Aller au contenu

Classiques Garnier

Les artilleurs à l’échelle de l’empire Un saut quantitatif

  • Auteur lauréat du Prix Turriano 2017 de l’International Committee for the History of Technology et du Prix d’histoire militaire 2017 du ministère des Armées
  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Artilleurs et la Monarchie hispanique (1560-1610). Guerre, savoirs techniques, État
  • Pages : 31 à 114
  • Collection : Histoire des techniques, n° 21
  • Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
  • EAN : 9782406115564
  • ISBN : 978-2-406-11556-4
  • ISSN : 2264-458X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11556-4.p.0031
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2021
  • Langue : Français
31

Les artilleurs
à léchelle de lempire

Un saut quantitatif

Y así entiendo, por haverlo visto, la mucha falta que ay de artilleros para las armadas de Vuestra Magestad1.

Le duc de Medina Sidonia, Sanlúcar de Barrameda, 1590.

Introduction

Le « grand manque » dartilleurs que le duc de Medina Sidonia dénonce à Philippe II dans la citation précédente est exprimé de manière récurrente dans la documentation du conseil de guerre du roi dEspagne. Ainsi, à cette même date, en 1590, Pedro López de Soto, contrôleur de lartillerie de Galice, faisait une remarque semblable à propos des côtes nord de lEspagne2. La Monarchie avait alors désespérément besoin de techniciens capables dutiliser les canons et autres pièces dartillerie de ses flottes et de ses forteresses. La fréquence de ce type de discours a dailleurs conduit lhistorien des techniques David Goodman à parler dune véritable « pénurie » dhommes qualifiés à lépoque de Philippe II3. Or si le manque chronique dartilleurs apparaît évident, les raisons en sont, quant à elles, plus obscures. En réalité, aucune étude ne sest intéressée sérieusement aux besoins en artilleurs de la Monarchie hispanique. Ce 32premier chapitre va donc sinterroger sur les effectifs dartilleurs et leur évolution dans le temps afin de combler une lacune indispensable à la construction du cadre de cette étude sur les artilleurs. À partir dun travail statistique sur les documents comptables de ladministration militaire espagnole, il tâchera de cerner les ordres de grandeur, didentifier les principaux espaces de service de ces techniciens de la guerre. Ce faisant, il mettra en évidence la force majeure de transformation des besoins en artilleurs de lempire espagnol : limportant saut quantitatif engendré par le développement des flottes atlantiques dans les dernières décennies du xvie siècle. Cependant, avant dentrer dans les détails de cette analyse, un détour par lhistoriographie et la description des sources paraît nécessaire.

Les artilleurs, grands absents du débat
sur la révolution militaire

Depuis la conférence donnée en 1956 par Michael Roberts4 et plus encore depuis le livre de Geoffrey Parker5, le concept de « révolution militaire » na cessé dêtre au cœur des débats des historiens militaires. Bien quelle soit constituée dune multitude de narrations différentes, la révolution militaire renvoie généralement à lidée que, entre les xve et xviie siècles, dimportantes transformations des technologies et tactiques militaires en Europe de louest ont eu un impact déterminant sur lévolution des sociétés occidentales, la construction des États modernes et la constitution des empires coloniaux6. Or, le récit de Parker, celui 33qui a connu la plus grande postérité, fait la part belle aux canons. Après deux cents ans dévolution aux xive et xve siècles, la technologie du canon, arrivée à maturité au début du xvie siècle, transforma larchitecture militaire et modifia de manière décisive léchelle de la guerre. Rapidement, les principaux belligérants furent les seuls États capables de produire de lartillerie lourde, de construire les coûteuses forteresses à bastions et de mobiliser des dizaines de milliers de fantassins pour semparer des forteresses des États concurrents. Le développement, dans le courant du xvie siècle, de flottes équipées dartillerie, ne fit quaccentuer ce phénomène.

Dans bon nombre de récits des historiens militaires, comme dans celui de Parker, lavènement du canon moderne constitue lun des principaux éléments déclencheurs des transformations vers la modernité. Or, lhistoriographie situe assez précisément cette innovation. En 1494, lartillerie du roi de France Charles VIII envahissant lItalie représente, pour beaucoup dhistoriens, le premier exemple dartillerie moderne7. Près de deux siècles après son invention, le canon aurait pris sa forme définitive au début des guerres dItalie (1494-1559) ne subissant que de légères modifications durant les siècles suivants. Ainsi au milieu du xixe siècle, Louis-Napoléon Bonaparte, grand amateur de canons anciens, et le capitaine dartillerie Ildefonse Favé écrivaient que :

les progrès réalisés par lartillerie pendant la seconde moitié du xve siècle ont eu plus dimportance que tous ceux quelle a faits dans les trois cent soixante ans qui se sont écoulés depuis8.

Ce constat dune relative fixité des caractéristiques techniques du canon après 1500 a encouragé les historiens militaires à focaliser leur attention sur le moment de basculement, de transformation de la bombarde médiévale vers le canon moderne dans le courant du xve siècle9. 34Bien que très intéressante et tout à fait justifiée, cette focalisation sur lartillerie du xve siècle sest faite au prix dun certain désintérêt des historiens pour lartillerie des décennies suivantes, en particulier de la seconde moitié du xvie siècle.

Lartillerie nest pourtant pas absente des narrations des historiens militaires du xvie siècle, elle passe simplement au second plan. Lintérêt de lhistoriographie sest notamment porté sur les innovations techniques résultant de lémergence du canon moderne, telles que les fortifications à bastions10. De même, le canon progressivement intégré aux galères est présenté par Guilmartin comme un élément essentiel du combat naval dans la Méditerranée du xvie siècle11. Les études portant sur les affrontements atlantiques insistent également sur limportance de lartillerie embarquée, preuves archéologiques à la clé12. Néanmoins aucun historien na récemment tenté doffrir une synthèse de lartillerie à léchelle dun grand État, portant à la fois sur ses forteresses et ses flottes. Le dernier ouvrage en date concernant lartillerie de la Monarchie hispanique est celui de Jorge Vigón13, du milieu du xxe siècle, lacunaire dans le travail des sources – car sappuyant uniquement sur des écrits dhistoriens militaires du xixe siècle – et centré sur l« Espagne » et ses colonies américaines, ignorant les nombreux autres territoires européens des Habsbourg. Les études sintéressant à lappareil militaire espagnol mettent en évidence, quant à elles, les conséquences du changement 35déchelle de la guerre, à cette époque, sur ladministration militaire castillane, laccroissement des effectifs de linfanterie et la professionnalisation du commandement14.

Or lun des principaux arguments de ce livre est de montrer que, même si les caractéristiques techniques de lartillerie demeurèrent relativement stables au xvie siècle, les systèmes encadrant son utilisation furent quant à eux lobjet de profondes mutations du fait du changement déchelle de la guerre. Notamment, le développement de fortifications plus gourmandes en artillerie et la mise en place de flottes de guerre armées de canons augmenta considérablement les besoins en artillerie de la Monarchie hispanique. Pour le dire autrement, après le saut qualitatif important que connut le canon au xve siècle, il sagit maintenant détudier le saut quantitatif considérable qui résulta de la généralisation de son emploi dans les grands dispositifs de combat de lépoque moderne. De lobjet et de linnovation technique, la focale passe au système et à linnovation administrative et sociale. Par conséquent, cette étude met davantage laccent sur les hommes que sur le matériel.

Il faut par ailleurs remarquer que, si lhistoriographie de la révolution militaire a fait la part belle à lartillerie, les artilleurs, cest-à-dire les individus servant les canons, ont, eux, été très peu étudiés. Les rares publications les concernant portent sur cette fameuse période de lavènement du canon moderne au tournant des xve et xvie siècles15. Aucune des grandes études citées précédemment sur lappareil militaire de la Monarchie hispanique ne leur dédie plus de quelques lignes. On ne sait donc quasiment rien deux. Pourtant, comme semblent le montrer les citations en introduction de ce chapitre, disposer de ces techniciens militaires en nombre suffisant a représenté un considérable défi pour 36les États du xvie siècle. Par conséquent, lobjectif de ce premier chapitre sera de pallier ce manque en dressant une cartographie générale de lévolution des besoins en artilleurs à léchelle de la Monarchie hispanique.

Quelles sources pour connaître
les effectifs dartilleurs ?

Le projet de reconstruire lévolution des besoins en artilleurs de la Monarchie hispanique peut paraître ambitieux à lexcès. Il est néanmoins rendu possible par la mise en série de certains types de documents émanant de ladministration militaire espagnole. Notons dailleurs que léchelle danalyse choisie, « lempire espagnol », nest que partiellement fabriquée par lhistorien. Comme le montrera plus en détail le second chapitre, cette échelle existe, dans une certaine mesure, du fait du caractère relativement centralisé de ladministration de lartillerie : lessentiel du travail exposé ici a été réalisé à partir des documents des archives de Simancas et Indias, cest-à-dire à partir des informations convergeant vers les grands centres administratifs de lempire – Madrid et Séville.

La source idéale de renseignement sur les effectifs dartilleurs est le document comptable listant les artilleurs dune place forte ou dun navire ayant servi sur une période donnée. On trouve ce type de documents dans les sections contaduría mayor de cuentas et contaduría del sueldo des archives de Simancas. Ils y restent néanmoins très rares et difficiles à trouver dans ces sections qui sont parmi les plus volumineuses de Simancas. On les rencontre en revanche beaucoup plus fréquemment dans la section contratación de larchivo de Indias, dans les séries papeles de armada16 et cuentas de maestres17. Ces séries sont issues des comptes de navires affrétés par la Monarchie au sein des convois reliant lAndalousie à lAmérique, ce qui explique labondance dinformations dont cette étude dispose sur les forces navales. Ces listes présentent généralement lensemble des individus servant dans une place forte ou sur un bateau. En plus dinclure souvent une description physique et un lieu de naissance, elles associent à chaque individu une fonction : piquier, arquebusier, sergent, porte-étendard, marin, 37matelot, chirurgien etc. Les hommes maniant les pièces dartillerie sont aisément reconnaissables dans ces listes car ils sont identifiés par le terme artillero – le spécialiste de lartillerie. Avant les années 1580, lancien terme de lombardero – le spécialiste des bombardes – apparaît également quelquefois. Souvent ces hommes étaient sous le commandement dune sorte de caporal appelé condestable sur les navires, cabo de artilleros ou cabo maestro dans les garnisons. Ainsi, la relative rigueur employée par ces documents dans la désignation des artilleurs permet dobtenir précisément leur nombre, les listes étant même mises à jour régulièrement à chaque montre. Ces documents souffrent néanmoins dun inconvénient majeur vis-à-vis de lobjectif macroscopique de ce chapitre puisquils ne portent généralement que sur une place forte ou un navire en particulier.

Les documents comptables peuvent être complétés par dautres documents administratifs, notamment la correspondance du conseil de guerre (section guerra y marina des archives de Simancas). Les officiers locaux envoyaient en effet régulièrement au conseil de guerre des rapports sur la situation dune forteresse ou dun navire, dans lesquels ils faisaient mention du nombre dartilleurs présents. Mieux encore, ces rapports concernaient parfois des listes deffectifs de toute une région ou de tout un escadron de navires. On voit alors y figurer le nom de chaque navire et les effectifs de léquipage souvent divisé en grandes catégories telles que marins, officiers, soldats et artilleros. Ces documents sont conçus comme des aides à la gestion, permettant aux membres du conseil de guerre de gouverner à grande échelle les armées du roi. Ils sont sans doute moins précis que les documents comptables, mais ils présentent lénorme avantage doffrir une vision élargie des effectifs dartilleurs à un moment donné. En outre, étant donné que leur but était de fournir un rapport le plus complet possible sur une situation donnée, ces documents informent bien souvent aussi sur le nombre de pièces dartillerie, parfois le type de pièces et fournissent dautres caractéristiques techniques telles que le volume des navires. Il est par conséquent possible détablir des ratios entre la quantité dartillerie, le type de places fortes ou de navires et les effectifs dartilleurs.

Or, établir ce type de rapports numériques permet de construire de plus larges estimations. En effet, les sources évoquant directement 38les effectifs dartilleurs ne sont pas suffisantes pour obtenir une vision complète à léchelle de la Monarchie hispanique. En revanche, à partir de la documentation du conseil de guerre, des documents comptables et de la littérature secondaire, il est possible dobtenir des informations sur le nombre de forteresses des différents territoires, le nombre de navires des différentes armadas, leur taille ou encore leur artillerie. En combinant ces différentes données quantitatives, on peut ainsi réaliser des projections du nombre dartilleurs dans les différents territoires et flottes de la Monarchie. Les estimations obtenues et leur méthode de calcul seront explicitées au cas par cas dans la suite de ce chapitre. Je tâcherai danalyser les principaux grands dispositifs de combat sur terre puis sur mer dans une perspective diachronique. Les résultats donnés sur les effectifs dartilleurs seront bien entendu critiquables car relativement imprécis. Néanmoins, malgré ces imprécisions, la méthode se justifie par les considérables écarts dordres de grandeur quelle mettra en évidence. Lessentiel de largument de ce chapitre est de démontrer que les artilleurs présents dans un train dartillerie ne dépassent pas quelques dizaines, tandis que les artilleurs servant dans les garnisons dun État se calculent en centaines et que, suite au développement des flottes atlantiques, les artilleurs engagés sur mer finissent par se compter en milliers.

Les pièces dartillerie
de la Monarchie hispanique

Avant de sintéresser aux grands dispositifs de combat que furent les forteresses, les galères ou encore les galions, il semble important de traiter brièvement de lobjet matériel à la base de leur armement, élément essentiel à lactivité des artilleurs : la pièce dartillerie. Comme cela a été dit précédemment, contrairement à la plupart des études sur lartillerie qui ont placé le canon au centre de leur attention, ce travail propose de déplacer la focale vers les individus lutilisant. Il nen reste pas moins important de caractériser, au moins brièvement, lartillerie de la seconde moitié du xvie siècle qui se trouve dans les forteresses et 39les flottes de lanalyse à venir. Quelles étaient donc les pièces dartillerie en usage à lépoque étudiée18 ? 

Une grande diversité de pièces

Le parc dartillerie de la Monarchie hispanique se caractérisait, encore au xvie siècle, par une grande diversité de pièces. Lartillerie moderne qui se répandit en Europe à la fin du xve siècle correspondait à un certain modèle : il sagissait de pièces fabriquées en bronze, montées sur affût de bois à deux roues et tirant des boulets de fer, voire de plomb pour les versions les plus petites. Néanmoins cet avènement du canon moderne ne mit pas un terme à la prolifération de différents types de pièces, bien au contraire19. Malgré les tentatives de standardisation de lartillerie des années 154020, il est clair que les auteurs de traités dartillerie de la fin du xvie siècle avaient encore à faire face à une profusion de modèles différents21. Comme la récemment montré Emmanuel de Crouy-Chanel, toute une nomenclature importée de France se diffusa en Europe du sud dès les premières années des guerres dItalie22. Différents noms sappliquaient à différentes pièces dartillerie selon leurs caractéristiques techniques particulières, au premier chef desquelles figuraient le calibre, cest-à-dire le diamètre interne déterminant le poids du boulet quétait capable de tirer la pièce, ainsi que le rapport entre ce diamètre et la longueur de la volée ou de lâme – lintérieur du tube du canon. Il faut noter que ces paramètres, repris par les historiens, sont ceux quutilisaient les hommes de lépoque, comme le montre le schéma ci-dessous tiré du traité de Cristóbal Lechuga23.

40

Fig. 1 – Anatomie dun canon en coupe par Lechuga, Discurso…, Milan, 1611.
Document appartenant aux collections de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

À partir de ces différentes caractéristiques, la plupart des traités classaient ces armes selon trois grandes catégories. Celle des canons comprenait les grands canons en bronze utilisés pour battre les murailles ainsi que leurs déclinaisons plus petites telles que les demi-canons et quart-de-canons. Celle des couleuvrines rassemblait des pièces de tailles très diverses mais présentant la caractéristique commune davoir une forme bien plus allongée que celle des canons, censée augmenter leur portée et leur précision. Enfin celle des pierriers se distinguait par le matériau des projectiles tirés qui, au lieu dêtre faits de métal, étaient taillés dans la pierre. Pour les dernières décennies du xvie siècle, il faudrait ajouter à cette classification les pièces dartillerie en fonte dont lusage se développa en Europe du nord à cette période24. Or, ces différents modèles ne séquivalaient ni en puissance, ni en usage.

Comment, alors, peut-on appréhender lartillerie de la Monarchie hispanique dans sa diversité ? Il faut savoir que, dans la seconde moitié du xvie siècle, ladministration militaire espagnole prenait soin de tenir régulièrement à jour des listes dartillerie fournissant un certain nombre de caractéristiques techniques telles que le calibre, le poids ainsi que le modèle identifié par lindividu réalisant la liste. Relativement fréquentes, ces listes nont pu faire lobjet dune analyse exhaustive dans ce travail avant tout centré sur les hommes. Néanmoins, une analyse partielle a été réalisée à partir dun échantillon de 3 272 pièces dartillerie afin de 41mieux cerner à quoi correspondaient les différents modèles et quelles étaient les pièces les plus fréquentes25. Cet échantillon contient 75 % de pièces provenant de places fortes et 25 % de navires, ce qui constitue un certain biais de représentativité puisque, comme la suite de ce chapitre le montrera, les flottes furent autant sinon plus gourmandes en artillerie que les places fortes. Pour pallier ce manque, jessaierai parfois de préciser les résultats concernant lartillerie embarquée sur mer afin de voir si elle divergeait significativement de celle utilisée sur terre.

Enfin, quelques remarques générales simposent avant danalyser plus en détail la nomenclature et les caractéristiques des pièces. Dabord, il faut insister sur la grande variabilité des calibres et des proportions des pièces. Léchantillon analysé rassemble une pléthore de noms différents renvoyant chacun à une diversité de caractéristiques techniques. Simple constat empirique : à la fin du xvie siècle, lartillerie de la Monarchie hispanique nétait absolument pas standardisée. Certes, il y eut quelques tentatives de normalisation de la production dartillerie. Par exemple, à la fin de lannée 1574, des ordres furent envoyés de Madrid aux différents États italiens de la Monarchie afin dy fabriquer 729 pièces dartillerie selon des spécifications techniques communes26. De même, en 1589, le capitaine général de lartillerie, don Juan de Acuña Vela, fournit au conseil de guerre des indications techniques pour différents types de pièces que la fonderie de Malaga devait suivre pour remplacer lartillerie perdue par la Grande Armada de 158827. Ces dernières spécifications eurent beau être respectées28, elles répondaient plus à une logique de production par lot quà un véritable projet dharmonisation des pièces à léchelle de lempire29. Une fois produites, les pièces restaient parfois en usage pendant plusieurs décennies. Entre temps, les spécifications techniques du lot suivant pouvaient changer. Dans lexemple précédent, don Juan de Acuña Vela critiquait les caractéristiques techniques des pièces produites par son prédécesseur don Juan Manrique de Lara30. Or, bien 42que fabriquées dans les années 1560, ces pièces se trouvaient encore dans les inventaires dartillerie de Santander et Cadix dans les années 158031.

