Les artilleurs à l’échelle de l’empire Un saut quantitatif
- Auteur lauréat du Prix Turriano 2017 de l’International Committee for the History of Technology et du Prix d’histoire militaire 2017 du ministère des Armées
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Artilleurs et la Monarchie hispanique (1560-1610). Guerre, savoirs techniques, État
- Pages : 31 à 114
- Collection : Histoire des techniques, n° 21
- Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- EAN : 9782406115564
- ISBN : 978-2-406-11556-4
- ISSN : 2264-458X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11556-4.p.0031
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/08/2021
- Langue : Français
Les artilleurs
à l’échelle de l’empire
Un saut quantitatif
Y así entiendo, por haverlo visto, la mucha falta que ay de artilleros para las armadas de Vuestra Magestad1.
Le duc de Medina Sidonia, Sanlúcar de Barrameda, 1590.
Introduction
Le « grand manque » d’artilleurs que le duc de Medina Sidonia dénonce à Philippe II dans la citation précédente est exprimé de manière récurrente dans la documentation du conseil de guerre du roi d’Espagne. Ainsi, à cette même date, en 1590, Pedro López de Soto, contrôleur de l’artillerie de Galice, faisait une remarque semblable à propos des côtes nord de l’Espagne2. La Monarchie avait alors désespérément besoin de techniciens capables d’utiliser les canons et autres pièces d’artillerie de ses flottes et de ses forteresses. La fréquence de ce type de discours a d’ailleurs conduit l’historien des techniques David Goodman à parler d’une véritable « pénurie » d’hommes qualifiés à l’époque de Philippe II3. Or si le manque chronique d’artilleurs apparaît évident, les raisons en sont, quant à elles, plus obscures. En réalité, aucune étude ne s’est intéressée sérieusement aux besoins en artilleurs de la Monarchie hispanique. Ce 32premier chapitre va donc s’interroger sur les effectifs d’artilleurs et leur évolution dans le temps afin de combler une lacune indispensable à la construction du cadre de cette étude sur les artilleurs. À partir d’un travail statistique sur les documents comptables de l’administration militaire espagnole, il tâchera de cerner les ordres de grandeur, d’identifier les principaux espaces de service de ces techniciens de la guerre. Ce faisant, il mettra en évidence la force majeure de transformation des besoins en artilleurs de l’empire espagnol : l’important saut quantitatif engendré par le développement des flottes atlantiques dans les dernières décennies du xvie siècle. Cependant, avant d’entrer dans les détails de cette analyse, un détour par l’historiographie et la description des sources paraît nécessaire.
Les artilleurs, grands absents du débat
sur la révolution militaire
Depuis la conférence donnée en 1956 par Michael Roberts4 et plus encore depuis le livre de Geoffrey Parker5, le concept de « révolution militaire » n’a cessé d’être au cœur des débats des historiens militaires. Bien qu’elle soit constituée d’une multitude de narrations différentes, la révolution militaire renvoie généralement à l’idée que, entre les xve et xviie siècles, d’importantes transformations des technologies et tactiques militaires en Europe de l’ouest ont eu un impact déterminant sur l’évolution des sociétés occidentales, la construction des États modernes et la constitution des empires coloniaux6. Or, le récit de Parker, celui 33qui a connu la plus grande postérité, fait la part belle aux canons. Après deux cents ans d’évolution aux xive et xve siècles, la technologie du canon, arrivée à maturité au début du xvie siècle, transforma l’architecture militaire et modifia de manière décisive l’échelle de la guerre. Rapidement, les principaux belligérants furent les seuls États capables de produire de l’artillerie lourde, de construire les coûteuses forteresses à bastions et de mobiliser des dizaines de milliers de fantassins pour s’emparer des forteresses des États concurrents. Le développement, dans le courant du xvie siècle, de flottes équipées d’artillerie, ne fit qu’accentuer ce phénomène.
Dans bon nombre de récits des historiens militaires, comme dans celui de Parker, l’avènement du canon moderne constitue l’un des principaux éléments déclencheurs des transformations vers la modernité. Or, l’historiographie situe assez précisément cette innovation. En 1494, l’artillerie du roi de France Charles VIII envahissant l’Italie représente, pour beaucoup d’historiens, le premier exemple d’artillerie moderne7. Près de deux siècles après son invention, le canon aurait pris sa forme définitive au début des guerres d’Italie (1494-1559) ne subissant que de légères modifications durant les siècles suivants. Ainsi au milieu du xixe siècle, Louis-Napoléon Bonaparte, grand amateur de canons anciens, et le capitaine d’artillerie Ildefonse Favé écrivaient que :
les progrès réalisés par l’artillerie pendant la seconde moitié du xve siècle ont eu plus d’importance que tous ceux qu’elle a faits dans les trois cent soixante ans qui se sont écoulés depuis8.
Ce constat d’une relative fixité des caractéristiques techniques du canon après 1500 a encouragé les historiens militaires à focaliser leur attention sur le moment de basculement, de transformation de la bombarde médiévale vers le canon moderne dans le courant du xve siècle9. 34Bien que très intéressante et tout à fait justifiée, cette focalisation sur l’artillerie du xve siècle s’est faite au prix d’un certain désintérêt des historiens pour l’artillerie des décennies suivantes, en particulier de la seconde moitié du xvie siècle.
L’artillerie n’est pourtant pas absente des narrations des historiens militaires du xvie siècle, elle passe simplement au second plan. L’intérêt de l’historiographie s’est notamment porté sur les innovations techniques résultant de l’émergence du canon moderne, telles que les fortifications à bastions10. De même, le canon progressivement intégré aux galères est présenté par Guilmartin comme un élément essentiel du combat naval dans la Méditerranée du xvie siècle11. Les études portant sur les affrontements atlantiques insistent également sur l’importance de l’artillerie embarquée, preuves archéologiques à la clé12. Néanmoins aucun historien n’a récemment tenté d’offrir une synthèse de l’artillerie à l’échelle d’un grand État, portant à la fois sur ses forteresses et ses flottes. Le dernier ouvrage en date concernant l’artillerie de la Monarchie hispanique est celui de Jorge Vigón13, du milieu du xxe siècle, lacunaire dans le travail des sources – car s’appuyant uniquement sur des écrits d’historiens militaires du xixe siècle – et centré sur l’« Espagne » et ses colonies américaines, ignorant les nombreux autres territoires européens des Habsbourg. Les études s’intéressant à l’appareil militaire espagnol mettent en évidence, quant à elles, les conséquences du changement 35d’échelle de la guerre, à cette époque, sur l’administration militaire castillane, l’accroissement des effectifs de l’infanterie et la professionnalisation du commandement14.
Or l’un des principaux arguments de ce livre est de montrer que, même si les caractéristiques techniques de l’artillerie demeurèrent relativement stables au xvie siècle, les systèmes encadrant son utilisation furent quant à eux l’objet de profondes mutations du fait du changement d’échelle de la guerre. Notamment, le développement de fortifications plus gourmandes en artillerie et la mise en place de flottes de guerre armées de canons augmenta considérablement les besoins en artillerie de la Monarchie hispanique. Pour le dire autrement, après le saut qualitatif important que connut le canon au xve siècle, il s’agit maintenant d’étudier le saut quantitatif considérable qui résulta de la généralisation de son emploi dans les grands dispositifs de combat de l’époque moderne. De l’objet et de l’innovation technique, la focale passe au système et à l’innovation administrative et sociale. Par conséquent, cette étude met davantage l’accent sur les hommes que sur le matériel.
Il faut par ailleurs remarquer que, si l’historiographie de la révolution militaire a fait la part belle à l’artillerie, les artilleurs, c’est-à-dire les individus servant les canons, ont, eux, été très peu étudiés. Les rares publications les concernant portent sur cette fameuse période de l’avènement du canon moderne au tournant des xve et xvie siècles15. Aucune des grandes études citées précédemment sur l’appareil militaire de la Monarchie hispanique ne leur dédie plus de quelques lignes. On ne sait donc quasiment rien d’eux. Pourtant, comme semblent le montrer les citations en introduction de ce chapitre, disposer de ces techniciens militaires en nombre suffisant a représenté un considérable défi pour 36les États du xvie siècle. Par conséquent, l’objectif de ce premier chapitre sera de pallier ce manque en dressant une cartographie générale de l’évolution des besoins en artilleurs à l’échelle de la Monarchie hispanique.
Quelles sources pour connaître
les effectifs d’artilleurs ?
Le projet de reconstruire l’évolution des besoins en artilleurs de la Monarchie hispanique peut paraître ambitieux à l’excès. Il est néanmoins rendu possible par la mise en série de certains types de documents émanant de l’administration militaire espagnole. Notons d’ailleurs que l’échelle d’analyse choisie, « l’empire espagnol », n’est que partiellement fabriquée par l’historien. Comme le montrera plus en détail le second chapitre, cette échelle existe, dans une certaine mesure, du fait du caractère relativement centralisé de l’administration de l’artillerie : l’essentiel du travail exposé ici a été réalisé à partir des documents des archives de Simancas et Indias, c’est-à-dire à partir des informations convergeant vers les grands centres administratifs de l’empire – Madrid et Séville.
La source idéale de renseignement sur les effectifs d’artilleurs est le document comptable listant les artilleurs d’une place forte ou d’un navire ayant servi sur une période donnée. On trouve ce type de documents dans les sections contaduría mayor de cuentas et contaduría del sueldo des archives de Simancas. Ils y restent néanmoins très rares et difficiles à trouver dans ces sections qui sont parmi les plus volumineuses de Simancas. On les rencontre en revanche beaucoup plus fréquemment dans la section contratación de l’archivo de Indias, dans les séries papeles de armada16 et cuentas de maestres17. Ces séries sont issues des comptes de navires affrétés par la Monarchie au sein des convois reliant l’Andalousie à l’Amérique, ce qui explique l’abondance d’informations dont cette étude dispose sur les forces navales. Ces listes présentent généralement l’ensemble des individus servant dans une place forte ou sur un bateau. En plus d’inclure souvent une description physique et un lieu de naissance, elles associent à chaque individu une fonction : piquier, arquebusier, sergent, porte-étendard, marin, 37matelot, chirurgien etc. Les hommes maniant les pièces d’artillerie sont aisément reconnaissables dans ces listes car ils sont identifiés par le terme artillero – le spécialiste de l’artillerie. Avant les années 1580, l’ancien terme de lombardero – le spécialiste des bombardes – apparaît également quelquefois. Souvent ces hommes étaient sous le commandement d’une sorte de caporal appelé condestable sur les navires, cabo de artilleros ou cabo maestro dans les garnisons. Ainsi, la relative rigueur employée par ces documents dans la désignation des artilleurs permet d’obtenir précisément leur nombre, les listes étant même mises à jour régulièrement à chaque montre. Ces documents souffrent néanmoins d’un inconvénient majeur vis-à-vis de l’objectif macroscopique de ce chapitre puisqu’ils ne portent généralement que sur une place forte ou un navire en particulier.
Les documents comptables peuvent être complétés par d’autres documents administratifs, notamment la correspondance du conseil de guerre (section guerra y marina des archives de Simancas). Les officiers locaux envoyaient en effet régulièrement au conseil de guerre des rapports sur la situation d’une forteresse ou d’un navire, dans lesquels ils faisaient mention du nombre d’artilleurs présents. Mieux encore, ces rapports concernaient parfois des listes d’effectifs de toute une région ou de tout un escadron de navires. On voit alors y figurer le nom de chaque navire et les effectifs de l’équipage souvent divisé en grandes catégories telles que marins, officiers, soldats et artilleros. Ces documents sont conçus comme des aides à la gestion, permettant aux membres du conseil de guerre de gouverner à grande échelle les armées du roi. Ils sont sans doute moins précis que les documents comptables, mais ils présentent l’énorme avantage d’offrir une vision élargie des effectifs d’artilleurs à un moment donné. En outre, étant donné que leur but était de fournir un rapport le plus complet possible sur une situation donnée, ces documents informent bien souvent aussi sur le nombre de pièces d’artillerie, parfois le type de pièces et fournissent d’autres caractéristiques techniques telles que le volume des navires. Il est par conséquent possible d’établir des ratios entre la quantité d’artillerie, le type de places fortes ou de navires et les effectifs d’artilleurs.
Or, établir ce type de rapports numériques permet de construire de plus larges estimations. En effet, les sources évoquant directement 38les effectifs d’artilleurs ne sont pas suffisantes pour obtenir une vision complète à l’échelle de la Monarchie hispanique. En revanche, à partir de la documentation du conseil de guerre, des documents comptables et de la littérature secondaire, il est possible d’obtenir des informations sur le nombre de forteresses des différents territoires, le nombre de navires des différentes armadas, leur taille ou encore leur artillerie. En combinant ces différentes données quantitatives, on peut ainsi réaliser des projections du nombre d’artilleurs dans les différents territoires et flottes de la Monarchie. Les estimations obtenues et leur méthode de calcul seront explicitées au cas par cas dans la suite de ce chapitre. Je tâcherai d’analyser les principaux grands dispositifs de combat sur terre puis sur mer dans une perspective diachronique. Les résultats donnés sur les effectifs d’artilleurs seront bien entendu critiquables car relativement imprécis. Néanmoins, malgré ces imprécisions, la méthode se justifie par les considérables écarts d’ordres de grandeur qu’elle mettra en évidence. L’essentiel de l’argument de ce chapitre est de démontrer que les artilleurs présents dans un train d’artillerie ne dépassent pas quelques dizaines, tandis que les artilleurs servant dans les garnisons d’un État se calculent en centaines et que, suite au développement des flottes atlantiques, les artilleurs engagés sur mer finissent par se compter en milliers.
Les pièces d’artillerie
de la Monarchie hispanique
Avant de s’intéresser aux grands dispositifs de combat que furent les forteresses, les galères ou encore les galions, il semble important de traiter brièvement de l’objet matériel à la base de leur armement, élément essentiel à l’activité des artilleurs : la pièce d’artillerie. Comme cela a été dit précédemment, contrairement à la plupart des études sur l’artillerie qui ont placé le canon au centre de leur attention, ce travail propose de déplacer la focale vers les individus l’utilisant. Il n’en reste pas moins important de caractériser, au moins brièvement, l’artillerie de la seconde moitié du xvie siècle qui se trouve dans les forteresses et 39les flottes de l’analyse à venir. Quelles étaient donc les pièces d’artillerie en usage à l’époque étudiée18 ?
Une grande diversité de pièces
Le parc d’artillerie de la Monarchie hispanique se caractérisait, encore au xvie siècle, par une grande diversité de pièces. L’artillerie moderne qui se répandit en Europe à la fin du xve siècle correspondait à un certain modèle : il s’agissait de pièces fabriquées en bronze, montées sur affût de bois à deux roues et tirant des boulets de fer, voire de plomb pour les versions les plus petites. Néanmoins cet avènement du canon moderne ne mit pas un terme à la prolifération de différents types de pièces, bien au contraire19. Malgré les tentatives de standardisation de l’artillerie des années 154020, il est clair que les auteurs de traités d’artillerie de la fin du xvie siècle avaient encore à faire face à une profusion de modèles différents21. Comme l’a récemment montré Emmanuel de Crouy-Chanel, toute une nomenclature importée de France se diffusa en Europe du sud dès les premières années des guerres d’Italie22. Différents noms s’appliquaient à différentes pièces d’artillerie selon leurs caractéristiques techniques particulières, au premier chef desquelles figuraient le calibre, c’est-à-dire le diamètre interne déterminant le poids du boulet qu’était capable de tirer la pièce, ainsi que le rapport entre ce diamètre et la longueur de la volée ou de l’âme – l’intérieur du tube du canon. Il faut noter que ces paramètres, repris par les historiens, sont ceux qu’utilisaient les hommes de l’époque, comme le montre le schéma ci-dessous tiré du traité de Cristóbal Lechuga23.
40Fig. 1 – Anatomie d’un canon en coupe par Lechuga, Discurso…, Milan, 1611.
Document appartenant aux collections de la bibliothèque de l’Académie d’artillerie de Ségovie.
À partir de ces différentes caractéristiques, la plupart des traités classaient ces armes selon trois grandes catégories. Celle des canons comprenait les grands canons en bronze utilisés pour battre les murailles ainsi que leurs déclinaisons plus petites telles que les demi-canons et quart-de-canons. Celle des couleuvrines rassemblait des pièces de tailles très diverses mais présentant la caractéristique commune d’avoir une forme bien plus allongée que celle des canons, censée augmenter leur portée et leur précision. Enfin celle des pierriers se distinguait par le matériau des projectiles tirés qui, au lieu d’être faits de métal, étaient taillés dans la pierre. Pour les dernières décennies du xvie siècle, il faudrait ajouter à cette classification les pièces d’artillerie en fonte dont l’usage se développa en Europe du nord à cette période24. Or, ces différents modèles ne s’équivalaient ni en puissance, ni en usage.
Comment, alors, peut-on appréhender l’artillerie de la Monarchie hispanique dans sa diversité ? Il faut savoir que, dans la seconde moitié du xvie siècle, l’administration militaire espagnole prenait soin de tenir régulièrement à jour des listes d’artillerie fournissant un certain nombre de caractéristiques techniques telles que le calibre, le poids ainsi que le modèle identifié par l’individu réalisant la liste. Relativement fréquentes, ces listes n’ont pu faire l’objet d’une analyse exhaustive dans ce travail avant tout centré sur les hommes. Néanmoins, une analyse partielle a été réalisée à partir d’un échantillon de 3 272 pièces d’artillerie afin de 41mieux cerner à quoi correspondaient les différents modèles et quelles étaient les pièces les plus fréquentes25. Cet échantillon contient 75 % de pièces provenant de places fortes et 25 % de navires, ce qui constitue un certain biais de représentativité puisque, comme la suite de ce chapitre le montrera, les flottes furent autant sinon plus gourmandes en artillerie que les places fortes. Pour pallier ce manque, j’essaierai parfois de préciser les résultats concernant l’artillerie embarquée sur mer afin de voir si elle divergeait significativement de celle utilisée sur terre.
Enfin, quelques remarques générales s’imposent avant d’analyser plus en détail la nomenclature et les caractéristiques des pièces. D’abord, il faut insister sur la grande variabilité des calibres et des proportions des pièces. L’échantillon analysé rassemble une pléthore de noms différents renvoyant chacun à une diversité de caractéristiques techniques. Simple constat empirique : à la fin du xvie siècle, l’artillerie de la Monarchie hispanique n’était absolument pas standardisée. Certes, il y eut quelques tentatives de normalisation de la production d’artillerie. Par exemple, à la fin de l’année 1574, des ordres furent envoyés de Madrid aux différents États italiens de la Monarchie afin d’y fabriquer 729 pièces d’artillerie selon des spécifications techniques communes26. De même, en 1589, le capitaine général de l’artillerie, don Juan de Acuña Vela, fournit au conseil de guerre des indications techniques pour différents types de pièces que la fonderie de Malaga devait suivre pour remplacer l’artillerie perdue par la Grande Armada de 158827. Ces dernières spécifications eurent beau être respectées28, elles répondaient plus à une logique de production par lot qu’à un véritable projet d’harmonisation des pièces à l’échelle de l’empire29. Une fois produites, les pièces restaient parfois en usage pendant plusieurs décennies. Entre temps, les spécifications techniques du lot suivant pouvaient changer. Dans l’exemple précédent, don Juan de Acuña Vela critiquait les caractéristiques techniques des pièces produites par son prédécesseur don Juan Manrique de Lara30. Or, bien 42que fabriquées dans les années 1560, ces pièces se trouvaient encore dans les inventaires d’artillerie de Santander et Cadix dans les années 158031.
En outre, l’artillerie circulait énormément, comme certains inventaires indiquant l’origine des pièces le prouvent. La complexité des historiques de constitution du parc d’artillerie apparaîtra plus clairement à travers un exemple. Ainsi, dans la forteresse de Ponta Delgada, sur l’île São Miguel aux Açores, on comptait 19 pièces d’artillerie en 158332. Neuf d’entre elles avaient été fondues à Lisbonne tandis que les dix autres provenaient du navire Catalina qui, à son retour des Caraïbes en 1579, s’était échoué près de la forteresse. Parmi ces pièces, trois avaient été fabriquées en Allemagne, deux à Gênes, deux en Flandre, deux à Mexico et une à Malaga. Or, cet exemple n’a rien d’exceptionnel. Au contraire même, il est plutôt représentatif de la plupart des inventaires d’artillerie dans lesquels des pièces de la péninsule ibérique côtoient des canons turcs, des couleuvrines flamandes, des pièces légères siciliennes et des pièces en fonte venant d’Angleterre. De cette manière, les grands lots d’artillerie produits à Malaga, Lisbonne ou en Italie se retrouvaient disséminés aux quatre coins de l’empire, mélangés à des productions de multiples autres fonderies, ce qui explique la grande variabilité des caractéristiques techniques de l’échantillon.
Pour faire face à cette diversité de pièces, les hommes en charge de l’artillerie tâchaient d’attribuer à chaque pièce du parc d’artillerie le nom du modèle auquel ses caractéristiques techniques la rattachaient. Une longue et grande pièce tirant des boulets de 30 lb. avait toutes les chances de se faire appeler culebrina, tandis qu’une pièce plus ramassée, aux parois plus fines et tirant des boulets de pierre était clairement identifiée comme un pedrero. Toutefois, il faut remarquer que les noms génériques des différents modèles de pièces renvoyaient à une certaine diversité de réalités selon les individus qui les désignaient. En particulier les limites entre un type de pièce d’artillerie et un autre n’étaient pas toujours claires. De la famille des couleuvrines, c’est-à-dire des pièces allongées, le sacre (tirant en moyenne 6 lb.) était par exemple une petite version de la media culebrina (tirant en moyenne un peu plus de 10 lb.). Néanmoins, près de 20 % des occurrences de sacres sont attribuées à des pièces ayant entre 8 et 14 lb. de calibre tandis qu’un peu plus de 20 % des medias culebrinas de l’échantillon ont moins de 438 lb. de calibre. Autrement dit, des pièces que certains considéraient comme de gros sacres étaient pour d’autres des medias culebrinas, ce qui n’aide pas l’historien à définir précisément les modèles de l’époque.
C’est la raison pour laquelle les résultats de l’analyse visent à la fois à fournir une idée de la norme, mais aussi de l’écart à la norme. En outre, plutôt que de suivre les classifications selon la nomenclature des trois catégories (canons, couleuvrines, pierriers) des traités d’artillerie, la présentation des résultats suivra la logique des caractéristiques techniques, des plus gros aux plus petits calibres, en réservant une dernière partie pour les pièces divergeant du modèle classique du canon moderne (pièce de bronze tirant des boulets de métal).
Les pièces lourdes et moyennes
Le nom le plus commun parmi les pièces de gros calibres était celui de cañon, le canon. Avec 363 occurrences, les canons représentent environ 11 % de l’échantillon. En d’autres termes, ils sont parmi les pièces les plus répandues dans les inventaires d’artillerie. On les retrouve en défense des grandes places fortes à Naples33, à Pampelune34 ou encore à Perpignan35. Très rares sur les navires atlantiques, ils sont la pièce maîtresse des galères, mis en figure de proue et souvent désignés comme cañon de crujia36. Mais surtout, les canons sont l’arme de batterie par excellence, utilisée pour abattre les murs de forteresses. Chaque fois qu’une opération de siège est envisagée, les canons sont présents37. Il existait même des réserves de canons à Burgos, à Carthagène et à Lisbonne au cas où une opération de conquête serait nécessaire38. La plage de variation de calibre des canons 44est extrêmement large. Pour l’échantillon, elle s’étale de 18 à 150 lb. Néanmoins, la plupart des canons tiraient des boulets de 30 à 60 lb., la moyenne tournant autour de 45 lb. (soit environ 20 kg), ce qui en faisait les pièces de plus gros calibres de l’époque, à l’exception des rarissimes basiliscos39. Les inventaires ne mentionnent jamais leur longueur mais, selon les auteurs de traités de l’époque, leur rapport longueur/calibre oscillait entre 18 et 20. Il s’agissait donc de pièces relativement courtes, utilisées pour leur puissance plus que pour leur précision.
