, non pas tact pour l'estime que j'en fais, que pour celle que je fais de vous. Je sçay bien que vostre jugement est si generalement approuvé, que c'est renon- cer au sens commun, que d'avoir des opinions contraires aux vostres :c'est pourquoy je suis d'advis que vous la consideriez un peu plus exactement, et que vous sçachiez les raisons qui m'ont
~DITIDNS 25, p, r4 des fIa liminaires. — 26, fI 8 v~. — 26 G, fI q.
27, 28, 30, 32, 35 P, L, G, P• 19• — 35 M, P• r3 — 35 R, P• 14 des f1e liminaires.
Br., t. II, p. zI ; Coust., t. II, p. 17 ;Lat., t. I, p. r4.
Titre 26 G, 3,Q R MONSIEUR DE RACCAN — 26 MAL'}iERBE — I. 26 G la curieuse lettrine M figure un persollnage en robe, avec une grande barbe, tenant un bâton de commandement dans la main droite et les deux Tables de la Loi dans la main gauche, très-pro- bablement un Moïse — z. 2j, 26, 26 G, 35 G ma Pastourelle, 35 M ma Pastorale. — 3. 25, 35 P fais que 26 G fai de vous. 35 R faits, 35 G faits de vous — 6. 35 R vostres c'est pourquoy — 7. 35 P exactement
r. NoTlca. —Cette lettre de Racan à Malherbe nous est pré- cieuse âplus d'un titre : d'abord elle nous fournit des documents sur la composition des Bergeries et sur la largeur du goût de Racan opposé au dogmatisme minutieux de Malherbe (cf. Thèse, p. r66- rryI). —C'est de plus la seule lettre qui nous soit restée du disciple au maître, épave d'ulle correspondance considérable puisqu'ils s'écri- vaient environ tous les quinze jours, au moins entre 1623 et x628 (cf. Thèse, chap. XV et XVI). Nous possédons Io lettres de Malherbe â Racan (éd. des Grands Écrivains, t. 4, p. 6-34 et z39), et nous pouvons apprécier la verdeur de bon sens dont il usait avec lui. Ces lettres nous aident â reconstituer, comme nous avons tenté de
53 A MONSIEUR DE MALHERBE IS
jusques icy obligé à luy faire garder la chambre. Auparavant que vous me condamniez de la donner au public =,vous me man-
ro dez qu'il en court tant de copies mal correctes, qu'il est à pro- pos que je me justifie des fautes que les mauvais escrivains' ont adjoutées aux miennes : en effect j'avouë que c'est bien assez d'entre responsable de mes pechez sans porter la peine de ceux d'autruy; mais aussi en l'estat où elle est, je ne seray repris que
r5 des belles bouches de la Cour, de qui les injures mesures me sont
des faveurs, au lieu que si je suivois vostre conseil, je m'aban-
donnerois à la censure de tous les Autheurs du pays Latin, dont
je ne puis pas seulement souffrir les louanges 3. Vous sçavez qu'il
est mal aisé que ceste sorte de vers, qui ne sont animez que par

zo la representation de plusieurs Acteurs, puissent roussir à n'entre
leus que d'une seule personne. D'où vient que ce qui semblera
excellent sur un theatre sera trouvé ridicule en un cabinet 4.
Outre qu'il est impossible que les grandes pieces puissent entre
polies comme une Ode, ou comme une chanson. Et s'il y a

z5 aucune s raison qui me dispense des reigles que vous m'avez pres-
crites, ce doit entre la multitude des vers qui sont en cét ouvrage.