En outre, lartillerie circulait énormément, comme certains inventaires indiquant lorigine des pièces le prouvent. La complexité des historiques de constitution du parc dartillerie apparaîtra plus clairement à travers un exemple. Ainsi, dans la forteresse de Ponta Delgada, sur lîle São Miguel aux Açores, on comptait 19 pièces dartillerie en 158332. Neuf dentre elles avaient été fondues à Lisbonne tandis que les dix autres provenaient du navire Catalina qui, à son retour des Caraïbes en 1579, sétait échoué près de la forteresse. Parmi ces pièces, trois avaient été fabriquées en Allemagne, deux à Gênes, deux en Flandre, deux à Mexico et une à Malaga. Or, cet exemple na rien dexceptionnel. Au contraire même, il est plutôt représentatif de la plupart des inventaires dartillerie dans lesquels des pièces de la péninsule ibérique côtoient des canons turcs, des couleuvrines flamandes, des pièces légères siciliennes et des pièces en fonte venant dAngleterre. De cette manière, les grands lots dartillerie produits à Malaga, Lisbonne ou en Italie se retrouvaient disséminés aux quatre coins de lempire, mélangés à des productions de multiples autres fonderies, ce qui explique la grande variabilité des caractéristiques techniques de léchantillon.

Pour faire face à cette diversité de pièces, les hommes en charge de lartillerie tâchaient dattribuer à chaque pièce du parc dartillerie le nom du modèle auquel ses caractéristiques techniques la rattachaient. Une longue et grande pièce tirant des boulets de 30 lb. avait toutes les chances de se faire appeler culebrina, tandis quune pièce plus ramassée, aux parois plus fines et tirant des boulets de pierre était clairement identifiée comme un pedrero. Toutefois, il faut remarquer que les noms génériques des différents modèles de pièces renvoyaient à une certaine diversité de réalités selon les individus qui les désignaient. En particulier les limites entre un type de pièce dartillerie et un autre nétaient pas toujours claires. De la famille des couleuvrines, cest-à-dire des pièces allongées, le sacre (tirant en moyenne 6 lb.) était par exemple une petite version de la media culebrina (tirant en moyenne un peu plus de 10 lb.). Néanmoins, près de 20 % des occurrences de sacres sont attribuées à des pièces ayant entre 8 et 14 lb. de calibre tandis quun peu plus de 20 % des medias culebrinas de léchantillon ont moins de 43lb. de calibre. Autrement dit, des pièces que certains considéraient comme de gros sacres étaient pour dautres des medias culebrinas, ce qui naide pas lhistorien à définir précisément les modèles de lépoque.

Cest la raison pour laquelle les résultats de lanalyse visent à la fois à fournir une idée de la norme, mais aussi de lécart à la norme. En outre, plutôt que de suivre les classifications selon la nomenclature des trois catégories (canons, couleuvrines, pierriers) des traités dartillerie, la présentation des résultats suivra la logique des caractéristiques techniques, des plus gros aux plus petits calibres, en réservant une dernière partie pour les pièces divergeant du modèle classique du canon moderne (pièce de bronze tirant des boulets de métal).

Les pièces lourdes et moyennes

Le nom le plus commun parmi les pièces de gros calibres était celui de cañon, le canon. Avec 363 occurrences, les canons représentent environ 11 % de léchantillon. En dautres termes, ils sont parmi les pièces les plus répandues dans les inventaires dartillerie. On les retrouve en défense des grandes places fortes à Naples33, à Pampelune34 ou encore à Perpignan35. Très rares sur les navires atlantiques, ils sont la pièce maîtresse des galères, mis en figure de proue et souvent désignés comme cañon de crujia36. Mais surtout, les canons sont larme de batterie par excellence, utilisée pour abattre les murs de forteresses. Chaque fois quune opération de siège est envisagée, les canons sont présents37. Il existait même des réserves de canons à Burgos, à Carthagène et à Lisbonne au cas où une opération de conquête serait nécessaire38. La plage de variation de calibre des canons 44est extrêmement large. Pour léchantillon, elle sétale de 18 à 150 lb. Néanmoins, la plupart des canons tiraient des boulets de 30 à 60 lb., la moyenne tournant autour de 45 lb. (soit environ 20 kg), ce qui en faisait les pièces de plus gros calibres de lépoque, à lexception des rarissimes basiliscos39. Les inventaires ne mentionnent jamais leur longueur mais, selon les auteurs de traités de lépoque, leur rapport longueur/calibre oscillait entre 18 et 20. Il sagissait donc de pièces relativement courtes, utilisées pour leur puissance plus que pour leur précision.

Lautre modèle de pièces de gros calibre était celui de la culebrina, la couleuvrine. Comme pour les canons, la plage de variation des calibres de ces pièces est énorme, de 12 à 85 lb. La moyenne de calibre est toutefois bien inférieure à celle du canon : ces couleuvrines tiraient en moyenne des boulets de seulement 24 lb., cest-à-dire approximativement 11 kg. Il faut de plus noter quenviron 20 % des culebrinas de léchantillon avaient un calibre inférieur à 16 lb. Dun observateur à lautre, ces petites couleuvrines auraient très bien pu être aussi identifiées comme des medias culebrinas car, on la dit, les limites des catégories nétaient pas strictement définies. Malgré leur infériorité de calibre face au canon, les couleuvrines étaient les pièces les plus lourdes de lépoque, 70 q. en moyenne (environ 3,2 tonnes), contre 51 q. (2,3 tonnes) pour les canons. Ces armes étaient en effet presque deux fois plus longues que les canons, avec un rapport longueur/calibre oscillant entre 30 et 3540. Elles jouissaient pour cette raison dune grande réputation de portée et de précision, redoutables par exemple, pour défendre lentrée dun port41. Néanmoins très lourdes, très chères et très gourmandes en poudre, les couleuvrines étaient des pièces relativement rares. Elles ne représentent que 2 % de léchantillon et font très exceptionnellement partie de larmement des navires.

Plutôt que les culebrinas, les pièces longues les plus courantes étaient en réalité les medias culebrinas ou demi-couleuvrines. Avec près de 500 occurrences, ces pièces sont dailleurs les plus nombreuses de léchantillon. Elles étaient particulièrement fréquentes sur les navires, dont elles constituaient 45souvent larmement le plus lourd. Elles représentaient sans aucun doute un meilleur compromis que la culebrina entre puissance, portée, précision et coût. Leur calibre était relativement réduit, seulement 10,5 lb. en moyenne, soit près de 5 kg. Cependant, le graphe de répartition des calibres révèle quen fait, peu de medias culebrinas tiraient 10 ou 11 lb. de balle. Le terme de medias culebrinas semble plutôt sêtre appliqué à deux classes darmes légèrement différentes. Le sens principal et plus fréquent désignait des pièces moyennes autour de 12 ou 13 lb. de calibre, pesant un peu moins de deux tonnes (40 q.). Néanmoins, certains individus responsables des inventaires utilisaient la même expression pour identifier des pièces plus légères, de seulement 6 à 8 lb. de calibre, pesant un peu plus de 25 q. (près de 1,2 tonnes) qui auraient tout aussi bien pu être appelées sacres.

Parmi les pièces moyennes, lalternative principale à la media culebrina était le medio cañon ou demi-canon. Pour un poids semblable, le demi-canon offrait un calibre deux fois plus lourd, avec une moyenne sélevant à un peu plus de 20 lb., soit un peu plus de 9 kg. Comme dans le cas de la demi-couleuvrine, ce chiffre moyen masque lexistence de deux types de medios cañones. La majorité dentre eux étaient des pièces moyennes dun calibre de 15 à 20 lb., cest-à-dire légèrement plus lourdes que la plupart des medias culebrinas. Néanmoins près dun tiers de léchantillon était constitué de pièces que lon pourrait qualifier de « lourdes » dans la mesure où, avec un calibre de 25 à 28 lb., elles venaient concurrencer la couleuvrine. Plus compact que la demi-couleuvrine avec un rapport longueur/calibre de 18 à 2242, le demi-canon offrait sans doute des avantages de maniabilité en plus dun calibre plus élevé. Dailleurs, tout comme la demi-couleuvrine, on le trouve fréquemment parmi larmement lourd des navires. Pourtant, le nombre légèrement inférieur de ses occurrences dans léchantillon laisse penser quil était un peu moins utilisé que cette dernière.

Deux éléments invitent toutefois à réévaluer positivement la forte représentativité des armes de la famille des canons parmi les pièces dartillerie moyennes. Dabord, il faut rappeler quenviron 20 % des pièces désignées comme medias culebrinas étaient plutôt des pièces légères nentrant pas en concurrence avec le demi-canon. Il est en outre nécessaire de mentionner lexistence dun type supplémentaire dartillerie moyenne, les tercios cañones 46qui, du fait de leur faible nombre (seulement 28 occurrences trouvées) nont pas mérité ici un développement à part entière. Or, ce nom de tercio cañon est appliqué à des pièces compactes ayant entre 10 et 15 lb. de calibre. Cest-à-dire quil sagissait, en dautres termes, de petits medios cañones, bien plus rares, mais dont les caractéristiques techniques étaient également voisines des medias culebrinas. On peut faire la même remarque à propos des quartos de cañones (48 occurrences dans léchantillon) dont les calibres variaient entre 9 et 13 lb., valeurs très proches de celles des medias culebrinas, à la limite entre ce que jai appelé ici des pièces moyennes et la catégorie des pièces légères quil me reste à exposer.

Fig. 2 – Répartition des calibres des principales pièces lourdes et moyennes
(en lb.). Réalisé à partir de la base de données de lauteur.

47

Les pièces légères et très légères

En-dessous de la catégorie des demi-canons et demi-couleuvrines, on trouve la catégorie des sacres. La plupart de ces pièces avaient un calibre compris entre 5 et 8 lb. (entre 2 et 3,5 kg) même si le nom de sacre était parfois attribué à des pièces de 9 à 14 lb. ressemblant plutôt à des medias culebrinas ou à des quartos de cañones. Leur forme était variable, entre les proportions dun petit canon et celles dune petite couleuvrine, puisquon trouve des rapports de longueur/calibre sétalant de 22 à 3243. Représentant plus de 13 % de léchantillon, ces pièces faisaient partie des plus fréquentes tant en défense de forteresses que sur les navires atlantiques et les galères. Ce chiffre pourrait dailleurs être plus élevé si on lui rajoutait la centaine de medias culebrinas de léchantillon tirant entre 6 et 8 lb. de balle et ayant des caractéristiques techniques très semblables. Ces pièces dartillerie constituaient véritablement la couche intermédiaire de larmement, entre les puissants canons, demi-canons, demi-couleuvrines et les pièces très légères destinées au seul usage anti-personnel.

De nombreuses pièces dartillerie de lépoque tiraient des boulets pesant moins de 5 lb., cest-à-dire moins de 2,3 kg. Dans léchantillon analysé, ces pièces très légères représentent ainsi plus de 30 % des occurrences. Les plus grosses dentre elles étaient généralement appelées medios sacres, demi-sacres, et tiraient en grande majorité entre 3 et 4,5 lb. de balle. Ces pièces étaient parmi les plus compactes des pièces légères, avec une longueur de lordre de 25 à 26 calibres44. Pour de semblables calibres, le vocable de falcon était parfois utilisé45, renvoyant sans doute à des pièces légèrement plus longues que les medios sacres. Le nom de falconete, fauconneau, était quant à lui extrêmement fréquent (environ 15 % de léchantillon). Il désignait des pièces de 2 à 3,5 lb. de calibre pesant un poids semblable à celui des medios sacres car plus longues bien que leur calibre fût légèrement inférieur46.

48

Enfin, il faut mentionner les pièces dartillerie extrêmement légères dont les boulets ne dépassaient pas 1 lb., à peine quelques centaines de grammes. Le nom le plus courant pour les désigner est celui desmeril. Or, leur proportion dans léchantillon (environ 10 %) nest pas tout à fait représentative. En effet, dans certaines forteresses ces petites pièces pouvaient compter pour largement plus de la moitié de lensemble de lartillerie47. Elles apparaissent souvent dans les inventaires avec leurs camaras (« chambres », sous-entendu « de combustion ») ce qui indique que bon nombre dentre elles possédaient plusieurs culasses amovibles qui pouvaient être chargées en avance, améliorant ainsi la cadence de tir. Avec un calibre si léger, ces armes avaient une portée bien inférieure à celle des pièces lourdes et moyennes. Leur faible puissance les limitait strictement à un usage anti-personnel. Enfin, il faut noter que dautres noms étaient donnés aux pièces dartillerie de moins dune livre de calibre. On les trouve parfois sous les termes de medios falconetes, de versos, ou plus fréquemment mosquetes. Ce dernier terme a été volontairement exclu de lanalyse car il prête à confusion. Son calibre très léger en fait une arme à la limite entre lartillerie (montée sur affût) et les armes de tir individuelles telles que les arquebuses. Certains individus les classent parmi les inventaires dartillerie et dautres non et, par conséquent, elles ne relèvent pas vraiment du champ de compétence de lartillero, mais plutôt de celui de larcabuzero (arquebusier) délite, parfois désigné comme mosquetero (mousquetaire).

49

Fig. 3 – Répartition des calibres des principales pièces légères
et très légères (en lb.). Réalisé à partir de la base de données
de lauteur.

Les pierriers et pièces en fonte

La nomenclature précédente a porté sur les différentes déclinaisons de tailles et de formes de ce qui est communément considéré comme le canon moderne : des pièces en bronze tirant des boulets en métal. Ce type de pièces représentait certainement la grande majorité du parc dartillerie de la Monarchie hispanique dans la seconde moitié du xvie siècle. Néanmoins, environ 13 % de léchantillon considéré comprend des pièces qui ne correspondent pas à cet archétype et qui sont assez communes pour mériter un court développement. Ces pièces 50sont, dune part, les pedreros, ou pierriers, tirant des boulets de pierre et, dautre part, les pièces en fonte, appelées dans les inventaires piezas de hierro colado par opposition à la majorité des pièces qui étaient en bronze.

Le terme de pedreros désigne un ensemble de pièces aux caractéristiques très variables mais ayant toutes pour point commun dêtre conçues pour tirer des boulets de pierre. Que cela signifiait-il ? Ces pièces étaient tout simplement moins renforcées que les pièces tirant des boulets de métal, car la pierre étant moins dense que le fer, la pression à laquelle les parois dun pierrier étaient assujetties lors du tir était plus faible48. Le terme de pedrero renseignait donc sur la forme de la pièce (courte49 et aux parois fines) plutôt que sur son calibre. Dans les inventaires, le terme de pedrero apparaît souvent seul, ou bien parfois accompagné dun nom plus précis tel que cañon pedrero ou medio cañon pedrero sans quil soit possible de dégager une réelle distinction de caractéristiques à travers léchantillon étudié. Ces pierriers avaient des calibres compris entre 6 et 60 lb. (de boulet de pierre) mais la plupart dentre eux ne tiraient pas plus de 18 lb., la moyenne des calibres étant de 13 lb., soit environ 6 kg. En ce sens, ils pouvaient être considérés comme des pièces moyennes, équivalentes en puissance à des demi-couleuvrines ou à des demi-canons, voire, pour les plus petits dentre eux, à des sacres. En revanche, leurs parois plus fines et leur courte longueur en faisaient des pièces relativement légères par rapport à leur calibre. La plupart dentre eux pesaient autant quun gros sacre, les plus petits étaient comparables à des falconetes.

Bien que minoritaires dans les inventaires du xvie siècle, les pierriers étaient encore fort appréciés. Aussi en trouve-t-on fréquemment en défense des bastions de forteresses ainsi quen abondance sur les galères et les navires. Dailleurs, la Monarchie hispanique en produisait encore en grand nombre à la fin du xvie siècle50. Lingénieur militaire et auteur 51de traités Luis Collado indique quil sagissait de pièces multifonctions, tirant des boulets de pierre mais aussi des boulets enflammés, des boulets doubles attachés par une chaîne ou encore de la mitraille pour blesser en masse à courte portée lors dun assaut51. On trouve également dans les inventaires dartillerie dautres pièces tirant des pierres, notamment des falconetes pedreros, pièces assez rares tirant environ 3 lb. de calibre, ainsi que des trabucos et morteretes, des mortiers, pièces très courtes destinées aux tirs paraboliques verticaux au-dessus des murailles. Néanmoins, ces derniers sont extrêmement rares dans les listes dartillerie, ils ne faisaient clairement pas partie des classiques des parcs dartillerie de la fin du xvie siècle.

Il en allait autrement dun type dartillerie émergeant dans la seconde moitié du xvie siècle : les pièces en fonte. La fabrication de ces dernières se développa en Europe du nord à partir du milieu du xvie siècle, en particulier en Angleterre52 et en Flandre53. Le principal avantage de lartillerie en fonte était son coût trois à quatre fois plus réduit que celui de lartillerie en bronze54. Cest sans doute la raison pour laquelle on la trouvait en abondance sur les navires marchands. Ainsi, en 1602, sur un ensemble de 542 pièces dartillerie appartenant à des navires marchands de la carrera de Indias, cest-à-dire commerçant entre lAndalousie et lAmérique, on trouvait 439 pièces de fonte et seulement 103 pièces de bronze55. Les armateurs se plaignaient dailleurs des législations les obligeant à embarquer des pièces de bronze car ils jugeaient ces dernières hors de prix56. Cependant, à cette époque, les pièces en fonte étaient clairement des pièces de seconde catégorie auxquelles la Monarchie hispanique évitait de trop recourir.

52

Fig. 4 – Répartition des calibres des pierriers et pièces de fonte (en lb.).
Réalisé à partir de la base de données de lauteur.

Fig. 5 – Répartition des poids des pierriers et pièces de fonte (en q.).
Réalisé à partir de la base de données de lauteur.

Les pièces en fonte sont moins aisées à caractériser que les autres pièces car les inventaires sont souvent moins bavards à leur sujet. Ce fait pourrait dailleurs être un indice de plus de leur faible valeur aux yeux des contemporains. On les qualifie simplement de piezas de hierro colado, accompagnées la plupart du temps de leur poids, parfois de leur calibre. Néanmoins, les informations concernant les 200 pièces en fonte de léchantillon permettent de mieux cerner leur nature. En fait, les piezas de hierro colado de lépoque étaient des pièces très légères, des équivalents en fonte des falconetes, medios sacres et esmeriles. Elles tiraient 53pour leur très grande majorité des boulets de fer pesant entre 1 et 4 lb., cest-à-dire moins de 2 kg. Autrement dit, si les pièces en fonte tendaient à remplacer partiellement les pièces très légères en bronze, elles ne concurrençaient absolument pas larmement plus lourd, depuis les sacres et les demi-couleuvrines jusquaux demi-canons et canons.