L’autre modèle de pièces de gros calibre était celui de la culebrina, la couleuvrine. Comme pour les canons, la plage de variation des calibres de ces pièces est énorme, de 12 à 85 lb. La moyenne de calibre est toutefois bien inférieure à celle du canon : ces couleuvrines tiraient en moyenne des boulets de seulement 24 lb., c’est-à-dire approximativement 11 kg. Il faut de plus noter qu’environ 20 % des culebrinas de l’échantillon avaient un calibre inférieur à 16 lb. D’un observateur à l’autre, ces petites couleuvrines auraient très bien pu être aussi identifiées comme des medias culebrinas car, on l’a dit, les limites des catégories n’étaient pas strictement définies. Malgré leur infériorité de calibre face au canon, les couleuvrines étaient les pièces les plus lourdes de l’époque, 70 q. en moyenne (environ 3,2 tonnes), contre 51 q. (2,3 tonnes) pour les canons. Ces armes étaient en effet presque deux fois plus longues que les canons, avec un rapport longueur/calibre oscillant entre 30 et 3540. Elles jouissaient pour cette raison d’une grande réputation de portée et de précision, redoutables par exemple, pour défendre l’entrée d’un port41. Néanmoins très lourdes, très chères et très gourmandes en poudre, les couleuvrines étaient des pièces relativement rares. Elles ne représentent que 2 % de l’échantillon et font très exceptionnellement partie de l’armement des navires.
Plutôt que les culebrinas, les pièces longues les plus courantes étaient en réalité les medias culebrinas ou demi-couleuvrines. Avec près de 500 occurrences, ces pièces sont d’ailleurs les plus nombreuses de l’échantillon. Elles étaient particulièrement fréquentes sur les navires, dont elles constituaient 45souvent l’armement le plus lourd. Elles représentaient sans aucun doute un meilleur compromis que la culebrina entre puissance, portée, précision et coût. Leur calibre était relativement réduit, seulement 10,5 lb. en moyenne, soit près de 5 kg. Cependant, le graphe de répartition des calibres révèle qu’en fait, peu de medias culebrinas tiraient 10 ou 11 lb. de balle. Le terme de medias culebrinas semble plutôt s’être appliqué à deux classes d’armes légèrement différentes. Le sens principal et plus fréquent désignait des pièces moyennes autour de 12 ou 13 lb. de calibre, pesant un peu moins de deux tonnes (40 q.). Néanmoins, certains individus responsables des inventaires utilisaient la même expression pour identifier des pièces plus légères, de seulement 6 à 8 lb. de calibre, pesant un peu plus de 25 q. (près de 1,2 tonnes) qui auraient tout aussi bien pu être appelées sacres.
Parmi les pièces moyennes, l’alternative principale à la media culebrina était le medio cañon ou demi-canon. Pour un poids semblable, le demi-canon offrait un calibre deux fois plus lourd, avec une moyenne s’élevant à un peu plus de 20 lb., soit un peu plus de 9 kg. Comme dans le cas de la demi-couleuvrine, ce chiffre moyen masque l’existence de deux types de medios cañones. La majorité d’entre eux étaient des pièces moyennes d’un calibre de 15 à 20 lb., c’est-à-dire légèrement plus lourdes que la plupart des medias culebrinas. Néanmoins près d’un tiers de l’échantillon était constitué de pièces que l’on pourrait qualifier de « lourdes » dans la mesure où, avec un calibre de 25 à 28 lb., elles venaient concurrencer la couleuvrine. Plus compact que la demi-couleuvrine avec un rapport longueur/calibre de 18 à 2242, le demi-canon offrait sans doute des avantages de maniabilité en plus d’un calibre plus élevé. D’ailleurs, tout comme la demi-couleuvrine, on le trouve fréquemment parmi l’armement lourd des navires. Pourtant, le nombre légèrement inférieur de ses occurrences dans l’échantillon laisse penser qu’il était un peu moins utilisé que cette dernière.
Deux éléments invitent toutefois à réévaluer positivement la forte représentativité des armes de la famille des canons parmi les pièces d’artillerie moyennes. D’abord, il faut rappeler qu’environ 20 % des pièces désignées comme medias culebrinas étaient plutôt des pièces légères n’entrant pas en concurrence avec le demi-canon. Il est en outre nécessaire de mentionner l’existence d’un type supplémentaire d’artillerie moyenne, les tercios cañones 46qui, du fait de leur faible nombre (seulement 28 occurrences trouvées) n’ont pas mérité ici un développement à part entière. Or, ce nom de tercio cañon est appliqué à des pièces compactes ayant entre 10 et 15 lb. de calibre. C’est-à-dire qu’il s’agissait, en d’autres termes, de petits medios cañones, bien plus rares, mais dont les caractéristiques techniques étaient également voisines des medias culebrinas. On peut faire la même remarque à propos des quartos de cañones (48 occurrences dans l’échantillon) dont les calibres variaient entre 9 et 13 lb., valeurs très proches de celles des medias culebrinas, à la limite entre ce que j’ai appelé ici des pièces moyennes et la catégorie des pièces légères qu’il me reste à exposer.
Fig. 2 – Répartition des calibres des principales pièces lourdes et moyennes
(en lb.). Réalisé à partir de la base de données de l’auteur.
Les pièces légères et très légères
En-dessous de la catégorie des demi-canons et demi-couleuvrines, on trouve la catégorie des sacres. La plupart de ces pièces avaient un calibre compris entre 5 et 8 lb. (entre 2 et 3,5 kg) même si le nom de sacre était parfois attribué à des pièces de 9 à 14 lb. ressemblant plutôt à des medias culebrinas ou à des quartos de cañones. Leur forme était variable, entre les proportions d’un petit canon et celles d’une petite couleuvrine, puisqu’on trouve des rapports de longueur/calibre s’étalant de 22 à 3243. Représentant plus de 13 % de l’échantillon, ces pièces faisaient partie des plus fréquentes tant en défense de forteresses que sur les navires atlantiques et les galères. Ce chiffre pourrait d’ailleurs être plus élevé si on lui rajoutait la centaine de medias culebrinas de l’échantillon tirant entre 6 et 8 lb. de balle et ayant des caractéristiques techniques très semblables. Ces pièces d’artillerie constituaient véritablement la couche intermédiaire de l’armement, entre les puissants canons, demi-canons, demi-couleuvrines et les pièces très légères destinées au seul usage anti-personnel.
De nombreuses pièces d’artillerie de l’époque tiraient des boulets pesant moins de 5 lb., c’est-à-dire moins de 2,3 kg. Dans l’échantillon analysé, ces pièces très légères représentent ainsi plus de 30 % des occurrences. Les plus grosses d’entre elles étaient généralement appelées medios sacres, demi-sacres, et tiraient en grande majorité entre 3 et 4,5 lb. de balle. Ces pièces étaient parmi les plus compactes des pièces légères, avec une longueur de l’ordre de 25 à 26 calibres44. Pour de semblables calibres, le vocable de falcon était parfois utilisé45, renvoyant sans doute à des pièces légèrement plus longues que les medios sacres. Le nom de falconete, fauconneau, était quant à lui extrêmement fréquent (environ 15 % de l’échantillon). Il désignait des pièces de 2 à 3,5 lb. de calibre pesant un poids semblable à celui des medios sacres car plus longues bien que leur calibre fût légèrement inférieur46.
48Enfin, il faut mentionner les pièces d’artillerie extrêmement légères dont les boulets ne dépassaient pas 1 lb., à peine quelques centaines de grammes. Le nom le plus courant pour les désigner est celui d’esmeril. Or, leur proportion dans l’échantillon (environ 10 %) n’est pas tout à fait représentative. En effet, dans certaines forteresses ces petites pièces pouvaient compter pour largement plus de la moitié de l’ensemble de l’artillerie47. Elles apparaissent souvent dans les inventaires avec leurs camaras (« chambres », sous-entendu « de combustion ») ce qui indique que bon nombre d’entre elles possédaient plusieurs culasses amovibles qui pouvaient être chargées en avance, améliorant ainsi la cadence de tir. Avec un calibre si léger, ces armes avaient une portée bien inférieure à celle des pièces lourdes et moyennes. Leur faible puissance les limitait strictement à un usage anti-personnel. Enfin, il faut noter que d’autres noms étaient donnés aux pièces d’artillerie de moins d’une livre de calibre. On les trouve parfois sous les termes de medios falconetes, de versos, ou plus fréquemment mosquetes. Ce dernier terme a été volontairement exclu de l’analyse car il prête à confusion. Son calibre très léger en fait une arme à la limite entre l’artillerie (montée sur affût) et les armes de tir individuelles telles que les arquebuses. Certains individus les classent parmi les inventaires d’artillerie et d’autres non et, par conséquent, elles ne relèvent pas vraiment du champ de compétence de l’artillero, mais plutôt de celui de l’arcabuzero (arquebusier) d’élite, parfois désigné comme mosquetero (mousquetaire).
49Fig. 3 – Répartition des calibres des principales pièces légères
et très légères (en lb.). Réalisé à partir de la base de données
de l’auteur.
Les pierriers et pièces en fonte
La nomenclature précédente a porté sur les différentes déclinaisons de tailles et de formes de ce qui est communément considéré comme le canon moderne : des pièces en bronze tirant des boulets en métal. Ce type de pièces représentait certainement la grande majorité du parc d’artillerie de la Monarchie hispanique dans la seconde moitié du xvie siècle. Néanmoins, environ 13 % de l’échantillon considéré comprend des pièces qui ne correspondent pas à cet archétype et qui sont assez communes pour mériter un court développement. Ces pièces 50sont, d’une part, les pedreros, ou pierriers, tirant des boulets de pierre et, d’autre part, les pièces en fonte, appelées dans les inventaires piezas de hierro colado par opposition à la majorité des pièces qui étaient en bronze.
Le terme de pedreros désigne un ensemble de pièces aux caractéristiques très variables mais ayant toutes pour point commun d’être conçues pour tirer des boulets de pierre. Que cela signifiait-il ? Ces pièces étaient tout simplement moins renforcées que les pièces tirant des boulets de métal, car la pierre étant moins dense que le fer, la pression à laquelle les parois d’un pierrier étaient assujetties lors du tir était plus faible48. Le terme de pedrero renseignait donc sur la forme de la pièce (courte49 et aux parois fines) plutôt que sur son calibre. Dans les inventaires, le terme de pedrero apparaît souvent seul, ou bien parfois accompagné d’un nom plus précis tel que cañon pedrero ou medio cañon pedrero sans qu’il soit possible de dégager une réelle distinction de caractéristiques à travers l’échantillon étudié. Ces pierriers avaient des calibres compris entre 6 et 60 lb. (de boulet de pierre) mais la plupart d’entre eux ne tiraient pas plus de 18 lb., la moyenne des calibres étant de 13 lb., soit environ 6 kg. En ce sens, ils pouvaient être considérés comme des pièces moyennes, équivalentes en puissance à des demi-couleuvrines ou à des demi-canons, voire, pour les plus petits d’entre eux, à des sacres. En revanche, leurs parois plus fines et leur courte longueur en faisaient des pièces relativement légères par rapport à leur calibre. La plupart d’entre eux pesaient autant qu’un gros sacre, les plus petits étaient comparables à des falconetes.
Bien que minoritaires dans les inventaires du xvie siècle, les pierriers étaient encore fort appréciés. Aussi en trouve-t-on fréquemment en défense des bastions de forteresses ainsi qu’en abondance sur les galères et les navires. D’ailleurs, la Monarchie hispanique en produisait encore en grand nombre à la fin du xvie siècle50. L’ingénieur militaire et auteur 51de traités Luis Collado indique qu’il s’agissait de pièces multifonctions, tirant des boulets de pierre mais aussi des boulets enflammés, des boulets doubles attachés par une chaîne ou encore de la mitraille pour blesser en masse à courte portée lors d’un assaut51. On trouve également dans les inventaires d’artillerie d’autres pièces tirant des pierres, notamment des falconetes pedreros, pièces assez rares tirant environ 3 lb. de calibre, ainsi que des trabucos et morteretes, des mortiers, pièces très courtes destinées aux tirs paraboliques verticaux au-dessus des murailles. Néanmoins, ces derniers sont extrêmement rares dans les listes d’artillerie, ils ne faisaient clairement pas partie des classiques des parcs d’artillerie de la fin du xvie siècle.
Il en allait autrement d’un type d’artillerie émergeant dans la seconde moitié du xvie siècle : les pièces en fonte. La fabrication de ces dernières se développa en Europe du nord à partir du milieu du xvie siècle, en particulier en Angleterre52 et en Flandre53. Le principal avantage de l’artillerie en fonte était son coût trois à quatre fois plus réduit que celui de l’artillerie en bronze54. C’est sans doute la raison pour laquelle on la trouvait en abondance sur les navires marchands. Ainsi, en 1602, sur un ensemble de 542 pièces d’artillerie appartenant à des navires marchands de la carrera de Indias, c’est-à-dire commerçant entre l’Andalousie et l’Amérique, on trouvait 439 pièces de fonte et seulement 103 pièces de bronze55. Les armateurs se plaignaient d’ailleurs des législations les obligeant à embarquer des pièces de bronze car ils jugeaient ces dernières hors de prix56. Cependant, à cette époque, les pièces en fonte étaient clairement des pièces de seconde catégorie auxquelles la Monarchie hispanique évitait de trop recourir.
52Fig. 4 – Répartition des calibres des pierriers et pièces de fonte (en lb.).
Réalisé à partir de la base de données de l’auteur.
Fig. 5 – Répartition des poids des pierriers et pièces de fonte (en q.).
Réalisé à partir de la base de données de l’auteur.
Les pièces en fonte sont moins aisées à caractériser que les autres pièces car les inventaires sont souvent moins bavards à leur sujet. Ce fait pourrait d’ailleurs être un indice de plus de leur faible valeur aux yeux des contemporains. On les qualifie simplement de piezas de hierro colado, accompagnées la plupart du temps de leur poids, parfois de leur calibre. Néanmoins, les informations concernant les 200 pièces en fonte de l’échantillon permettent de mieux cerner leur nature. En fait, les piezas de hierro colado de l’époque étaient des pièces très légères, des équivalents en fonte des falconetes, medios sacres et esmeriles. Elles tiraient 53pour leur très grande majorité des boulets de fer pesant entre 1 et 4 lb., c’est-à-dire moins de 2 kg. Autrement dit, si les pièces en fonte tendaient à remplacer partiellement les pièces très légères en bronze, elles ne concurrençaient absolument pas l’armement plus lourd, depuis les sacres et les demi-couleuvrines jusqu’aux demi-canons et canons.
Les artilleurs au service du roi sur terre
Ces parcs d’artillerie composés de canons, demi-couleuvrines, sacres, fauconneaux, et autres pierriers étaient opérés par des techniciens, appelés artilleros en castillan, artiglieri ou bombardieri en italien, que j’ai choisi de traduire par le mot « artilleur » en français. Or, on l’a dit, le but de ce chapitre est de dresser une image générale de l’évolution de leurs effectifs dans la seconde moitié du xvie siècle. Pour obtenir cette vision à grande échelle, il est nécessaire de reconstruire la relation entre les artilleurs, les pièces d’artillerie et les grands dispositifs de combat de l’époque. Pour ce faire, il a été choisi de diviser l’étude en deux grandes parties, la première d’entre elles dédiée aux artilleurs servant sur terre et la seconde aux artilleurs servant dans les flottes. Cette partie sur les artilleurs de terre sera guidée par trois grandes questions : quelle proportion d’artilleurs trouvait-on dans les différents dispositifs de combat terrestres ? Quel nombre d’artilleurs servaient-ils dans les différents territoires de la Monarchie hispanique ? Quelle a été l’évolution de ce nombre sur la période considérée ?
Prépondérance des places fortes
sur les trains d’artillerie
Il est possible de distinguer deux grands types de dispositifs de combat terrestres requérant de l’artillerie et, par conséquent, des artilleurs. Le premier type rassemble toutes les différentes structures défensives d’un territoire, c’est-à-dire les forteresses, petites places fortes et enceintes de ville à la charge de la Monarchie. L’autre type est son pendant offensif : le train d’artillerie accompagnant une armée en mouvement, prête à mettre le siège pour s’emparer des structures défensives adverses. Pour comprendre la répartition des artilleurs à plus grande échelle, il faut 54d’abord analyser plus en détail ces deux grands types de dispositifs de combat et tenter de cerner leurs besoins en artilleurs.
Le plus difficile à appréhender à partir des sources comptables est sans aucun doute le train d’artillerie mobile. Plusieurs raisons contribuent à expliquer ce fait. D’abord, le train d’artillerie revêtait un caractère temporaire ; il était assemblé à l’occasion d’une opération militaire, pour une durée limitée à la réalisation de l’objectif ou à l’interruption de l’opération. De plus, lors de ces opérations, la comptabilité des salaires des artilleurs n’était pas tenue de manière centralisée. Elle prenait comme unité de paiement non pas l’ensemble des artilleurs engagés pour servir le train d’artillerie mais les contrats passés par compagnie d’artilleurs. Ainsi, par exemple, pour l’armée d’invasion du Portugal en 1580, on a conservé les contrats passés avec 30 artilleurs venus de la garnison de Burgos57. De même, pour la conquête de l’île Terceira (Açores) en 1583, la Monarchie hispanique passa un contrat avec une compagnie de 48 artilleurs allemands commandés par le capitaine Baltasar Troyer, renvoyés chez eux, en 1584, une fois l’île sécurisée58. Ces contrats ne donnent qu’une vision partielle des effectifs des trains d’artillerie. Pour être en mesure de reconstituer précisément les effectifs d’artilleurs des trains mobiles à partir de tels documents, il faudrait retrouver l’ensemble des contrats passés avec les différents groupes d’artilleurs et avoir une garantie quant à leur exhaustivité.
Il existe néanmoins d’autres moyens d’obtenir une estimation du nombre d’artilleurs requis pour faire opérer un train d’artillerie. Par exemple, après la victoire de Lépante en 1571, le conseil de guerre espagnol discuta de l’éventualité d’une expédition pour s’emparer d’Alger l’année suivante. Des chiffres furent avancés, notamment la constitution d’un train d’artillerie de 117 pièces que 220 artilleurs étaient censés faire opérer59. L’expédition n’eut finalement pas lieu, mais l’exemple donne un ordre de grandeur, au moins théorique, du nombre d’artilleurs requis. Le haut commandement militaire castillan estimait ainsi qu’il fallait un peu moins de deux artilleurs par pièce pour mettre le siège devant une grande ville fortifiée. Un tel ratio peut paraître extrêmement faible si l’on se souvient des poids moyens des pièces 55mis en évidence précédemment. Les pièces de batterie pesaient, rappelons-le, plusieurs tonnes. En fait, les artilleros représentaient uniquement le noyau de techniciens qualifiés du train d’artillerie. Pour l’opération d’Alger, le conseil de guerre prévoyait d’engager 4 000 gastadores – des « pionniers » en français – afin de niveler les chemins, creuser les tranchées, aider au déplacement des pièces et assister les artilleurs.
D’autres ordres de grandeur du nombre d’artilleurs présents dans les trains d’artillerie peuvent être établis à partir de la littérature technique de l’époque. Ainsi, l’ingénieur militaire andalou Luis Collado préconisait l’emploi de deux artilleurs par canon, couleuvrine, demi-canon ou demi-couleuvrine60. Il ne dit rien concernant les pièces plus légères, pour lesquelles il fallait probablement compter moins d’artilleurs, mais on remarquera que ses estimations coïncident à peu près avec celles des plans de l’expédition d’Alger dressés par le conseil de guerre. Les chiffres donnés par le capitaine Cristóbal Lechuga, vétéran des guerres de Flandre, sont nettement plus élevés61. Il indiquait que, pour un fonctionnement optimal des pièces de batterie, deux artilleurs étaient insuffisants. Il préconisait cinq artilleurs et dix pionniers par canon, quatre artilleurs et sept pionniers par demi-canon et enfin trois artilleurs et quatre pionniers pour chaque quart-de-canon. Or, ces valeurs très importantes doivent certainement être comprises comme des recommandations d’un idéal vers lequel il aurait fallu tendre plutôt que comme la description d’une réalité. Les chiffres avancés par Collado et le conseil de guerre d’un peu moins de deux artilleurs par pièce sont une estimation plus réaliste.
Reste à savoir de combien de pièces pouvaient se composer un train d’artillerie. Il faut être conscient que les 117 pièces envisagées pour l’entreprise d’Alger en 1572 représentaient un train d’artillerie tout à fait exceptionnel pour l’époque. L’un des plus grands sièges du xvie siècle, celui de Metz par les troupes de Charles Quint en 1552, mobilisa 114 pièces chez les assaillants62. Mais la plupart du temps, l’artillerie de siège ne dépassait pas quelques dizaines de pièces. Les trains d’artillerie de réserve conservés à Burgos, Lisbonne et Carthagène dans les années 1590 étaient 56constitués de 20 canons, huit demi-canons, quatre couleuvrines, huit demi-couleuvrines, 12 sacres et 12 fauconneaux, soit 64 pièces d’artillerie au total63. Les nombreux sièges des guerres de Flandre n’impliquaient que quelques dizaines de pièces au mieux. Selon Bernardino de Mendoza, témoin des faits, 14 pièces furent alignées devant Harlem en décembre 157264. Un rapport fait état de 13 pièces lourdes et deux pièces légères utilisées pour le siège de Zierikzee en octobre 157565. Quelques semaines plus tard, quatre canons, six demi-canons et une couleuvrine étaient alignés devant la ville de Bomel66. En 1596, les opérations de l’armée de Flandre dans le nord de la France mobilisèrent des ressources légèrement supérieures : les villes de Calais et d’Ardes furent prises avec un train d’artillerie de 30 pièces lourdes et 12 pièces légères67. La même année, le gouverneur de Milan fournit au duc de Savoie un train de 44 pièces dont 14 canons de batterie, afin de l’aider à récupérer certains territoires dont s’étaient emparés les hommes du capitaine Lesdiguières68. En d’autres termes, les trains d’artillerie de l’époque variaient d’une douzaine à une centaine de pièces selon l’ampleur de l’opération. En faisant l’hypothèse qu’il fallait compter environ deux artilleurs pour chaque pièce, un siège mobilisait entre 25 et 200 artilleurs selon sa taille. Or, même à la vaste échelle de la Monarchie hispanique, il y avait rarement plusieurs sièges simultanément. Le nombre total d’artilleurs mobilisés par le roi d’Espagne dans des opérations offensives à un instant donné dépassa donc rarement les 200 individus.
Les structures défensives étaient, à l’échelle de la Monarchie hispanique, autrement plus exigeantes en ressources. Contrairement aux trains mobiles qui engageaient des artilleurs pour une durée limitée, les places fortes requéraient une présence permanente d’artilleurs en garnison prêts à défendre en cas d’attaque.
Le cas du royaume de Naples constitue un excellent point de départ pour analyser la composition de ces garnisons. En 1575, le capitaine général de l’artillerie de cette vice-royauté fit dresser une liste de 57l’artillerie de toutes les places fortes du territoire69. Le royaume de Naples possédait en tout 69 forteresses, châteaux et villes fortifiées, armés d’un total de 1 179 pièces d’artillerie, un chiffre sans commune mesure avec les trains d’artillerie de l’époque. Néanmoins, la vice-royauté ne contrôlait sous administration directe que 32 places fortes représentant les lieux les plus stratégiques, les mieux défendus et les plus lourdement armés du royaume. Les autres fortifications étaient administrées par des autorités locales, seigneurs70 ou villes71. Il s’agit d’une remarque importante : la moitié des places fortes et environ un tiers des pièces étaient aux mains d’acteurs privés et non de l’État. Ces derniers constituaient donc autant d’employeurs potentiels pour les artilleurs. Cependant, pour des raisons de dispersion des sources, mon étude doit les laisser de côté et se concentrer sur l’employeur principal : la Monarchie.