ro. 25, 35 R corectes, — rz. z5, 35 R miennes, en effect — 35

L, G ansés — r5. 35 R Court — r9. 25, z6, 26 G, 35 R la cen- sure de tous les Pedans du pays Latin, (l'atténuation est de 27) — r9. 35 L, G mal-aisé — 25, 35 R Vers qui z6 G, 28, 35 L, G Vers, qui — 20. 25, 35 R Acteurs puissent — 35 L, G Acteurs, puisse (et cependant plus loin : leus) — 22. 2,g, z6 G, z8, 35 L, G, R dans un cabinet. — 24. 25, 35 R pollies — 25-z6. 35 L, G pres- criptes 35 R prescrittes
le faire, le contenu et aussi le ton des lettres de Racan, qui devait étre bien différent :spirituel, dans des missives pleines d'idées et de nouvelles pittoresques aussi, mais sentimental, et délicatement impertinent, comme nous le confirme d'ailleurs la présente lettre.
r. Auparavant que, vieux tour d'avant Vaugelas, voir Lex. Thèse. — Souligné à l'encre par Huet dans sa lecture des Bergeries en r674, sans doute comme archaïsme, voir plus haut Introduction, rz, x635• — Probablement ce membre de phrase devrait se rapporter à la phrase précédente.
2. Copistes, voir L. T.
3. Le poète a atténué son mépris, ayant d'abord écrit tous tes Pedans, voir les Notes critiques.
4. Ce sera exactement l'idée de Molière.
5. Aucune, quelque :voir L. S.
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II est plus aisé de tenir cent hommes en leur devoir que dix mille ~, et n'est pas si dangereux de naviger sur une riviere que sur l'Ocean =. Pour en parler sainement je pense que vous jugerez que
3o je suis autant au dessous de la perfection, comme je suis au dessus de tous ceux qui m'ont precedé en ce genre de Poësie;, et que parmy ceste grande confusion de paroles mal digerées, vous n'y trouverez rien digne d'admiration, que de ce qu'un travail de si longue halaine a esté entrepris par un homme de
3 S mon mestier a et de mon humeur. Je sçay bien que c'est assez dire qu'on est ignorant et paresseux à escrire, que de dire qu'on faict profession des armes; mais ce n'est pas assez me cognoistre, que de croire que je ne le suis que comme l'ordinaire de ceux de ma condition. Je veux qu'on sçache que je le suis au supréme de-
4o gré; et me treuve s moy-mesure tellement estonné d'une si longue navigation, que j'ay peine à me ressouvenir du port d'où je suis party. J'ay fait comme ceux qui entreprenans un bastiment avecque irresolution, le continuent sur divers desseins :dont les derniers condamnent ce que les premiers avoient approuvéb
z7• z5, z6, z6 G, 35 R Il est plus facile de (le substitut aisé a été mis en z7) — z7-28. Br. dix mille, et il n'est pas — 28. z5, 28,
35 L, G, R naviguer z5 G navigueur (p. erreur) — 29. z8, 35 R l'océan. z5, 35 L, G, R sainement, — 30z5, 35 R au dessoubs 3r• 35 P au dessous (p. erreur) — 33• z5, 35 R d'admiration que
34• z5> 35 R longue alaine z6 G, 35 P haleine — 40. 35 P et me trouve — 4r. z5, z6 G, 35 R resouvenir — 4z. z5 faict 35 G fay
— z5, 28, 35 L, G, R ceux, — z5, z6, 3S R entreprenant — 43. 35 P avec — 35 P desseins — 44 condannent— 36, 35 L, G appreuvé
r. Souvenir de sa carrière militaire. A en croire Tallemant des Réaux, il eut quelquefois bien de la peine à se faire obéir d'une cen- taine d'hommes, comme a lieutenant d'un escadron de cavalerie ~; voir Thèse, p. qr3.
z. Métaphore nautique aimée de Racan. — Naviger, emploi de la Cour, voir L. T.
3. Autant comme, vieux tour resté, dans certaines campagnes de l'Ouest; VOn' COMME r~ L. T.
4. Mon mestier (militaire). — De ce gu'2~n travail, le fait qu'un travail, selon l'emploi très libre alors de la préposition de, cf. L. 7'.
DE 2a.
5. Treuve, comme plus tard encore dans La Fontaine, voir L. T. — Reprise de l'image nautique.
6. Racan, qui reconstniira bientôt son château de la Roche-
55 A MONSIEUR DE MALHERBE 17
4S d'abord je m'estois proposé de me servir d'un subject assez cogneu dans la Cour : mais les desplaisirs que je receus d'une certaine personne qui eût peu s'en attribuer les plus belles advan- tures =, me firent resoudre à changer les deux premiers actes qui estoient desja faits, plustost que de luy donner le contentement
So de voir l'Histoire de ses amours dans mes Vers =. Il est vray que
je suis bien aise qu'elle porte le nom d'Artenice, et voudrois estre
capable d'en faire durer la memoire aussi long temps que l'amour
que j'ay pour elle. II y a si peu de chose en ce siecle digne de
louange, que je croy que la posterité ne doit point trouver mau-

SS vais de quoy je ne l'entretiens que des folies de ma jeunesse,
puis que je n'ay Gien de meilleur à luy dire 3. Chose estrange I
que ceux qui recherchent l'immortalité au prix de leur sang et
de leurs veilles, que celles qui se retranchent des plus doux plaît
sirs de la Nature a pour s'aquerir la gloire d'estre vertueuses, facen-

45• zg suject, 35 P, L, R sujet — 46. z5, 35 L, R Court : — 46- 49. 35 L, G d'une personne — 47. z5, z6 G, z8, 35 L, G, R eust peu — 47-48. z5> 35 L, G R adventures — 54. 26, 35 L, G, R louanges, — 26 treuver-54-55. 35 L, G ne doibt point;s'offencer ny treuver mauvais de quoy — 55. z6 G fouies — 56. 25, z6, 35 R C'est chose estrange que ceus (Phrase abrégée en z7) — 58. 25, z6, z$, 35 L, G, R veilles, et que celles — 59• z5. 35 R nature — z5,
35 R vertueux (rapporté à tort à ceux et... celles) z6, z6 G, vertueux, — 35 L, G, R fassent
Racan, a toujours eu le regard tourné vers l'architecture, cf. l'ode à
Bussy, str. 5 (t. I, p. 70) et Bass%m.
r. Catherine Chabot, veuve du marquis de Termes.