Les artilleurs au service du roi sur terre

Ces parcs dartillerie composés de canons, demi-couleuvrines, sacres, fauconneaux, et autres pierriers étaient opérés par des techniciens, appelés artilleros en castillan, artiglieri ou bombardieri en italien, que jai choisi de traduire par le mot « artilleur » en français. Or, on la dit, le but de ce chapitre est de dresser une image générale de lévolution de leurs effectifs dans la seconde moitié du xvie siècle. Pour obtenir cette vision à grande échelle, il est nécessaire de reconstruire la relation entre les artilleurs, les pièces dartillerie et les grands dispositifs de combat de lépoque. Pour ce faire, il a été choisi de diviser létude en deux grandes parties, la première dentre elles dédiée aux artilleurs servant sur terre et la seconde aux artilleurs servant dans les flottes. Cette partie sur les artilleurs de terre sera guidée par trois grandes questions : quelle proportion dartilleurs trouvait-on dans les différents dispositifs de combat terrestres ? Quel nombre dartilleurs servaient-ils dans les différents territoires de la Monarchie hispanique ? Quelle a été lévolution de ce nombre sur la période considérée ?

Prépondérance des places fortes
sur les trains dartillerie

Il est possible de distinguer deux grands types de dispositifs de combat terrestres requérant de lartillerie et, par conséquent, des artilleurs. Le premier type rassemble toutes les différentes structures défensives dun territoire, cest-à-dire les forteresses, petites places fortes et enceintes de ville à la charge de la Monarchie. Lautre type est son pendant offensif : le train dartillerie accompagnant une armée en mouvement, prête à mettre le siège pour semparer des structures défensives adverses. Pour comprendre la répartition des artilleurs à plus grande échelle, il faut 54dabord analyser plus en détail ces deux grands types de dispositifs de combat et tenter de cerner leurs besoins en artilleurs.

Le plus difficile à appréhender à partir des sources comptables est sans aucun doute le train dartillerie mobile. Plusieurs raisons contribuent à expliquer ce fait. Dabord, le train dartillerie revêtait un caractère temporaire ; il était assemblé à loccasion dune opération militaire, pour une durée limitée à la réalisation de lobjectif ou à linterruption de lopération. De plus, lors de ces opérations, la comptabilité des salaires des artilleurs nétait pas tenue de manière centralisée. Elle prenait comme unité de paiement non pas lensemble des artilleurs engagés pour servir le train dartillerie mais les contrats passés par compagnie dartilleurs. Ainsi, par exemple, pour larmée dinvasion du Portugal en 1580, on a conservé les contrats passés avec 30 artilleurs venus de la garnison de Burgos57. De même, pour la conquête de lîle Terceira (Açores) en 1583, la Monarchie hispanique passa un contrat avec une compagnie de 48 artilleurs allemands commandés par le capitaine Baltasar Troyer, renvoyés chez eux, en 1584, une fois lîle sécurisée58. Ces contrats ne donnent quune vision partielle des effectifs des trains dartillerie. Pour être en mesure de reconstituer précisément les effectifs dartilleurs des trains mobiles à partir de tels documents, il faudrait retrouver lensemble des contrats passés avec les différents groupes dartilleurs et avoir une garantie quant à leur exhaustivité.

Il existe néanmoins dautres moyens dobtenir une estimation du nombre dartilleurs requis pour faire opérer un train dartillerie. Par exemple, après la victoire de Lépante en 1571, le conseil de guerre espagnol discuta de léventualité dune expédition pour semparer dAlger lannée suivante. Des chiffres furent avancés, notamment la constitution dun train dartillerie de 117 pièces que 220 artilleurs étaient censés faire opérer59. Lexpédition neut finalement pas lieu, mais lexemple donne un ordre de grandeur, au moins théorique, du nombre dartilleurs requis. Le haut commandement militaire castillan estimait ainsi quil fallait un peu moins de deux artilleurs par pièce pour mettre le siège devant une grande ville fortifiée. Un tel ratio peut paraître extrêmement faible si lon se souvient des poids moyens des pièces 55mis en évidence précédemment. Les pièces de batterie pesaient, rappelons-le, plusieurs tonnes. En fait, les artilleros représentaient uniquement le noyau de techniciens qualifiés du train dartillerie. Pour lopération dAlger, le conseil de guerre prévoyait dengager 4 000 gastadores – des « pionniers » en français – afin de niveler les chemins, creuser les tranchées, aider au déplacement des pièces et assister les artilleurs.

Dautres ordres de grandeur du nombre dartilleurs présents dans les trains dartillerie peuvent être établis à partir de la littérature technique de lépoque. Ainsi, lingénieur militaire andalou Luis Collado préconisait lemploi de deux artilleurs par canon, couleuvrine, demi-canon ou demi-couleuvrine60. Il ne dit rien concernant les pièces plus légères, pour lesquelles il fallait probablement compter moins dartilleurs, mais on remarquera que ses estimations coïncident à peu près avec celles des plans de lexpédition dAlger dressés par le conseil de guerre. Les chiffres donnés par le capitaine Cristóbal Lechuga, vétéran des guerres de Flandre, sont nettement plus élevés61. Il indiquait que, pour un fonctionnement optimal des pièces de batterie, deux artilleurs étaient insuffisants. Il préconisait cinq artilleurs et dix pionniers par canon, quatre artilleurs et sept pionniers par demi-canon et enfin trois artilleurs et quatre pionniers pour chaque quart-de-canon. Or, ces valeurs très importantes doivent certainement être comprises comme des recommandations dun idéal vers lequel il aurait fallu tendre plutôt que comme la description dune réalité. Les chiffres avancés par Collado et le conseil de guerre dun peu moins de deux artilleurs par pièce sont une estimation plus réaliste.

Reste à savoir de combien de pièces pouvaient se composer un train dartillerie. Il faut être conscient que les 117 pièces envisagées pour lentreprise dAlger en 1572 représentaient un train dartillerie tout à fait exceptionnel pour lépoque. Lun des plus grands sièges du xvie siècle, celui de Metz par les troupes de Charles Quint en 1552, mobilisa 114 pièces chez les assaillants62. Mais la plupart du temps, lartillerie de siège ne dépassait pas quelques dizaines de pièces. Les trains dartillerie de réserve conservés à Burgos, Lisbonne et Carthagène dans les années 1590 étaient 56constitués de 20 canons, huit demi-canons, quatre couleuvrines, huit demi-couleuvrines, 12 sacres et 12 fauconneaux, soit 64 pièces dartillerie au total63. Les nombreux sièges des guerres de Flandre nimpliquaient que quelques dizaines de pièces au mieux. Selon Bernardino de Mendoza, témoin des faits, 14 pièces furent alignées devant Harlem en décembre 157264. Un rapport fait état de 13 pièces lourdes et deux pièces légères utilisées pour le siège de Zierikzee en octobre 157565. Quelques semaines plus tard, quatre canons, six demi-canons et une couleuvrine étaient alignés devant la ville de Bomel66. En 1596, les opérations de larmée de Flandre dans le nord de la France mobilisèrent des ressources légèrement supérieures : les villes de Calais et dArdes furent prises avec un train dartillerie de 30 pièces lourdes et 12 pièces légères67. La même année, le gouverneur de Milan fournit au duc de Savoie un train de 44 pièces dont 14 canons de batterie, afin de laider à récupérer certains territoires dont sétaient emparés les hommes du capitaine Lesdiguières68. En dautres termes, les trains dartillerie de lépoque variaient dune douzaine à une centaine de pièces selon lampleur de lopération. En faisant lhypothèse quil fallait compter environ deux artilleurs pour chaque pièce, un siège mobilisait entre 25 et 200 artilleurs selon sa taille. Or, même à la vaste échelle de la Monarchie hispanique, il y avait rarement plusieurs sièges simultanément. Le nombre total dartilleurs mobilisés par le roi dEspagne dans des opérations offensives à un instant donné dépassa donc rarement les 200 individus.

Les structures défensives étaient, à léchelle de la Monarchie hispanique, autrement plus exigeantes en ressources. Contrairement aux trains mobiles qui engageaient des artilleurs pour une durée limitée, les places fortes requéraient une présence permanente dartilleurs en garnison prêts à défendre en cas dattaque.

Le cas du royaume de Naples constitue un excellent point de départ pour analyser la composition de ces garnisons. En 1575, le capitaine général de lartillerie de cette vice-royauté fit dresser une liste de 57lartillerie de toutes les places fortes du territoire69. Le royaume de Naples possédait en tout 69 forteresses, châteaux et villes fortifiées, armés dun total de 1 179 pièces dartillerie, un chiffre sans commune mesure avec les trains dartillerie de lépoque. Néanmoins, la vice-royauté ne contrôlait sous administration directe que 32 places fortes représentant les lieux les plus stratégiques, les mieux défendus et les plus lourdement armés du royaume. Les autres fortifications étaient administrées par des autorités locales, seigneurs70 ou villes71. Il sagit dune remarque importante : la moitié des places fortes et environ un tiers des pièces étaient aux mains dacteurs privés et non de lÉtat. Ces derniers constituaient donc autant demployeurs potentiels pour les artilleurs. Cependant, pour des raisons de dispersion des sources, mon étude doit les laisser de côté et se concentrer sur lemployeur principal : la Monarchie.

Données

Places fortes
de la Monarchie

Places fortes
d
acteurs privés

Nombre de places fortes

32

37

Nombre total de pièces

745

434

Pièces lourdes (>20 lb.)

14 %

4,8 %

Pièces moyennes (10-19 lb.)

7,7 %

9 %

Pièces légères (6-9 lb.)

10,6 %

13,6 %

Pièces très légères (1,5- 5 lb.)

21,6 %

24,7 %

Pièces semi-portatives (<1 lb.)

35,8 %

36,6 %

Pedreros

8,7 %

5,5 %

Nombre de pièces/place forte (moyenne)

23

12

Nombre total dartilleros

120

Inconnu

Nombre de pièces/artilleur (moyenne)

8,2

Inconnu

Fig. 6 – Inventaire dartillerie du royaume de Naples (janvier 1575).
Source : AGS EST leg. 1066/13.

58

Avec en moyenne deux fois plus dartillerie que les places fortes aux mains des acteurs privés, ces 32 places fortes de la Monarchie totalisaient 745 pièces. Leur armement, en plus dêtre plus abondant, était aussi significativement plus lourd, comme le montre la figure 6. La Monarchie y employait un total de 120 artilleurs, soit environ un artilleur pour 8 pièces dartillerie. Cette moyenne cache cependant de grandes disparités dans la dotation des différentes places fortes. Ainsi, la vice-royauté ne payait quun seul artilleur pour les murailles de la ville de Crotone pourtant armées de 30 pièces dartillerie et il y avait seulement deux artilleurs pour les 32 pièces du château de Tarente, tandis quà Gaète on comptait dix artilleurs et quatre assistants pour seulement 18 pièces. Les pièces lourdes nécessitant plus dhommes que les pièces légères, il est possible dexpliquer ces écarts par des différences dans la nature et le poids de larmement : 10 des 18 pièces de Gaète étaient des canons lourds alors que plus de la moitié des pièces de Crotone tiraient moins de 5 lb. De plus, le nombre dartilleurs attribué à chaque place forte nétait pas uniquement déterminé par la quantité dartillerie ; il dépendait dautres facteurs tels que lintérêt stratégique, létendue de la place ou encore le nombre des bastions. En outre, la gestion des postes dartilleurs nétait pas toujours rationnelle, des erreurs pouvaient survenir. Ainsi, dans un tout autre contexte, en 1606, lunique artilleur du fort de Peñiscola (près de Valence en Espagne) fit remarquer au conseil de guerre quil ne pouvait pas soccuper à lui seul des 15 pièces dartillerie de la place, réparties sur huit plateformes différentes. Le conseil de guerre en convint, lui envoyant sur le champ quatre artilleurs72. Enfin, rien ne garantit lexhaustivité de cet inventaire de 1575. Pour lîle de Brindisi, il est écrit que la vice-royauté entretenait en tout 13 artilleurs, et pourtant, lorsque lingénieur Luis Collado y passa un an plus tard, en 1576, il y trouva une garnison de 20 artilleurs sous le commandement de deux chefs73. Dailleurs, le nombre dartilleurs de cet inventaire paraît incomplet quand on le compare aux dotations de la plupart des autres places fortes de la Monarchie hispanique.

59

Rares sont les documents qui, comme cet inventaire du royaume de Naples, juxtaposent à si grande échelle des informations sur le nombre de pièces dartillerie et le nombre dartilleurs. Il est malgré tout possible dobtenir ponctuellement de telles informations dans les documents de ladministration militaire de la Monarchie hispanique. La figure 7 montre un échantillon de ces informations sporadiques. Or, ces forteresses apparaissent environ deux fois mieux dotées en artilleurs que les places fortes de linventaire de Naples de 1575. On y compte en effet en moyenne quatre pièces dartillerie par artilleur. Ce chiffre tombe même aux alentours de trois pièces par artilleur si lon tient compte des effectifs dayudantes artilleros, les assistants artilleurs, présents à Alghero (11), à Cagliari (9) et sur lîle de Majorque (20)74.

Pour augmenter lensemble des données disponibles, il est également possible de calculer le ratio entre le nombre de pièces et le nombre dartilleurs en recoupant des sources fournissant à des dates différentes le nombre de pièces dartillerie et le nombre dartilleurs. La méthode nest pas strictement rigoureuse, puisque les dotations en artillerie et en artilleurs pouvaient varier dans le temps. Néanmoins, les résultats indiquent des ratios très proches de ceux obtenus à partir dune seule et unique source. En effet, on trouve en moyenne un peu plus de trois pièces dartillerie par artilleur dans ces places fortes, avec cependant une grande disparité dans la distribution, puisquil y avait par exemple plus dartilleurs au château São Jorge de Lisbonne quà la forteresse Sforza de Milan, pourtant dotée de cinq fois plus de pièces dartillerie.

60

Place forte

Territoire

Date

Nb pièces

Poids artillerie*

Nb

artilleurs

Source

Piombino

Préside
de Toscane

1575

20

480 q.

5

AGS EST
leg. 1066/13

Orbetello

Préside
de Toscane

1575

15

340 q.

3

AGS EST
leg. 1066/13

Porto Ercole

Préside
de Toscane

1575

20

690 q.

5

AGS EST
leg. 1066/13

Talamone

Préside
de Toscane

1575

2

20 q.

1

AGS EST
leg. 1066/13

Alghero

Sardaigne

1578

34

750 q.

5

AGS GYM
leg. 88/43

Cagliari

Sardaigne

1578

31

1020 q.

8

AGS GYM
leg. 88/43

La Havane

Cuba

1582

8

NC

3

AGS GYM
leg. 133/257

Ponta Delgada

Açores

1583

38

650 q.

8

AGS GYM leg. 149/338 et 350

Salses

Roussillon

1593

24

350 q.

6

AGS GYM
leg. 378/157

Cadix

Andalousie

1594

30

NC

7

AGS GYM lib. 63

fol. 268v-269r

Majorque

Baléares

1599

107

NC

17

AGS GYM
leg. 552/11

*Les poids dartillerie ont été estimés à partir des moyennes obtenues pour chaque type de pièces dans létude précédente sur les caractéristiques des pièces dartillerie. Par exemple, un canon compte pour 51 q., un falconete pour 12 q., etc.

Fig. 7 – Nombre de pièces dartillerie et dartilleurs de différentes
places fortes (informations contenues dans un seul document).

61

Place forte

Région

Nb pièces

Poids
artillerie*

Nb

artilleurs

Sources

Milan

Lombardie

99

NC

14

AGS EST leg. 1264/98 (1588) et leg.1260/126 (1583)

Barcelone

Catalogne

36

680 q.

25

AGS GYM leg. 365/125 (1592) et leg.146/59 (1543)

Perpignan

Roussillon

119

3130 q.

36

AGS GYM leg. 365/125 (1592)

AGS CSU 2a epoca leg. 91 (1571)

Carthagène

Andalousie

20

700 q.

7

AGS GYM leg. 365/125 (1592) et leg. 254/221 (1589)

Gibraltar

Andalousie

28

560 q.

8

AGS GYM leg. 365/125 (1592) et lib. 57 fol. 52r-56v (1590)

Jaca

Aragon

12

NC

9

AGS GYM leg. 365/87 (1592) et lib. 70 fol. 57r (1594)

Fontarrabie

Guipúzcoa

28

1090 q.

18

AGS GYM leg. 365/94 (1591)
et lib. 57 fol. 77r-84v (1591)

Saint-Sébastien

Guipúzcoa

37

1310 q.

21

AGS GYM leg. 365/125 (1592)
et lib. 57 fol. 77r-84v (1591)

Lisbonne (Chât. São Jorge)

Portugal

18

970 q.

21

AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581)

Lisbonne (Fort São Julião)

Portugal

44

1370 q.

12

AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581)

Lisbonne (Tour
de Belem)

Portugal

25

510 q.

4

AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581)

Cascais

Portugal

11

290 q.

4

AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581)

Setubal

(Fort Oton)

Portugal

37

610 q.

4

AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581)

Luxembourg

Pays-Bas

36

700 q.

10

AGR CP no 621 (1605) et no 563 (1612)

La Havane

Cuba

80

NC

32

Macías Domínguez, Cuba en la primera mitad…, p. 297 et 314 (1603)

*Les poids dartillerie ont été estimés à partir des moyennes obtenues pour chaque type de pièces dans létude précédente sur les caractéristiques des pièces dartillerie. Par exemple, un canon compte pour 51 q., un falconete pour 12 q., etc.

Fig. 8 – Nombre de pièces dartillerie et dartilleurs de différentes places fortes (informations recoupées à partir de plusieurs sources de dates différentes).

62

Que peut-on conclure de ces différents exemples de dotation en artillerie et en artilleurs des forteresses de la Monarchie ? La première remarque est que, comparés aux trains dartillerie, les rapports entre le nombre de pièces et le nombre dartilleurs sont inversés. Tandis que dans un train dartillerie on pouvait trouver deux à cinq artilleurs par pièce, la Monarchie nentretenait dans ses places fortes quun artilleur pour trois à huit pièces. Faut-il en déduire que les trains dartillerie mobilisaient plus dartilleurs que les places fortes ? Léchelle danalyse joue ici un rôle déterminant. Considéré individuellement, un train dartillerie nécessitait indiscutablement plus dartilleurs que la garnison dune place forte. En revanche, à léchelle de lensemble des territoires de la Monarchie hispanique, la défense des fortifications requérait des effectifs dartilleurs sans commune mesure avec ceux des trains dartillerie. En effet, les chiffres montrés précédemment ne portent que sur un échantillon réduit de places fortes. Dans le seul royaume de Naples, linventaire de 1575 indiquait 32 places fortifiées et plus de 700 pièces dartillerie. Or, la Monarchie hispanique se composait de bien plus de territoires. Combien y avait-il de forteresses administrées par le roi dEspagne en Italie, aux Pays-Bas, dans la péninsule ibérique, en Afrique du nord, ou encore en Amérique ? Les forteresses devaient se compter en centaines, les pièces dartillerie en milliers. Est-il possible de donner une estimation du nombre dartilleurs servant le roi en garnison ?