Données |
Places fortes |
Places fortes |
Nombre de places fortes |
32 |
37 |
Nombre total de pièces |
745 |
434 |
Pièces lourdes (>20 lb.) |
14 % |
4,8 % |
Pièces moyennes (10-19 lb.) |
7,7 % |
9 % |
Pièces légères (6-9 lb.) |
10,6 % |
13,6 % |
Pièces très légères (1,5- 5 lb.) |
21,6 % |
24,7 % |
Pièces semi-portatives (<1 lb.) |
35,8 % |
36,6 % |
Pedreros |
8,7 % |
5,5 % |
Nombre de pièces/place forte (moyenne) |
23 |
12 |
Nombre total d’artilleros |
120 |
Inconnu |
Nombre de pièces/artilleur (moyenne) |
8,2 |
Inconnu |
Fig. 6 – Inventaire d’artillerie du royaume de Naples (janvier 1575).
Source : AGS EST leg. 1066/13.
Avec en moyenne deux fois plus d’artillerie que les places fortes aux mains des acteurs privés, ces 32 places fortes de la Monarchie totalisaient 745 pièces. Leur armement, en plus d’être plus abondant, était aussi significativement plus lourd, comme le montre la figure 6. La Monarchie y employait un total de 120 artilleurs, soit environ un artilleur pour 8 pièces d’artillerie. Cette moyenne cache cependant de grandes disparités dans la dotation des différentes places fortes. Ainsi, la vice-royauté ne payait qu’un seul artilleur pour les murailles de la ville de Crotone pourtant armées de 30 pièces d’artillerie et il y avait seulement deux artilleurs pour les 32 pièces du château de Tarente, tandis qu’à Gaète on comptait dix artilleurs et quatre assistants pour seulement 18 pièces. Les pièces lourdes nécessitant plus d’hommes que les pièces légères, il est possible d’expliquer ces écarts par des différences dans la nature et le poids de l’armement : 10 des 18 pièces de Gaète étaient des canons lourds alors que plus de la moitié des pièces de Crotone tiraient moins de 5 lb. De plus, le nombre d’artilleurs attribué à chaque place forte n’était pas uniquement déterminé par la quantité d’artillerie ; il dépendait d’autres facteurs tels que l’intérêt stratégique, l’étendue de la place ou encore le nombre des bastions. En outre, la gestion des postes d’artilleurs n’était pas toujours rationnelle, des erreurs pouvaient survenir. Ainsi, dans un tout autre contexte, en 1606, l’unique artilleur du fort de Peñiscola (près de Valence en Espagne) fit remarquer au conseil de guerre qu’il ne pouvait pas s’occuper à lui seul des 15 pièces d’artillerie de la place, réparties sur huit plateformes différentes. Le conseil de guerre en convint, lui envoyant sur le champ quatre artilleurs72. Enfin, rien ne garantit l’exhaustivité de cet inventaire de 1575. Pour l’île de Brindisi, il est écrit que la vice-royauté entretenait en tout 13 artilleurs, et pourtant, lorsque l’ingénieur Luis Collado y passa un an plus tard, en 1576, il y trouva une garnison de 20 artilleurs sous le commandement de deux chefs73. D’ailleurs, le nombre d’artilleurs de cet inventaire paraît incomplet quand on le compare aux dotations de la plupart des autres places fortes de la Monarchie hispanique.
59Rares sont les documents qui, comme cet inventaire du royaume de Naples, juxtaposent à si grande échelle des informations sur le nombre de pièces d’artillerie et le nombre d’artilleurs. Il est malgré tout possible d’obtenir ponctuellement de telles informations dans les documents de l’administration militaire de la Monarchie hispanique. La figure 7 montre un échantillon de ces informations sporadiques. Or, ces forteresses apparaissent environ deux fois mieux dotées en artilleurs que les places fortes de l’inventaire de Naples de 1575. On y compte en effet en moyenne quatre pièces d’artillerie par artilleur. Ce chiffre tombe même aux alentours de trois pièces par artilleur si l’on tient compte des effectifs d’ayudantes artilleros, les assistants artilleurs, présents à Alghero (11), à Cagliari (9) et sur l’île de Majorque (20)74.
Pour augmenter l’ensemble des données disponibles, il est également possible de calculer le ratio entre le nombre de pièces et le nombre d’artilleurs en recoupant des sources fournissant à des dates différentes le nombre de pièces d’artillerie et le nombre d’artilleurs. La méthode n’est pas strictement rigoureuse, puisque les dotations en artillerie et en artilleurs pouvaient varier dans le temps. Néanmoins, les résultats indiquent des ratios très proches de ceux obtenus à partir d’une seule et unique source. En effet, on trouve en moyenne un peu plus de trois pièces d’artillerie par artilleur dans ces places fortes, avec cependant une grande disparité dans la distribution, puisqu’il y avait par exemple plus d’artilleurs au château São Jorge de Lisbonne qu’à la forteresse Sforza de Milan, pourtant dotée de cinq fois plus de pièces d’artillerie.
60
Place forte |
Territoire |
Date |
Nb pièces |
Poids artillerie* |
Nb artilleurs |
Source |
Piombino |
Préside |
1575 |
20 |
480 q. |
5 |
AGS EST |
Orbetello |
Préside |
1575 |
15 |
340 q. |
3 |
AGS EST |
Porto Ercole |
Préside |
1575 |
20 |
690 q. |
5 |
AGS EST |
Talamone |
Préside |
1575 |
2 |
20 q. |
1 |
AGS EST |
Alghero |
Sardaigne |
1578 |
34 |
750 q. |
5 |
AGS GYM |
Cagliari |
Sardaigne |
1578 |
31 |
1020 q. |
8 |
AGS GYM |
La Havane |
Cuba |
1582 |
8 |
NC |
3 |
AGS GYM |
Ponta Delgada |
Açores |
1583 |
38 |
650 q. |
8 |
AGS GYM leg. 149/338 et 350 |
Salses |
Roussillon |
1593 |
24 |
350 q. |
6 |
AGS GYM |
Cadix |
Andalousie |
1594 |
30 |
NC |
7 |
AGS GYM lib. 63 fol. 268v-269r |
Majorque |
Baléares |
1599 |
107 |
NC |
17 |
AGS GYM |
*Les poids d’artillerie ont été estimés à partir des moyennes obtenues pour chaque type de pièces dans l’étude précédente sur les caractéristiques des pièces d’artillerie. Par exemple, un canon compte pour 51 q., un falconete pour 12 q., etc.
Fig. 7 – Nombre de pièces d’artillerie et d’artilleurs de différentes
places fortes (informations contenues dans un seul document).
Place forte |
Région |
Nb pièces |
Poids |
Nb artilleurs |
Sources |
Milan |
Lombardie |
99 |
NC |
14 |
AGS EST leg. 1264/98 (1588) et leg.1260/126 (1583) |
Barcelone |
Catalogne |
36 |
680 q. |
25 |
AGS GYM leg. 365/125 (1592) et leg.146/59 (1543) |
Perpignan |
Roussillon |
119 |
3130 q. |
36 |
AGS GYM leg. 365/125 (1592) AGS CSU 2a epoca leg. 91 (1571) |
Carthagène |
Andalousie |
20 |
700 q. |
7 |
AGS GYM leg. 365/125 (1592) et leg. 254/221 (1589) |
Gibraltar |
Andalousie |
28 |
560 q. |
8 |
AGS GYM leg. 365/125 (1592) et lib. 57 fol. 52r-56v (1590) |
Jaca |
Aragon |
12 |
NC |
9 |
AGS GYM leg. 365/87 (1592) et lib. 70 fol. 57r (1594) |
Fontarrabie |
Guipúzcoa |
28 |
1090 q. |
18 |
AGS GYM leg. 365/94 (1591) |
Saint-Sébastien |
Guipúzcoa |
37 |
1310 q. |
21 |
AGS GYM leg. 365/125 (1592) |
Lisbonne (Chât. São Jorge) |
Portugal |
18 |
970 q. |
21 |
AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581) |
Lisbonne (Fort São Julião) |
Portugal |
44 |
1370 q. |
12 |
AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581) |
Lisbonne (Tour |
Portugal |
25 |
510 q. |
4 |
AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581) |
Cascais |
Portugal |
11 |
290 q. |
4 |
AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581) |
Setubal (Fort Oton) |
Portugal |
37 |
610 q. |
4 |
AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581) |
Luxembourg |
Pays-Bas |
36 |
700 q. |
10 |
AGR CP no 621 (1605) et no 563 (1612) |
La Havane |
Cuba |
80 |
NC |
32 |
Macías Domínguez, Cuba en la primera mitad…, p. 297 et 314 (1603) |
*Les poids d’artillerie ont été estimés à partir des moyennes obtenues pour chaque type de pièces dans l’étude précédente sur les caractéristiques des pièces d’artillerie. Par exemple, un canon compte pour 51 q., un falconete pour 12 q., etc.
Fig. 8 – Nombre de pièces d’artillerie et d’artilleurs de différentes places fortes (informations recoupées à partir de plusieurs sources de dates différentes).
62Que peut-on conclure de ces différents exemples de dotation en artillerie et en artilleurs des forteresses de la Monarchie ? La première remarque est que, comparés aux trains d’artillerie, les rapports entre le nombre de pièces et le nombre d’artilleurs sont inversés. Tandis que dans un train d’artillerie on pouvait trouver deux à cinq artilleurs par pièce, la Monarchie n’entretenait dans ses places fortes qu’un artilleur pour trois à huit pièces. Faut-il en déduire que les trains d’artillerie mobilisaient plus d’artilleurs que les places fortes ? L’échelle d’analyse joue ici un rôle déterminant. Considéré individuellement, un train d’artillerie nécessitait indiscutablement plus d’artilleurs que la garnison d’une place forte. En revanche, à l’échelle de l’ensemble des territoires de la Monarchie hispanique, la défense des fortifications requérait des effectifs d’artilleurs sans commune mesure avec ceux des trains d’artillerie. En effet, les chiffres montrés précédemment ne portent que sur un échantillon réduit de places fortes. Dans le seul royaume de Naples, l’inventaire de 1575 indiquait 32 places fortifiées et plus de 700 pièces d’artillerie. Or, la Monarchie hispanique se composait de bien plus de territoires. Combien y avait-il de forteresses administrées par le roi d’Espagne en Italie, aux Pays-Bas, dans la péninsule ibérique, en Afrique du nord, ou encore en Amérique ? Les forteresses devaient se compter en centaines, les pièces d’artillerie en milliers. Est-il possible de donner une estimation du nombre d’artilleurs servant le roi en garnison ?
Cartographie des artilleurs en garnison
Reconstituer une cartographie des artilleurs servant en garnison les Habsbourg d’Espagne n’est faisable qu’à travers un travail d’estimation et de projection permettant de combler les données lacunaires. Les quelques exemples précédents l’ont montré, il est parfois possible d’avoir accès au nombre d’artilleurs d’une place forte grâce aux documents comptables, aux inventaires d’artillerie ou à la correspondance du conseil de guerre. De telles données n’existent néanmoins de manière sérielle que dans des cas exceptionnels, comme celui de Naples en 1575. Les effectifs des artilleurs de la majorité des places fortes de la Monarchie hispanique restent inaccessibles par ces sources. En revanche, il est nettement plus aisé de connaître l’armement des différentes places fortes grâce aux inventaires d’artillerie qui étaient fréquemment réalisés par les agents du conseil 63de guerre ou des vice-royautés. C’est la raison pour laquelle ce chapitre sur les artilleurs s’est intéressé d’aussi près aux pièces d’artillerie : la connaissance de l’armement des places fortes permet dans une certaine mesure d’estimer les effectifs d’artilleurs et ainsi de reconstruire une vision d’ensemble en dépit des lacunes documentaires.
Il est par ailleurs légitime de s’interroger sur la fiabilité d’estimations établies à partir du rapport entre la quantité d’artillerie et le nombre d’artilleurs, d’autant plus que la partie précédente a insisté sur la variabilité de ce rapport. Cependant, il paraît inapproprié de se lancer dans un lourd travail de statistiques au cœur d’un ouvrage d’histoire75. Je me contenterai donc de quelques mots en défense de la méthode adoptée. D’abord, il faut insister sur le fait que ce travail ne prétend que fournir des estimations et dégager des ordres de grandeur. Une erreur d’estimation de 100 ou 200 artilleurs ne changera rien à l’argument général du chapitre. Ensuite, ces estimations ont été réalisées à partir de deux indicateurs : le nombre de pièces d’artillerie et le poids des pièces d’artillerie, car tous les experts de l’époque s’accordaient à dire qu’il fallait plus d’hommes pour servir les pièces lourdes. Enfin, pour chaque place forte a été calculée une estimation basse, prenant pour référence les chiffres moyens de l’inventaire de Naples de 1575, et une estimation haute, s’appuyant sur les autres échantillons de données présentés dans la partie précédente.
Le territoire pour lequel les informations sont les plus complètes est celui du royaume de Naples. L’inventaire de 1575 recensait 32 places fortes, 745 pièces d’artillerie et 120 artilleurs sous l’administration de la vice-royauté76. La capitale, Naples, avec ses murailles et ses 64différentes forteresses – les châteaux Nuovo, de Sant’Elmo, dell’Ovo, di Baia – rassemblait à elle seule 31 artilleurs pour 132 pièces, pesant un total de plus de 3 000 q. Les principales garnisons étaient ensuite Brindisi (112 pièces, 23 artilleurs), Gaète (29 pièces, 12 artilleurs), Otrante (30 pièces, 7 artilleurs) et Gallipoli (74 pièces, 6 artilleurs). Les autres forteresses importantes (L’Aquila, Pescara, Tarente, Crotone) ne possédaient pas plus de trois ou quatre artilleurs. À ces garnisons, il faudrait ajouter les présides de Toscane – Orbetello, Porto Ercole, Piombino – des forteresses sur la côte de la mer Tyrrhénienne dépendant administrativement de Naples et accueillant au total 57 pièces et 14 artilleurs. Il n’est par ailleurs pas aisé de connaître l’évolution des effectifs d’après cet inventaire. Dans les décennies qui suivirent, il y eut quelques travaux de modernisation des fortifications existantes à Orbetello77 ou encore à Tarente78. Ces adaptations permirent sans doute d’augmenter légèrement la quantité d’artillerie installée dans ces places fortes, mais ils ne résultèrent probablement pas en une hausse significative du nombre d’artilleurs.
En Sicile, en 1575, fut fait, comme à Naples, un inventaire de l’artillerie des différentes places fortes, sans toutefois qu’il y eut de recensement des artilleurs79. Ce document indiquait 21 places fortes, villes fortifiées et châteaux sous administration royale, pour un total de 474 pièces d’artillerie. La principale place forte de l’île était Messine, ville portuaire possédant une grande muraille avec de nombreux bastions ainsi que quatre forteresses (châteaux de Gonzaga, Matagrifone, Salvatore et Castellaccio). Ses 119 pièces d’artillerie, pour un peu plus de 3 000 q. de métal, défendaient le port et la flotte de galères qu’il abritait parfois. Les trois autres principales places fortifiées de l’île étaient la capitale Palerme (61 pièces, 1 750 q.), Trapani (66 pièces, 1 560 q.) et Syracuse (44 pièces, 1 400 q.). Compte tenu de ces informations sur l’armement de l’île, il est possible d’estimer le nombre d’artilleurs au service de la Monarchie entre 60 et 160 individus. Ici, comme à Naples, les quelques travaux de fortifications effectués à Trapani80, Syracuse et Agostina81 65ne purent bousculer cet ordre de grandeur. En revanche, la création, dans le dernier quart du xvie siècle, d’écoles d’artilleurs dans les quatre principales places fortes de l’île ajouta à ces effectifs professionnels une réserve de quelques 300 apprentis artilleurs82.
De tous les États italiens de la Monarchie hispanique, le duché de Milan était certainement le moins demandeur en artilleurs. Un inventaire de 1588 recensait seulement 15 places fortes et 244 pièces d’artillerie83. En outre, la répartition de l’armement accusait de forts déséquilibres puisque la ville de Milan et son château possédaient à eux seuls près d’une centaine de pièces. Les autres places importantes –Pavie, Crémone, Alexandrie – ne dépassaient guère la vingtaine de pièces, laissant à peine quelques pièces pour les places fortes mineures telles que Côme, Novare ou encore Tortone. Malheureusement, rares sont les informations directes concernant les effectifs d’artilleurs. Il semble y avoir eu, à Milan, 14 artilleurs dans les années 1560, tandis que, dans les années 1570, leur nombre passa à 28, avant d’être à nouveau réduit à 14 en 158284. Le document rédigé par le capitaine général de l’artillerie n’est malheureusement pas clair quant à savoir s’il s’agit de la ville de Milan, ou bien de l’État de Milan. S’ils concernaient l’ensemble du duché, ces chiffres auraient été particulièrement bas car, selon mes estimations à partir de l’armement des places fortes, il aurait dû y avoir entre 25 et 50 artilleurs dans l’État de Milan. Cela est néanmoins plausible puisqu’en 1583, le duc de Terranova, alors gouverneur de Lombardie, dressa un constat alarmant de la situation, affirmant que ces 14 artilleurs étaient tout à fait insuffisants85. D’ailleurs, en 1585, il proposait au roi de monter à 14 le nombre d’artilleurs de Pavie, où une fonderie de canons devait être installée86. Malgré ces ajustements, les effectifs d’artilleurs du Milanais restèrent relativement faibles, à en juger par le témoignage du successeur de Terranova dix ans plus tard87. Par conséquent, il paraît raisonnable d’affirmer que le duché de Milan n’entretenait pas plus d’une cinquantaine d’artilleurs en garnison, chiffre qui dut augmenter sensiblement après les travaux de fortifications du 66château Sforza de Milan88 et ceux commandés par le comte de Fuentes au début du xviie siècle – le fort de Fuentes, Soncino, Novare, Crémone et Alexandrie89. Enfin, ces chiffres ne tiennent pas compte des effectifs d’apprentis artilleurs dans les écoles qui furent créées à Milan, Pavie, Crémone et Alexandrie, quelques 200 individus supplémentaires au début du xviie siècle90.
Dans la péninsule ibérique, la frontière avec le royaume de France comprenait plusieurs des principales places fortes de la Monarchie. Au nord, les villes côtières de Fontarrabie et Saint-Sébastien constituaient de solides garnisons, disposant d’une trentaine de pièces, dont plus de la moitié de gros calibres91, servies par une vingtaine d’artilleurs dans chacune de ces villes92. Non loin à l’intérieur des terres, en Navarre, se trouvaient d’autres places fortes telles qu’Estella (avec trois artilleurs) ainsi que la forteresse de Pampelune, principale garnison de cette frontière nord, abritant 97 pièces d’artillerie, pour un total d’environ 2 400 q. et 31 à 38 artilleurs d’après les sources comptables, 50 artilleurs d’après le conseil de guerre93. Les places fortes de cette frontière basque avec la France possédaient donc à elles seules autour de 75 à 95 artilleurs. Du côté de la Méditerranée, la situation de la Catalogne et du comté de Roussillon était relativement similaire. La principale place forte était celle de Perpignan, avec ses 121 pièces d’artillerie et ses 36 artilleurs94. Elle était secondée par la ville de Roses dotée d’une grande forteresse et de divers dispositifs de fortifications côtières rassemblant 54 pièces et abritant autour de 10 à 15 artilleurs95. La capitale, Barcelone, bien 67que plus légèrement armée avec seulement 36 pièces d’artillerie, avait 25 artilleurs à son service96. Enfin, les places fortes de Salses et Collioure avec respectivement cinq et six artilleurs, constituaient des défenses alternatives d’une force plus limitée97. Cette zone de frontière méditerranéenne avec la France rassemblait donc une garnison d’environ 80 à 90 artilleurs, concentrant, avec le Pays Basque et la Navarre, l’essentiel des défenses pyrénéennes. Entre ces deux territoires côtiers, l’Aragon était bien pauvrement doté : sa capitale, Saragosse, n’avait que 13 pièces d’artillerie98, tandis que la forteresse de Jaca, érigée après la révolte de 159199, possédait 12 pièces, pour neuf artilleurs100. Au total donc, ces principales places fortes de la frontière avec la France entretenaient au moins 170 à 200 artilleurs.
Les informations concernant la côte atlantique de l’Espagne sont plus lacunaires. La Monarchie possédait de 30 à 40 pièces d’artillerie dans chacun des ports de Bilbao et Santander mais ces chiffres ne représentent qu’une partie de l’artillerie de la côte101. Lors de la préparation des flottes, des pièces d’artillerie étaient ainsi amenées des villes de Laredo, Castro Urdiales, Portugalete102 preuve que, sur cette côte nord, de nombreuses pièces échappent à cette analyse d’inventaires. En Galice, l’artillerie se concentrait en trois sites principaux. Le port de la Corogne était protégé par 25 pièces d’artillerie réparties en deux forts (San Anton et Santa Cruz) tandis que l’enceinte de la ville possédait 43 pièces103. Abritant régulièrement les flottes de guerre de la Monarchie, le port du Ferrol était quant à lui défendu par trois forts (San Felipe, San Martin, La Palma) regroupant 36 pièces d’artillerie. Enfin, la ville de Bayona avec ses 38 pièces, constituait la troisième 68grande place forte du système de défense galicien. Un document de 1595 évoque un total de 23 artilleurs servant en garnison dans ces places fortes, effectifs relativement cohérents avec leur armement104. Les informations obtenues révèlent donc environ 40 artilleurs sur cette côte nord, chiffre qu’il faudrait sans doute revoir à la hausse (au moins 10 à 20 artilleurs supplémentaires) pour inclure les ports pour lesquels aucune information n’est disponible.
Il est également difficile d’obtenir une vue d’ensemble des territoires côtiers du sud de l’Espagne, de Valence à Gibraltar. La région de Valence est particulièrement peu visible dans cette analyse qui n’intègre que le seul fort de Peñiscola avec 15 pièces d’artillerie et 5 artilleurs105. Accueillant régulièrement les galères d’Espagne, les ports de Malaga et Carthagène constituaient les deux principales places fortes de la côte sud-méditerranéenne. À la fin du xvie siècle, Malaga était défendue par 38 pièces et possédait une milice de 50 artilleurs106 tandis que Carthagène, protégée par seulement 20 pièces d’artillerie, avait à son service 7 artilleurs et 12 aides-artilleurs, chiffres qui passèrent sans doute à 20 artilleurs et 32 aides à partir de 1589107. Le reste de la côte était constitué de petites places faiblement dotées en artillerie. Ainsi, l’ensemble des forts de la région de Grenade, incluant l’Alhambra, Almería ou encore Almuñecar108 regroupait un total de seulement 70 pièces d’artillerie109. En tenant compte des informations manquantes sur la région de Valence, il paraît raisonnable d’estimer que le nombre d’artilleurs de cette côte, depuis le sud de la Catalogne jusqu’au détroit de Gibraltar, comptabilisait entre 100 et 200 artilleurs, sans inclure les individus payés et commandés par des autorités municipales, comme c’était le cas à Marbella par exemple110.
Le système de défense de l’Andalousie atlantique associait quant à lui la Monarchie et les grands magnats locaux. La Couronne de 69Castille entretenait deux garnisons côtières, l’une à Gibraltar rassemblant 28 pièces d’artillerie et 6 à 8 artilleurs111, l’autre à Cadix avec 35 pièces pour 7 artilleurs, qui passèrent à 15 artilleurs et 12 aides-artilleurs au milieu de l’année 1594, quelques temps après la modernisation de ses fortifications112. De nombreuses autres places fortes étaient aux mains des grands seigneurs andalous. Ainsi, le duc de Medina Sidonia possédait dans le château du même nom un armement relativement lourd d’au moins cinq couleuvrines, deux canons et un sacre113, tandis qu’à Sanlúcar de Barrameda, ville de départ des convois de la carrera de Indias, à l’embouchure du Guadalquivir, son château était armé de 25 pièces114. Il en allait de même du château du port d’Ayamonte, appartenant au marquis du même nom, qui était pourvu d’artillerie pour défendre la ville des raids de corsaires115. Par ailleurs, la principale ville de la région, Séville, ne semble pas avoir possédé de garnison d’artilleurs à proprement parler, mais son école lui permettait de toujours disposer d’artilleurs de réserve. Ainsi, lorsqu’une flotte anglaise attaqua Cadix en 1596, le lieutenant d’artillerie de Séville, Francisco de Molina, put réunir une centaine d’artilleurs pour monter une contre-attaque116. En d’autres termes, bien que la région ne possédât pas d’importantes garnisons d’artilleurs au service de la Monarchie (entre 30 et 50 individus maximum) la proximité des flottes et d’une école d’artilleurs à Séville lui garantissait la possibilité d’obtenir des renforts soudains d’au moins 100 artilleurs.