2. Il m'a bien semblé que ces remaniements de vengeance ont dû consister à faire manquer l'héroïne Arthénice au premier devoir de l'amour de tous les temps et surtout de celui-là, à savoir la fidélité et l'unité d'affection. Ainsi il nous la fait voir manquant à son enga- gement vis-à-vis de Lucidas, pour aimer Alcidor, et, lorsqu'elle croit que celui-ci la trahit, poursuivant Tisimandre, ce qui est abso- lument contraire aux traditions contemporaines du Pastor jido. Racan a donc dû ajouter le commencement de la sc. 2 dans le Ie1 acte (noter en particulier les v. r36, r45-r54), et, dans l'acte II, la scène 3 des coquetteries d'Arthénice avec Tisimandre. Voir Thèse, p. 22¢-22$.
3. On croirait presque entendre une profession de foi romantique. — A la ligne précédente : de quoi, de ce que, voir L. T. Quov II.
4. L'une des nombreuses périphrases de l'écrivain pour désigner les plaisirs de la chair; voir L. S. Uxiox cxnFraLts.
56 LETTRE DE MONSIEUR DE RACAN
6o si peu de cas de ceux qui la donnent, et qui ont une juridiction aussi absoluë sur la réputation de tout le monde', que celle des Parlements sur les biens et sur les vies: n'est-ce pas faire comme ces geus qui dépendent tout ce qu'ils out à la Cour pour essayer d'y faire leur fortune =, sans penser à se rendre agréables
6S aux Ministres de l'Estat? Vous me direz qu'il ne me faut point tourmenter de cela ; que ce n'est point à tnoy à reformer les humeurs du siecle, qu'il le faut laisser comme il est, et suivre mon inclination, j'en suis d'accord aeecgües vous ; et certes ce qui m'a fait s estendresi long temps sur ceste matiere est que je
7o n'ay point de meilleure occupation en ma solitude, que de vous entretenir. J'y joüys d'un repos aussi calme que celuy des Anges; j'y suis Roy de mes passions aussi bien que de mon village¢; j'y régne paisiblement dans un Royaume qui est une fois aussi grand que le Diocese de l'Evesque de Bethléem s; et si s je quitterois de
75 bon cæur ceste Royauté (si mes affaires me le permettoient)

62. $2, 35 R Parlemens... les vies, — 63. Br. dépensent — z5, 35 R Court — 64. 35 L, G fortune ?sans — 35 G aggreables — 65. z5,
35 G, R de l'Estat. — 67. 35 R qui le faut laisser (p, erreur) — 68. z5, 35 R, Br. avecque 3g P avec — 69• z5, 35 R est que z6 G matière, est 3z, 35 P est, — 7 r. z5, 35 R jouys 35 P jouïs — 35 R Anges, — 7z. zg, z6, z6 G, vilage ; 35 M village, 35 R visage (p. erreur) — 74. z6 Diocoese — z5, z6 G, Bethleam ; 35 R Bethleam,
r. Encore une de ses belles périphrases expressives, pour désigner ici les poètes.
2. On voit que ce grand mal ne date pas de Louis XIV. — La Cour préfère alors le terme dèpcndre à dépenser, voir L. T.
3. Voir L. T. FarxE, III.
4. Corneille, dans r5 ans, fera dire à Auguste : Je suis maître de moi comme de l'univers. Cf. a Roy de ses passions u, plus ou moins imité d'Horace et de Desportes, dans les Stances sur la retraite
5. Ce diocèse se réduisait à un faubourg de Clamecy, en mémoire de Raynaud, évêque de Bethléem qui, chassé de Terre Sainte, avait suivi, en r223, Guy comte de Nevers, qui lui avait donné l'admi- nistration d'un hôpital de Clamecy.—La Fontaine, dans son Épître à Mignon, parle de François de Batailler, nommé évêque de Bethléem en r664 (éd. H. Régnier, t. IX, p. r4r-r43)•
6. Et pourtant, voir L. T. Sr, II. — Le rapprochement de ces deus si, à cette ligne et à la suivante est bien de l'aimable négli- gence de Racan.
57 A MONSIEUR DE MALHERBE 19
pour avoir l'honneur de vous gouverner ~, et vous dire moy-
mesme que je suis,
IVIONSIEUR,
Yostre tres-humble serviteur,
80 RACAN.
Ce ts. Janvier 16x5.
de la Roche Racan.
8x-82. — «Ce x$ Janvier... Roche «Racan » supprimé dans z6 G. — 3$ MRoche-Racan.
r. Terme familier pour :vivre avec quelqu'un. Racan, qui vient de vanter sa royauté sur son village, semble jouer ironiquement avec son maïtre sur le sens du mot gouverner. Voir L. T.



STANCES.


Tirsis il faut penser ~ faire la retraite, ... » (dans notre z. I, N° r.1, p. x6q-x8$).

ÉnxTloxs à rajouter : Bt«« zy, p. 26-zg. Btee 35 M, P•-r9•

Btes 35 G, P• 2$-28.
v. 32. 2E de la 6e st. Btee 2~, 3g M, G sa faucille — v. bx. xei de la 7e st. B1ea z~ un Serf (p. erreur) — v. 6q, xer de la x2e st. BtB1 32, 35 M, P ses maisons (p. erreur).