Cartographie des artilleurs en garnison

Reconstituer une cartographie des artilleurs servant en garnison les Habsbourg dEspagne nest faisable quà travers un travail destimation et de projection permettant de combler les données lacunaires. Les quelques exemples précédents lont montré, il est parfois possible davoir accès au nombre dartilleurs dune place forte grâce aux documents comptables, aux inventaires dartillerie ou à la correspondance du conseil de guerre. De telles données nexistent néanmoins de manière sérielle que dans des cas exceptionnels, comme celui de Naples en 1575. Les effectifs des artilleurs de la majorité des places fortes de la Monarchie hispanique restent inaccessibles par ces sources. En revanche, il est nettement plus aisé de connaître larmement des différentes places fortes grâce aux inventaires dartillerie qui étaient fréquemment réalisés par les agents du conseil 63de guerre ou des vice-royautés. Cest la raison pour laquelle ce chapitre sur les artilleurs sest intéressé daussi près aux pièces dartillerie : la connaissance de larmement des places fortes permet dans une certaine mesure destimer les effectifs dartilleurs et ainsi de reconstruire une vision densemble en dépit des lacunes documentaires.

Il est par ailleurs légitime de sinterroger sur la fiabilité destimations établies à partir du rapport entre la quantité dartillerie et le nombre dartilleurs, dautant plus que la partie précédente a insisté sur la variabilité de ce rapport. Cependant, il paraît inapproprié de se lancer dans un lourd travail de statistiques au cœur dun ouvrage dhistoire75. Je me contenterai donc de quelques mots en défense de la méthode adoptée. Dabord, il faut insister sur le fait que ce travail ne prétend que fournir des estimations et dégager des ordres de grandeur. Une erreur destimation de 100 ou 200 artilleurs ne changera rien à largument général du chapitre. Ensuite, ces estimations ont été réalisées à partir de deux indicateurs : le nombre de pièces dartillerie et le poids des pièces dartillerie, car tous les experts de lépoque saccordaient à dire quil fallait plus dhommes pour servir les pièces lourdes. Enfin, pour chaque place forte a été calculée une estimation basse, prenant pour référence les chiffres moyens de linventaire de Naples de 1575, et une estimation haute, sappuyant sur les autres échantillons de données présentés dans la partie précédente.

Le territoire pour lequel les informations sont les plus complètes est celui du royaume de Naples. Linventaire de 1575 recensait 32 places fortes, 745 pièces dartillerie et 120 artilleurs sous ladministration de la vice-royauté76. La capitale, Naples, avec ses murailles et ses 64différentes forteresses – les châteaux Nuovo, de SantElmo, dellOvo, di Baia – rassemblait à elle seule 31 artilleurs pour 132 pièces, pesant un total de plus de 3 000 q. Les principales garnisons étaient ensuite Brindisi (112 pièces, 23 artilleurs), Gaète (29 pièces, 12 artilleurs), Otrante (30 pièces, 7 artilleurs) et Gallipoli (74 pièces, 6 artilleurs). Les autres forteresses importantes (LAquila, Pescara, Tarente, Crotone) ne possédaient pas plus de trois ou quatre artilleurs. À ces garnisons, il faudrait ajouter les présides de Toscane – Orbetello, Porto Ercole, Piombino – des forteresses sur la côte de la mer Tyrrhénienne dépendant administrativement de Naples et accueillant au total 57 pièces et 14 artilleurs. Il nest par ailleurs pas aisé de connaître lévolution des effectifs daprès cet inventaire. Dans les décennies qui suivirent, il y eut quelques travaux de modernisation des fortifications existantes à Orbetello77 ou encore à Tarente78. Ces adaptations permirent sans doute daugmenter légèrement la quantité dartillerie installée dans ces places fortes, mais ils ne résultèrent probablement pas en une hausse significative du nombre dartilleurs.

En Sicile, en 1575, fut fait, comme à Naples, un inventaire de lartillerie des différentes places fortes, sans toutefois quil y eut de recensement des artilleurs79. Ce document indiquait 21 places fortes, villes fortifiées et châteaux sous administration royale, pour un total de 474 pièces dartillerie. La principale place forte de lîle était Messine, ville portuaire possédant une grande muraille avec de nombreux bastions ainsi que quatre forteresses (châteaux de Gonzaga, Matagrifone, Salvatore et Castellaccio). Ses 119 pièces dartillerie, pour un peu plus de 3 000 q. de métal, défendaient le port et la flotte de galères quil abritait parfois. Les trois autres principales places fortifiées de lîle étaient la capitale Palerme (61 pièces, 1 750 q.), Trapani (66 pièces, 1 560 q.) et Syracuse (44 pièces, 1 400 q.). Compte tenu de ces informations sur larmement de lîle, il est possible destimer le nombre dartilleurs au service de la Monarchie entre 60 et 160 individus. Ici, comme à Naples, les quelques travaux de fortifications effectués à Trapani80, Syracuse et Agostina81 65ne purent bousculer cet ordre de grandeur. En revanche, la création, dans le dernier quart du xvie siècle, décoles dartilleurs dans les quatre principales places fortes de lîle ajouta à ces effectifs professionnels une réserve de quelques 300 apprentis artilleurs82.

De tous les États italiens de la Monarchie hispanique, le duché de Milan était certainement le moins demandeur en artilleurs. Un inventaire de 1588 recensait seulement 15 places fortes et 244 pièces dartillerie83. En outre, la répartition de larmement accusait de forts déséquilibres puisque la ville de Milan et son château possédaient à eux seuls près dune centaine de pièces. Les autres places importantes –Pavie, Crémone, Alexandrie – ne dépassaient guère la vingtaine de pièces, laissant à peine quelques pièces pour les places fortes mineures telles que Côme, Novare ou encore Tortone. Malheureusement, rares sont les informations directes concernant les effectifs dartilleurs. Il semble y avoir eu, à Milan, 14 artilleurs dans les années 1560, tandis que, dans les années 1570, leur nombre passa à 28, avant dêtre à nouveau réduit à 14 en 158284. Le document rédigé par le capitaine général de lartillerie nest malheureusement pas clair quant à savoir sil sagit de la ville de Milan, ou bien de lÉtat de Milan. Sils concernaient lensemble du duché, ces chiffres auraient été particulièrement bas car, selon mes estimations à partir de larmement des places fortes, il aurait dû y avoir entre 25 et 50 artilleurs dans lÉtat de Milan. Cela est néanmoins plausible puisquen 1583, le duc de Terranova, alors gouverneur de Lombardie, dressa un constat alarmant de la situation, affirmant que ces 14 artilleurs étaient tout à fait insuffisants85. Dailleurs, en 1585, il proposait au roi de monter à 14 le nombre dartilleurs de Pavie, où une fonderie de canons devait être installée86. Malgré ces ajustements, les effectifs dartilleurs du Milanais restèrent relativement faibles, à en juger par le témoignage du successeur de Terranova dix ans plus tard87. Par conséquent, il paraît raisonnable daffirmer que le duché de Milan nentretenait pas plus dune cinquantaine dartilleurs en garnison, chiffre qui dut augmenter sensiblement après les travaux de fortifications du 66château Sforza de Milan88 et ceux commandés par le comte de Fuentes au début du xviie siècle – le fort de Fuentes, Soncino, Novare, Crémone et Alexandrie89. Enfin, ces chiffres ne tiennent pas compte des effectifs dapprentis artilleurs dans les écoles qui furent créées à Milan, Pavie, Crémone et Alexandrie, quelques 200 individus supplémentaires au début du xviie siècle90.

Dans la péninsule ibérique, la frontière avec le royaume de France comprenait plusieurs des principales places fortes de la Monarchie. Au nord, les villes côtières de Fontarrabie et Saint-Sébastien constituaient de solides garnisons, disposant dune trentaine de pièces, dont plus de la moitié de gros calibres91, servies par une vingtaine dartilleurs dans chacune de ces villes92. Non loin à lintérieur des terres, en Navarre, se trouvaient dautres places fortes telles quEstella (avec trois artilleurs) ainsi que la forteresse de Pampelune, principale garnison de cette frontière nord, abritant 97 pièces dartillerie, pour un total denviron 2 400 q. et 31 à 38 artilleurs daprès les sources comptables, 50 artilleurs daprès le conseil de guerre93. Les places fortes de cette frontière basque avec la France possédaient donc à elles seules autour de 75 à 95 artilleurs. Du côté de la Méditerranée, la situation de la Catalogne et du comté de Roussillon était relativement similaire. La principale place forte était celle de Perpignan, avec ses 121 pièces dartillerie et ses 36 artilleurs94. Elle était secondée par la ville de Roses dotée dune grande forteresse et de divers dispositifs de fortifications côtières rassemblant 54 pièces et abritant autour de 10 à 15 artilleurs95. La capitale, Barcelone, bien 67que plus légèrement armée avec seulement 36 pièces dartillerie, avait 25 artilleurs à son service96. Enfin, les places fortes de Salses et Collioure avec respectivement cinq et six artilleurs, constituaient des défenses alternatives dune force plus limitée97. Cette zone de frontière méditerranéenne avec la France rassemblait donc une garnison denviron 80 à 90 artilleurs, concentrant, avec le Pays Basque et la Navarre, lessentiel des défenses pyrénéennes. Entre ces deux territoires côtiers, lAragon était bien pauvrement doté : sa capitale, Saragosse, navait que 13 pièces dartillerie98, tandis que la forteresse de Jaca, érigée après la révolte de 159199, possédait 12 pièces, pour neuf artilleurs100. Au total donc, ces principales places fortes de la frontière avec la France entretenaient au moins 170 à 200 artilleurs.

Les informations concernant la côte atlantique de lEspagne sont plus lacunaires. La Monarchie possédait de 30 à 40 pièces dartillerie dans chacun des ports de Bilbao et Santander mais ces chiffres ne représentent quune partie de lartillerie de la côte101. Lors de la préparation des flottes, des pièces dartillerie étaient ainsi amenées des villes de Laredo, Castro Urdiales, Portugalete102 preuve que, sur cette côte nord, de nombreuses pièces échappent à cette analyse dinventaires. En Galice, lartillerie se concentrait en trois sites principaux. Le port de la Corogne était protégé par 25 pièces dartillerie réparties en deux forts (San Anton et Santa Cruz) tandis que lenceinte de la ville possédait 43 pièces103. Abritant régulièrement les flottes de guerre de la Monarchie, le port du Ferrol était quant à lui défendu par trois forts (San Felipe, San Martin, La Palma) regroupant 36 pièces dartillerie. Enfin, la ville de Bayona avec ses 38 pièces, constituait la troisième 68grande place forte du système de défense galicien. Un document de 1595 évoque un total de 23 artilleurs servant en garnison dans ces places fortes, effectifs relativement cohérents avec leur armement104. Les informations obtenues révèlent donc environ 40 artilleurs sur cette côte nord, chiffre quil faudrait sans doute revoir à la hausse (au moins 10 à 20 artilleurs supplémentaires) pour inclure les ports pour lesquels aucune information nest disponible.

Il est également difficile dobtenir une vue densemble des territoires côtiers du sud de lEspagne, de Valence à Gibraltar. La région de Valence est particulièrement peu visible dans cette analyse qui nintègre que le seul fort de Peñiscola avec 15 pièces dartillerie et 5 artilleurs105. Accueillant régulièrement les galères dEspagne, les ports de Malaga et Carthagène constituaient les deux principales places fortes de la côte sud-méditerranéenne. À la fin du xvie siècle, Malaga était défendue par 38 pièces et possédait une milice de 50 artilleurs106 tandis que Carthagène, protégée par seulement 20 pièces dartillerie, avait à son service 7 artilleurs et 12 aides-artilleurs, chiffres qui passèrent sans doute à 20 artilleurs et 32 aides à partir de 1589107. Le reste de la côte était constitué de petites places faiblement dotées en artillerie. Ainsi, lensemble des forts de la région de Grenade, incluant lAlhambra, Almería ou encore Almuñecar108 regroupait un total de seulement 70 pièces dartillerie109. En tenant compte des informations manquantes sur la région de Valence, il paraît raisonnable destimer que le nombre dartilleurs de cette côte, depuis le sud de la Catalogne jusquau détroit de Gibraltar, comptabilisait entre 100 et 200 artilleurs, sans inclure les individus payés et commandés par des autorités municipales, comme cétait le cas à Marbella par exemple110.

Le système de défense de lAndalousie atlantique associait quant à lui la Monarchie et les grands magnats locaux. La Couronne de 69Castille entretenait deux garnisons côtières, lune à Gibraltar rassemblant 28 pièces dartillerie et 6 à 8 artilleurs111, lautre à Cadix avec 35 pièces pour 7 artilleurs, qui passèrent à 15 artilleurs et 12 aides-artilleurs au milieu de lannée 1594, quelques temps après la modernisation de ses fortifications112. De nombreuses autres places fortes étaient aux mains des grands seigneurs andalous. Ainsi, le duc de Medina Sidonia possédait dans le château du même nom un armement relativement lourd dau moins cinq couleuvrines, deux canons et un sacre113, tandis quà Sanlúcar de Barrameda, ville de départ des convois de la carrera de Indias, à lembouchure du Guadalquivir, son château était armé de 25 pièces114. Il en allait de même du château du port dAyamonte, appartenant au marquis du même nom, qui était pourvu dartillerie pour défendre la ville des raids de corsaires115. Par ailleurs, la principale ville de la région, Séville, ne semble pas avoir possédé de garnison dartilleurs à proprement parler, mais son école lui permettait de toujours disposer dartilleurs de réserve. Ainsi, lorsquune flotte anglaise attaqua Cadix en 1596, le lieutenant dartillerie de Séville, Francisco de Molina, put réunir une centaine dartilleurs pour monter une contre-attaque116. En dautres termes, bien que la région ne possédât pas dimportantes garnisons dartilleurs au service de la Monarchie (entre 30 et 50 individus maximum) la proximité des flottes et dune école dartilleurs à Séville lui garantissait la possibilité dobtenir des renforts soudains dau moins 100 artilleurs.

Le centre de la péninsule ibérique possédait peu de garnisons dartilleurs au service de la Monarchie. En ce qui concerne lartillerie, la principale place forte était Burgos, qui jouissait à cette époque dun 70statut particulier puisquelle représentait le cœur de ladministration de lartillerie en Espagne117. Cétait cette ville qui disposait de la plus grande garnison dartilleurs de toute la péninsule : un groupe de 60 artilleurs « ordinaires » y servaient, prêts à être envoyés là où la Monarchie avait besoin deux118. Le reste du centre de la péninsule possédait de nombreuses petites places fortes, telles que les châteaux de Coca (huit pièces) de Alaejos (huit pièces) ou encore de Logroño (trois pièces)119. Quelques places étaient mieux défendues, telle la ville de Las Navas au nord de lAndalousie, qui possédait 33 pièces très légères et 10 pièces moyennes et lourdes120. Une bonne partie de ces petites garnisons échappe sans doute à mon analyse. Néanmoins, les forteresses les plus importantes, les plus stratégiques du point de vue de ladministration militaire espagnole ne se situaient clairement pas dans le centre du pays, mais le long des côtes, près de la frontière avec le royaume de France, ainsi que sur les îles.

Les îles méditerranéennes dépendantes de la Couronne dAragon revêtaient une certaine importance dans le système défensif de la Monarchie. En Sardaigne, lartillerie royale se concentrait principalement en deux lieux, Cagliari, au sud, qui possédait 31 pièces (plus de 1000 q.) pour 8 artilleurs et 9 aides-artilleurs, et Alghero au nord, armée de 34 pièces (760 q.) pour 5 artilleurs et 11 aides-artilleurs121. Lîle de Majorque avait, quant à elle, 17 artilleurs ainsi que 20 aides-artilleurs pour 107 pièces dartillerie122. À Minorque, le fort San Felipe de Mahon possédait 15 pièces123. Il y avait également une garnison dartilleurs sur lîle dIbiza, dont le nombre reste malheureusement inconnu124. Au total, il devait y avoir au moins autour dune cinquantaine dartilleurs dans ces îles, et autant daides-artilleurs.

Lannexion du Portugal en 1580 augmenta encore un peu plus le nombre de forteresses sous administration de la Monarchie hispanique. 71Lisbonne et son port disposaient de tout un réseau de fortifications, depuis le château São Jorge sur une colline au cœur de la ville (18 pièces, 21 artilleurs), jusquau fort São Julião (44 pièces, 12 artilleurs), en passant par les tours de Caparica (3 à 7 pièces) et de Belem (25 pièces, 4 artilleurs), défenses côtières qui se prolongeait jusquau château de Cascais (11 pièces, 4 artilleurs)125. La seconde place forte du territoire portugais était la ville de Porto qui, avec ses 110 pièces (environ 1 400 q.)126, devait avoir, selon mes estimations, entre 15 et 25 artilleurs en garnison. Puis venait le port de Setúbal, protégé par les forts San Felipe (41 pièces, 1 160 q., estimation dentre 6 et 15 artilleurs) et Oton (37 pièces, 600 q., 4 artilleurs)127. Enfin, le dernier point important de défense se situait à Sagres et au cap San Vicente (8 artilleurs)128 zone de passage des flottes américaines et lieu favori dembuscade des pirates129. En dautres termes, lannexion du Portugal en 1580 représenta un ajout denviron 75 à 100 artilleurs dans ladministration militaire de la Monarchie hispanique.

Cette description géographique doit également inclure les places fortes du nord de lAfrique, trop souvent négligées par lhistoriographie130. Les présides nord-africains avaient indéniablement des besoins importants en artilleurs, même si les données manquent à leur sujet. En 1573, un an avant dêtre capturée par les Ottomans, la forteresse de La Goulette (près de Tunis) avait une garnison de 36 artilleurs131. La place dAssilah, obtenue suite à lannexion du Portugal, possédait 44 pièces132. Le fort du Peñon de Vélez de la Gomera comptait 18 pièces dartillerie, la plupart relativement lourdes133. Les données manquent sur ces nombreuses forteresses espagnoles et portugaises, telles quOran, Mers El-Kébir, Melilla, Ceuta, Tanger, ou encore Mazagan. Il est par conséquent très délicat de fournir une estimation, même sil paraît 72possible daffirmer quau moins entre 50 et 100 artilleurs servaient dans ces présides du nord de lAfrique, la perte de La Goulette, Bizerte et Tunis en 1574 se trouvant compensée par lacquisition des places portugaises après 1580.