Le centre de la péninsule ibérique possédait peu de garnisons d’artilleurs au service de la Monarchie. En ce qui concerne l’artillerie, la principale place forte était Burgos, qui jouissait à cette époque d’un 70statut particulier puisqu’elle représentait le cœur de l’administration de l’artillerie en Espagne117. C’était cette ville qui disposait de la plus grande garnison d’artilleurs de toute la péninsule : un groupe de 60 artilleurs « ordinaires » y servaient, prêts à être envoyés là où la Monarchie avait besoin d’eux118. Le reste du centre de la péninsule possédait de nombreuses petites places fortes, telles que les châteaux de Coca (huit pièces) de Alaejos (huit pièces) ou encore de Logroño (trois pièces)119. Quelques places étaient mieux défendues, telle la ville de Las Navas au nord de l’Andalousie, qui possédait 33 pièces très légères et 10 pièces moyennes et lourdes120. Une bonne partie de ces petites garnisons échappe sans doute à mon analyse. Néanmoins, les forteresses les plus importantes, les plus stratégiques du point de vue de l’administration militaire espagnole ne se situaient clairement pas dans le centre du pays, mais le long des côtes, près de la frontière avec le royaume de France, ainsi que sur les îles.
Les îles méditerranéennes dépendantes de la Couronne d’Aragon revêtaient une certaine importance dans le système défensif de la Monarchie. En Sardaigne, l’artillerie royale se concentrait principalement en deux lieux, Cagliari, au sud, qui possédait 31 pièces (plus de 1000 q.) pour 8 artilleurs et 9 aides-artilleurs, et Alghero au nord, armée de 34 pièces (760 q.) pour 5 artilleurs et 11 aides-artilleurs121. L’île de Majorque avait, quant à elle, 17 artilleurs ainsi que 20 aides-artilleurs pour 107 pièces d’artillerie122. À Minorque, le fort San Felipe de Mahon possédait 15 pièces123. Il y avait également une garnison d’artilleurs sur l’île d’Ibiza, dont le nombre reste malheureusement inconnu124. Au total, il devait y avoir au moins autour d’une cinquantaine d’artilleurs dans ces îles, et autant d’aides-artilleurs.
L’annexion du Portugal en 1580 augmenta encore un peu plus le nombre de forteresses sous administration de la Monarchie hispanique. 71Lisbonne et son port disposaient de tout un réseau de fortifications, depuis le château São Jorge sur une colline au cœur de la ville (18 pièces, 21 artilleurs), jusqu’au fort São Julião (44 pièces, 12 artilleurs), en passant par les tours de Caparica (3 à 7 pièces) et de Belem (25 pièces, 4 artilleurs), défenses côtières qui se prolongeait jusqu’au château de Cascais (11 pièces, 4 artilleurs)125. La seconde place forte du territoire portugais était la ville de Porto qui, avec ses 110 pièces (environ 1 400 q.)126, devait avoir, selon mes estimations, entre 15 et 25 artilleurs en garnison. Puis venait le port de Setúbal, protégé par les forts San Felipe (41 pièces, 1 160 q., estimation d’entre 6 et 15 artilleurs) et Oton (37 pièces, 600 q., 4 artilleurs)127. Enfin, le dernier point important de défense se situait à Sagres et au cap San Vicente (8 artilleurs)128 zone de passage des flottes américaines et lieu favori d’embuscade des pirates129. En d’autres termes, l’annexion du Portugal en 1580 représenta un ajout d’environ 75 à 100 artilleurs dans l’administration militaire de la Monarchie hispanique.
Cette description géographique doit également inclure les places fortes du nord de l’Afrique, trop souvent négligées par l’historiographie130. Les présides nord-africains avaient indéniablement des besoins importants en artilleurs, même si les données manquent à leur sujet. En 1573, un an avant d’être capturée par les Ottomans, la forteresse de La Goulette (près de Tunis) avait une garnison de 36 artilleurs131. La place d’Assilah, obtenue suite à l’annexion du Portugal, possédait 44 pièces132. Le fort du Peñon de Vélez de la Gomera comptait 18 pièces d’artillerie, la plupart relativement lourdes133. Les données manquent sur ces nombreuses forteresses espagnoles et portugaises, telles qu’Oran, Mers El-Kébir, Melilla, Ceuta, Tanger, ou encore Mazagan. Il est par conséquent très délicat de fournir une estimation, même s’il paraît 72possible d’affirmer qu’au moins entre 50 et 100 artilleurs servaient dans ces présides du nord de l’Afrique, la perte de La Goulette, Bizerte et Tunis en 1574 se trouvant compensée par l’acquisition des places portugaises après 1580.
Dresser une cartographie des artilleurs en garnison dans les différentes forteresses des Pays-Bas présente de grandes difficultés en raison de l’instabilité de cette région. En effet, suite à la guerre de Quatre-Vingts-Ans qui s’engagea contre certaines provinces rebelles à partir de 1567 puis contre la France de Henri IV en 1595, de nombreuses forteresses furent amenées à changer de mains. Il est néanmoins possible de se faire une idée approximative des effectifs à partir de grands inventaires d’artillerie réalisés dans les premières années du xviie siècle134. Or, ce qui ressort de ces inventaires, c’est la multitude de garnisons moyennes gardant les côtes (Gravelines, Ostende, Dunkerque), la frontière avec la France (Hesdin, Quesnoy, Avesnes, Landrécies, Bapaume, Luxembourg, Thionville) et avec les Provinces-Unies (Hulst, Bois-le-duc, Gand et le Sas de Gand). Toutes ces places fortes avaient un armement relativement lourd allant d’une vingtaine à une cinquantaine de pièces d’artillerie, ce qui laisse supposer la présence de garnisons d’artilleurs comprises entre six et quinze individus. Ce réseau défensif était dominé par la citadelle d’Anvers et le réseau de forts bâtis près de cette ville le long de l’Escaut, dont l’artillerie dépassait allègrement la centaine de pièces135. En outre, la ville de Malines, centre administratif de l’artillerie des Pays-Bas, possédait une garnison d’une vingtaine d’artilleurs de réserve auxquels il était possible de recourir lors des campagnes de siège136. En tenant compte des nombreuses petites garnisons, on en arrive à la conclusion que les places fortes des régions demeurées fidèles aux Habsbourgs au début du xviie siècle requéraient entre 150 et 270 artilleurs. À ces effectifs, il faudrait également ajouter ceux concernant les défenses de la Franche-Comté, qui se concentraient autour de deux places fortes 73principales, Dole et Gray, secondées par un réseau de petites garnisons sur lesquelles les données quantitatives manquent137.
Cette description des besoins en artilleurs des différents territoires de la Monarchie ne serait pas complète sans y intégrer les possessions américaines. La localisation des principales places fortes était déterminée par les routes des convois de la carrera de Indias138. D’abord, les îles Canaries, étape indispensable pour se rendre au Nouveau Monde, possédaient une multitude de petites forteresses défendues par quelques pièces d’artillerie. On pourra citer comme exemple la forteresse de Santa Catalina sur l’île de la Palma (10 pièces), celle de Santa Cruz à Tenerife (12 pièces), les forts de Santa Ana (4 pièces) et San Pedro Martyr (4 pièces) sur l’île de Grande Canarie139. Un document de 1588 évoque 6 artilleurs sur l’île de Grande Canarie, 5 sur Tenerife et 8 répartis entre Lanzarote et Fuerteventura, soit en tout une vingtaine d’artilleurs pour ces îles140. Sur le chemin du retour, les flottes atlantiques stoppaient dans un autre archipel, les Açores, lui aussi défendu par une multitude de petites places fortes. Un inventaire d’artillerie réalisé par les Espagnols juste après la capture de l’île de Terceira en juillet 1583 le met parfaitement en évidence puisqu’y sont recensées 191 pièces d’artillerie réparties sur 34 sites fortifiés différents141. Après la conquête, seulement 13 artilleurs y furent laissés en garnison142. L’île de Faial comptabilisait quant à elle 57 pièces143. Enfin, l’île de São Miguel concentrait sa puissance de feu à Ponta Delgada, où la ville possédait 39 pièces d’artillerie, tandis que la forteresse, construite juste après la conquête de l’île en 1582, recensait 46 pièces servies par une garnison de 8 artilleurs144. On peut par conséquent estimer les effectifs d’artilleurs en garnison dans les Açores aux environs de 25 à 40 individus, auxquels il faudrait rajouter quelques artilleurs 74en garnison sur l’île de Madère, pour laquelle je ne dispose pas de données quantitatives.
Les principales forteresses du Nouveau Monde étaient aussi les principaux ports de destination des navires de la carrera de Indias : la Havane, Veracruz, Carthagène des Indes, Portobelo et San Juan de Porto Rico. Or, le système défensif de ces lieux fut précisément mis en place dans la période étudiée, face à l’arrivée des corsaires français, anglais et hollandais. Dans les années 1570 et 1580, la plupart de ces ports fortifiés étaient très faiblement dotés en artillerie. Après de nombreux travaux de fortifications145, leur parc d’artillerie augmenta significativement entre la fin du xvie siècle et le début du xviie siècle. Ainsi, le port de la Havane, étape clé du retour des flottes transatlantiques, avait seulement une petite dizaine de pièces en 1582, servies par 3 artilleurs146. Quelques années plus tard, son armement avait été renforcé, passant à une vingtaine de pièces que les observateurs de l’époque jugeaient cependant encore de trop petits calibres147. Dans les premières années du xviie siècle, d’importants travaux de fortification conjugués à la mise en place d’une fonderie de canons transformèrent ce port en l’un des principaux verrous des Caraïbes : des documents de la fin de l’année 1603 recensaient un total de 80 pièces d’artillerie servies par 32 artilleurs148. Autre place importante, la forteresse de San Juan de Porto Rico ne possédait, en 1582, que 12 pièces d’artillerie149. Or, lorsque l’expédition du comte de Northumberland mit la ville à sac en 1598, les Anglais y firent un butin de plus de 60 pièces d’artillerie en bronze150. Selon l’un des généraux de la carrera de Indias, le port de Carthagène des Indes, destination habituelle de la flotte de Tierra Firme, était, en 1587, paré à toute éventualité avec ses 7523 pièces d’artillerie151. Toutefois, la construction d’un nouveau fort une quinzaine d’années plus tard conduisit le gouverneur, Geronimo de Zuazo, à demander 16 pièces lourdes à Madrid152. Le petit port de Nombre de Dios était originellement le lieu d’embarquement de l’argent américain à destination de l’Espagne, mais dans les dernières années du xvie siècle, il céda ce rôle à Portobelo où un important complexe défensif fut construit153. En 1597, le gouverneur demanda à la Monarchie une soixantaine de pièces pour ces nouvelles fortifications, pour un total d’environ 2 000 q., ainsi que 12 artilleurs à ajouter à la petite quinzaine que le port avait déjà à son service154. À cette époque, ces chiffres faisaient de Portobello l’un des ports les plus lourdement armés du Nouveau Monde.
Toutefois, même après ces multiples travaux de fortification, force est de constater que les territoires américains se caractérisaient par une faible densité de pièces d’artillerie en comparaison des territoires européens de la Monarchie hispanique. Ainsi, Veracruz, le principal port de Nouvelle-Espagne, était défendu par la forteresse de San Juan de Ulua qui possédait, en 1587, un total de 22 pièces d’artillerie que le vice-roi jugeait très faibles et de trop petits calibres. Aussi recommandait-il au roi d’y faire installer 32 pièces de moyen et gros calibres155. Dans les années qui suivirent, la puissance de feu de cette forteresse dut s’accroître puisqu’en 1599, le comte de Monterey, alors vice-roi, décida d’y augmenter le nombre d’artilleurs en garnison156. Néanmoins, un inventaire de l’artillerie présente en 1616 récensait seulement 28 pièces, pour un poids total légèrement supérieur à 600 q., ce qui était l’équivalent, en Europe, d’une place forte de second rang. Pour être véritablement exhaustif, il faudrait prendre en compte une multitude de petites places fortes pour lesquelles les informations manquent, à l’image du port de Santiago de Cuba dans lequel servait au moins un artilleur, tué lors d’une attaque de corsaires français en 761586157. Malgré ces imprécisions, les données concernant les principales places fortes des Caraïbes invitent à considérer que le nombre total d’artilleurs en garnison n’y dépassait pas la centaine d’individus au début du xviie siècle.
Par ailleurs, les défenses côtières le long de l’océan Pacifique étaient quasiment inexistantes à cette époque. La principale protection dont bénéficiait cette région était son relatif isolement géographique et sa difficulté d’accès depuis l’Europe158. Cependant, des flux de marchandises de grande valeur s’y développèrent dans la seconde moitié du xvie siècle. Les colossales quantités d’argent extraites des mines de Potosi étaient acheminées jusqu’au port d’Arica, puis elles voyageaient par voie maritime au Callao, le port de Lima, avant de rejoindre Panama puis de traverser l’isthme pour être transportées vers l’Andalousie via l’Altantique. En outre, à partir des années 1570, la conquête espagnole des Philippines s’accompagna de l’émergence d’un commerce transpacifique entre Manille et Acapulco, échangeant l’argent péruvien contre des produits asiatiques luxueux tels que la soie et la procelaine159. Ces précieuses marchandises attirèrent ponctuellement la convoitise de corsaires anglais et hollandais comme Francis Drake en 1579, Thomas Cavendish en 1587, Richard Hawkins en 1594 ou encore Olivier van Noort en 1600, mais ces déprédations peu fréquentes tardèrent à convaincre le gouvernement madrilène d’investir dans un système de fortifications pour protéger les ports de la côte pacifique160. À Acapulco, par exemple, la forteresse fut seulement construite en 1616, suite à l’attaque du Hollandais Joris van Spilbergen161. Sur la période considérée, les Philippines constituèrent la seule garnison notable du système de défense que la Monarchie hispanique maintint dans l’océan Pacifique. Ainsi, un document de l’année 1608 évoque un total de vingt artilleurs en service aux Philippines162. Il est tout 77à fait probable que ce nombre fut appelé à augmenter peu de temps après puisqu’en 1616, face à la menace croissante des Hollandais dans la région, le gouverneur des Philippines demandait au roi de toute urgence l’envoi de cent artilleurs supplémentaires163.
Pour obtenir un tableau complet des artilleurs en garnisons dans les territoires de la Monarchie hispanique, il faudrait également inclure les places fortes de l’Estado da India, c’est-à-dire des Indes portugaises, annexées par Philippe II en 1580. Peu visibles à partir des documents de l’administration militaire espagnole car échappant en grande partie au contrôle du conseil de guerre madrilène164, les artilleurs de l’Estado da India ne feront pas ici l’objet d’une étude approfondie165. À titre indicatif, on peut néanmoins fournir un ordre de grandeur du nombre d’artilleurs qui y étaient en garnison à partir d’un inventaire général réalisé en 1571, c’est-à-dire avant l’annexion espagnole166. Du point de vue des effectifs, les principales places fortes étaient Ormuz (16 artilleurs), Diu (16 artilleurs), Daman (13 artilleurs), Baçaim (13 artilleurs) et Malacca (11 artilleurs). En tout, l’inventaire recense plus de 130 artilleurs répartis dans 15 forteresses en Asie, mais il est incomplet puisque la capitale vice-royale, Goa, n’y comptabilise aucun artilleur malgré son puissant système défensif composé de cinq forts. En outre, au moins deux garnisons asiatiques sont absentes de ce document : d’une part Macao, le comptoir des Portugais en Chine, d’autre part, Mascate, une puissante forteresse à bastions située dans le golfe d’Oman167. Enfin, ce document de 1571 n’inclut aucune donnée sur les garnisons portugaises en Afrique et au Brésil. Or, les Portugais disposaient également de tout un réseau de forteresses sur les côtes africaines, depuis le Cap Vert, le golfe de Guinée (Elmina, São Tomé), Luanda, l’île fortifiée de Mozambique 78ou encore Mombasa168. Au Brésil, certains ports comme Salvador de Bahia, Recife et Rio de Janeiro furent fortifiés dans le courant du xvie siècle afin de faire face aux attaques de corsaires français et anglais169. Il faut donc considérer que ces territoires coloniaux portugais répartis sur trois continents mobilisaient, en tout, au moins 200 à 250 artilleurs.
Ce passage en revue des garnisons des différents territoires de la Monarchie hispanique permet de dresser une cartographie générale des ordres de grandeur et de l’évolution des effectifs des artilleurs. On y voit notamment le poids respectif des différents territoires du roi catholique. Le poids de la péninsule ibérique et de son réseau d’îles et de places fortes en Méditerranée y est énorme, près de la moitié des effectifs selon mes estimations. Cependant, le nombre d’artilleurs en garnison y fut relativement constant, la principale hausse étant due à l’annexion du Portugal. Les États de la péninsule italienne figurent en seconde position avec, chacun, une à deux centaines d’artilleurs en garnison. Or, l’augmentation des effectifs dans le dernier quart du xvie siècle ne provient pas d’une augmentation significative des besoins en artilleurs mais résulte plutôt de l’ouverture d’écoles qui produisirent un excédent d’artilleurs employés dans d’autres territoires de la Monarchie170. D’après mon analyse, la seule augmentation des effectifs d’artilleurs véritablement structurelle eut lieu dans les territoires d’outre-mer qui virent doubler ou tripler les garnisons des principaux ports fortifiés. Enfin, il faut se concentrer sur les ordres de grandeur généraux : environ 1 000 artilleurs servant la Monarchie hispanique dans ses différentes garnisons vers 1575, chiffre qui passa vraisemblablement à 1 600 voire à 2 000 individus à la fin du siècle, avec une hausse s’expliquant en grande partie par l’annexion des forteresses portugaises dans les années 1580. Ces chiffres sont élevés, mais la dynamique fut relativement lente en comparaison de celle des armadas.
79
Territoires |
Nb artilleurs vers 1575 |
Nb artilleurs vers 1600 |
Péninsule italienne |
220-330 |
510-650 |
Naples (+ présides de Toscane) |
134 |
140-150 |
Sicile |
60-160 |
250-350* |
Milan |
20-50 |
120-150* |
Péninsule ibérique (et dépendances) |
560-810 |
635-910 |
Frontière pyrénéenne |
170-200 |
170-200 |
Côte nord |
50-60 |
50-60 |
Côte méditerranéenne |
100-200 |
100-200 |
Andalousie |
30-50 |
30-50 |
Centre |
80-100 |
80-100 |
Îles méditerranéennes |
80-100** |
80-100** |
Portugal |
Non annexé |
75-100 |
Présides d’Afrique |
50-100 |
50-100 |
Pays-Bas |
Inconnu |
150-270 |
Outre-mer |
50-70 |
325-430 |
Canaries |
20 |
20 |
Açores |
Non annexées |
25-40 |
Indes espagnoles |
30-50 |
80-120 |
Indes portugaises |
Non annexées |
200-250 |
TOTAL |
830-1210 (+ Pays-Bas) |
1620-2260 |
*Chiffres incluant les artilleurs des « écoles » d’artilleurs (voir chapitre 5).
**Chiffres incluant les aides-artilleurs payés par la Monarchie.
Fig. 9 – Estimation des effectifs d’artilleurs en garnison dans l’empire.
80Fig. 10 – Principales garnisons de la Monarchie hispanique en Europe. Carte réalisée par l’auteur en compilant
des données de la période 1570-1615. Toutes les garnisons mineures du point de vue de l’artillerie ont été écartées
de cette représentation. Les dates d’acquisition ou de perte ont été indiquées lorsque celles-ci sont intervenues
dans la période considérée. Les limites définies pour les Pays-Bas sont celles de 1609 (trêve de 12 ans).
Fig. 11 – Principales garnisons de la Monarchie hispanique dans le monde. Carte réalisée par l’auteur.
Les limites géographiques correspondent approximativement à l’année 1600. La carte fait également
figurer les principales routes maritimes de l’empire espagnol évoquées dans cet ouvrage.
Fig. 12 – Principales garnisons encadrant les convois transatlantiques de la carrera de Indias. Carte réalisée par l’auteur.
83Les artilleurs au service du roi sur mer
Cette dernière partie de l’analyse déplace la focale vers le combat naval. Il s’agit ici de mettre en évidence le phénomène majeur constituant l’argument principal de ce chapitre : le saut quantitatif que représenta, à la fin du xvie siècle, le développement des flottes atlantiques171. En effet, les navires de guerres atlantiques tels que les galions, les nefs (naos), les filibotes, les frégates ou encore les pataches disposaient d’un armement et d’équipages d’artilleurs sans commune mesure avec ceux du navire de guerre le plus commun en Méditerranée, la galère. La méthodologie adoptée poursuit dans la continuité des développements précédents, en articulant les données singulières par type de navires et les estimations projetées à l’échelle des vastes flottes qui furent constituées dans les dernières décennies du xvie siècle. En outre, en parallèle du développement des flottes royales, l’étude révèlera l’existence d’un énorme marché privé de l’artillerie, constitué par les flottes commerciales, dont les besoins en artilleurs entrèrent en concurrence avec ceux de la Monarchie.
De la galère au galion,
l’impact du tournant atlantique
La première étape de cette analyse sur les artilleurs des armadas vise à identifier et caractériser l’armement et l’équipage des différents types de navires de guerre employés par la Monarchie hispanique dans la seconde moitié du xvie siècle, tels que les galères, les galions, les frégates, les galéasses ou encore les filibotes.
Au milieu du xvie siècle, le navire de guerre par excellence demeurait la galère, élément essentiel des batailles navales méditerranéennes172. Il s’agissait d’un navire de forme très allongée, peu profond, et dont l’avantage était de pouvoir être mu par la force de propulsion de 160 à 84300 rameurs répartis sur 24 à 30 bancs173. Cette capacité à se mouvoir sans dépendre du vent lui offrait un précieux avantage lorsqu’il s’agissait de rattraper d’autres navires, les aborder et déverser sur le pont adverse ses soldats, qui étaient généralement une quarantaine, mais dont les effectifs pouvaient grimper à plus de 200 lors des grandes batailles174. En revanche, sa puissance de feu était relativement limitée, comme les statistiques réalisées sur un échantillon de 65 galères le montrent. Une galère avait en moyenne huit pièces d’artillerie, concentrées à l’avant : un cañon de crujia, pièce de gros calibre équivalent à un canon de batterie, flanqué de deux à quatre sacres parfois remplacés par des pierriers ou par des pièces de calibres inférieurs telles que des fauconneaux, et enfin, en moyenne, quatre esmeriles, pièces extrêmement légères tirant moins d’une livre de balle. Ces chiffres moyens cachent néanmoins certaines disparités dues aux différences de taille des galères. À la tête des escadrons, les galères capitana, patrona et real étaient souvent mieux équipées et pouvaient ajouter à cet armement standard quelques pièces légères, de même que certaines galères renforcées pouvaient avoir jusqu’à une dizaine de pièces175. Cet armement relativement léger et concentré à l’avant du navire explique sans doute le faible nombre d’artilleurs présents à bord. Sur 35 galères pour lesquelles l’information apparaît, on trouve une moyenne de seulement 2,5 artilleurs par navire, les galères patronas, capitanas et real ayant entre quatre et sept artilleurs.
Il en allait tout autrement du navire de guerre atlantique par excellence, le galion. Les galions firent leur apparition dans la première moitié du xvie siècle mais ils connurent leur véritable essor après les années 1550176. Il s’agissait d’une version de combat de la nao, le grand voilier des longues routes commerciales telles que la carrera de Indias. Le galion était moins haut de bord, plus allongé, et plus agile que la nao. Conçues pour le combat, sa coque et sa structure étaient renforcées et pouvaient accueillir davantage de pièces d’artillerie. Néanmoins, dans les faits, 85la distinction entre naos et galeones n’était pas toujours claire, d’autant plus que les sources emploient parfois successivement ces deux termes pour désigner un même navire177. Assurément, certains vaisseaux furent construits en tant que « galions », à l’image des neuf navires fabriqués à Guarnizo entre 1581 et 1583 sous la direction de Cristóbal de Barros178. Il arrivait cependant bien souvent que les galions fussent en fait des naos marchandes saisies par l’administration militaire contre rémunération du propriétaire, puis fortifiées par quelques travaux de carénage et de renforcement des ponts pour soutenir une plus grande quantité d’artillerie179. Face à cette difficulté d’identification des galions, l’analyse qui suit a considéré comme « galion » tout navire désigné comme galeon ou dont la fonction principale annoncée était le combat, qu’ils fissent partie d’une armada ou qu’ils fussent navires amiraux d’escorte d’une flotte commerciale. De la sorte, l’échantillon analysé se compose d’un total de 192 galions ayant été au service de la Monarchie hispanique entre 1570 et 1609.