Dresser une cartographie des artilleurs en garnison dans les différentes forteresses des Pays-Bas présente de grandes difficultés en raison de linstabilité de cette région. En effet, suite à la guerre de Quatre-Vingts-Ans qui sengagea contre certaines provinces rebelles à partir de 1567 puis contre la France de Henri IV en 1595, de nombreuses forteresses furent amenées à changer de mains. Il est néanmoins possible de se faire une idée approximative des effectifs à partir de grands inventaires dartillerie réalisés dans les premières années du xviie siècle134. Or, ce qui ressort de ces inventaires, cest la multitude de garnisons moyennes gardant les côtes (Gravelines, Ostende, Dunkerque), la frontière avec la France (Hesdin, Quesnoy, Avesnes, Landrécies, Bapaume, Luxembourg, Thionville) et avec les Provinces-Unies (Hulst, Bois-le-duc, Gand et le Sas de Gand). Toutes ces places fortes avaient un armement relativement lourd allant dune vingtaine à une cinquantaine de pièces dartillerie, ce qui laisse supposer la présence de garnisons dartilleurs comprises entre six et quinze individus. Ce réseau défensif était dominé par la citadelle dAnvers et le réseau de forts bâtis près de cette ville le long de lEscaut, dont lartillerie dépassait allègrement la centaine de pièces135. En outre, la ville de Malines, centre administratif de lartillerie des Pays-Bas, possédait une garnison dune vingtaine dartilleurs de réserve auxquels il était possible de recourir lors des campagnes de siège136. En tenant compte des nombreuses petites garnisons, on en arrive à la conclusion que les places fortes des régions demeurées fidèles aux Habsbourgs au début du xviie siècle requéraient entre 150 et 270 artilleurs. À ces effectifs, il faudrait également ajouter ceux concernant les défenses de la Franche-Comté, qui se concentraient autour de deux places fortes 73principales, Dole et Gray, secondées par un réseau de petites garnisons sur lesquelles les données quantitatives manquent137.

Cette description des besoins en artilleurs des différents territoires de la Monarchie ne serait pas complète sans y intégrer les possessions américaines. La localisation des principales places fortes était déterminée par les routes des convois de la carrera de Indias138. Dabord, les îles Canaries, étape indispensable pour se rendre au Nouveau Monde, possédaient une multitude de petites forteresses défendues par quelques pièces dartillerie. On pourra citer comme exemple la forteresse de Santa Catalina sur lîle de la Palma (10 pièces), celle de Santa Cruz à Tenerife (12 pièces), les forts de Santa Ana (4 pièces) et San Pedro Martyr (4 pièces) sur lîle de Grande Canarie139. Un document de 1588 évoque 6 artilleurs sur lîle de Grande Canarie, 5 sur Tenerife et 8 répartis entre Lanzarote et Fuerteventura, soit en tout une vingtaine dartilleurs pour ces îles140. Sur le chemin du retour, les flottes atlantiques stoppaient dans un autre archipel, les Açores, lui aussi défendu par une multitude de petites places fortes. Un inventaire dartillerie réalisé par les Espagnols juste après la capture de lîle de Terceira en juillet 1583 le met parfaitement en évidence puisquy sont recensées 191 pièces dartillerie réparties sur 34 sites fortifiés différents141. Après la conquête, seulement 13 artilleurs y furent laissés en garnison142. Lîle de Faial comptabilisait quant à elle 57 pièces143. Enfin, lîle de São Miguel concentrait sa puissance de feu à Ponta Delgada, où la ville possédait 39 pièces dartillerie, tandis que la forteresse, construite juste après la conquête de lîle en 1582, recensait 46 pièces servies par une garnison de 8 artilleurs144. On peut par conséquent estimer les effectifs dartilleurs en garnison dans les Açores aux environs de 25 à 40 individus, auxquels il faudrait rajouter quelques artilleurs 74en garnison sur lîle de Madère, pour laquelle je ne dispose pas de données quantitatives.

Les principales forteresses du Nouveau Monde étaient aussi les principaux ports de destination des navires de la carrera de Indias : la Havane, Veracruz, Carthagène des Indes, Portobelo et San Juan de Porto Rico. Or, le système défensif de ces lieux fut précisément mis en place dans la période étudiée, face à larrivée des corsaires français, anglais et hollandais. Dans les années 1570 et 1580, la plupart de ces ports fortifiés étaient très faiblement dotés en artillerie. Après de nombreux travaux de fortifications145, leur parc dartillerie augmenta significativement entre la fin du xvie siècle et le début du xviie siècle. Ainsi, le port de la Havane, étape clé du retour des flottes transatlantiques, avait seulement une petite dizaine de pièces en 1582, servies par 3 artilleurs146. Quelques années plus tard, son armement avait été renforcé, passant à une vingtaine de pièces que les observateurs de lépoque jugeaient cependant encore de trop petits calibres147. Dans les premières années du xviie siècle, dimportants travaux de fortification conjugués à la mise en place dune fonderie de canons transformèrent ce port en lun des principaux verrous des Caraïbes : des documents de la fin de lannée 1603 recensaient un total de 80 pièces dartillerie servies par 32 artilleurs148. Autre place importante, la forteresse de San Juan de Porto Rico ne possédait, en 1582, que 12 pièces dartillerie149. Or, lorsque lexpédition du comte de Northumberland mit la ville à sac en 1598, les Anglais y firent un butin de plus de 60 pièces dartillerie en bronze150. Selon lun des généraux de la carrera de Indias, le port de Carthagène des Indes, destination habituelle de la flotte de Tierra Firme, était, en 1587, paré à toute éventualité avec ses 7523 pièces dartillerie151. Toutefois, la construction dun nouveau fort une quinzaine dannées plus tard conduisit le gouverneur, Geronimo de Zuazo, à demander 16 pièces lourdes à Madrid152. Le petit port de Nombre de Dios était originellement le lieu dembarquement de largent américain à destination de lEspagne, mais dans les dernières années du xvie siècle, il céda ce rôle à Portobelo où un important complexe défensif fut construit153. En 1597, le gouverneur demanda à la Monarchie une soixantaine de pièces pour ces nouvelles fortifications, pour un total denviron 2 000 q., ainsi que 12 artilleurs à ajouter à la petite quinzaine que le port avait déjà à son service154. À cette époque, ces chiffres faisaient de Portobello lun des ports les plus lourdement armés du Nouveau Monde.

Toutefois, même après ces multiples travaux de fortification, force est de constater que les territoires américains se caractérisaient par une faible densité de pièces dartillerie en comparaison des territoires européens de la Monarchie hispanique. Ainsi, Veracruz, le principal port de Nouvelle-Espagne, était défendu par la forteresse de San Juan de Ulua qui possédait, en 1587, un total de 22 pièces dartillerie que le vice-roi jugeait très faibles et de trop petits calibres. Aussi recommandait-il au roi dy faire installer 32 pièces de moyen et gros calibres155. Dans les années qui suivirent, la puissance de feu de cette forteresse dut saccroître puisquen 1599, le comte de Monterey, alors vice-roi, décida dy augmenter le nombre dartilleurs en garnison156. Néanmoins, un inventaire de lartillerie présente en 1616 récensait seulement 28 pièces, pour un poids total légèrement supérieur à 600 q., ce qui était léquivalent, en Europe, dune place forte de second rang. Pour être véritablement exhaustif, il faudrait prendre en compte une multitude de petites places fortes pour lesquelles les informations manquent, à limage du port de Santiago de Cuba dans lequel servait au moins un artilleur, tué lors dune attaque de corsaires français en 761586157. Malgré ces imprécisions, les données concernant les principales places fortes des Caraïbes invitent à considérer que le nombre total dartilleurs en garnison ny dépassait pas la centaine dindividus au début du xviie siècle.

Par ailleurs, les défenses côtières le long de locéan Pacifique étaient quasiment inexistantes à cette époque. La principale protection dont bénéficiait cette région était son relatif isolement géographique et sa difficulté daccès depuis lEurope158. Cependant, des flux de marchandises de grande valeur sy développèrent dans la seconde moitié du xvie siècle. Les colossales quantités dargent extraites des mines de Potosi étaient acheminées jusquau port dArica, puis elles voyageaient par voie maritime au Callao, le port de Lima, avant de rejoindre Panama puis de traverser listhme pour être transportées vers lAndalousie via lAltantique. En outre, à partir des années 1570, la conquête espagnole des Philippines saccompagna de lémergence dun commerce transpacifique entre Manille et Acapulco, échangeant largent péruvien contre des produits asiatiques luxueux tels que la soie et la procelaine159. Ces précieuses marchandises attirèrent ponctuellement la convoitise de corsaires anglais et hollandais comme Francis Drake en 1579, Thomas Cavendish en 1587, Richard Hawkins en 1594 ou encore Olivier van Noort en 1600, mais ces déprédations peu fréquentes tardèrent à convaincre le gouvernement madrilène dinvestir dans un système de fortifications pour protéger les ports de la côte pacifique160. À Acapulco, par exemple, la forteresse fut seulement construite en 1616, suite à lattaque du Hollandais Joris van Spilbergen161. Sur la période considérée, les Philippines constituèrent la seule garnison notable du système de défense que la Monarchie hispanique maintint dans locéan Pacifique. Ainsi, un document de lannée 1608 évoque un total de vingt artilleurs en service aux Philippines162. Il est tout 77à fait probable que ce nombre fut appelé à augmenter peu de temps après puisquen 1616, face à la menace croissante des Hollandais dans la région, le gouverneur des Philippines demandait au roi de toute urgence lenvoi de cent artilleurs supplémentaires163.

Pour obtenir un tableau complet des artilleurs en garnisons dans les territoires de la Monarchie hispanique, il faudrait également inclure les places fortes de lEstado da India, cest-à-dire des Indes portugaises, annexées par Philippe II en 1580. Peu visibles à partir des documents de ladministration militaire espagnole car échappant en grande partie au contrôle du conseil de guerre madrilène164, les artilleurs de lEstado da India ne feront pas ici lobjet dune étude approfondie165. À titre indicatif, on peut néanmoins fournir un ordre de grandeur du nombre dartilleurs qui y étaient en garnison à partir dun inventaire général réalisé en 1571, cest-à-dire avant lannexion espagnole166. Du point de vue des effectifs, les principales places fortes étaient Ormuz (16 artilleurs), Diu (16 artilleurs), Daman (13 artilleurs), Baçaim (13 artilleurs) et Malacca (11 artilleurs). En tout, linventaire recense plus de 130 artilleurs répartis dans 15 forteresses en Asie, mais il est incomplet puisque la capitale vice-royale, Goa, ny comptabilise aucun artilleur malgré son puissant système défensif composé de cinq forts. En outre, au moins deux garnisons asiatiques sont absentes de ce document : dune part Macao, le comptoir des Portugais en Chine, dautre part, Mascate, une puissante forteresse à bastions située dans le golfe dOman167. Enfin, ce document de 1571 ninclut aucune donnée sur les garnisons portugaises en Afrique et au Brésil. Or, les Portugais disposaient également de tout un réseau de forteresses sur les côtes africaines, depuis le Cap Vert, le golfe de Guinée (Elmina, São Tomé), Luanda, lîle fortifiée de Mozambique 78ou encore Mombasa168. Au Brésil, certains ports comme Salvador de Bahia, Recife et Rio de Janeiro furent fortifiés dans le courant du xvie siècle afin de faire face aux attaques de corsaires français et anglais169. Il faut donc considérer que ces territoires coloniaux portugais répartis sur trois continents mobilisaient, en tout, au moins 200 à 250 artilleurs.

Ce passage en revue des garnisons des différents territoires de la Monarchie hispanique permet de dresser une cartographie générale des ordres de grandeur et de lévolution des effectifs des artilleurs. On y voit notamment le poids respectif des différents territoires du roi catholique. Le poids de la péninsule ibérique et de son réseau dîles et de places fortes en Méditerranée y est énorme, près de la moitié des effectifs selon mes estimations. Cependant, le nombre dartilleurs en garnison y fut relativement constant, la principale hausse étant due à lannexion du Portugal. Les États de la péninsule italienne figurent en seconde position avec, chacun, une à deux centaines dartilleurs en garnison. Or, laugmentation des effectifs dans le dernier quart du xvie siècle ne provient pas dune augmentation significative des besoins en artilleurs mais résulte plutôt de louverture décoles qui produisirent un excédent dartilleurs employés dans dautres territoires de la Monarchie170. Daprès mon analyse, la seule augmentation des effectifs dartilleurs véritablement structurelle eut lieu dans les territoires doutre-mer qui virent doubler ou tripler les garnisons des principaux ports fortifiés. Enfin, il faut se concentrer sur les ordres de grandeur généraux : environ 1 000 artilleurs servant la Monarchie hispanique dans ses différentes garnisons vers 1575, chiffre qui passa vraisemblablement à 1 600 voire à 2 000 individus à la fin du siècle, avec une hausse sexpliquant en grande partie par lannexion des forteresses portugaises dans les années 1580. Ces chiffres sont élevés, mais la dynamique fut relativement lente en comparaison de celle des armadas.

79

Territoires

Nb artilleurs

vers 1575

Nb artilleurs

vers 1600

Péninsule italienne

220-330

510-650

Naples (+ présides de Toscane)

134

140-150

Sicile

60-160

250-350*

Milan

20-50

120-150*

Péninsule ibérique (et dépendances)

560-810

635-910

Frontière pyrénéenne

170-200

170-200

Côte nord

50-60

50-60

Côte méditerranéenne

100-200

100-200

Andalousie

30-50

30-50

Centre

80-100

80-100

Îles méditerranéennes

80-100**

80-100**

Portugal

Non annexé

75-100

Présides dAfrique

50-100

50-100

Pays-Bas

Inconnu

150-270

Outre-mer

50-70

325-430

Canaries

20

20

Açores

Non annexées

25-40

Indes espagnoles

30-50

80-120

Indes portugaises

Non annexées

200-250

TOTAL

830-1210

(+ Pays-Bas)

1620-2260

*Chiffres incluant les artilleurs des « écoles » dartilleurs (voir chapitre 5).

**Chiffres incluant les aides-artilleurs payés par la Monarchie.

Fig. 9 – Estimation des effectifs dartilleurs en garnison dans lempire.

80

Fig. 10 – Principales garnisons de la Monarchie hispanique en Europe. Carte réalisée par lauteur en compilant
des données de la période 1570-1615. Toutes les garnisons mineures du point de vue de lartillerie ont été écartées
de cette représentation. Les dates dacquisition ou de perte ont été indiquées lorsque celles-ci sont intervenues
dans la période considérée. Les limites définies pour les Pays-Bas sont celles de 1609 (trêve de 12 ans).

81

Fig. 11 – Principales garnisons de la Monarchie hispanique dans le monde. Carte réalisée par lauteur.
Les limites géographiques correspondent approximativement à lannée 1600. La carte fait également
figurer les principales routes maritimes de lempire espagnol évoquées dans cet ouvrage.

82

Fig. 12 – Principales garnisons encadrant les convois transatlantiques de la carrera de Indias. Carte réalisée par lauteur.

83

Les artilleurs au service du roi sur mer

Cette dernière partie de lanalyse déplace la focale vers le combat naval. Il sagit ici de mettre en évidence le phénomène majeur constituant largument principal de ce chapitre : le saut quantitatif que représenta, à la fin du xvie siècle, le développement des flottes atlantiques171. En effet, les navires de guerres atlantiques tels que les galions, les nefs (naos), les filibotes, les frégates ou encore les pataches disposaient dun armement et déquipages dartilleurs sans commune mesure avec ceux du navire de guerre le plus commun en Méditerranée, la galère. La méthodologie adoptée poursuit dans la continuité des développements précédents, en articulant les données singulières par type de navires et les estimations projetées à léchelle des vastes flottes qui furent constituées dans les dernières décennies du xvie siècle. En outre, en parallèle du développement des flottes royales, létude révèlera lexistence dun énorme marché privé de lartillerie, constitué par les flottes commerciales, dont les besoins en artilleurs entrèrent en concurrence avec ceux de la Monarchie.

De la galère au galion,
limpact du tournant atlantique

La première étape de cette analyse sur les artilleurs des armadas vise à identifier et caractériser larmement et léquipage des différents types de navires de guerre employés par la Monarchie hispanique dans la seconde moitié du xvie siècle, tels que les galères, les galions, les frégates, les galéasses ou encore les filibotes.

Au milieu du xvie siècle, le navire de guerre par excellence demeurait la galère, élément essentiel des batailles navales méditerranéennes172. Il sagissait dun navire de forme très allongée, peu profond, et dont lavantage était de pouvoir être mu par la force de propulsion de 160 à 84300 rameurs répartis sur 24 à 30 bancs173. Cette capacité à se mouvoir sans dépendre du vent lui offrait un précieux avantage lorsquil sagissait de rattraper dautres navires, les aborder et déverser sur le pont adverse ses soldats, qui étaient généralement une quarantaine, mais dont les effectifs pouvaient grimper à plus de 200 lors des grandes batailles174. En revanche, sa puissance de feu était relativement limitée, comme les statistiques réalisées sur un échantillon de 65 galères le montrent. Une galère avait en moyenne huit pièces dartillerie, concentrées à lavant : un cañon de crujia, pièce de gros calibre équivalent à un canon de batterie, flanqué de deux à quatre sacres parfois remplacés par des pierriers ou par des pièces de calibres inférieurs telles que des fauconneaux, et enfin, en moyenne, quatre esmeriles, pièces extrêmement légères tirant moins dune livre de balle. Ces chiffres moyens cachent néanmoins certaines disparités dues aux différences de taille des galères. À la tête des escadrons, les galères capitana, patrona et real étaient souvent mieux équipées et pouvaient ajouter à cet armement standard quelques pièces légères, de même que certaines galères renforcées pouvaient avoir jusquà une dizaine de pièces175. Cet armement relativement léger et concentré à lavant du navire explique sans doute le faible nombre dartilleurs présents à bord. Sur 35 galères pour lesquelles linformation apparaît, on trouve une moyenne de seulement 2,5 artilleurs par navire, les galères patronas, capitanas et real ayant entre quatre et sept artilleurs.