Ce qui ressort de cette analyse, c’est l’importante concentration d’artillerie et d’artilleurs de ces grands bâtiments de guerre flottants. Il faut d’abord prendre note de la taille de ces navires puisque, sur l’ensemble de l’échantillon, les galions avaient en moyenne un port d’un peu plus de 600 t. à comparer, aux 200 à 250 t. moyennes des naos de la carrera de Indias à cette époque180. Les plus petits de ces galions, parfois appelés galeoncetes, ne dépassaient pas les 350 t. voire très exceptionnellement 250 t. tandis que les chefs d’escadrons, appelés capitanas, atteignaient régulièrement les 1 000 à 1 200 t. D’une manière générale, les galions accueillaient un armement abondant, sans commune mesure avec celui d’une galère, plus proche, en réalité, de celui d’une place 86forte. En effet, on comptait en moyenne près de 23 pièces d’artillerie par galion, parmi lesquelles se trouvaient une grande majorité de demi-couleuvrines, demi-canons et sacres. Cet armement relativement lourd était en moyenne servi par 18,5 artilleurs, chiffre qu’il est en fait plus juste de ramener à la taille du navire ; un galion embarquait environ un artilleur pour 30 t. ce qui signifie qu’un petit galion de 300 t. était susceptible d’avoir à son bord une dizaine d’artilleurs tandis qu’une grande capitana de 900 t. pouvait en avoir une trentaine. Il faut noter que la proportion d’artilleurs par rapport au nombre de pièces était, sur ces navires, bien plus élevée que dans les forteresses, proche d’un artilleur par pièce, tandis que dans les places fortes, elle oscillait entre trois et huit pièces par artilleur.
Contrairement à la galère, qui constituait avant tout une plateforme d’abordage, la force du galion résidait de plus en plus dans sa puissance de feu. Ce fut en tout cas l’une des principales leçons tirées de l’affrontement contre les navires de guerre anglais, en particulier après la défaite de la Grande Armada à Gravelines en 1588. Dès la première moitié du xvie siècle, Henri VIII d’Angleterre s’était doté d’une puissante flotte de navires à voiles lourdement armés181. À partir des années 1570, les chantiers navals de la reine Elizabeth commencèrent à produire des navires plus allongés, dont les flancs étaient renforcés afin d’accueillir une plus grande quantité de pièces d’artillerie lourdes182. Durant les trois dernières décennies du xvie siècle, les galions espagnols furent principalement confrontés dans l’Atlantique – aussi bien en Europe que dans les Caraïbes – à ces navires anglais dont la tactique était d’attaquer l’adversaire avec leur puissante artillerie tout en le maintenant à distance grâce à leur agilité. Or, d’après Parker et Martin, à Gravelines en 1588, ce fut ce type de manœuvres qui permit à la flotte anglaise de prendre l’avantage sur les galions espagnols dont la tactique reposait encore principalement sur le modèle de l’abordage pratiqué par les flottes de galères183. Ce jugement est confirmé par le 87lieutenant d’artillerie Diego de Prado, témoin de premier plan puisqu’il fut chargé de l’inspection de l’artillerie de la Grande Armada à Lisbonne avant son départ :
Certains disent que lors de la bataille d’Angleterre, l’artillerie ennemie tira plus que la nôtre. Ce dont ils ne tiennent pas compte, c’est que dans notre armada, il y avait une grande quantité d’artillerie de fonte de une à trois ou quatre livres et, avec celle-ci, il n’est pas possible de tirer autant qu’avec l’artillerie de 10 à 12 livres que possédait l’ennemi, principalement constituée de demi-couleuvrines et de demi-canons184.
Parfaitement consciente de cet avantage tactique des Anglais avant la bataille de Gravelines (1588)185, l’administration militaire espagnole tâcha de s’adapter à ses adversaires après le désastre de l’Invincible Armada. Ainsi, l’importance tactique croissante donnée à la puissance de feu des galions espagnols est clairement perceptible à travers l’évolution de leur armement. Avant Gravelines, les galions embarquaient en grande majorité des pièces de très petits calibres (inférieurs à 5 lb.), les pièces les plus lourdes étant généralement des sacres de moins de 10 lb. Cette artillerie était peu capable de sérieusement endommager les coques renforcées d’autres navires de guerre. Après l’échec de la Grande Armada, l’armement embarqué dans les navires de guerre s’alourdit très nettement. L’artillerie des galions de la dernière décennie du xvie siècle était ainsi composée à un tiers de demi-canons et demi-couleuvrines tirant entre 10 et 20 lb. de balle. Dans la première décennie du xviie siècle, plus de la moitié des pièces d’un galion tiraient un calibre supérieur à 10 lb. Cet accent mis sur la puissance de l’artillerie embarquée se traduisit également par une augmentation des effectifs d’artilleurs. D’une moyenne de 15,5 artilleurs par galion entre 1570 et 1588, on passa à 18,4 artilleurs entre 1589 et 1599, puis à près de 20 artilleurs par vaisseau entre 1600 et 1610.
88
Caractéristiques |
1570-1588 |
1589-1599 |
1600-1610 |
Volume moyen |
585 t. |
660 t. |
603 t. |
Nb d’artilleurs par navire |
15,5 |
18,4 |
19,9 |
Nb de pièces d’artillerie par navire |
23 |
23 |
20,5 |
Pièces lourdes (> 20 lb.) cañon, culebrina |
0 % |
3,2 % |
8,7 % |
Pièces moyennes (10-19 lb.) medio cañon, media culebrina |
7,4 % |
33,6 % |
44,1 % |
Pierriers (cal. moyen 14 lb.) pedreros |
0 % |
15,2 % |
5,2 % |
Pièces légères (6-9 lb.) sacres |
37,2 % |
20 % |
33,3 % |
Pièces très légères (1,5-5 lb.) falconetes, medios sacres |
52,9 % |
18,2 % |
7 % |
Pièces semi-portatives (<1,5 lb.) esmeriles |
2,5 % |
1,4 % |
0 % |
Pièces en fonte (cal. moyen 3 lb.) |
0 % |
8,4 % |
1,7 % |
Fig. 13 – Évolution de l’armement des galions de la Monarchie hispanique. Résultats du traitement statistique de données concernant 192 galions
de la période 1570-1610.
Les flottes de guerre de la Monarchie hispanique ne se composaient pas uniquement de galions, mais également de naos et urcas. On l’a dit, la distinction entre galion et nao n’était pas très claire. Lorsque le terme de nao était employé pour désigner un navire au sein d’une armada, il renvoyait non pas à une différence de taille mais à une différence d’armement. En effet, après analyse d’un échantillon de 49 naos d’armada, leur volume moyen de près de 600 t. apparaît très voisin de celui des galions. Par contre, ces naos n’embarquaient en moyenne qu’un peu moins de 15 pièces dont l’écrasante majorité étaient de très petits calibres et de moindre qualité, en fonte et non pas en bronze. La forte proportion de ce type d’artillerie, caractéristique des flottes marchandes (comme on le verra dans la dernière partie de ce chapitre), laisse penser que le mot nao était utilisé au sein des armadas afin de désigner des navires marchands saisis par l’administration royale, mais peu renforcés et ayant conservé en partie leur artillerie de navire de commerce. En d’autres termes, il s’agissait de navires de seconde ligne 89et, à ce titre, leur dotation en artilleurs était plus faible, une douzaine, en moyenne, par nao d’armada. De même, les urcas (hourques), des navires marchands venus d’Europe du nord, renvoyaient, dans les armadas, à des bâtiments relativement grands mais moins bien préparés au combat que les galions. Le manque de données sur ces navires ne permet pas de fournir des statistiques fiables quant au nombre d’artilleurs même s’il est possible d’affirmer que l’armement de ces hourques était bien plus léger que celui des galions.
Les dernières décennies du xvie siècle virent apparaître d’autres types de navires de guerre bien équipés en artillerie. À la bataille navale de Lépante en 1571, les Vénitiens alignèrent six galéasses dont la puissance de feu fit des ravages parmi la flotte ottomane186. Témoin de ce haut fait, don Juan d’Autriche incita dès son retour en Italie le roi Philippe II à construire ce type de navires187. Dès lors, les flottes de guerre espagnoles intégrèrent régulièrement des galeazas dans leur rang. Il s’agissait de grands bâtiments d’environ 500 t. équipés de bancs de rameurs comme les galères, mais dotés d’au moins un pont sur lequel pouvait être positionnée l’artillerie188. Les sources révèlent que ces navires étaient les plus lourdement armés de l’époque. Chaque galéasse possédait en moyenne une cinquantaine de pièces dont une douzaine de calibres supérieurs à 10 lb., c’est-à-dire un armement supérieur à la plupart des places fortes. Pour les servir, ces forteresses flottantes embarquaient entre une vingtaine et une cinquantaine d’artilleurs, les chiffres variant selon la nature de l’opération189.
À côté des grands navires de guerre qu’étaient les galions et autres galéasses, le combat naval contre les puissances maritimes du nord de l’Europe incita la Monarchie hispanique à intégrer des vaisseaux de guerre plus petits, plus rapides, plus maniables tout en étant relativement bien pourvus en artillerie. En effet, nombreuses furent les plaintes de capitaines espagnols à propos de l’incapacité des lourds 90galions et galéasses à rattraper les agiles et rapides navires hollandais et anglais190. C’est sans doute la raison pour laquelle l’usage de navires de guerre de petite taille se multiplia dans les dernières décennies du xvie siècle.
Depuis la première moitié du xvie siècle, les zabras, caravelas et pataches constituaient les navires de soutien habituels des flottes de guerre ibériques191. Dans les années 1570-1600, les caravelas devinrent extrêmement rares. Un peu plus fréquentes, les zabras embarquaient entre un et trois artilleurs, parfois aucun192. Les pataches, quant à elles, étaient de petits navires de soutien relativement courant dans les flottes de guerre, d’un port de 50 à 100 t. armés d’une artillerie très légère (systématiquement inférieure à 10 lb. de calibre) en quantité variant de 4 à 12 pièces (6 pièces en moyenne). Elles embarquaient entre 3 et 4 artilleurs, parfois plus pour certaines pataches de plus grande taille. Comparés aux galions, ces chiffres paraissent relativement faibles, mais, ramenés à la taille du navire, ils sont tout à fait comparables puisqu’on y trouvait environ un artilleur pour 30 t. Rappelons également que les galères, qui étaient pourtant des bâtiments de guerre bien plus grands que les zabras et pataches, embarquaient en moyenne moins d’artilleurs que ces petits navires de soutien des flottes atlantiques.
Dans les dernières décennies du xvie siècle, de nouveaux navires de faible tonnage spécialisés dans le combat naval firent leur apparition. L’un des plus répandus s’appelait filibote, navire apparu aux Pays-Bas vers 1570 (vlieboot en hollandais)193. Ceux employés au service de la Monarchie étaient environ deux fois plus grands que les pataches avec une moyenne autour de 140 t. sur un échantillon de 39 bâtiments. Ils étaient également relativement bien équipés en artillerie compte tenu de leur taille puisqu’ils possédaient entre 6 et 20 pièces (un peu plus de 13 pièces en moyenne). Cette artillerie était presque entièrement en fonte, attestant de l’origine nord-européenne de ces navires. Enfin, la 91densité d’artilleurs à leur bord, bien que relativement variable, était supérieure à celle des galions, avec environ un artilleur pour 25 t. soit en moyenne environ 6 artilleurs par filibote. D’un port similaire, les naves et navios, termes utilisés pour désigner des petites naos194, représentaient la version ibérique du filibote. Ils étaient toutefois un peu plus lourdement armés puisqu’on trouvait parfois à leur bord des demi-canons, des pierriers et des sacres. Ils embarquaient environ 6 à 7 artilleurs, effectifs tout à fait comparables à ceux des filibotes. Enfin, dans les dernières années du xvie siècle apparurent les fragatas (frégates), véritables petites plateformes de tir mouvantes. Ces navires transportaient en effet une dizaine de pièces d’artillerie de type sacres et demi-couleuvrines, des calibres relativement lourds compte tenu de la modeste taille de ces bateaux, d’environ 80 t. L’importance attribuée à l’artillerie dans les fragatas se reflète parfaitement dans la composition de l’équipage puisqu’elles possédaient entre 6 et 12 artilleurs, soit environ un artilleur pour 5 à 10 t., c’est-à-dire trois fois la densité d’artilleurs que l’on trouvait sur un galion.
Pour conclure, comme le tableau comparatif de la figure 14 le montre, même les plus petits navires des flottes de guerre atlantiques de la fin du xvie siècle nécessitaient plus d’artilleurs que les galères. Or, les dernières décennies du xvie siècle furent marquées, pour la Monarchie hispanique, par un déplacement du principal théâtre des opérations militaires de la Méditerranée vers l’Atlantique195. Après la bataille de Lépante (1571) et la prise de Tunis et la Goulette (1574), l’affrontement entre les empires ottoman et espagnol perdit grandement en intensité. L’attention de Philippe II se tourna vers l’océan : l’acquisition de l’empire portugais (entre 1580 et 1583), la défense des possessions américaines contre les attaques des corsaires français, anglais et hollandais, la répression de la révolte des Pays-Bas et l’affrontement contre l’Angleterre conduisirent la Monarchie hispanique à développer ses armadas de galions plus que ses flottes méditerranéennes de galères. Il paraît donc important d’évaluer ce tournant atlantique afin de saisir l’ordre de grandeur de cette transformation en ce qui concerne l’artillerie et les artilleurs.
92
Type de navire (armada) |
Nb de navires |
Tonnage moyen |
Nb d’artilleurs |
Nb de toneladas |
Nb de pièces |
Pièces lourdes |
Pièces moyennes |
Pedreros (calibre moyen 14 lb.) |
Pièces légères |
Pièces très légères (1,5 – 5 lb.) |
Pièces semi-portatives (<1,5 lb.) |
Pièces en fonte (calibre moyen 3 lb.) |
Galera |
65 |
- |
2,5 |
- |
8 |
11 % |
1 % |
6 % |
24 % |
15 % |
43 % |
0 % |
Galeón |
192 |
630 t. |
18,5 |
32 t. |
23 |
4 % |
34 % |
11 % |
26 % |
18 % |
1 % |
6 % |
Galeaza |
11 |
500 t. |
28 |
18 t. |
50 |
10 % |
12 % |
16 % |
15 % |
7 % |
40 % |
0 % |
Nao |
49 |
580 t. |
12 |
50 t. |
15 |
0 % |
11 % |
4 % |
8 % |
4 % |
24 % |
49 % |
Urca |
9 |
- |
12 |
- |
17 |
0 % |
8 % |
3 % |
16 % |
3 % |
34 % |
36 % |
Navio |
53 |
160 t. |
6,5 |
20 t. |
12 |
0 % |
16 % |
16 % |
9 % |
3 % |
9 % |
47 % |
Filibote |
39 |
140 t. |
6 |
25 t. |
13 |
0 % |
0 % |
0 % |
0 % |
0 % |
1 % |
99 % |
Fragata |
12 |
80 t. |
9 |
7 t. |
12 |
0 % |
17 % |
0 % |
83 % |
0 % |
0 % |
0 % |
Patache |
32 |
75 t. |
3,5 |
30 t. |
6 |
0 % |
0 % |
2 % |
17 % |
14 % |
22 % |
45 % |
Zabra |
28 |
- |
1,5 |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
Fig. 14 – Comparaison de l’artillerie des différents types de navires de guerre.
Résultats du traitement statistique de données concernant 451 navires de la période 1560-1610.
Le saut quantitatif des flottes de guerre atlantiques
Au milieu du xvie siècle, les principales forces navales de la Monarchie hispanique étaient ses escadrons de galères méditerranéennes engagés dans la lutte contre la course barbaresque et la puissance navale ottomane. Constitués d’environ 90 galères dans les années 1550, les effectifs de cette flotte tombèrent à 64 galères après les désastres de Djerba (1560) et de la Herradura (1561), avant de progressivement remonter dans les années suivantes196. En 1571, à Lépante, la plus grande bataille navale que connut la Méditerranée au xvie siècle, parmi les 209 galères de la Ligue entre le Pape, le roi d’Espagne et les Vénitiens, 80 galères appartenaient à la Monarchie hispanique et à ses alliés contractuels, les Génois197. En 1583, la flotte de galères de Philippe II totalisait 98 galères réparties en quatre grands escadrons198. Celui d’Espagne, constitué de 34 galères, avait pour base Puerto de Santa María, près de Cadix, et patrouillait le long des côtes andalouses, éloignant les corsaires barbaresques et défendant parfois les convois américains lors de leur retour à Cadix ou à Sanlúcar de Barrameda. Un petit détachement de huit galères administrativement rattaché à cet escadron était responsable de la défense du port de Lisbonne et de son littoral199. À cette même date (1583), les côtes de la péninsule italienne étaient quant à elles gardées par trois escadrons, celui de Naples (32 galères), celui de Sicile (16 galères) et celui de Gênes (16 galères). Il est certain que, prises individuellement, les galères ne nécessitaient pas beaucoup d’artilleurs, mais les effectifs de ces flottes étaient relativement élevés : en faisant des projections à partir des chiffres établis dans la partie précédente, on peut ainsi estimer le nombre d’artilleurs au service de Philippe II à Lépante à environ 240, et celui des escadrons de 1583 à approximativement 260 individus.
De plus, comme l’a récemment souligné Phillip Williams, il ne faudrait pas anticiper trop tôt après Lépante le déclin de la galère200. Certes, le 94nombre de galères des flottes méditerranéennes diminua progressivement, à l’image de l’escadron de Naples qui passa d’une quarantaine de galères vers 1575 à 28 galères en 1585, puis 22 galères en 1601201. Cependant, la galère conquit d’autres théâtres d’opération, notamment dans l’Atlantique. Des galères furent envoyées régulièrement aux Caraïbes afin de traquer les corsaires et défendre les principaux ports fortifiés202. On en trouvait ainsi dès les années 1580 à Cuba, à Carthagène des Indes203, à l’isthme de Panama204, à Saint-Domingue205 et même jusqu’aux Philippines, où la présence d’un petit escadron se fit régulière206. Dans les années 1590, lorsque la Monarchie entretenait des garnisons en Bretagne, un escadron de galères « de Bretagne » vit le jour207. Il fut notamment utilisé pour mener des raids contre les ports du sud de l’Angleterre208. En Flandre, le gouverneur don Luis de Requesens réclamait, en 1574, douze grandes galères bien dotées en artillerie, dont l’agilité était jugée déterminante pour lutter contre les rebelles dans les nombreux canaux des Pays-Bas209. Il ne les obtint pas mais, dans l’année qui suivit, il fit construire 20 « grandes barques similaires à des galères » avec ce même objectif210. Une génération plus tard, l’escadron de 14 galères que le capitaine Federico Spinola amena 95de Méditerranée rencontra un franc succès en mer du Nord, entravant le commerce hollandais211. En d’autres termes, si l’on considère non pas les galères méditerranéennes mais l’ensemble des galères au service de la Monarchie hispanique, il est loin d’être sûr que leurs effectifs aient réellement diminué après Lépante. En conséquence, il faut supposer que le nombre d’artilleurs à leur bord resta constant sur la période étudiée, autour de 230 à 270 individus, même si la géographie des besoins en artilleurs de ces flottes fut quelque peu déportée vers l’Atlantique.
En outre, en Méditerranée, le déclin des escadrons de galères fut compensé par la mise en service d’autres navires. Ainsi, en 1574, la Monarchie décida la construction, à Naples, d’une unité de quatre grandes galéasses, extrêmement bien dotées en artillerie et en artilleurs212. Dès lors, ces galéasses s’imposèrent pendant une vingtaine d’années au cœur des grandes opérations navales, que ce fût la conquête des Açores213, ou la Grande Armada de 1588214. On retrouve ces puissants navires de guerre effectuant des missions de transport de troupes, de victuailles et de munitions entre l’Italie, l’Espagne et les différents présides méditerranéens215, ou bien se joignant à l’escadron des galères d’Espagne à Puerto de Santa María216, ou encore patrouillant les côtes portugaises et galiciennes où deux d’entre elles firent naufrage en 1592217. Après ce tragique évènement, les deux galéasses restantes furent jugées trop coûteuses et furent transformées en galions à Setubal l’année suivante218. Or, pendant ces deux décennies d’existence, cet escadron de quatre galéasses napolitaines avait à son service entre 100 et 200 artilleurs (selon les opérations), c’est-à-dire à peu près l’équivalent des effectifs d’artilleurs des garnisons du royaume de Naples.
Au milieu du xvie siècle, la Monarchie hispanique ne possédait pas d’escadrons permanents de galions équivalents à ceux des galères, mais 96la situation changea progressivement avant la fin du siècle. La plupart des flottes de guerre atlantiques étaient mises sur pied le temps d’une campagne, avec un objectif bien précis. L’administration royale saisissait des navires privés (contre paiement du propriétaire), les armait, complétait leur équipage, leur fournissait victuailles et munitions, puis les envoyait accomplir une mission avant de les démobiliser à leur retour. Ainsi, au début des années 1560, la Monarchie conçut le projet de chasser les Français nouvellement installés en Floride219. L’adelantado Pedro Menéndez de Avilés, général le plus expérimenté de la navigation des Indes, fut envoyé en 1565 à la tête de douze navires220. L’année suivante, une seconde flotte composée de dix-sept galions, nefs, hourques et caravelles, partit d’Andalousie221. Ayant constitué un renfort décisif pour chasser les Huguenots de Floride, cette armada retourna à Sanlúcar de Barrameda à la fin de l’année 1566, où elle fut démobilisée222.
Néanmoins, à la même époque se constituèrent quelques embryons de flottes de guerre atlantiques permanentes, en particulier au sein de la carrera de Indias223. Au début du xvie siècle, la Monarchie avait concédé à Séville et à la Basse-Andalousie le monopole du trafic avec l’Amérique, qui se développa tout au long du xvie siècle224. À partir de milieu du xvie siècle, les flottes furent généralement organisées sous la forme de convois dont les rythmes de départ se calaient sur les mois offrant les conditions climatiques les plus favorables au voyage225. Ces flottes étaient généralement au nombre de deux par an, l’une à destination du port de Veracruz en Nouvelle-Espagne, l’autre à destination de la province de Tierra Firme et du port de Carthagène des Indes. Chacun de ces convois marchands annuels étaient escortés et commandés par deux grands galions aux ordres du roi : la capitana, à bord de laquelle se trouvait le capitaine général de la flotte, et l’almiranta transportant son bras droit, l’amiral. Par conséquent, quatre galions (deux pour la flotte de 97Nouvelle-Espagne, deux pour celle de Tierra Firme) naviguaient chaque année de l’Andalousie vers l’Amérique. En outre, ces convois partaient à un rythme annuel, mais leur voyage s’étalait sur deux ans. L’escorte de la carrera de Indias mobilisait donc chaque année simultanément huit vaisseaux de guerre. Ces galions de protection constituèrent, dès les années 1560, les premiers éléments réguliers et permanents d’une flotte de guerre atlantique de la Monarchie hispanique. Or, chacun de ces galions avait à son bord entre quinze et vingt artilleurs ce qui signifie que la mise en place du système de convoi de la carrera de Indias se traduisit par un besoin supplémentaire d’environ 120 à 160 artilleurs.
Le premier véritable escadron permanent de galions résultat lui aussi du trafic entre Séville et l’Amérique. Plusieurs armadas traversèrent l’Atlantique dans le courant du xvie siècle avec l’objectif de ramener l’or et l’argent d’Amérique, comme celle de Blasco Nuñez Vela en 1537, celle de Martin Alonso de los Ríos en 1542 ou encore celle de Sancho de Biedma en 1550226. À partir du milieu des années 1570, ces flottes acquirent un caractère régulier, systématique et permanent, obtenant définitivement le nom d’armada de guarda de la carrera de Indias227. Constituée de six à dix galions sous administration royale, cette flotte partait généralement avant les grands convois et se rendait à l’isthme de Panama (Nombre de Dios puis Portobelo à partir des années 1590) où elle chargeait ses cales d’argent péruvien et de perles228. Elle rejoignait ensuite les flottes de Nouvelle-Espagne et Tierra Firme qui se retrouvaient au port de la Havane, offrant sa protection aux navires marchands lors du voyage de retour, là où les précieuses cargaisons américaines étaient le plus susceptibles d’attirer pirates et ennemis. Compte tenu de son caractère absolument vital pour le fonctionnement de la Monarchie, l’argent américain ne pouvait être confié qu’à des navires sous administration directe de la Couronne suffisamment armés pour faire face à n’importe quelle menace. Comme l’historiographie l’a parfois souligné, il faut reconnaître l’efficacité de ce système : au xvie siècle, les cargaisons d’argent furent systématiquement 98acheminées avec succès jusqu’à Séville et il fallut attendre l’année 1628 pour qu’un convoi tombât pour la première fois entre des mains ennemies229. Un tel système avait de plus pour la Monarchie l’immense avantage d’être relativement peu coûteux puisque le financement de l’armada de guarda, tout comme celui des capitanas et almirantas des flottes, provenait d’une taxe, l’avería, payée par les marchands de la carrera de Indias proportionnellement à la valeur de leurs marchandises230. Or, la mise en place permanente de cette armada se traduisit par un besoin accru d’artillerie et d’artilleurs, car ses galions étaient parmi les plus lourdement armés de l’époque : ils transportaient en moyenne un peu plus de 20 artilleurs, pour une vingtaine de pièces dont près de la moitié tiraient plus de 10 lb. de balle. En d’autres termes, l’armada de guarda avait en permanence à son service un total d’environ 120 à 200 artilleurs pour 6 à 10 galions sans compter les pataches et frégates qui les accompagnaient régulièrement.
En outre, dans les décennies suivant la bataille de Lépante, l’envergure et la fréquence des opérations militaires en Atlantique augmenta considérablement du fait des transformations géopolitiques. Tandis que les Ottomans, en guerre avec la Perse, se firent moins pressants en Méditerranée, les tensions montèrent entre la Monarchie hispanique et les puissances protestantes du nord de l’Europe231. Malgré ses victoires militaires sur terre, l’armée que la Monarchie entretenait en Flandre ne parvenait pas à mettre fin à la révolte des provinces du nord des Pays-Bas entamée en 1567232. En cause, notamment, la faiblesse de sa puissance navale en mer du Nord233. En 1574, une imposante flotte de guerre fut donc rassemblée au port de Santander dans le but de mettre fin à la révolte en s’emparant du contrôle sur la mer du Nord. Elle était constituée de 20 grandes nefs, 34 hourques, 12 pataches, 40 zabras, et plusieurs dizaines de petites embarcations234. D’après les statistiques 99dont je dispose pour chacun de ces types de navires, l’expédition requit au bas mot plus de 700 artilleurs. Néanmoins, suite au retard des préparatifs et à l’irruption soudaine d’une épidémie de peste qui emporta le commandant (l’adelantado Pedro Menéndez de Avilés) ainsi qu’une partie des équipages, cette armada ne partit jamais de Santander. L’année suivante, une autre flotte, plus petite car principalement constituée de zabras, fut envoyée en Flandre afin de fournir des renforts d’infanterie et de joindre ses forces à celle des huit navires que le gouverneur de Flandre, Luis de Requesens, avait mis en service à Dunkerque235. L’effort fut néanmoins insuffisant, le contrôle de la mer du Nord demeura principalement aux mains des rebelles hollandais236.
L’opportunité d’accéder au trône du Portugal suite à la mort du jeune roi Sébastien à la bataille de Ksar El Kébir (1578) encouragea Philippe II à tourner ses forces vers l’Atlantique. En 1580, l’entreprise d’annexion du Portugal eut lieu à la fois par terre et par mer, en recourant à la flotte de galères méditerranéennes ainsi qu’à une trentaine de nefs237. Elle permit à l’Espagne de s’emparer d’un escadron d’une dizaine de galions portugais qui furent par la suite régulièrement utilisés pour protéger l’arrivée des flottes des Indes portugaises et espagnoles, et qui jouèrent un rôle clé dans la plupart des grandes opérations navales de la décennie238. Le service de l’artillerie de cet escadron de galions portugais devait entretenir en permanence entre 150 et 200 artilleurs, chiffres nettement supérieurs à ceux des garnisons portugaises. En outre, afin de finaliser l’acquisition du Portugal et d’assurer la sécurité du retour des flottes océaniques, la Monarchie hispanique entreprit de conquérir les Açores, restées fidèles au prieur de Crato, autre prétendant au trône de Portugal, qui s’était allié aux Français. En 1582, le marquis de Santa Cruz partit à la tête d’une flotte de deux galions, 18 nefs, 11 hourques et cinq pataches (quelques 350 artilleurs d’après mes estimations), et remporta la victoire sur la flotte française de Philippe Strozzi239. L’année suivante, le même marquis 100conquit avec succès l’île de Terceira avec une flotte de cinq galions, deux galéasses, 12 galères, 30 nefs, 12 pataches, 15 zabras, sept hourques et 14 caravelles240 (entre 650 et 700 artilleurs d’après mes estimations).
Le développement de la course française et anglaise en Amérique força la Monarchie hispanique à lancer des opérations militaires ponctuelles en sus de l’envoi des convois annuels et de l’armada de guarda. L’opération de 1565-1566 en Floride contre les Huguenots a déjà été exposée. Au début des années 1580, une autre expédition de grande ampleur fut mise sur pied. Les ravages causés par Francis Drake et en particulier la faiblesse des défenses pacifiques révélée par son expédition réussie de contournement de l’Amérique par le sud conduisirent le gouvernement madrilène à réagir. Une expédition fut préparée avec pour objectif d’établir des colonies près du détroit de Magellan afin d’en défendre l’entrée. Dans ce but, le général Diego Flores de Valdés partit en 1581 à bord d’une galéasse servant de capitana à une armada de 18 nefs, un galion et quatre frégates. Revenue en Andalousie en 1584, cette armada de Magallanes mobilisa, d’après mes estimations, environ 300 artilleurs pendant près de trois ans, incluant de nombreuses pertes puisque seuls quelques navires survécurent à l’aventure241.
Enfin, l’opération navale de tous les records fut la Grande Armada de 1588242. En réponse aux attaques des corsaires anglais en Amérique et sur les côtes ibériques, mais aussi en conséquence de l’aide fournie par Elizabeth d’Angleterre aux provinces rebelles des Pays-Bas après le traité de Sans-Pareil, Philippe II et ses proches conseillers conçurent, à partir de l’année 1585, un vaste projet d’invasion du sud de l’Angleterre. Une flotte de guerre partie d’Espagne était censée faire traverser la Manche à l’armée de Flandre du duc de Parme. L’exécution du projet prit du retard, notamment à cause d’une attaque surprise de Francis Drake sur Cadix en 1587 qui causa la perte de 24 navires. Malgré ces désagréments, le 29 mai 1588, le duc de Medina Sidonia, capitaine général de cette Grande Armada, quitta le port de Lisbonne où la flotte avait été assemblée. Le changement d’échelle fut colossal. Le noyau de l’armada se composait des escadrons de galions devenus permanents, c’est-à-dire les dix galions du 101Portugal (constituant l’escadron du Portugal) et les dix galions de l’armada de guarda de la carrera de Indias (constituant en grande partie l’escadron de Castille), auxquels il fallait rajouter les quatre galéasses napolitaines, ainsi qu’un petit détachement de quatre galères de l’escadron d’Espagne. Plusieurs autres escadrons avaient été préparés à partir de grandes nefs marchandes saisies par l’administration royale et renforcées. Ainsi les escadrons d’Andalousie, de Biscaye et de Guipúzcoa rassemblaient en tout une trentaine de grandes nefs ibériques, tandis que l’escadron du Levant était constitué de dix grands navires de commerce méditerranéens auquel l’escadron des hourques ajoutait 23 bâtiments d’Europe du nord. Enfin, un petit escadron de 22 navires légers était chargé d’assurer les communications au sein de cette énorme flotte de 130 navires et 2 431 pièces d’artillerie.
La demande en artilleurs de cette flotte atteignit un niveau jamais vu auparavant. Les listes d’équipage des navires de l’escadron de Castille montrent qu’au moins 264 artilleurs embarquèrent dans cette unité243. Ils étaient en réalité sans doute légèrement plus nombreux puisque l’équipage de l’un des deux galions nommés San Juan Bautista est incomplet. Notons que, si l’on compte environ 18,5 artilleurs par galion, ou bien un artilleur tous les 32 toneladas (statistiques fournies dans la partie précédente), on trouve pour ce même escadron des besoins en artilleurs avoisinant les 270 individus. Ce chiffre, très proche de celui révélé par les sources comptables, suggère une certaine fiabilité de ma méthode d’estimation par projection numérique. Or, en appliquant cette méthode à l’ensemble de la Grande Armada et en tenant compte des différents types de navires et de leur volume, il apparaît que la Monarchie hispanique dut recourir pour cette entreprise aux services de 1 550 à 1 850 artilleurs. C’était alors plus que l’ensemble des artilleurs servant en garnison dans tout l’empire. Les pertes d’artilleurs engendrées par les nombreux naufrages lors de la tempête qui balaya la flotte en septembre 1588 durent peser très lourdement sur l’appareil militaire de la Monarchie.
Bien que l’échec de la Grande Armada de 1588 a longtemps été considéré comme le début de la décadence de l’empire espagnol, des études plus récentes ont au contraire montré que cette date favorisa le développement de la puissance navale espagnole dans l’Atlantique244. 102Après 1588, la pression des navires anglais se fit encore plus forte en Amérique mais aussi sur les côtes de la péninsule ibérique. Ainsi en témoignent les attaques sur La Corogne et Lisbonne (1589), Pernambouc (1595), Cadix (1596) et Porto Rico (1598)245. Entre 1591 et 1595, les prises des corsaires anglais se seraient élevées à plus de 300 navires, pour une valeur de 1,6 millions de ducats246. Face à la menace anglaise, Philippe II obtint des cortés de Castille la gigantesque somme de huit millions de ducats à payer sur six ans, qui allaient devenir une nouvelle taxe : les millones247. Cet impôt permit non seulement de rembourser le coût de l’armada de 1588, mais il fournit également à la Monarchie hispanique la possibilité de créer une véritable marine de guerre, l’armada del mar Océano. Rapidement après le désastre de 1588, de nouveaux programmes de construction navale furent lancés. Composée d’une vingtaine à une soixantaine de galions, frégates et pataches, l’armada del mar Océano constitua le cœur de la puissance navale espagnole dans l’Atlantique jusqu’au milieu du xviie siècle248.
L’organisation de cette armada semble avoir varié au cours du temps. En 1590, elle se composait de quatre grandes unités reprenant la division des principaux escadrons de la Grande Armada contre l’Angleterre249. En Biscaye se trouvaient 13 galions et nefs. Dans le port du Ferrol en Galice séjournaient six galions, trois hourques, deux filibotes et 18 pataches et zabras. Lisbonne abritait quant à elle six galions, quatre galéasses et deux zabras. Et enfin, les eaux andalouses accueillaient 12 vieux galions qui avaient pour la plupart servi dans l’armada de guarda et avaient survécu au désastre de 1588. D’après mes estimations, il fallait compter entre 850 et 900 artilleurs pour ces quatre escadrons. Or, les effectifs de l’armada del mar Océano se maintinrent sur la période étudiée. En 1606, elle était constituée d’une quarantaine de navires divisés en trois escadrons250. Quinze navires attachés aux ports du Ferrol et de la Corogne devaient 103veiller sur la côte septentrionale de l’Espagne tandis que 12 à 15 navires résidaient à Lisbonne, protégeant la côte portugaise, et enfin 12 galions basés à Gibraltar étaient chargés de la protection de la côte andalouse et de l’entrée de la Méditerranée. Pour le seul escadron de Lisbonne, il était prévu de recruter 321 artilleurs251. Projeté sur l’ensemble des trois escadrons, les chiffres avoisinent ceux l’armada de 1590. En d’autres termes, après le pic de la Grande Armada de 1588, la demande en artilleurs ne retomba pas à son niveau antérieur. Au contraire, au moins la moitié des effectifs requis pour cette opération exceptionnelle devinrent la norme constante du maintien de l’armada del mar Océano. Cette armada constitua alors le noyau des opérations navales de la Monarchie hispanique. Certains de ses navires servirent régulièrement à renforcer l’armada de guarda de la carrera de Indias lorsque les menaces de corsaires se faisaient plus pressantes, comme par exemple lors de l’expédition de Drake en 1595252, ou encore en 1606253.
De plus, d’autres grandes flottes de guerre contre l’Angleterre furent préparées après la Grande Armada254. Juste après le sac de Cadix en 1596, une armada menée par l’adelantado Martin de Padilla fut organisée dans le but d’amener des renforts aux seigneurs catholiques irlandais en rébellion contre Elizabeth. Rassemblant plus de 120 voiles dont 35 grands galions (pour la plupart de l’armada del mar Océano), cette flotte avoisinait en taille celle de 1588. Cependant, une tempête la dispersa près des côtes galiciennes sans qu’elle pût atteindre son objectif. L’année suivante, en 1597, une seconde flotte fut mise sur pied dans le but de détruire la flotte anglaise et saisir des ports du sud de l’Angleterre. Elle se composait de 136 navires principalement des galions et filibotes de l’armada del mar Océano ainsi qu’un certain nombre de grandes hourques nord-européennes saisies par l’administration royale. Bien que la composition précise de ces flottes demeure inconnue, il est raisonnable d’estimer qu’elles embarquaient des effectifs d’artilleurs à peine inférieurs à ceux de la Grande Armada de 1588.
104Enfin, d’autres escadrons permanents d’armada virent le jour dans les dernières années du xvie siècle et les premières années du xviie siècle. Après avoir repris les ports de Dunkerque et d’Anvers en 1585, le général Alexandre Farnèse lança la mise en place d’une armada pour lutter contre la puissance navale des Hollandais en mer du Nord255. Les documents de comptes de l’amirauté des années 1599 à 1601 révèlent que l’escadron de Dunkerque se composait de dix à douze navires embarquant entre 93 et 108 artilleurs256. À Anvers, les documents de montre font figurer 81 artilleurs répartis sur quatorze navires257. Par ailleurs, les incursions dans le Pacifique de Francis Drake en 1579 et de Thomas Cavendish en 1587 encouragèrent la Monarchie à doter la vice-royauté du Pérou d’une flotte de guerre permanente258. Appelée armada del mar del Sur, cette unité se composa, à partir de 1588, de cinq à six galions, secondés par quelques navires de faible tonnage, qui étaient non seulement en charge d’acheminer annuellement à Panama l’argent extrait des mines de Potosi mais qui, en l’absence de véritables fortifications côtières, constituaient également la principale défense de toute la côte pacifique259. Un document de l’année 1600 comptabilisait un total de 107 artilleurs à bord de cette armada260. Par ailleurs, la présence quasi-permanente de corsaires anglais, français et hollandais dans les Caraïbes motiva aussi le projet de création d’une autre flotte permanente, l’armada de Barlovento, qui devait être stationnée à La Havane ou Porto Rico261. À plusieurs reprises, cette unité fut assemblée (en 1595, 1601, 1605, 1608), mais ses ressources humaines et matérielles furent systématiquement intégrées à la nécessiteuse armada del mar Océano, et l’escadron de Barlovento ne put véritablement voir le jour qu’en 1635262. La puissance navale de la Monarchie se construisit donc à travers tout un réseau d’escadrons permanents de galions extrêmement demandeurs en artilleurs.
105
Opération |
Date |
Nb artilleurs |
Expédition en Floride (Pedro Menéndez de Avilés) 12 voiles (1565) + 17 voiles de renforts (1566) |
1565-1566 |
200-350 |
Bataille de Lépante (don Juan d’Autriche) 80 galères |
1571 |
230-250 |
Armada de Santander (Pedro Menéndez de Avilés) 20 naos, 34 urcas, 12 pataches, 40 zabras, 40 lanchas |
1574 |
650-750 |
Expédition au détroit de Magellan (Diego Flores) 1 galéasse, 1 galion, 18 naos, 4 fragatas |
1581-1584 |
280-300 |
Armada des Açores (Marquis de Santa Cruz) 2 galions, 18 naos, 11 urcas, 5 pataches |
1582 |
300-350 |
Armada de la Terceira (Marquis de Santa Cruz) 5 galions, 2 galéasses, 12 galères, 30 naos, 7 urcas, 12 pataches, 15 zabras et 14 caravelas |
1583 |
650-700 |
Grande Armada (duc de Medina Sidonia) 130 navires |
1588 |
1550-1850 |
Escuadra de Portugal – 10 galions, 2 zabras |
Idem |
190-240 |
Escuadra de Biscaye – 10 galions et naos, 4 pataches |
Idem |
200-210 |
Escuadra de Castilla – 14 galions, 2 pataches |
Idem |
265-270 |
Escuadra de Andalucía – 9 galions et naos, 1 urca, 1 patache |
Idem |
180-250 |
Escuadra de Guipúzcoa – 9 galions et naos, 1 urca, 2 pataches, 2 pinazas |
Idem |
185-215 |
Escuadra del Levante – 10 naos méditerranéennes |
Idem |
120-175 |
Escuadra de urcas – 23 urcas |
Idem |
200-280 |
Escuadra de galeazas – 4 galeazas |
Idem |
120-150 |
Escuadra de zabras y pataches – 3 naos, 19 zabras y pataches |
Idem |
60-85 |
Escuadra de galeras – 4 galères |
Idem |
10-15 |
Armada de 1596 (Martin de Padilla) 120 navires dont 35 galions |
1596 |
1200-1500 |
Armada de 1597 (Martin de Padilla) 136 navires |
1597 |
1300-1600 |
Fig. 15 – Effectifs d’artilleurs des grandes opérations navales
de la Monarchie hispanique. Estimations s’appuyant sur les statistiques
contenues dans la figure 14.
Escadrons permanents |
Date |
Nb artilleurs |
Escadrons de galères Entre 60 et 100 galères (Méditerranée et Atlantique) |
avant 1550 |
220-280 |
Escorte flottes de Nouvelle-Espagne / Tierra Firme 8 galions |
c. 1560 |
120-160 |
Galéasses de Naples 4 galéasses (mises hors service en 1593) |
1575 |
100-200 |
Armada de guarda de la carrera de Indias 6-10 galions, 0-4 pataches, 0-4 fragatas |
1576 |
120-250 |
Galions du Portugal 6-10 galions (incorporés à l’Armada del mar Océano après 1589) |
1580 |
120-200 |
Armada de Flandre Entre 20 et 25 navires à Dunkerque et Anvers |
c. 585 |
180-200 |
Armada del mar del Sur 5-6 galions, quelques navires de faible tonnage |
1588 |
80-120 |
Armada del mar Océano Entre 40 et 60 navires de guerre |
1590 |
700-1000 |
Fig. 16 – Effectifs d’artilleurs des principaux escadrons permanents
d’armadas de la Monarchie hispanique. Estimations s’appuyant
sur les statistiques contenues dans la figure 14.
Comme les tables récapitulatives des figures 15 et 16 le mettent en évidence, le développement de la puissance navale de la Monarchie hispanique dans l’Atlantique résulta en un accroissement extrêmement rapide de la demande en artilleurs. Au milieu du xvie siècle, le service des flottes de guerre demandait en tout à peine plus d’artilleurs que les garnisons de la frontière pyrénéenne. À la fin du siècle, les besoins en artilleurs des armadas dépassaient ceux des garnisons de l’ensemble des territoires de l’empire. Rien ne représente de manière plus frappante cette transformation que le fossé qui sépare les deux plus grandes batailles navales que la Monarchie eut à livrer au xvie siècle. D’un côté, à Lépante les quatre-vingt galères de don Juan et leur quelques 240 artilleurs ; de l’autre, seulement 17 ans plus tard, la bataille de Gravelines (1588) avec ce même nombre d’artilleurs, mais cette fois-ci dans chacun des principaux escadrons de la Grande Armada. Voici le saut quantitatif que la phrase du duc de Medina Sidonia dénonçait en introduction de ce chapitre. Néanmoins, pour que ce phénomène soit pleinement compris, il reste encore à exposer un dernier aspect du problème : le développement simultané de l’armement privé des navires marchands.
107La marine marchande,
un vaste marché privé de l’artillerie
L’armement des navires marchands est un sujet largement ignoré par l’historiographie militaire sur l’époque moderne. Même si quelques ouvrages récents révèlent un intérêt croissant pour les liens entre guerre et acteurs économiques privés263, l’immense majorité des études sur la guerre s’inscrit dans le cadre du fiscal military state, l’État moderne qui se construit par la guerre et qui s’arroge de la sorte un monopole sur la violence264. En outre, l’artillerie, arme chère, symbole de destruction de la féodalité et de ses châteaux, est considérée, dans la narration de la révolution militaire, comme un privilège des grands États265. Or si, au xvie siècle, les États sont incontestablement parmi les plus gros consommateurs d’artillerie, ils n’en ont pas pour autant le monopole. La suite de cette partie va tâcher de mettre en évidence en quelques paragraphes l’importance du marché privé de l’artillerie à destination des navires marchands, sujet qui mériterait une étude plus approfondie.
Les documents de l’administration militaire espagnole offrent de nombreux témoignages de la présence d’artillerie à bord des navires marchands. D’abord, preuve que la distinction entre navire de guerre et navire de commerce n’était pas rigide, il faut rappeler que bon nombre d’embarcations utilisées lors des opérations militaires dans l’Atlantique étaient des nefs marchandes saisies par l’administration militaire (contre rétribution du propriétaire) et renforcées par des travaux de carénage et des ajouts d’artillerie. Ainsi, un document de 1582 recense un ensemble de dix-sept nefs et deux hourques commerciales saisies dans le port de Cadix afin de préparer la flotte de conquête des Açores266. Ce document fait figurer un inventaire de l’artillerie embarquée dans chacun de ces navires, divisée en deux catégories : l’artillerie prêtée par la Monarchie, et celle que possédait le bateau lors de la saisie, ce qui permet de connaître 108son armement lorsqu’il opérait en tant que navire marchand. Ces nefs et hourques de commerce (de tonnage inconnu) avaient en moyenne à leur bord 17 pièces d’artillerie, pour la plupart de très petits calibres, dont un grand nombre en fonte. Néanmoins, certains de ces bâtiments possédaient également quelques pièces de calibre plus lourd, puisqu’on trouve dans cet inventaire une trentaine de sacres, pierriers et « grosses pièces » en bronze.
Un tel armement était tout à fait normal pour des navires de commerce. Comme le montre un inventaire de 1586 de la même nature que le précédent, parmi les nefs de Biscaye et de Guipúzcoa, les pièces en fonte prédominaient largement267. À partir des années 1585, plusieurs séries d’embargos sur les navires étrangers conduisirent à la saisie de dizaines d’embarcations de commerce dans les ports de la péninsule ibérique268. Certaines de ces listes permettent d’obtenir des informations sporadiques sur les flottes de commerce anglaise, flamande, hanséate et française269. Parmi 53 navires de commerce d’un tonnage moyen d’environ 150 t. ces sources révèlent en moyenne près de neuf pièces d’artillerie par bateau, dont la grande majorité en fonte et de très petits calibres. Une artillerie très légère et de moindre qualité, certes, mais qui imposait tout de même de recourir à des artilleurs. Les listes d’équipage de huit de ces navires révèlent en effet la présence de un à quatre artilleurs à bord270. En 1590, le duc de Medina Sidonia comptabilisait 190 navires marchands dans les différents ports de la Basse-Andalousie, qui tous avaient un artilleur et un aide-artilleur à l’exception de six nefs ragusaines qui en possédaient quatre à cinq chacune271. Un ensemble d’un peu plus de deux cents artilleurs et autant d’aides seulement pour les navires arrêtés au sud de l’Espagne, on devine tout de suite que l’ordre de grandeur du marché privé de l’artillerie n’est absolument pas négligeable. Néanmoins, il est extrêmement difficile à saisir car l’artillerie privée n’apparaît dans les 109documents de l’État que par accident, contrairement à l’artillerie du roi, systématiquement enregistrée et sous étroite surveillance.