Il en allait tout autrement du navire de guerre atlantique par excellence, le galion. Les galions firent leur apparition dans la première moitié du xvie siècle mais ils connurent leur véritable essor après les années 1550176. Il sagissait dune version de combat de la nao, le grand voilier des longues routes commerciales telles que la carrera de Indias. Le galion était moins haut de bord, plus allongé, et plus agile que la nao. Conçues pour le combat, sa coque et sa structure étaient renforcées et pouvaient accueillir davantage de pièces dartillerie. Néanmoins, dans les faits, 85la distinction entre naos et galeones nétait pas toujours claire, dautant plus que les sources emploient parfois successivement ces deux termes pour désigner un même navire177. Assurément, certains vaisseaux furent construits en tant que « galions », à limage des neuf navires fabriqués à Guarnizo entre 1581 et 1583 sous la direction de Cristóbal de Barros178. Il arrivait cependant bien souvent que les galions fussent en fait des naos marchandes saisies par ladministration militaire contre rémunération du propriétaire, puis fortifiées par quelques travaux de carénage et de renforcement des ponts pour soutenir une plus grande quantité dartillerie179. Face à cette difficulté didentification des galions, lanalyse qui suit a considéré comme « galion » tout navire désigné comme galeon ou dont la fonction principale annoncée était le combat, quils fissent partie dune armada ou quils fussent navires amiraux descorte dune flotte commerciale. De la sorte, léchantillon analysé se compose dun total de 192 galions ayant été au service de la Monarchie hispanique entre 1570 et 1609.

Ce qui ressort de cette analyse, cest limportante concentration dartillerie et dartilleurs de ces grands bâtiments de guerre flottants. Il faut dabord prendre note de la taille de ces navires puisque, sur lensemble de léchantillon, les galions avaient en moyenne un port dun peu plus de 600 t. à comparer, aux 200 à 250 t. moyennes des naos de la carrera de Indias à cette époque180. Les plus petits de ces galions, parfois appelés galeoncetes, ne dépassaient pas les 350 t. voire très exceptionnellement 250 t. tandis que les chefs descadrons, appelés capitanas, atteignaient régulièrement les 1 000 à 1 200 t. Dune manière générale, les galions accueillaient un armement abondant, sans commune mesure avec celui dune galère, plus proche, en réalité, de celui dune place 86forte. En effet, on comptait en moyenne près de 23 pièces dartillerie par galion, parmi lesquelles se trouvaient une grande majorité de demi-couleuvrines, demi-canons et sacres. Cet armement relativement lourd était en moyenne servi par 18,5 artilleurs, chiffre quil est en fait plus juste de ramener à la taille du navire ; un galion embarquait environ un artilleur pour 30 t. ce qui signifie quun petit galion de 300 t. était susceptible davoir à son bord une dizaine dartilleurs tandis quune grande capitana de 900 t. pouvait en avoir une trentaine. Il faut noter que la proportion dartilleurs par rapport au nombre de pièces était, sur ces navires, bien plus élevée que dans les forteresses, proche dun artilleur par pièce, tandis que dans les places fortes, elle oscillait entre trois et huit pièces par artilleur.

Contrairement à la galère, qui constituait avant tout une plateforme dabordage, la force du galion résidait de plus en plus dans sa puissance de feu. Ce fut en tout cas lune des principales leçons tirées de laffrontement contre les navires de guerre anglais, en particulier après la défaite de la Grande Armada à Gravelines en 1588. Dès la première moitié du xvie siècle, Henri VIII dAngleterre sétait doté dune puissante flotte de navires à voiles lourdement armés181. À partir des années 1570, les chantiers navals de la reine Elizabeth commencèrent à produire des navires plus allongés, dont les flancs étaient renforcés afin daccueillir une plus grande quantité de pièces dartillerie lourdes182. Durant les trois dernières décennies du xvie siècle, les galions espagnols furent principalement confrontés dans lAtlantique – aussi bien en Europe que dans les Caraïbes – à ces navires anglais dont la tactique était dattaquer ladversaire avec leur puissante artillerie tout en le maintenant à distance grâce à leur agilité. Or, daprès Parker et Martin, à Gravelines en 1588, ce fut ce type de manœuvres qui permit à la flotte anglaise de prendre lavantage sur les galions espagnols dont la tactique reposait encore principalement sur le modèle de labordage pratiqué par les flottes de galères183. Ce jugement est confirmé par le 87lieutenant dartillerie Diego de Prado, témoin de premier plan puisquil fut chargé de linspection de lartillerie de la Grande Armada à Lisbonne avant son départ :

Certains disent que lors de la bataille dAngleterre, lartillerie ennemie tira plus que la nôtre. Ce dont ils ne tiennent pas compte, cest que dans notre armada, il y avait une grande quantité dartillerie de fonte de une à trois ou quatre livres et, avec celle-ci, il nest pas possible de tirer autant quavec lartillerie de 10 à 12 livres que possédait lennemi, principalement constituée de demi-couleuvrines et de demi-canons184.

Parfaitement consciente de cet avantage tactique des Anglais avant la bataille de Gravelines (1588)185, ladministration militaire espagnole tâcha de sadapter à ses adversaires après le désastre de lInvincible Armada. Ainsi, limportance tactique croissante donnée à la puissance de feu des galions espagnols est clairement perceptible à travers lévolution de leur armement. Avant Gravelines, les galions embarquaient en grande majorité des pièces de très petits calibres (inférieurs à 5 lb.), les pièces les plus lourdes étant généralement des sacres de moins de 10 lb. Cette artillerie était peu capable de sérieusement endommager les coques renforcées dautres navires de guerre. Après léchec de la Grande Armada, larmement embarqué dans les navires de guerre salourdit très nettement. Lartillerie des galions de la dernière décennie du xvie siècle était ainsi composée à un tiers de demi-canons et demi-couleuvrines tirant entre 10 et 20 lb. de balle. Dans la première décennie du xviie siècle, plus de la moitié des pièces dun galion tiraient un calibre supérieur à 10 lb. Cet accent mis sur la puissance de lartillerie embarquée se traduisit également par une augmentation des effectifs dartilleurs. Dune moyenne de 15,5 artilleurs par galion entre 1570 et 1588, on passa à 18,4 artilleurs entre 1589 et 1599, puis à près de 20 artilleurs par vaisseau entre 1600 et 1610.

88

Caractéristiques

1570-1588

1589-1599

1600-1610

Volume moyen

585 t.

660 t.

603 t.

Nb dartilleurs par navire

15,5

18,4

19,9

Nb de pièces dartillerie par navire

23

23

20,5

Pièces lourdes (> 20 lb.)

cañon, culebrina

0 %

3,2 %

8,7 %

Pièces moyennes (10-19 lb.)

medio cañon, media culebrina

7,4 %

33,6 %

44,1 %

Pierriers (cal. moyen 14 lb.)

pedreros

0 %

15,2 %

5,2 %

Pièces légères (6-9 lb.)

sacres

37,2 %

20 %

33,3 %

Pièces très légères (1,5-5 lb.)

falconetes, medios sacres

52,9 %

18,2 %

7 %

Pièces semi-portatives (<1,5 lb.)

esmeriles

2,5 %

1,4 %

0 %

Pièces en fonte (cal. moyen 3 lb.)

0 %

8,4 %

1,7 %

Fig. 13 – Évolution de larmement des galions de la Monarchie hispanique. Résultats du traitement statistique de données concernant 192 galions
de la période 1570-1610.

Les flottes de guerre de la Monarchie hispanique ne se composaient pas uniquement de galions, mais également de naos et urcas. On la dit, la distinction entre galion et nao nétait pas très claire. Lorsque le terme de nao était employé pour désigner un navire au sein dune armada, il renvoyait non pas à une différence de taille mais à une différence darmement. En effet, après analyse dun échantillon de 49 naos darmada, leur volume moyen de près de 600 t. apparaît très voisin de celui des galions. Par contre, ces naos nembarquaient en moyenne quun peu moins de 15 pièces dont lécrasante majorité étaient de très petits calibres et de moindre qualité, en fonte et non pas en bronze. La forte proportion de ce type dartillerie, caractéristique des flottes marchandes (comme on le verra dans la dernière partie de ce chapitre), laisse penser que le mot nao était utilisé au sein des armadas afin de désigner des navires marchands saisis par ladministration royale, mais peu renforcés et ayant conservé en partie leur artillerie de navire de commerce. En dautres termes, il sagissait de navires de seconde ligne 89et, à ce titre, leur dotation en artilleurs était plus faible, une douzaine, en moyenne, par nao darmada. De même, les urcas (hourques), des navires marchands venus dEurope du nord, renvoyaient, dans les armadas, à des bâtiments relativement grands mais moins bien préparés au combat que les galions. Le manque de données sur ces navires ne permet pas de fournir des statistiques fiables quant au nombre dartilleurs même sil est possible daffirmer que larmement de ces hourques était bien plus léger que celui des galions.

Les dernières décennies du xvie siècle virent apparaître dautres types de navires de guerre bien équipés en artillerie. À la bataille navale de Lépante en 1571, les Vénitiens alignèrent six galéasses dont la puissance de feu fit des ravages parmi la flotte ottomane186. Témoin de ce haut fait, don Juan dAutriche incita dès son retour en Italie le roi Philippe II à construire ce type de navires187. Dès lors, les flottes de guerre espagnoles intégrèrent régulièrement des galeazas dans leur rang. Il sagissait de grands bâtiments denviron 500 t. équipés de bancs de rameurs comme les galères, mais dotés dau moins un pont sur lequel pouvait être positionnée lartillerie188. Les sources révèlent que ces navires étaient les plus lourdement armés de lépoque. Chaque galéasse possédait en moyenne une cinquantaine de pièces dont une douzaine de calibres supérieurs à 10 lb., cest-à-dire un armement supérieur à la plupart des places fortes. Pour les servir, ces forteresses flottantes embarquaient entre une vingtaine et une cinquantaine dartilleurs, les chiffres variant selon la nature de lopération189.

À côté des grands navires de guerre quétaient les galions et autres galéasses, le combat naval contre les puissances maritimes du nord de lEurope incita la Monarchie hispanique à intégrer des vaisseaux de guerre plus petits, plus rapides, plus maniables tout en étant relativement bien pourvus en artillerie. En effet, nombreuses furent les plaintes de capitaines espagnols à propos de lincapacité des lourds 90galions et galéasses à rattraper les agiles et rapides navires hollandais et anglais190. Cest sans doute la raison pour laquelle lusage de navires de guerre de petite taille se multiplia dans les dernières décennies du xvie siècle.

Depuis la première moitié du xvie siècle, les zabras, caravelas et pataches constituaient les navires de soutien habituels des flottes de guerre ibériques191. Dans les années 1570-1600, les caravelas devinrent extrêmement rares. Un peu plus fréquentes, les zabras embarquaient entre un et trois artilleurs, parfois aucun192. Les pataches, quant à elles, étaient de petits navires de soutien relativement courant dans les flottes de guerre, dun port de 50 à 100 t. armés dune artillerie très légère (systématiquement inférieure à 10 lb. de calibre) en quantité variant de 4 à 12 pièces (6 pièces en moyenne). Elles embarquaient entre 3 et 4 artilleurs, parfois plus pour certaines pataches de plus grande taille. Comparés aux galions, ces chiffres paraissent relativement faibles, mais, ramenés à la taille du navire, ils sont tout à fait comparables puisquon y trouvait environ un artilleur pour 30 t. Rappelons également que les galères, qui étaient pourtant des bâtiments de guerre bien plus grands que les zabras et pataches, embarquaient en moyenne moins dartilleurs que ces petits navires de soutien des flottes atlantiques.

Dans les dernières décennies du xvie siècle, de nouveaux navires de faible tonnage spécialisés dans le combat naval firent leur apparition. Lun des plus répandus sappelait filibote, navire apparu aux Pays-Bas vers 1570 (vlieboot en hollandais)193. Ceux employés au service de la Monarchie étaient environ deux fois plus grands que les pataches avec une moyenne autour de 140 t. sur un échantillon de 39 bâtiments. Ils étaient également relativement bien équipés en artillerie compte tenu de leur taille puisquils possédaient entre 6 et 20 pièces (un peu plus de 13 pièces en moyenne). Cette artillerie était presque entièrement en fonte, attestant de lorigine nord-européenne de ces navires. Enfin, la 91densité dartilleurs à leur bord, bien que relativement variable, était supérieure à celle des galions, avec environ un artilleur pour 25 t. soit en moyenne environ 6 artilleurs par filibote. Dun port similaire, les naves et navios, termes utilisés pour désigner des petites naos194, représentaient la version ibérique du filibote. Ils étaient toutefois un peu plus lourdement armés puisquon trouvait parfois à leur bord des demi-canons, des pierriers et des sacres. Ils embarquaient environ 6 à 7 artilleurs, effectifs tout à fait comparables à ceux des filibotes. Enfin, dans les dernières années du xvie siècle apparurent les fragatas (frégates), véritables petites plateformes de tir mouvantes. Ces navires transportaient en effet une dizaine de pièces dartillerie de type sacres et demi-couleuvrines, des calibres relativement lourds compte tenu de la modeste taille de ces bateaux, denviron 80 t. Limportance attribuée à lartillerie dans les fragatas se reflète parfaitement dans la composition de léquipage puisquelles possédaient entre 6 et 12 artilleurs, soit environ un artilleur pour 5 à 10 t., cest-à-dire trois fois la densité dartilleurs que lon trouvait sur un galion.

Pour conclure, comme le tableau comparatif de la figure 14 le montre, même les plus petits navires des flottes de guerre atlantiques de la fin du xvie siècle nécessitaient plus dartilleurs que les galères. Or, les dernières décennies du xvie siècle furent marquées, pour la Monarchie hispanique, par un déplacement du principal théâtre des opérations militaires de la Méditerranée vers lAtlantique195. Après la bataille de Lépante (1571) et la prise de Tunis et la Goulette (1574), laffrontement entre les empires ottoman et espagnol perdit grandement en intensité. Lattention de Philippe II se tourna vers locéan : lacquisition de lempire portugais (entre 1580 et 1583), la défense des possessions américaines contre les attaques des corsaires français, anglais et hollandais, la répression de la révolte des Pays-Bas et laffrontement contre lAngleterre conduisirent la Monarchie hispanique à développer ses armadas de galions plus que ses flottes méditerranéennes de galères. Il paraît donc important dévaluer ce tournant atlantique afin de saisir lordre de grandeur de cette transformation en ce qui concerne lartillerie et les artilleurs.

92

Type de navire

(armada)

Nb de navires
dans l
échantillon

Tonnage moyen
des navires

Nb dartilleurs
par navire

Nb de toneladas
par artilleur

Nb de pièces
par navire

Pièces lourdes
(> 19 lb.)

Pièces moyennes
(10-19 lb.)

Pedreros

(calibre moyen 14 lb.)

Pièces légères
(6-9 lb.)

Pièces très légères

(1,5 – 5 lb.)

Pièces semi-portatives

(<1,5 lb.)

Pièces en fonte

(calibre moyen 3 lb.)

Galera

65

-

2,5

-

8

11 %

1 %

6 %

24 %

15 %

43 %

0 %

Galeón

192

630 t.

18,5

32 t.

23

4 %

34 %

11 %

26 %

18 %

1 %

6 %

Galeaza

11

500 t.

28

18 t.

50

10 %

12 %

16 %

15 %

7 %

40 %

0 %

Nao

49

580 t.

12

50 t.

15

0 %

11 %

4 %

8 %

4 %

24 %

49 %

Urca

9

-

12

-

17

0 %

8 %

3 %

16 %

3 %

34 %

36 %

Navio

53

160 t.

6,5

20 t.

12

0 %

16 %

16 %

9 %

3 %

9 %

47 %

Filibote

39

140 t.

6

25 t.

13

0 %

0 %

0 %

0 %

0 %

1 %

99 %

Fragata

12

80 t.

9

t.

12

0 %

17 %

0 %

83 %

0 %

0 %

0 %

Patache

32

75 t.

3,5

30 t.

6

0 %

0 %

2 %

17 %

14 %

22 %

45 %

Zabra

28

-

1,5

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Fig. 14 – Comparaison de lartillerie des différents types de navires de guerre.
Résultats du traitement statistique de données concernant 451 navires de la période 1560-1610.

93

Le saut quantitatif des flottes de guerre atlantiques

Au milieu du xvie siècle, les principales forces navales de la Monarchie hispanique étaient ses escadrons de galères méditerranéennes engagés dans la lutte contre la course barbaresque et la puissance navale ottomane. Constitués denviron 90 galères dans les années 1550, les effectifs de cette flotte tombèrent à 64 galères après les désastres de Djerba (1560) et de la Herradura (1561), avant de progressivement remonter dans les années suivantes196. En 1571, à Lépante, la plus grande bataille navale que connut la Méditerranée au xvie siècle, parmi les 209 galères de la Ligue entre le Pape, le roi dEspagne et les Vénitiens, 80 galères appartenaient à la Monarchie hispanique et à ses alliés contractuels, les Génois197. En 1583, la flotte de galères de Philippe II totalisait 98 galères réparties en quatre grands escadrons198. Celui dEspagne, constitué de 34 galères, avait pour base Puerto de Santa María, près de Cadix, et patrouillait le long des côtes andalouses, éloignant les corsaires barbaresques et défendant parfois les convois américains lors de leur retour à Cadix ou à Sanlúcar de Barrameda. Un petit détachement de huit galères administrativement rattaché à cet escadron était responsable de la défense du port de Lisbonne et de son littoral199. À cette même date (1583), les côtes de la péninsule italienne étaient quant à elles gardées par trois escadrons, celui de Naples (32 galères), celui de Sicile (16 galères) et celui de Gênes (16 galères). Il est certain que, prises individuellement, les galères ne nécessitaient pas beaucoup dartilleurs, mais les effectifs de ces flottes étaient relativement élevés : en faisant des projections à partir des chiffres établis dans la partie précédente, on peut ainsi estimer le nombre dartilleurs au service de Philippe II à Lépante à environ 240, et celui des escadrons de 1583 à approximativement 260 individus.

De plus, comme la récemment souligné Phillip Williams, il ne faudrait pas anticiper trop tôt après Lépante le déclin de la galère200. Certes, le 94nombre de galères des flottes méditerranéennes diminua progressivement, à limage de lescadron de Naples qui passa dune quarantaine de galères vers 1575 à 28 galères en 1585, puis 22 galères en 1601201. Cependant, la galère conquit dautres théâtres dopération, notamment dans lAtlantique. Des galères furent envoyées régulièrement aux Caraïbes afin de traquer les corsaires et défendre les principaux ports fortifiés202. On en trouvait ainsi dès les années 1580 à Cuba, à Carthagène des Indes203, à listhme de Panama204, à Saint-Domingue205 et même jusquaux Philippines, où la présence dun petit escadron se fit régulière206. Dans les années 1590, lorsque la Monarchie entretenait des garnisons en Bretagne, un escadron de galères « de Bretagne » vit le jour207. Il fut notamment utilisé pour mener des raids contre les ports du sud de lAngleterre208. En Flandre, le gouverneur don Luis de Requesens réclamait, en 1574, douze grandes galères bien dotées en artillerie, dont lagilité était jugée déterminante pour lutter contre les rebelles dans les nombreux canaux des Pays-Bas209. Il ne les obtint pas mais, dans lannée qui suivit, il fit construire 20 « grandes barques similaires à des galères » avec ce même objectif210. Une génération plus tard, lescadron de 14 galères que le capitaine Federico Spinola amena 95de Méditerranée rencontra un franc succès en mer du Nord, entravant le commerce hollandais211. En dautres termes, si lon considère non pas les galères méditerranéennes mais lensemble des galères au service de la Monarchie hispanique, il est loin dêtre sûr que leurs effectifs aient réellement diminué après Lépante. En conséquence, il faut supposer que le nombre dartilleurs à leur bord resta constant sur la période étudiée, autour de 230 à 270 individus, même si la géographie des besoins en artilleurs de ces flottes fut quelque peu déportée vers lAtlantique.