Les convois de la carrera de Indias offrent néanmoins la possibilité d’une brève d’étude de cas particulièrement instructive dans le cadre de cette recherche sur la Monarchie hispanique. En effet, cet ensemble de navires privés était organisé, orchestré et contrôlé par des agents du roi et, notamment, par une institution, la casa de la contratación. Non seulement ce contrôle du commerce par une institution fournit quantité d’informations sur les navires marchands, mais il permet également de connaître assez précisément le trafic entre Séville et l’Amérique272. De plus, il touche au présent sujet dans la mesure où il n’y avait pas de séparation franche entre flottes de guerre et flottes commerciales, mais plutôt une intrication des rôles, lors de la préparation des convois, entre agents de l’État et particuliers. La sécurité de la flotte était en ce sens autant assurée par la poignée de galions royaux d’escorte que par les navires de commerce eux-mêmes. Il existait d’ailleurs depuis le milieu du xvie siècle des régulations sur l’armement des navires selon leur volume, régulièrement mises à jour273. Avant le départ des convois, un officier de la casa de la contratación, portant le titre d’artillero mayor, visitait l’artillerie des navires, vérifiait qu’elle était suffisante, la testait et la marquait comme valide274. Enfin, les agents de la casa de la contratación veillaient à ce que la flotte ne manquât pas de ressources et en particulier de ressources humaines compétentes. Dès le début du xvie siècle, cette institution forma des pilotes pour les flottes atlantiques et, à partir de 1576, elle ouvrit un cursus de formation pour les artilleurs275. Cette implication d’agents monarchiques dans l’organisation de l’armement privé des navires de la carrera de Indias justifie la présence de cette brève étude de cas au sein de ce chapitre pourtant dédié aux artilleurs du roi.
Une liste de la flotte de Tierra Firme datant de l’année 1589 renseigne sur l’armement et l’équipage de 28 navires marchands de la carrera de Indias276. Ces nefs et hourques, d’un port moyen de 300 t. 110avaient environ une pièce d’artillerie tous les 42 t. soit, en moyenne, un peu plus de sept pièces par bateau. Cette artillerie était en grande majorité en fonte (à plus de 60 %) ce qui ne manque pas d’étonner car les armes en bronze étaient considérées par les contemporains comme bien plus résistantes au climat chaud et humide des tropiques277. Cette tendance à l’usage d’une artillerie en fonte dans les nefs de la carrera de Indias se confirme dans le temps. En effet, les visites de l’artillero mayor pour les années 1600 et 1601 avaient porté sur 439 pièces en fonte et seulement 103 pièces en bronze278. À partir de 1605, les régulations sur l’artillerie obligeaient les armateurs à équiper leurs navires d’au moins deux pièces en bronze, signe du succès croissant de l’artillerie en fonte279. Comment expliquer un tel engouement pour une artillerie dont la qualité était pourtant jugée par les contemporains inférieure à celle des pièces en bronze ? Cela s’explique principalement par le prix attractif de l’artillerie en fonte280. La meilleure preuve en est qu’après la législation de 1605, l’universidad de mareantes, c’est-à-dire l’association des armateurs et capitaines de la carrera de Indias, se plaignit sans succès à la casa de la contratación du surcoût important que représentait l’achat de pièces de bronze281.
La casa de la contratación veillait également à ce que cette artillerie fût servie par un nombre satisfaisant d’artilleurs. Les régulations prévoyaient deux artilleurs pour une nave de 150 t., quatre artilleurs pour une nave de 200 t. et six artilleurs pour une nave de 300 t.282 soit environ un artilleur pour 50 à 75 t. Les chiffres réels pour la flotte de Tierra Firme de 1589 étaient légèrement inférieurs283. On y trouvait un artilleur pour 86 t. soit en moyenne un peu plus de quatre artilleurs par navire, ce qui représentait environ un artilleur pour deux pièces d’artillerie. Sur ces navires de commerce, la densité d’artilleurs était donc deux à trois fois plus faible que sur les navires de guerre de la Monarchie.
111Fig. 17 – Évolution des effectifs d’artilleurs de la carrera de Indias. La courbe bleue correspond
aux estimations annuelles établies en croisant les données statistiques concernant l’artillerie des navires
marchands avec celles du volume du trafic transatlantique répertoriées par Chaunu, Séville et l’Atlantique, op. cit.
La courbe rouge représente la moyenne mobile sur 7 ans des effectifs d’artilleurs, ce qui permet d’obtenir
une tendance générale moins dépendante des fluctuations annuelles du trafic transatlantique.
Néanmoins compte tenu du nombre de bateaux impliqués dans la carrera de Indias et du volume du trafic, les effectifs d’artilleurs servant dans ces navires marchands atteignaient des niveaux presque comparables à ceux des flottes de guerre. À partir des chiffres de la flotte de 1589 et en s’appuyant sur les tables du trafic annuel des convois réalisées par les Chaunu284, il est possible de faire des projections annuelles des besoins en artilleurs de la carrera de Indias, comme le montre la figure 17. Bien qu’ils ne s’appuient que sur des estimations, les résultats sont particulièrement significatifs de l’évolution des ordres de grandeur. Dans les premières années de l’organisation des convois, il fallait entre 100 et 200 artilleurs pour garnir les flottes, mais ce chiffre monta graduellement autour de 300 dans les années 1570, gagnant environ 100 artilleurs par décennie, puis dépassant les 600 individus dans les premières années du xviie siècle. En 1608, à son apogée, le fonctionnement de la carrera de Indias nécessita de pourvoir les navires de commerce de plus de 800 artilleurs.
Le développement de ces flottes de commerce transatlantiques ne put qu’ajouter à la forte pression qu’exerça la mise en place des armadas atlantiques sur les ressources humaines qualifiées, et notamment sur les artilleurs. Il y eut en effet bien souvent cumul des besoins des flottes de guerre et des flottes commerciales. Ainsi en 1574, en même temps que 700 artilleurs furent requis pour la préparation de l’armada de Santander, les flottes de la carrera de Indias mobilisèrent plus de 300 artilleurs. Il en alla de même en 1583, lorsque la flotte du marquis de Santa Cruz dut se procurer environ 700 artilleurs tandis que les convois américains en réclamaient quelques 350. L’année même de la Grande Armada, près de 500 artilleurs furent mobilisés pour la carrera de Indias en parallèle des 1500 à 1800 artilleurs de la flotte d’invasion de l’Angleterre. En ce sens, le développement des flottes commerciales atlantiques participa au saut quantitatif évoqué précédemment et en accentua significativement les effets.
113Conclusion
L’époque des Rois Catholiques, au tournant des xve et xvie siècles, marqua simplement l’ouverture de l’ère du canon moderne. Isabelle et Ferdinand entretenaient alors à leur service quelques dizaines d’artilleurs tout au plus285. Un demi-siècle plus tard, l’État composite dont hérita Philippe II était déjà partiellement métamorphosé : ses dizaines de forteresses disséminées en Espagne, en Italie, en Flandre et en Amérique, ainsi que son importante flotte de galères en Méditerranée requéraient autour d’un bon millier d’artilleurs. L’État qu’il légua à son fils en 1598 était devenu une formidable machine militaire nécessitant, d’après mes estimations, entre 3 000 et 4 000 artilleurs à son service. Cette multiplication de l’usage du canon résultait d’une course générale à l’armement impliquant des acteurs de toutes tailles, depuis les plus puissants États jusqu’aux villes, seigneurs, marchands et pirates. Cette transformation frappa néanmoins ces différents protagonistes de manière inégale. Elle affecta de manière plus prononcée ceux qui souhaitèrent s’impliquer dans l’espace maritime : même les navires de taille modeste embarquaient, à la fin du xvie siècle, quelques pièces d’artillerie pour leur défense. Or, de par son échelle gigantesque, la Monarchie hispanique fut frappée plus qu’aucun autre acteur par cette multiplication de l’usage du canon. Sa tentative de se constituer comme principale puissance navale résulta en un saut extraordinaire de ses besoins en artilleurs. Elle fit ainsi l’expérience de ce que connurent au siècle suivant d’autres puissances coloniales telles que les Provinces-Unies, la France ou l’Angleterre.
Cette métamorphose de la Monarchie hispanique induisit des transformations dans différents domaines. Sur le plan politique et administratif, organiser et contrôler ces milliers de pièces et d’individus requit la mise en place de structures complexes permettant de gérer à grande échelle ces ressources en dépit de la fragmentation politico-juridique de ce qui était alors une monarchie composite286. Sur le plan social et professionnel, l’artillerie devint une activité commune générant de nombreuses 114opportunités de carrières pour des milliers d’individus qui entrèrent ainsi au service du roi. Sur le plan technique et scientifique, la nécessité de former des milliers d’individus à une activité qui demandait un certain niveau de compétences et de connaissances bouleversa les modes traditionnels d’apprentissage des métiers techniques. En d’autres termes, le déploiement de ce grand nombre d’artilleurs signifia la construction d’un vaste système socio-politico-scientifique qui sera analysé dans les prochains chapitres.
1 AGS GYM, leg. 280/228 (16/01/1590). « Et ainsi je comprends, pour l’avoir vu de mes yeux, le grand manque qu’il y a d’artilleurs pour les armadas de Votre Majesté. »
2 AGS GYM, leg. 281/32 (07/02/1590).
3 Goodman, David C., Power and Penury : Government, Technology and Science in Philip II’s Spain, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
4 Roberts, Michael, The Military Revolution, 1560-1660, op. cit.
5 Parker, Geoffrey, The Military Revolution, op. cit.
6 Pour une présentation du débat autour de la révolution militaire, voir Rogers, Clifford J. (éd.), The Military Revolution Debate, op. cit. Un autre auteur très influent : Black, Jeremy, A Military Revolution ? op. cit. Pour l’impact de la révolution militaire sur la construction de l’État moderne, voir l’ouvrage particulièrement influent de Tilly, Charles, Coercion, Capital and European States, AD 990-1992, op. cit. Pour l’impact de la révolution militaire en histoire globale et coloniale, voir : Andrade, Tonio, The Gunpowder Age. China, Military Innovation, and the Rise of the West in World History, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 2016. Hoffman, Philip T., Why did Europe Conquer the World ?, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 2015. Andrade, Tonio, « Was the European Sailing Ship a Key Technology of European Expansion ? Evidence from East Asia », International Journal of Maritime History, vol. 23, no 2, 2011, p. 17-40. Les relations entre transformations militaires et sociales ont fait l’objet de travaux antérieurs au livre de Parker : Hale, John R., War and Society in Renaissance Europe : 1450-1620, Leicester, Leicester University Press, 1985. Il en va de même pour l’impact des canons sur le développement des empires : Carlo M. Cipolla, Guns, Sails and Empires, op. cit.
7 Parker, Geoffrey, The Military Revolution, op. cit., p. 10.
8 Favé, Ildefonse, Bonaparte, Louis-Napoléon, Études sur le passé et l’avenir de l’artillerie. Volume III, Paris, J. Dumaine, 1862, p. 216.
9 Voir l’abondante littérature sur l’artillerie du xve siècle : Rogers, Clifford J., « The Military Revolution in the Hundred Years War », dans The Military Revolution Debate, op. cit., p. 55-94. Hall, Bert S., Weapons and Warfare in Renaissance Europe : Gunpowder, Technology, and Tactics, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997. DeVries, Kelly R., Guns and Men in Medieval Europe, 1200-1500 : Studies in Military History and Technology, Aldershot, Ashgate/Variorum, 2002. Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusqu’au milieu du xvie siècle : France, Bretagne et Pays-Bas bourguignons », thèse défendue à l’université Paris 1 (Panthéon – La Sorbonne), 2014. Cobos Guerra, Fernando, La artillería de los Reyes Católicos, Valladolid, Junta de Castilla y León, Consejería de Cultura y Turismo, 2004.
10 Prouteau Nicolas, Crouy-Chanel, Emmanuel de, Faucherre, Nicolas (éd.), Artillerie et fortification, 1200-1600, op. cit. Parker, Geoffrey, « The Artillery Fortress as an Engine of European Overseas Expansion, 1480-1750 », op. cit. Duffy, Christopher, Siege Warfare, op. cit. Pepper, Simon, Adams, Nicholas, Firearms & Fortifications, op. cit.
11 Guilmartin, John F., Gunpowder and Galleys, op. cit.
12 Hildred, Alexzandra, The Archeology of the Mary Rose Vol. 3 : Weapons of warre – the Armaments of the Mary Rose, Portsmouth, The Mary Rose Trust ltd., 2011. Témoignage d’une collaboration fructueuse entre historien et archéologue, l’ouvrage de Parker et Martin sur la Grande Armada de 1588 explique la défaite espagnole par l’infériorité de son artillerie. Voir Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, New York ; Londres, W.W. Norton & Co., 1988.
13 Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instituto Jerónimo Zurita, 1947.
14 Parker, Geoffrey, The Army of Flanders and the Spanish Road, 1567-1659 : the Logistics of Spanish Victory and Defeat in the Low Countries’ Wars, Cambridge, Cambridge University Press, 1972. Quatrefages, René, Los tercios españoles (1567-1577), Madrid, Fundación Universitaria Española, 1979. Thompson, I.A.A., War and Government in Habsburg Spain, 1560-1620, Londres, Athlone Press, 1976. González de León, Fernando, The Road to Rocroi, op. cit.
15 Benoit, Paul, « Artisans ou combattants ? Les canonniers dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, vol. 18, no 1, 1987, p. 287-296. Contamine, Philippe, « L’artillerie royale française à la veille des guerres d’Italie », Annales de Bretagne, Tome 71, no 2, 1964, p. 221-261. Ladero Galán, Aurora, « Artilleros y artillería de los Reyes Católicos (1495-1510) » op. cit.
16 Série AGI CT leg. 29XX.
17 Série AGI CT leg. 39XX.
18 Cette partie s’appuie sur le traitement statistique d’une base de données contenant 1 151 entrées et des informations sur un total de 3 272 utilisées par la Monarchie hispanique entre 1560 et 1610. Cette base de données est consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
19 Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusqu’au milieu du xvie siècle », op. cit., p. 293.
20 Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit., p. 247.
21 La classification des pièces est un aspect incontournable de la littérature technique sur l’artillerie. Voir par exemple Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, Brescia, Thomaso Bozzola, 1567. Collado, Luis, Plática manual de artillería en la qual se tracta de la excelencia de el arte militar y origen de ella, Milan, Pablo Gotardo Poncio stampador de la Real Cámara, 1592. La palme de la plus grande diversité de pièces décrites revient à un ouvrage du début du xviie siècle décrivant plus de 100 pièces différentes, Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della platicado por el capitán Diego Ufano en las guerras de Flandes, Bruxelles, Juan Momarte, 1612.
22 Crouy-Chanel, Emmanuel de « Le canon jusqu’au milieu du xvie siècle », op. cit., p. 255-256.
23 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería y de todo lo necessario a ella, Milan, Marco Tulio Malatesta, 1611, p. 14.
24 Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 35-43.
25 Voir la base de données consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
26 AGS EST leg. 1142/175 et 187 (20/12/1574).
27 AGS GYM leg. 365/128 (21/01/1589).
28 AGS GYM leg. 365/179 (15/10/1592).
29 Voir les remarques de López Martín, Francisco Javier, Esculturas para la guerra. La creación y evolución de la artillería hasta el siglo xvii, Madrid, Ministerio de Defensa, CSIC, 2011, p. 363-364.
30 AGS GYM leg. 365/128 (21/01/1589).
31 AGS GYM leg. 149/109 (Santander, 16/09/1583), AGI CT leg. 5108, sans num. (Cadix, 05/05/1586).
32 AGS GYM leg. 149/336 (18/09/1583).
33 On compte 18 canons dans les différents châteaux de Naples, AGS EST leg. 1066/13 (1575).
34 Un inventaire de 1592 mentionne 15 canons pour Pampelune, AGS GYM leg. 365/125 (1592).
35 Pas moins de 30 canons à Perpignan en 1593, tandis que l’on craint une attaque française, AGS GYM leg. 378/1 (1593).
36 On trouve systématiquement un canon par galère dans les inventaires d’artillerie des galères. Voir par exemple AGS VG leg. 4. Cet armement semble commun à toutes les puissances navales méditerranéennes, selon Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit.
37 Voir par exemple les préparatifs de l’invasion du Portugal en 1579-1580, AGS CMC 2a epoca leg. 500. Des canons de batterie sont également embarqués dans la Grande Armada en prévision des sièges de châteaux dans le sud de l’Angleterre selon Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 41.
38 Ces réserves étaient chacune de 20 canons de 40 lb. Voir AGS GYM leg. 365/125 (1592).
39 Seulement deux exemplaires répertoriés dans l’échantillon, AGS EST leg. 1142/175 et 187 (1574).
40 C’est ce que rapportent la plupart des auteurs de traités. Le fait semble confirmé par quelques informations éparses : rapport de 30 pour une couleuvrine à Alghero en Sardaigne et 35 pour deux couleuvrines milanaises de la forteresse de Cagliari, AGS GYM leg. 88/43 (27/07/1578).
41 AGS GYM leg. 126/105 (09/05/1582).
42 Rapport longueur/calibre de 18 dans le modèle proposé par don Juan de Acuña Vela pour la fonderie de Malaga, AGS GYM leg. 365/128 (1589). Rapport longueur/calibre de 22 pour 3 demi-canons de la forteresse d’Alghero en Sardaigne, AGS GYM leg. 88/43 (1578).
43 Il y avait à Alghero en Sardaigne quatre sacres de 22 calibres de longueur, et six de 27. À Cagliari, on trouvait quatre sacres mesurant 30 calibres de long et un de 32. AGS GYM leg. 88/43 (1578).
44 Sept demi-sacres de 25 calibres de long et deux demi-sacres de 26 sont répertoriés dans l’inventaire de l’artillerie de Sardaigne. AGS GYM leg. 88/43 (1578).
45 L’emploi de ce terme est cependant très rare, seulement 13 occurrences dans l’échantillon de 3 272 pièces.
46 Le modèle de falconete proposé par don Juan de Acuña Vela pour la fonderie de Malaga mesure 33 calibres de long. AGS GYM leg. 365/128 (1589). Les auteurs de traités d’artillerie évoquent tous des rapports de longueur/calibre de 30 à 36.
47 Sur l’enceinte de la ville de Brindisi, on comptait 30 esmeriles pour un total de 50 pièces d’artillerie, AGS EST leg. 1066/13 (1575). On en compte 32 sur les 43 pièces du fort de las Navas en Andalousie, AGS GYM leg. 365/132 (31/05/1589). Ils représentent 27 des 37 pièces du fort d’Oton, près de Setubal au Portugal, AGS GYM leg. 195/65 (19/05/1586).
48 Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusqu’au milieu du xvie siècle », op. cit., p. 263 et suiv.
49 Les pedreros semblent avoir eu un rapport longueur/calibre de 12. Il en va ainsi du modèle de medio cañon pedrero de don Juan de Acuña Vela, AGS GYM leg. 365/128 (1589). De même les pedreros d’Alghero en Sardaigne mesuraient 12 calibres de long, AGS GYM leg. 88/43 (1578).
50 La fonderie de Malaga produisit ainsi 30 medios cañones pedreros de 12 lb. de calibre entre 1590 et 1592, AGS GYM leg. 365/179 (15/10/1592).
51 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 53r et 111r.
52 Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 39.
53 De nombreux fondeurs de canons en fonte étaient installés à Liège et à Anvers. La Monarchie hispanique chercha d’ailleurs à en attirer en Espagne, AGS EST leg. 564/60 et 63 (23/07/1574).
54 Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 42. L’importance de l’Angleterre comme lieu de production de l’artillerie en fonte est confirmée par les inventaires qui mentionnent régulièrement l’origine anglaise de ce type de pièce. Voir AGS GYM leg. 149/18 (Cadix, 24/09/1583) et leg. 655/287 et 289 (Gibraltar, 1606).
55 L’artillero mayor Andrés Muñoz el Bueno, sur les tests de pièces d’artillerie de la carrera de Indias, AGI IG leg. 2007, sans num. (Séville, 16/01/1602).
56 Plainte de l’universidad de mareantes à la casa de la contratación, AGI IG leg. 2008 (Séville, c. 1605).
57 « Asientos de 30 artilleros que por mandado de su Magestad y orden de Don Francés de Alava vinieron de Burgos a servir en este ejercito », AGS CMC 2a epoca, leg. 500 (03/11/1579).
58 AGS GYM leg. 162/105 (30/05/1584).
59 Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit., p. 147.
60 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 99v.
61 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 191.
62 Arántegui y Sanz, José, Apuntes históricos sobre la artillería española en la primera mitad del siglo xvi, Madrid, imprenta del Cuerpo de artillería, 1891, p. 166. Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit. p. 373.
63 AGS GYM leg. 365/125 (1592).
64 Mendoza, Bernardino de, Comentarios de lo sucedido en las guerras de los Paises Baxos desde el año de 1567 hasta el de 1577, Madrid, Pedro Madrigal, 1592, p. 177.
65 AGS EST leg. 564/123 (15/10/1575).
66 AGS EST leg. 564/134 (04/11/1575).
67 AGS EST leg. 615/4 (27/05/1596).
68 AGS EST leg. 1284/12 (fin de l’année 1596).
69 AGS EST leg. 1066/13 (24/01/1575).
70 Le marquis de Polignano, don César Gonzaga et de nombreux autres barons apparaissent dans cet inventaire. Ibid.
71 Bari avec 25 pièces, Lecce avec 32 pièces ou encore Barletta avec 52 pièces n’ont aucun artilleur payé par la Couronne. Je fais ici la déduction que ces villes finançaient elles-mêmes leur défense.
72 AGS GYM leg. 654/93 (20/12/1606).
73 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 48r.
74 Le statut de ces ayudantes est discuté p. 218. Il suffira pour le moment de savoir que ces assistants constituaient des sortes d’artilleurs apprentis que la Monarchie payait à moindre prix par rapport aux véritables artilleros.
75 Pour ceux des lecteurs qui seraient malgré tout curieux d’avoir quelque information sur la distribution des valeurs des échantillons analysés précédemment, voici ce qu’il faut savoir. Pour l’échantillon de Naples de 1575, la moyenne de pièces par artilleur est, comme on l’a dit, de 8,2, l’écart-type étant de 4,4. La variabilité est plus réduite dans le second échantillon qui a révélé une moyenne de 4 pièces par artilleur et un écart-type de 1,1. Enfin, le dernier échantillon, croisant les sources, est également plus variable puisqu’il obtient une moyenne de 3,1 pièces par artilleur et un écart-type de 1,7. On trouve donc des écarts-types variant entre 30 et 50 % de la moyenne, ce qui est relativement élevé. La variabilité des poids d’artillerie par artilleur obtient des résultats du même ordre de grandeur, voire légèrement supérieurs. Moyenne de l’échantillon 1 : 142 q. par artilleur, écart-type : 62 q. Moyenne de l’échantillon 2 : 72 q., écart-type : 50 q. Moyenne de l’échantillon 3 : 74 q., écart-type : 45 q.
76 AGS EST leg. 1066/13 (24/01/1575).
77 AGS EST leg. 1066/84 (15/10/1575).
78 AGS EST leg. 1073/53 (28/03/1577).
79 AGS EST leg. 1144/25 (24/03/1575).
80 AGS EST leg. 1156/180, 181 et 184 (12/10/1589).
81 AGS EST leg. 1158/91 (17/05/1596).
82 Voir p. 379-381.
83 AGS EST leg. 1264/97 et 98 (03/12/1588).
84 AGS EST leg. 1260/119 et 126 (28/10/1583).
85 AGS EST leg. 1260/119 (28/10/1583).
86 AGS EST leg. 1260/109 et 113 (12/10/1585).
87 AGS EST leg. 1280/30, Lettre de Juan Fernández de Velasco au Roi (05/01/1596).
88 Voir les comptes de ces travaux de fortification qui s’étalèrent sur plusieurs années, AGS EST leg. 1272/210 (1592).
89 Voir la visite des forteresses par le capitaine Lechuga, sous forme d’imprimé, AGS EST leg. 1294/21 (25/01/1605).
90 Voir p. 382-383 ainsi que AGS EST leg. 1293/23 et 24 (06/05/1604).
91 AGS GYM leg. 365/125 (1592).
92 Les comptes du pagador del artillería pour les années 1570-1590 font état d’environ 20 ou 21 artilleurs pour Saint-Sébastien et 17 à 18 artilleurs pour Fontarrabie. Voir AGS CMC 2a epoca leg. 414.
93 Sur le nombre de 50 artilleurs donné par le capitaine général de l’artillerie au conseil de guerre, voir AGS GYM leg. 246/191 (20/02/1589).
94 Pour l’artillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour le nombre d’artilleurs, voir les comptes de la garnisons des années 1560-1570, AGS CSU 2a época leg. 91.
95 Pour l’artillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Le nombre précis d’artilleurs de cette place forte reste inconnu, les chiffres avancés sont donc le fruit d’estimations fondées sur l’armement de la place.
96 Les chiffres dont je dispose sont relativement anciens, AGS GYM leg. 146/59 (01/05/1543). Il tout à fait possible que les effectifs d’artilleurs de Barcelone aient subi quelques variations à la fin du xvie siècle.
97 Pour Collioure, voir AGS CSU 2a época leg. 91. Pour Salses, l’indication la plus fiable me paraît être l’inventaire du lieutenant Diego de Prado, AGS GYM leg. 378/157 (08/10/1593).
98 AGS GYM leg. 365/87 (année 1592).
99 AGS GYM leg. 378/24, 40 et 51 (année 1593).
100 Pour l’artillerie, ibid. Pour le nombre d’artilleurs, voir AGS GYM lib. 70, fol. 57r (19/09/1594).
101 AGS GYM leg. 365/88 (29/07/1592).
102 AGS GYM leg. 186/221 (18/07/1586). La Monarchie entretenait des artilleurs à Laredo par exemple : AGS GYM leg. 307/202.
103 « Relación de la artillería que queda en el Reyno de Galicia », AGS GYM leg. 3143 sans num. (07/12/1601).
104 AGS GYM lib. 70, fol. 159v-160r (10/06/1595).
105 AGS GYM leg. 654/93 (20/12/1606).
106 Pour l’artillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, voir AGS GYM leg. 281/240. Le statut particulier de cette milice d’artilleurs sera abordé dans les chapitres suivants.
107 Pour l’artillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, voir AGS GYM leg. 254/221 (22/12/1589).
108 AGS GYM leg. 118/226 (17/10/1581).
109 AGS GYM leg. 604/132 (26/06/1603).
110 AGS GYM leg. 118/226 (17/10/1581).
111 Pour l’artillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, voir AGS CMC 2a epoca leg. 414 (Gibraltar 1570 et 1580), AGS GYM lib. 57, fol. 52r-56v (Gibraltar 1590), fol. 77r-84v (Gibraltar 1591).
112 Pour l’artillerie voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, AGS GYM lib. 63, fol. 268v-269r (Cadix, 13/04/1594), fol. 305r (Cadix, 16/07/1594). Pour les travaux de fortification réalisés par l’ingénieur Cristóbal de Rojas, AGS GYM leg. 307/109 (08/04/1590).
113 AGS GYM leg. 125/169 et 170 (10/04/1582).
114 « La carta que Vuestra Señoría me envió del duque [de Medina Sidonia] para que se prestasen las 25 piezas de artillería de su fortaleza… », AGI CT leg. 5108 sans num. (Sanlúcar, 08/05/1586).
115 AGS GYM leg. 280/252 (année 1590).
116 Le quatrième chapitre de ce livre est intégralement dédié à l’étude de cette école d’artilleurs de Séville. Pour l’épisode de la prise de Cadix, voir AGI CT leg. 746/4 (1598).
117 Voir p. 143 et 384.
118 Voir l’instruction de Francés de Álava, capitaine général de l’artillerie, AGS GYM leg. 76/133 (17/05/1572). Ce nombre des 60 artilleurs de Burgos revient de manière récurrente dans la documentation du conseil de guerre tout au long de la période.
119 AGS GYM leg. 365/88 (29/07/1592).
120 AGS GYM leg. 365/132 (31/05/1589).
121 AGS GYM leg. 88/43 (27/07/1578).
122 AGS GYM leg. 552/11 (04/01/1599).
123 AGS GYM leg. 365/122 (10/07/1587).
124 AGS GYM leg. 212/64 (17/09/1587), leg. 316/102 (année 1590), leg. 389/795 (08/11/1593).
125 AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581).
126 AGS GYM leg. 365/125 (1592).
127 AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581).
128 AGS GYM leg. 688/65 (10/11/1608).
129 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, op. cit., tome 8-1, p. 267.
130 Vincent, Bernard, « Philippe II et l’Afrique du Nord » dans Felipe II (1527-1598), Europa y la Monarquía Hispánica, vol. 1.2, José Martínez Millán (éd.), Madrid, Parteluz, 1998, p. 965-974.
131 AGS GYM leg. 77/206 (01/03/1573).
132 AGS GYM leg. 365/79 (24/09/1581).
133 AGS GYM leg. 365/167 (31/07/1592).
134 AGR CP no 560 et 563 (années 1602 à 1615).
135 Le maitre de camp Agustín de Mejía évoquait la présence de 72 pièces à la citadelle d’Anvers, qu’il fallait compléter de 65 nouvelles pièces, AGS EST leg. 620/215 (29/10/1602). Pour les inventaires des pièces des forts de l’Escaut, voir AGR CP no 560 et 563.
136 Voir les dix-huit artilleurs de Malines engagés pour le siège de Mons en 1572, AGR CC no 20970. Le rôle de Malines est discuté p. 179-182.
137 AGS EST leg. 535/46 (08/08/1567), leg. 564/67 (21/07/1575) et leg. 564/117 (05/11/1578).
138 Les routes de la carrera de Indias sont décrites en détail dans Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit. Comme publication plus récente sur la carrera de Indias. Voir aussi Perez-Mallaína, Pablo, Spain’s Men of the Sea : Daily Life on the Indies Fleets in the Sixteenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998.
139 AGS GYM leg. 365/95 (année 1592).
140 AGS GYM leg. 604/95 et 96 (23/05/1588).
141 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).
142 AGS GYM leg. 148/317 (20/08/1583), leg. 186/85 (20/04/1586).
143 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).
144 AGS GYM leg. 149/338 et 350 (18/09/1583).
145 L’ingénieur italien Batista Antonelli est à l’origine de bon nombre de ces travaux de fortification. Voir par exemple à San Juan de Ulua AGI MEXICO leg. 22/16 (05/06/1590), ou encore la plateforme « Antonelli » de la forteresse de Portobelo AGI PANAMA leg. 1/139 (15/11/1597).
146 AGS GYM leg. 133/245 et 257 (année 1582).
147 « Estan en ella 19 piezas de artilleria puestas en horden son todas muy pequeñas », le commandant de la forteresse de la Havane, à la casa de la contratación, AGI CT leg. 5108, sans num. (12/09/1588).
148 Macías Domínguez, Isabelo, Cuba en la primera mitad del siglo xvii, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1978, p. 297 et 314.
149 AGS GYM leg. 133/245 (année 1582).
150 AGS EST leg. 615/44 (04/12/1598).
151 Lettre de Juan de Tejeda à la casa de la contratación, AGI CT leg. 5108, sans num.(12/07/1587).
152 AGS GYM leg. 604/43 (04/04/1603).
153 Perez-Mallaína, Pablo, Spain’s Men of the Sea, op. cit., p. 13.
154 AGI PANAMA leg. 1/139 (15/11/1597) et leg. 14/13-91 (15/11/1597).
155 AGI MEXICO leg. 21/9 (22/04/1587). Les plaintes du manque d’artillerie continuaient en 1590, AGI MEXICO leg. 22/16 (05/06/1590).
156 AGI MEXICO leg. 24/25 (04/10/1599).
157 Rapport du capitaine Gómez de Rojas Manrique, lieutenant à Santiago de Cuba, au gouverneur Gabriel de Luján, AGI CT leg. 5108, sans num.(01/05/1586).
158 Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, 1579-1700 : Royal Reluctance and Colonial Self-Reliance, Morisville, Lulu.com, 2009.
159 Giraldez, Arturo, The Age of Trade. The Manila Galleons and the Dawn of the Global Economy, Lanham ; Boulder ; New York ; Londres, Rowman and Littlefield, 2015.
160 Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, op. cit.
161 Sluiter, Engel, « The Fortification of Acapulco, 1615-1616 », The Hispanic American Historical Review, vol. 29, no 1, 1949, p. 69-80.
162 AGI MEXICO leg. 27/35 (03/03/1608).
163 AGI MEXICO leg. 28/33 (25/01/1616).
164 Voir p. 194.
165 Il faut attendre les résultats de la thèse de Tiago Machado de Castro qui devrait fournir de nombreux éléments de réponse, tant quantitatifs que qualitatifs, au sujet des artilleurs des Indes Orientales. Voir déjà son travail de master : Machado de Castro, Tiago, « Bombardeiros na Índia. Os homens a as artes da artilharia portuguesa (1498-1557) », Thèse de master défendue à la Universidade de Lisboa, Lisbonne, 2011.
166 Teodoro de Matos, Artur, Orçamento do Estado da India – 1571, CNCDP/Centro de Estudos Damião de Góis, 1999. Je remercie Roger Lee de Jesus pour cette référence.
167 Parker, Geoffrey, « The Artillery Fortress as an Engine of European Overseas Expansion », op. cit., p. 395.
168 Bethencourt, Francisco, Chaudhuri, Kirti, História da Expansão Portuguesa, vol. 1 : A Formação do império (1415-1570), Lisbonne, Temas e Debates, 1998, p. 402-403.
169 Ibid.
170 Voir chapitre « des écoles d’artilleurs pour soutenir un empire ».
171 L’argumentation de cette partie s’appuie sur le traitement statistique d’une base de données disposant d’informations sur l’artillerie et les artilleurs de plus de 600 navires. La base de données est consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
172 Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit. Williams, Phillip, Empire and Holy War in the Mediterranean : the Galley and Maritime Conflict between the Habsburgs and Ottomans, Londres, New York, I.B. Tauris, 2014.
173 Williams, Phillip, Empire and Holy War in the Mediterranean, op. cit., p. 92.
174 Pour les effectifs de soldats, voir par exemple les listes d’équipage à la veille de la bataille de Lépante, AGS EST leg. 1134/16 (18/07/1571), pour avoir une idée des effectifs de routine, voir les listes de l’escadron des galères de Bretagne, AGS CSU 2a epoca leg. 201 (1598).
175 Voir à ce titre l’armement des galères de Sicile en 1584, AGS GYM leg. 175/116 et 117 (22/04/1584).
176 Pour l’Espagne, la première référence de galion remonterait à 1526, Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain : Imperial Defense in the Early Seventeenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, p. 40.
177 Contente Domingues, Francisco, Os navios do mar Oceano : Teoria e empiria na arquitectura naval portuguesa dos seculos xvi e xvii, Lisbonne, Centro de historia da universidad de Lisboa, 2004, p. 252-258. Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit., p. 42-43.
178 Goodman, David C., Power and Penury, op. cit., p. 106-108. Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665 : Reconstruction and Defeat, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 1997, p. 86.
179 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit. Les commentaires des tables des tomes 2 à 5, détaillant le trafic de la carrera de Indias, mettent clairement en évidence la fréquence de cette pratique, en particulier pour les galions d’escorte des flottes de Nouvelle-Espagne et de Tierra Firme. Pour un exemple concret, voir AGS GYM leg. 128/310 (20/07/1582).
180 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 6, p. 168.
181 Pour un exemple d’armement d’un navire de guerre anglais du milieu du xvie siècle, voir les travaux archéologiques réalisé sur l’épave du Mary Rose, Hildred, Alexzandra, The Archeology of the Mary Rose Vol. 3, op. cit. D’après Parker, la flotte royale anglaise était constituée en 1540 de 53 vaisseaux dont 15 grands navires de plus de 400 t. lourdement armés, Parker, Geoffrey, The Grand Strategy of Philip II, New Haven, Yale University Press, 1998, p. 252.
182 Ibid. p. 253.
183 Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit.
184 « Por esto dicen algunos que en la jornada de Ingalaterra tirava más la artillería del enemigo que no la nostra y es que no tenían quenta que en nuestra armada abía mucha cantidad de artillería de hierro colado de una libra asta tres y quatro libras y con esas no es posible poder tirar tanto como la otra artillería de 10 y 12 libras de pelota que traía el enemigo, que eran medias culebrinas y medios cañones », Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 59v-60r.
185 Voir les rapports fournis à Philippe II avant le départ de la Grande Armada et les conseils que ce dernier donna à Medina Sidonia, cités par Parker, Geoffrey, The Grand Strategy of Philip II, op. cit. p. 251.
186 Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit., p. 232-250.
187 AGS EST leg. 1134/150 (28/12/1571).
188 Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit., p. 233. Le chiffre de 500 toneladas provient des documents de l’administration militaire espagnole, AGS GYM leg. 280/103 (Février 1590).
189 Quatre-vingt quinze artilleurs embarqués dans deux galéasses à Naples en 1589, AGS EST leg. 1090/36 et 40 (04/05/1589). Mais utilisées comme transports de Cadix à Naples, les effectifs d’artilleurs sont bien plus faibles, entre 17 et 23, AGS GYM leg. 162/53 (11/05/1584).
190 Pour un parfait exemple de ce genre d’arbitristas, voir AGS GYM leg. 655/341 (année 1606).
191 Contente Domingues, Francisco, Os navios do mar Océano, op. cit., p. 262-266.
192 Voir les listes de zabras envoyées en Flandres sous le commandement de Juan Martínez de Recalde en 1576, AGS CMC 2a epoca leg. 747. Par comparaison, voir les listes d’équipage de la flottille AGI CT leg. 2965 (année 1599).
193 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), Madrid, España, Editorial Naval, 1988, p. 24.
194 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 1, p. 278.
195 Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, op. cit.
196 Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II – Tome 2, op. cit., (1976), p. 314-317. Elliott, John H., Europe Divided 1559-1598, Fontana, Collins, 1968, p. 176. Sur le désastre de Djerba, voir Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit., p. 123-133.
197 Barbero, Alessandro, Lepanto. La battaglia dei tre imperi, Bari, Gius. Laterza et Figli, 2011, p. 623 et 637.
198 AGS GYM leg. 175/107 (année 1583).
199 AGS GYM leg. 175/7 et 8 (année 1583).
200 Williams, Phillip, Empire and Holy War in the Mediterranean, op. cit.
201 Ibid., p. 231.
202 Exemple d’envoi de deux galères en Nouvelle-Espagne, AGS GYM leg. 126/175 (12/05/1582). Deux autres galères envoyées à Tierra Firme l’année suivante, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 326. En 1586, quatre galères sont envoyées à Cuba et deux à Tierra Firme, ibid. p. 378 et 382.
203 Lettre du capitaine Juan de Tejeda à la casa de la contratación, AGI CT leg. 5108, sans num. (12/07/1587). Cet escadron de galères « de Tierra Firme », commandé par Pedro Vique Manrique, était notamment chargé du transport des perles de l’île Margarita au port fortifié de Carthagène des Indes, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 364.
204 AGI PANAMA, leg.13, R.18, N.99 (16/06/1579).
205 Lettre de Diego Naguera Valenzuela à la Casa de la Contratación, AGI CT leg. 5108, sans num. (06/02/1588).
206 Une armada de 11 galères et 10 galiots (petites galères) était présente à Manille en 1578, AGI FILIPINAS, leg.6, R.3, N.30 (14/07/1578). En 1592, quatre galères étaient encore entretenues, AGI FILIPINAS, leg.18B, R.2, N.5 (31/05/1592). Elles n’étaient plus que trois en 1597, AGI FILIPINAS, leg.18B, R.7, N.63 (07/06/1597).
207 L’artilleur Pedro de Sierra servait dans la capitana de l’escadron avant 1593, ce qui atteste de son existence dès le début des années 1590, AGS GYM leg. 389/238 (27/05/1593). Liste de comptes de l’escadron (effectifs allant jusqu’à cinq galères normales, une capitana, une patrona) pour l’année 1598, AGS CSU 2a epoca leg. 201 (année 1598).
208 AGS GYM leg. 431/157 (année 1595).
209 AGS EST leg. 560/51 (09/10/1574).
210 AGS EST leg. 564/76 (24/08/1575).
211 Stradling, R.A., The Armada of Flanders : Spanish Maritime Policy and European War, 1568-1668, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 11-13.
212 AGS EST leg. 1065/135 (28/08/1574).
213 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).
214 Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit.
215 Entre Naples, Carthagène et Melilla en 1584, AGS GYM leg. 162/58 (11/05/1584), entre Naples, Gênes et Lisbonne en 1589, AGS EST leg. 1265/85 (20/02/1589), AGS GYM leg. 254/171 (09/12/1589).
216 AGS GYM leg. 175/7 et 8 (année 1583).
217 AGS GYM leg. 397/68 (19/02/1593).
218 AGS GYM leg. 364/128 (30/05/1592).
219 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 49-50.
220 Ibid. p. 59, 72-73.
221 Ibid. p. 80.
222 Ibid. p. 95.
223 Serrano Mangas, Fernando, Función y evolución del galeón en la carrera de Indias, Fundación MAPFRE, 1992.
224 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., pour l’histoire du monopole, voir en particulier tome 8-1.
225 Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit., p. 10-12.
226 Mira Caballos, Esteban, Las armadas imperiales : la guerra en el mar en tiempos de Carlos V y Felipe II, Madrid, Esfera de los Libros, 2005, p. 138-139.
227 La plupart des historiens situent cet évènement en 1576, Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit. p. 3. Mira Caballos, Esteban, Las armadas imperiales, op. cit. p. 138. Les Chaunu voient dans la flotte de Menendez de Avilés de 1571 les prémices de cette armada, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit. tome 1, p. 109.
228 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit., p. 3.
229 Elliott, John H., Imperial Spain, op. cit., p. 186.
230 Cespedes del Castillo, Guillermo, La avería en el comercio de Indias, Séville, CSIC, Escuela de estudios hispano-americanos de la Universidad de Sevilla, 1945. Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 1, p. 169-173.
231 Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II – Tome 2, op. cit., p. 460 et suiv.
232 Parker, Geoffrey, The Army of Flanders and the Spanish Road, 1567-1659, op. cit.
233 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), op. cit., p. 117.
234 Pi Corrales, Magdalena, « La otra Invencible », 1574 : España y las potencias nordicas., Madrid, San Martín, 1983, p. 120.
235 AGS EST leg. 564/76 (24/08/1575).
236 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), op. cit. Stradling, R.A., The Armada of Flanders, op. cit.
237 Fernández Duro, Cesáreo, Armada española desde la unión de los reinos de Castilla y de Aragón, tomo II, Madrid, Museo Naval, 1972, p. 296.
238 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit. p. 11. Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 36.
239 Fernández Duro, Cesáreo, Armada española desde la unión de los reinos de Castilla y de Aragón, tomo II, op. cit., p. 315.
240 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).
241 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 292-297 et 352.
242 Ce paragraphe s’appuie principalement sur l’étude de Martin et Parker : Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit. Consulter la réédition de 1999 pour une mise à jour de leurs recherches.
243 AGI CT leg. 2934.
244 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit. Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit.
245 Wernham, Richard B., After the Armada : Elizabethan England and the Struggle for Western Europe, 1588-1595, Oxford, Oxford University Press, 1984. Wernham, Richard B., The Return of the Armadas : The Last Years of the Elizabethan War against Spain, 1595-1603, Oxford, Oxford University Press, 1994.
246 Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 264.
247 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit., p. 8.
248 Ibid. p. 9.
249 AGS GYM leg. 280/103 (Février 1590).
250 Pour les trois escadrons, et surtout celui de Gibraltar, AGS GYM leg. 655/285, 287 et 289 (10/12/1606). Pour l’escadron de Lisbonne, AGS GYM leg. 655/308 (01/12/1606).
251 AGS GYM leg. 655/308 (01/12/1606).
252 Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit. p. 14. Tenace, Edward, « A Strategy of Reaction : The Armadas of 1596 and 1597 and the Spanish Struggle for European Hegemony », The English Historical Review, vol. 118, no 478, 2003, p. 855-882.
253 AGI CT leg. 2963 (année 1606).
254 La suite de ce paragraphe s’appuie sur les deux auteurs suivants : Wernham, Richard B., The Return of the Armadas, op. cit. Tenace, Edward, « A Strategy of Reaction », op. cit.
255 Stradling, R.A., The Armada of Flanders, op. cit. p. 7-8.
256 AGR CA no 79.
257 Ibid.
258 Perez-Mallaína, Pablo E., Torres Ramírez, Bibiano, La Armada del Mar del Sur, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1987.
259 Ibid. p. 86. Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, op. cit.
260 Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, op. cit. p. 31.
261 Torres Ramírez, Bibiano, La Armada de Barlovento, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1981.
262 Ibid. p. 1-35.
263 Parrott, David, The Business of War : Military Enterprise and Military Revolution in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2012. Torres Sánchez, Rafael, Military Entrepreneurs and the Spanish Contractor State in the Eighteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 2016.
264 Voir l’ouvrage très influent de Tilly, Charles, Coercion, Capital and European States, AD 990-1992, op. cit.
265 Parker, Geoffrey, The Military Revolution, op. cit.
266 AGS GYM leg. 128/310 (20/07/1582).
267 AGS GYM leg. 186/220 (12/07/1586).
268 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), op. cit., p. 189, 211-215.
269 Douze navires flamands, treize anglais, dix français saisis en Basse Andalousie en 1585, AGS GYM leg. 177/17 (20/04/1585). Treize naves flamandes, allemandes et anglaises saisies à Sanlucar et Cadix deux mois plus tard, AGS GYM leg. 177/114 (19/06/1585).
270 Listes d’équipage avec des artilleurs désignés sous les termes de « condestable » et « lombardero », AGS GYM leg. 177/115 (19/06/1585).
271 AGS GYM leg. 280/228 (06/02/1590).
272 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit.
273 Recopilación de leyes de los reinos de las Indias : mandadas imprimir y publicar por la Majestad Católica del rey Don Carlos II, nuestro señor., Madrid, Impr. por Julián de Paredes, 1681, Lib. IX, Tit. XXX, Leyes XXX, XXXII et XXXIII.
274 Lettre d’Andrés Muñoz el Bueno au roi, AGI IG leg. 2007, sans num. (16/01/1602).
275 Voir chapitre « théorie et pratique à l’école d’artilleurs de Séville ».
276 AGI CT leg. 2945.
277 AGI MEXICO leg. 21/9 (22/04/1587).
278 Lettre de Andrés Muñoz el Bueno au roi, AGI IG leg. 2007, sans num. (16/01/1602).
279 Recopilación de leyes de los reinos de las Indias, op. cit. Libro IX, Tit. XXX, Ley XXXIII.
280 C. Cipolla a parfaitement identifié cet avantage économique de l’artillerie en fonte, malgré sa qualité inférieure à l’artillerie de bronze, Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 41-43.
281 AGI IG leg. 2008, sans num.
282 Recopilación de leyes de los reinos de las Indias, op. cit. Libro IX, Tit. XXX, Ley XXX.
283 AGI CT leg. 2945.
284 Tables statistiques du mouvement annuel global en unités pondérées, de 1504 à 1650, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit. tome 6, p. 338-340.
285 Ladero Galán, Aurora, « Artilleros y artillería de los Reyes Católicos (1495-1510) », op. cit. Cobos Guerra, Fernando, La artíllería de los Reyes Católicos, op. cit.
286 Elliott, John H., « A Europe of Composite Monarchies », op. cit.