En outre, en Méditerranée, le déclin des escadrons de galères fut compensé par la mise en service dautres navires. Ainsi, en 1574, la Monarchie décida la construction, à Naples, dune unité de quatre grandes galéasses, extrêmement bien dotées en artillerie et en artilleurs212. Dès lors, ces galéasses simposèrent pendant une vingtaine dannées au cœur des grandes opérations navales, que ce fût la conquête des Açores213, ou la Grande Armada de 1588214. On retrouve ces puissants navires de guerre effectuant des missions de transport de troupes, de victuailles et de munitions entre lItalie, lEspagne et les différents présides méditerranéens215, ou bien se joignant à lescadron des galères dEspagne à Puerto de Santa María216, ou encore patrouillant les côtes portugaises et galiciennes où deux dentre elles firent naufrage en 1592217. Après ce tragique évènement, les deux galéasses restantes furent jugées trop coûteuses et furent transformées en galions à Setubal lannée suivante218. Or, pendant ces deux décennies dexistence, cet escadron de quatre galéasses napolitaines avait à son service entre 100 et 200 artilleurs (selon les opérations), cest-à-dire à peu près léquivalent des effectifs dartilleurs des garnisons du royaume de Naples.

Au milieu du xvie siècle, la Monarchie hispanique ne possédait pas descadrons permanents de galions équivalents à ceux des galères, mais 96la situation changea progressivement avant la fin du siècle. La plupart des flottes de guerre atlantiques étaient mises sur pied le temps dune campagne, avec un objectif bien précis. Ladministration royale saisissait des navires privés (contre paiement du propriétaire), les armait, complétait leur équipage, leur fournissait victuailles et munitions, puis les envoyait accomplir une mission avant de les démobiliser à leur retour. Ainsi, au début des années 1560, la Monarchie conçut le projet de chasser les Français nouvellement installés en Floride219. Ladelantado Pedro Menéndez de Avilés, général le plus expérimenté de la navigation des Indes, fut envoyé en 1565 à la tête de douze navires220. Lannée suivante, une seconde flotte composée de dix-sept galions, nefs, hourques et caravelles, partit dAndalousie221. Ayant constitué un renfort décisif pour chasser les Huguenots de Floride, cette armada retourna à Sanlúcar de Barrameda à la fin de lannée 1566, où elle fut démobilisée222.

Néanmoins, à la même époque se constituèrent quelques embryons de flottes de guerre atlantiques permanentes, en particulier au sein de la carrera de Indias223. Au début du xvie siècle, la Monarchie avait concédé à Séville et à la Basse-Andalousie le monopole du trafic avec lAmérique, qui se développa tout au long du xvie siècle224. À partir de milieu du xvie siècle, les flottes furent généralement organisées sous la forme de convois dont les rythmes de départ se calaient sur les mois offrant les conditions climatiques les plus favorables au voyage225. Ces flottes étaient généralement au nombre de deux par an, lune à destination du port de Veracruz en Nouvelle-Espagne, lautre à destination de la province de Tierra Firme et du port de Carthagène des Indes. Chacun de ces convois marchands annuels étaient escortés et commandés par deux grands galions aux ordres du roi : la capitana, à bord de laquelle se trouvait le capitaine général de la flotte, et lalmiranta transportant son bras droit, lamiral. Par conséquent, quatre galions (deux pour la flotte de 97Nouvelle-Espagne, deux pour celle de Tierra Firme) naviguaient chaque année de lAndalousie vers lAmérique. En outre, ces convois partaient à un rythme annuel, mais leur voyage sétalait sur deux ans. Lescorte de la carrera de Indias mobilisait donc chaque année simultanément huit vaisseaux de guerre. Ces galions de protection constituèrent, dès les années 1560, les premiers éléments réguliers et permanents dune flotte de guerre atlantique de la Monarchie hispanique. Or, chacun de ces galions avait à son bord entre quinze et vingt artilleurs ce qui signifie que la mise en place du système de convoi de la carrera de Indias se traduisit par un besoin supplémentaire denviron 120 à 160 artilleurs.

Le premier véritable escadron permanent de galions résultat lui aussi du trafic entre Séville et lAmérique. Plusieurs armadas traversèrent lAtlantique dans le courant du xvie siècle avec lobjectif de ramener lor et largent dAmérique, comme celle de Blasco Nuñez Vela en 1537, celle de Martin Alonso de los Ríos en 1542 ou encore celle de Sancho de Biedma en 1550226. À partir du milieu des années 1570, ces flottes acquirent un caractère régulier, systématique et permanent, obtenant définitivement le nom darmada de guarda de la carrera de Indias227. Constituée de six à dix galions sous administration royale, cette flotte partait généralement avant les grands convois et se rendait à listhme de Panama (Nombre de Dios puis Portobelo à partir des années 1590) où elle chargeait ses cales dargent péruvien et de perles228. Elle rejoignait ensuite les flottes de Nouvelle-Espagne et Tierra Firme qui se retrouvaient au port de la Havane, offrant sa protection aux navires marchands lors du voyage de retour, là où les précieuses cargaisons américaines étaient le plus susceptibles dattirer pirates et ennemis. Compte tenu de son caractère absolument vital pour le fonctionnement de la Monarchie, largent américain ne pouvait être confié quà des navires sous administration directe de la Couronne suffisamment armés pour faire face à nimporte quelle menace. Comme lhistoriographie la parfois souligné, il faut reconnaître lefficacité de ce système : au xvie siècle, les cargaisons dargent furent systématiquement 98acheminées avec succès jusquà Séville et il fallut attendre lannée 1628 pour quun convoi tombât pour la première fois entre des mains ennemies229. Un tel système avait de plus pour la Monarchie limmense avantage dêtre relativement peu coûteux puisque le financement de larmada de guarda, tout comme celui des capitanas et almirantas des flottes, provenait dune taxe, lavería, payée par les marchands de la carrera de Indias proportionnellement à la valeur de leurs marchandises230. Or, la mise en place permanente de cette armada se traduisit par un besoin accru dartillerie et dartilleurs, car ses galions étaient parmi les plus lourdement armés de lépoque : ils transportaient en moyenne un peu plus de 20 artilleurs, pour une vingtaine de pièces dont près de la moitié tiraient plus de 10 lb. de balle. En dautres termes, larmada de guarda avait en permanence à son service un total denviron 120 à 200 artilleurs pour 6 à 10 galions sans compter les pataches et frégates qui les accompagnaient régulièrement.

En outre, dans les décennies suivant la bataille de Lépante, lenvergure et la fréquence des opérations militaires en Atlantique augmenta considérablement du fait des transformations géopolitiques. Tandis que les Ottomans, en guerre avec la Perse, se firent moins pressants en Méditerranée, les tensions montèrent entre la Monarchie hispanique et les puissances protestantes du nord de lEurope231. Malgré ses victoires militaires sur terre, larmée que la Monarchie entretenait en Flandre ne parvenait pas à mettre fin à la révolte des provinces du nord des Pays-Bas entamée en 1567232. En cause, notamment, la faiblesse de sa puissance navale en mer du Nord233. En 1574, une imposante flotte de guerre fut donc rassemblée au port de Santander dans le but de mettre fin à la révolte en semparant du contrôle sur la mer du Nord. Elle était constituée de 20 grandes nefs, 34 hourques, 12 pataches, 40 zabras, et plusieurs dizaines de petites embarcations234. Daprès les statistiques 99dont je dispose pour chacun de ces types de navires, lexpédition requit au bas mot plus de 700 artilleurs. Néanmoins, suite au retard des préparatifs et à lirruption soudaine dune épidémie de peste qui emporta le commandant (ladelantado Pedro Menéndez de Avilés) ainsi quune partie des équipages, cette armada ne partit jamais de Santander. Lannée suivante, une autre flotte, plus petite car principalement constituée de zabras, fut envoyée en Flandre afin de fournir des renforts dinfanterie et de joindre ses forces à celle des huit navires que le gouverneur de Flandre, Luis de Requesens, avait mis en service à Dunkerque235. Leffort fut néanmoins insuffisant, le contrôle de la mer du Nord demeura principalement aux mains des rebelles hollandais236.

Lopportunité daccéder au trône du Portugal suite à la mort du jeune roi Sébastien à la bataille de Ksar El Kébir (1578) encouragea Philippe II à tourner ses forces vers lAtlantique. En 1580, lentreprise dannexion du Portugal eut lieu à la fois par terre et par mer, en recourant à la flotte de galères méditerranéennes ainsi quà une trentaine de nefs237. Elle permit à lEspagne de semparer dun escadron dune dizaine de galions portugais qui furent par la suite régulièrement utilisés pour protéger larrivée des flottes des Indes portugaises et espagnoles, et qui jouèrent un rôle clé dans la plupart des grandes opérations navales de la décennie238. Le service de lartillerie de cet escadron de galions portugais devait entretenir en permanence entre 150 et 200 artilleurs, chiffres nettement supérieurs à ceux des garnisons portugaises. En outre, afin de finaliser lacquisition du Portugal et dassurer la sécurité du retour des flottes océaniques, la Monarchie hispanique entreprit de conquérir les Açores, restées fidèles au prieur de Crato, autre prétendant au trône de Portugal, qui sétait allié aux Français. En 1582, le marquis de Santa Cruz partit à la tête dune flotte de deux galions, 18 nefs, 11 hourques et cinq pataches (quelques 350 artilleurs daprès mes estimations), et remporta la victoire sur la flotte française de Philippe Strozzi239. Lannée suivante, le même marquis 100conquit avec succès lîle de Terceira avec une flotte de cinq galions, deux galéasses, 12 galères, 30 nefs, 12 pataches, 15 zabras, sept hourques et 14 caravelles240 (entre 650 et 700 artilleurs daprès mes estimations).

Le développement de la course française et anglaise en Amérique força la Monarchie hispanique à lancer des opérations militaires ponctuelles en sus de lenvoi des convois annuels et de larmada de guarda. Lopération de 1565-1566 en Floride contre les Huguenots a déjà été exposée. Au début des années 1580, une autre expédition de grande ampleur fut mise sur pied. Les ravages causés par Francis Drake et en particulier la faiblesse des défenses pacifiques révélée par son expédition réussie de contournement de lAmérique par le sud conduisirent le gouvernement madrilène à réagir. Une expédition fut préparée avec pour objectif détablir des colonies près du détroit de Magellan afin den défendre lentrée. Dans ce but, le général Diego Flores de Valdés partit en 1581 à bord dune galéasse servant de capitana à une armada de 18 nefs, un galion et quatre frégates. Revenue en Andalousie en 1584, cette armada de Magallanes mobilisa, daprès mes estimations, environ 300 artilleurs pendant près de trois ans, incluant de nombreuses pertes puisque seuls quelques navires survécurent à laventure241.

Enfin, lopération navale de tous les records fut la Grande Armada de 1588242. En réponse aux attaques des corsaires anglais en Amérique et sur les côtes ibériques, mais aussi en conséquence de laide fournie par Elizabeth dAngleterre aux provinces rebelles des Pays-Bas après le traité de Sans-Pareil, Philippe II et ses proches conseillers conçurent, à partir de lannée 1585, un vaste projet dinvasion du sud de lAngleterre. Une flotte de guerre partie dEspagne était censée faire traverser la Manche à larmée de Flandre du duc de Parme. Lexécution du projet prit du retard, notamment à cause dune attaque surprise de Francis Drake sur Cadix en 1587 qui causa la perte de 24 navires. Malgré ces désagréments, le 29 mai 1588, le duc de Medina Sidonia, capitaine général de cette Grande Armada, quitta le port de Lisbonne où la flotte avait été assemblée. Le changement déchelle fut colossal. Le noyau de larmada se composait des escadrons de galions devenus permanents, cest-à-dire les dix galions du 101Portugal (constituant lescadron du Portugal) et les dix galions de larmada de guarda de la carrera de Indias (constituant en grande partie lescadron de Castille), auxquels il fallait rajouter les quatre galéasses napolitaines, ainsi quun petit détachement de quatre galères de lescadron dEspagne. Plusieurs autres escadrons avaient été préparés à partir de grandes nefs marchandes saisies par ladministration royale et renforcées. Ainsi les escadrons dAndalousie, de Biscaye et de Guipúzcoa rassemblaient en tout une trentaine de grandes nefs ibériques, tandis que lescadron du Levant était constitué de dix grands navires de commerce méditerranéens auquel lescadron des hourques ajoutait 23 bâtiments dEurope du nord. Enfin, un petit escadron de 22 navires légers était chargé dassurer les communications au sein de cette énorme flotte de 130 navires et 2 431 pièces dartillerie.

La demande en artilleurs de cette flotte atteignit un niveau jamais vu auparavant. Les listes déquipage des navires de lescadron de Castille montrent quau moins 264 artilleurs embarquèrent dans cette unité243. Ils étaient en réalité sans doute légèrement plus nombreux puisque léquipage de lun des deux galions nommés San Juan Bautista est incomplet. Notons que, si lon compte environ 18,5 artilleurs par galion, ou bien un artilleur tous les 32 toneladas (statistiques fournies dans la partie précédente), on trouve pour ce même escadron des besoins en artilleurs avoisinant les 270 individus. Ce chiffre, très proche de celui révélé par les sources comptables, suggère une certaine fiabilité de ma méthode destimation par projection numérique. Or, en appliquant cette méthode à lensemble de la Grande Armada et en tenant compte des différents types de navires et de leur volume, il apparaît que la Monarchie hispanique dut recourir pour cette entreprise aux services de 1 550 à 1 850 artilleurs. Cétait alors plus que lensemble des artilleurs servant en garnison dans tout lempire. Les pertes dartilleurs engendrées par les nombreux naufrages lors de la tempête qui balaya la flotte en septembre 1588 durent peser très lourdement sur lappareil militaire de la Monarchie.

Bien que léchec de la Grande Armada de 1588 a longtemps été considéré comme le début de la décadence de lempire espagnol, des études plus récentes ont au contraire montré que cette date favorisa le développement de la puissance navale espagnole dans lAtlantique244. 102Après 1588, la pression des navires anglais se fit encore plus forte en Amérique mais aussi sur les côtes de la péninsule ibérique. Ainsi en témoignent les attaques sur La Corogne et Lisbonne (1589), Pernambouc (1595), Cadix (1596) et Porto Rico (1598)245. Entre 1591 et 1595, les prises des corsaires anglais se seraient élevées à plus de 300 navires, pour une valeur de 1,6 millions de ducats246. Face à la menace anglaise, Philippe II obtint des cortés de Castille la gigantesque somme de huit millions de ducats à payer sur six ans, qui allaient devenir une nouvelle taxe : les millones247. Cet impôt permit non seulement de rembourser le coût de larmada de 1588, mais il fournit également à la Monarchie hispanique la possibilité de créer une véritable marine de guerre, larmada del mar Océano. Rapidement après le désastre de 1588, de nouveaux programmes de construction navale furent lancés. Composée dune vingtaine à une soixantaine de galions, frégates et pataches, larmada del mar Océano constitua le cœur de la puissance navale espagnole dans lAtlantique jusquau milieu du xviie siècle248.

Lorganisation de cette armada semble avoir varié au cours du temps. En 1590, elle se composait de quatre grandes unités reprenant la division des principaux escadrons de la Grande Armada contre lAngleterre249. En Biscaye se trouvaient 13 galions et nefs. Dans le port du Ferrol en Galice séjournaient six galions, trois hourques, deux filibotes et 18 pataches et zabras. Lisbonne abritait quant à elle six galions, quatre galéasses et deux zabras. Et enfin, les eaux andalouses accueillaient 12 vieux galions qui avaient pour la plupart servi dans larmada de guarda et avaient survécu au désastre de 1588. Daprès mes estimations, il fallait compter entre 850 et 900 artilleurs pour ces quatre escadrons. Or, les effectifs de larmada del mar Océano se maintinrent sur la période étudiée. En 1606, elle était constituée dune quarantaine de navires divisés en trois escadrons250. Quinze navires attachés aux ports du Ferrol et de la Corogne devaient 103veiller sur la côte septentrionale de lEspagne tandis que 12 à 15 navires résidaient à Lisbonne, protégeant la côte portugaise, et enfin 12 galions basés à Gibraltar étaient chargés de la protection de la côte andalouse et de lentrée de la Méditerranée. Pour le seul escadron de Lisbonne, il était prévu de recruter 321 artilleurs251. Projeté sur lensemble des trois escadrons, les chiffres avoisinent ceux larmada de 1590. En dautres termes, après le pic de la Grande Armada de 1588, la demande en artilleurs ne retomba pas à son niveau antérieur. Au contraire, au moins la moitié des effectifs requis pour cette opération exceptionnelle devinrent la norme constante du maintien de larmada del mar Océano. Cette armada constitua alors le noyau des opérations navales de la Monarchie hispanique. Certains de ses navires servirent régulièrement à renforcer larmada de guarda de la carrera de Indias lorsque les menaces de corsaires se faisaient plus pressantes, comme par exemple lors de lexpédition de Drake en 1595252, ou encore en 1606253.

De plus, dautres grandes flottes de guerre contre lAngleterre furent préparées après la Grande Armada254. Juste après le sac de Cadix en 1596, une armada menée par ladelantado Martin de Padilla fut organisée dans le but damener des renforts aux seigneurs catholiques irlandais en rébellion contre Elizabeth. Rassemblant plus de 120 voiles dont 35 grands galions (pour la plupart de larmada del mar Océano), cette flotte avoisinait en taille celle de 1588. Cependant, une tempête la dispersa près des côtes galiciennes sans quelle pût atteindre son objectif. Lannée suivante, en 1597, une seconde flotte fut mise sur pied dans le but de détruire la flotte anglaise et saisir des ports du sud de lAngleterre. Elle se composait de 136 navires principalement des galions et filibotes de larmada del mar Océano ainsi quun certain nombre de grandes hourques nord-européennes saisies par ladministration royale. Bien que la composition précise de ces flottes demeure inconnue, il est raisonnable destimer quelles embarquaient des effectifs dartilleurs à peine inférieurs à ceux de la Grande Armada de 1588.

104

Enfin, dautres escadrons permanents darmada virent le jour dans les dernières années du xvie siècle et les premières années du xviie siècle. Après avoir repris les ports de Dunkerque et dAnvers en 1585, le général Alexandre Farnèse lança la mise en place dune armada pour lutter contre la puissance navale des Hollandais en mer du Nord255. Les documents de comptes de lamirauté des années 1599 à 1601 révèlent que lescadron de Dunkerque se composait de dix à douze navires embarquant entre 93 et 108 artilleurs256. À Anvers, les documents de montre font figurer 81 artilleurs répartis sur quatorze navires257. Par ailleurs, les incursions dans le Pacifique de Francis Drake en 1579 et de Thomas Cavendish en 1587 encouragèrent la Monarchie à doter la vice-royauté du Pérou dune flotte de guerre permanente258. Appelée armada del mar del Sur, cette unité se composa, à partir de 1588, de cinq à six galions, secondés par quelques navires de faible tonnage, qui étaient non seulement en charge dacheminer annuellement à Panama largent extrait des mines de Potosi mais qui, en labsence de véritables fortifications côtières, constituaient également la principale défense de toute la côte pacifique259. Un document de lannée 1600 comptabilisait un total de 107 artilleurs à bord de cette armada260. Par ailleurs, la présence quasi-permanente de corsaires anglais, français et hollandais dans les Caraïbes motiva aussi le projet de création dune autre flotte permanente, larmada de Barlovento, qui devait être stationnée à La Havane ou Porto Rico261. À plusieurs reprises, cette unité fut assemblée (en 1595, 1601, 1605, 1608), mais ses ressources humaines et matérielles furent systématiquement intégrées à la nécessiteuse armada del mar Océano, et lescadron de Barlovento ne put véritablement voir le jour quen 1635262. La puissance navale de la Monarchie se construisit donc à travers tout un réseau descadrons permanents de galions extrêmement demandeurs en artilleurs.

105

Opération

Date

Nb artilleurs

Expédition en Floride (Pedro Menéndez de Avilés)

12 voiles (1565) + 17 voiles de renforts (1566)

1565-1566

200-350

Bataille de Lépante (don Juan dAutriche)

80 galères

1571

230-250

Armada de Santander (Pedro Menéndez de Avilés)

20 naos, 34 urcas, 12 pataches, 40 zabras, 40 lanchas

1574

650-750

Expédition au détroit de Magellan (Diego Flores)

1 galéasse, 1 galion, 18 naos, 4 fragatas

1581-1584

280-300

Armada des Açores (Marquis de Santa Cruz)

2 galions, 18 naos, 11 urcas, 5 pataches

1582

300-350

Armada de la Terceira (Marquis de Santa Cruz)

5 galions, 2 galéasses, 12 galères, 30 naos, 7 urcas, 12 pataches, 15 zabras et 14 caravelas

1583

650-700

Grande Armada (duc de Medina Sidonia)

130 navires

1588

1550-1850

Escuadra de Portugal – 10 galions, 2 zabras

Idem

190-240

Escuadra de Biscaye – 10 galions et naos, 4 pataches

Idem

200-210

Escuadra de Castilla – 14 galions, 2 pataches

Idem

265-270

Escuadra de Andalucía – 9 galions et naos, 1 urca, 1 patache

Idem

180-250

Escuadra de Guipúzcoa – 9 galions et naos, 1 urca, 2 pataches, 2 pinazas

Idem

185-215

Escuadra del Levante – 10 naos méditerranéennes

Idem

120-175

Escuadra de urcas – 23 urcas

Idem

200-280

Escuadra de galeazas – 4 galeazas

Idem

120-150

Escuadra de zabras y pataches – 3 naos, 19 zabras y pataches

Idem

60-85

Escuadra de galeras – 4 galères

Idem

10-15

Armada de 1596 (Martin de Padilla)

120 navires dont 35 galions

1596

1200-1500

Armada de 1597 (Martin de Padilla)

136 navires

1597

1300-1600

Fig. 15 – Effectifs dartilleurs des grandes opérations navales
de la Monarchie hispanique. Estimations sappuyant sur les statistiques
contenues dans la figure 14.

106

Escadrons permanents

Date

Nb artilleurs

Escadrons de galères

Entre 60 et 100 galères (Méditerranée et Atlantique)

avant 1550

220-280

Escorte flottes de Nouvelle-Espagne / Tierra Firme

8 galions

c. 1560

120-160

Galéasses de Naples

4 galéasses (mises hors service en 1593)

1575

100-200

Armada de guarda de la carrera de Indias

6-10 galions, 0-4 pataches, 0-4 fragatas

1576

120-250

Galions du Portugal

6-10 galions (incorporés à lArmada del mar Océano après 1589)

1580

120-200

Armada de Flandre

Entre 20 et 25 navires à Dunkerque et Anvers

c. 585

180-200

Armada del mar del Sur

5-6 galions, quelques navires de faible tonnage

1588

80-120

Armada del mar Océano

Entre 40 et 60 navires de guerre

1590

700-1000

Fig. 16 – Effectifs dartilleurs des principaux escadrons permanents
darmadas de la Monarchie hispanique. Estimations sappuyant
sur les statistiques contenues dans la figure 14.

Comme les tables récapitulatives des figures 15 et 16 le mettent en évidence, le développement de la puissance navale de la Monarchie hispanique dans lAtlantique résulta en un accroissement extrêmement rapide de la demande en artilleurs. Au milieu du xvie siècle, le service des flottes de guerre demandait en tout à peine plus dartilleurs que les garnisons de la frontière pyrénéenne. À la fin du siècle, les besoins en artilleurs des armadas dépassaient ceux des garnisons de lensemble des territoires de lempire. Rien ne représente de manière plus frappante cette transformation que le fossé qui sépare les deux plus grandes batailles navales que la Monarchie eut à livrer au xvie siècle. Dun côté, à Lépante les quatre-vingt galères de don Juan et leur quelques 240 artilleurs ; de lautre, seulement 17 ans plus tard, la bataille de Gravelines (1588) avec ce même nombre dartilleurs, mais cette fois-ci dans chacun des principaux escadrons de la Grande Armada. Voici le saut quantitatif que la phrase du duc de Medina Sidonia dénonçait en introduction de ce chapitre. Néanmoins, pour que ce phénomène soit pleinement compris, il reste encore à exposer un dernier aspect du problème : le développement simultané de larmement privé des navires marchands.

107

La marine marchande,
un vaste marché privé de lartillerie

Larmement des navires marchands est un sujet largement ignoré par lhistoriographie militaire sur lépoque moderne. Même si quelques ouvrages récents révèlent un intérêt croissant pour les liens entre guerre et acteurs économiques privés263, limmense majorité des études sur la guerre sinscrit dans le cadre du fiscal military state, lÉtat moderne qui se construit par la guerre et qui sarroge de la sorte un monopole sur la violence264. En outre, lartillerie, arme chère, symbole de destruction de la féodalité et de ses châteaux, est considérée, dans la narration de la révolution militaire, comme un privilège des grands États265. Or si, au xvie siècle, les États sont incontestablement parmi les plus gros consommateurs dartillerie, ils nen ont pas pour autant le monopole. La suite de cette partie va tâcher de mettre en évidence en quelques paragraphes limportance du marché privé de lartillerie à destination des navires marchands, sujet qui mériterait une étude plus approfondie.

Les documents de ladministration militaire espagnole offrent de nombreux témoignages de la présence dartillerie à bord des navires marchands. Dabord, preuve que la distinction entre navire de guerre et navire de commerce nétait pas rigide, il faut rappeler que bon nombre dembarcations utilisées lors des opérations militaires dans lAtlantique étaient des nefs marchandes saisies par ladministration militaire (contre rétribution du propriétaire) et renforcées par des travaux de carénage et des ajouts dartillerie. Ainsi, un document de 1582 recense un ensemble de dix-sept nefs et deux hourques commerciales saisies dans le port de Cadix afin de préparer la flotte de conquête des Açores266. Ce document fait figurer un inventaire de lartillerie embarquée dans chacun de ces navires, divisée en deux catégories : lartillerie prêtée par la Monarchie, et celle que possédait le bateau lors de la saisie, ce qui permet de connaître 108son armement lorsquil opérait en tant que navire marchand. Ces nefs et hourques de commerce (de tonnage inconnu) avaient en moyenne à leur bord 17 pièces dartillerie, pour la plupart de très petits calibres, dont un grand nombre en fonte. Néanmoins, certains de ces bâtiments possédaient également quelques pièces de calibre plus lourd, puisquon trouve dans cet inventaire une trentaine de sacres, pierriers et « grosses pièces » en bronze.

Un tel armement était tout à fait normal pour des navires de commerce. Comme le montre un inventaire de 1586 de la même nature que le précédent, parmi les nefs de Biscaye et de Guipúzcoa, les pièces en fonte prédominaient largement267. À partir des années 1585, plusieurs séries dembargos sur les navires étrangers conduisirent à la saisie de dizaines dembarcations de commerce dans les ports de la péninsule ibérique268. Certaines de ces listes permettent dobtenir des informations sporadiques sur les flottes de commerce anglaise, flamande, hanséate et française269. Parmi 53 navires de commerce dun tonnage moyen denviron 150 t. ces sources révèlent en moyenne près de neuf pièces dartillerie par bateau, dont la grande majorité en fonte et de très petits calibres. Une artillerie très légère et de moindre qualité, certes, mais qui imposait tout de même de recourir à des artilleurs. Les listes déquipage de huit de ces navires révèlent en effet la présence de un à quatre artilleurs à bord270. En 1590, le duc de Medina Sidonia comptabilisait 190 navires marchands dans les différents ports de la Basse-Andalousie, qui tous avaient un artilleur et un aide-artilleur à lexception de six nefs ragusaines qui en possédaient quatre à cinq chacune271. Un ensemble dun peu plus de deux cents artilleurs et autant daides seulement pour les navires arrêtés au sud de lEspagne, on devine tout de suite que lordre de grandeur du marché privé de lartillerie nest absolument pas négligeable. Néanmoins, il est extrêmement difficile à saisir car lartillerie privée napparaît dans les 109documents de lÉtat que par accident, contrairement à lartillerie du roi, systématiquement enregistrée et sous étroite surveillance.

Les convois de la carrera de Indias offrent néanmoins la possibilité dune brève détude de cas particulièrement instructive dans le cadre de cette recherche sur la Monarchie hispanique. En effet, cet ensemble de navires privés était organisé, orchestré et contrôlé par des agents du roi et, notamment, par une institution, la casa de la contratación. Non seulement ce contrôle du commerce par une institution fournit quantité dinformations sur les navires marchands, mais il permet également de connaître assez précisément le trafic entre Séville et lAmérique272. De plus, il touche au présent sujet dans la mesure où il ny avait pas de séparation franche entre flottes de guerre et flottes commerciales, mais plutôt une intrication des rôles, lors de la préparation des convois, entre agents de lÉtat et particuliers. La sécurité de la flotte était en ce sens autant assurée par la poignée de galions royaux descorte que par les navires de commerce eux-mêmes. Il existait dailleurs depuis le milieu du xvie siècle des régulations sur larmement des navires selon leur volume, régulièrement mises à jour273. Avant le départ des convois, un officier de la casa de la contratación, portant le titre dartillero mayor, visitait lartillerie des navires, vérifiait quelle était suffisante, la testait et la marquait comme valide274. Enfin, les agents de la casa de la contratación veillaient à ce que la flotte ne manquât pas de ressources et en particulier de ressources humaines compétentes. Dès le début du xvie siècle, cette institution forma des pilotes pour les flottes atlantiques et, à partir de 1576, elle ouvrit un cursus de formation pour les artilleurs275. Cette implication dagents monarchiques dans lorganisation de larmement privé des navires de la carrera de Indias justifie la présence de cette brève étude de cas au sein de ce chapitre pourtant dédié aux artilleurs du roi.

Une liste de la flotte de Tierra Firme datant de lannée 1589 renseigne sur larmement et léquipage de 28 navires marchands de la carrera de Indias276. Ces nefs et hourques, dun port moyen de 300 t. 110avaient environ une pièce dartillerie tous les 42 t. soit, en moyenne, un peu plus de sept pièces par bateau. Cette artillerie était en grande majorité en fonte (à plus de 60 %) ce qui ne manque pas détonner car les armes en bronze étaient considérées par les contemporains comme bien plus résistantes au climat chaud et humide des tropiques277. Cette tendance à lusage dune artillerie en fonte dans les nefs de la carrera de Indias se confirme dans le temps. En effet, les visites de lartillero mayor pour les années 1600 et 1601 avaient porté sur 439 pièces en fonte et seulement 103 pièces en bronze278. À partir de 1605, les régulations sur lartillerie obligeaient les armateurs à équiper leurs navires dau moins deux pièces en bronze, signe du succès croissant de lartillerie en fonte279. Comment expliquer un tel engouement pour une artillerie dont la qualité était pourtant jugée par les contemporains inférieure à celle des pièces en bronze ? Cela sexplique principalement par le prix attractif de lartillerie en fonte280. La meilleure preuve en est quaprès la législation de 1605, luniversidad de mareantes, cest-à-dire lassociation des armateurs et capitaines de la carrera de Indias, se plaignit sans succès à la casa de la contratación du surcoût important que représentait lachat de pièces de bronze281.

La casa de la contratación veillait également à ce que cette artillerie fût servie par un nombre satisfaisant dartilleurs. Les régulations prévoyaient deux artilleurs pour une nave de 150 t., quatre artilleurs pour une nave de 200 t. et six artilleurs pour une nave de 300 t.282 soit environ un artilleur pour 50 à 75 t. Les chiffres réels pour la flotte de Tierra Firme de 1589 étaient légèrement inférieurs283. On y trouvait un artilleur pour 86 t. soit en moyenne un peu plus de quatre artilleurs par navire, ce qui représentait environ un artilleur pour deux pièces dartillerie. Sur ces navires de commerce, la densité dartilleurs était donc deux à trois fois plus faible que sur les navires de guerre de la Monarchie.

111

Fig. 17 – Évolution des effectifs dartilleurs de la carrera de Indias. La courbe bleue correspond
aux estimations annuelles établies en croisant les données statistiques concernant lartillerie des navires
marchands avec celles du volume du trafic transatlantique répertoriées par Chaunu, Séville et lAtlantique, op. cit.
La courbe rouge représente la moyenne mobile sur 7 ans des effectifs dartilleurs, ce qui permet dobtenir
une tendance générale moins dépendante des fluctuations annuelles du trafic transatlantique.

112

Néanmoins compte tenu du nombre de bateaux impliqués dans la carrera de Indias et du volume du trafic, les effectifs dartilleurs servant dans ces navires marchands atteignaient des niveaux presque comparables à ceux des flottes de guerre. À partir des chiffres de la flotte de 1589 et en sappuyant sur les tables du trafic annuel des convois réalisées par les Chaunu284, il est possible de faire des projections annuelles des besoins en artilleurs de la carrera de Indias, comme le montre la figure 17. Bien quils ne sappuient que sur des estimations, les résultats sont particulièrement significatifs de lévolution des ordres de grandeur. Dans les premières années de lorganisation des convois, il fallait entre 100 et 200 artilleurs pour garnir les flottes, mais ce chiffre monta graduellement autour de 300 dans les années 1570, gagnant environ 100 artilleurs par décennie, puis dépassant les 600 individus dans les premières années du xviie siècle. En 1608, à son apogée, le fonctionnement de la carrera de Indias nécessita de pourvoir les navires de commerce de plus de 800 artilleurs.

Le développement de ces flottes de commerce transatlantiques ne put quajouter à la forte pression quexerça la mise en place des armadas atlantiques sur les ressources humaines qualifiées, et notamment sur les artilleurs. Il y eut en effet bien souvent cumul des besoins des flottes de guerre et des flottes commerciales. Ainsi en 1574, en même temps que 700 artilleurs furent requis pour la préparation de larmada de Santander, les flottes de la carrera de Indias mobilisèrent plus de 300 artilleurs. Il en alla de même en 1583, lorsque la flotte du marquis de Santa Cruz dut se procurer environ 700 artilleurs tandis que les convois américains en réclamaient quelques 350. Lannée même de la Grande Armada, près de 500 artilleurs furent mobilisés pour la carrera de Indias en parallèle des 1500 à 1800 artilleurs de la flotte dinvasion de lAngleterre. En ce sens, le développement des flottes commerciales atlantiques participa au saut quantitatif évoqué précédemment et en accentua significativement les effets.

113

Conclusion

Lépoque des Rois Catholiques, au tournant des xve et xvie siècles, marqua simplement louverture de lère du canon moderne. Isabelle et Ferdinand entretenaient alors à leur service quelques dizaines dartilleurs tout au plus285. Un demi-siècle plus tard, lÉtat composite dont hérita Philippe II était déjà partiellement métamorphosé : ses dizaines de forteresses disséminées en Espagne, en Italie, en Flandre et en Amérique, ainsi que son importante flotte de galères en Méditerranée requéraient autour dun bon millier dartilleurs. LÉtat quil légua à son fils en 1598 était devenu une formidable machine militaire nécessitant, daprès mes estimations, entre 3 000 et 4 000 artilleurs à son service. Cette multiplication de lusage du canon résultait dune course générale à larmement impliquant des acteurs de toutes tailles, depuis les plus puissants États jusquaux villes, seigneurs, marchands et pirates. Cette transformation frappa néanmoins ces différents protagonistes de manière inégale. Elle affecta de manière plus prononcée ceux qui souhaitèrent simpliquer dans lespace maritime : même les navires de taille modeste embarquaient, à la fin du xvie siècle, quelques pièces dartillerie pour leur défense. Or, de par son échelle gigantesque, la Monarchie hispanique fut frappée plus quaucun autre acteur par cette multiplication de lusage du canon. Sa tentative de se constituer comme principale puissance navale résulta en un saut extraordinaire de ses besoins en artilleurs. Elle fit ainsi lexpérience de ce que connurent au siècle suivant dautres puissances coloniales telles que les Provinces-Unies, la France ou lAngleterre.

Cette métamorphose de la Monarchie hispanique induisit des transformations dans différents domaines. Sur le plan politique et administratif, organiser et contrôler ces milliers de pièces et dindividus requit la mise en place de structures complexes permettant de gérer à grande échelle ces ressources en dépit de la fragmentation politico-juridique de ce qui était alors une monarchie composite286. Sur le plan social et professionnel, lartillerie devint une activité commune générant de nombreuses 114opportunités de carrières pour des milliers dindividus qui entrèrent ainsi au service du roi. Sur le plan technique et scientifique, la nécessité de former des milliers dindividus à une activité qui demandait un certain niveau de compétences et de connaissances bouleversa les modes traditionnels dapprentissage des métiers techniques. En dautres termes, le déploiement de ce grand nombre dartilleurs signifia la construction dun vaste système socio-politico-scientifique qui sera analysé dans les prochains chapitres.

1 AGS GYM, leg. 280/228 (16/01/1590). « Et ainsi je comprends, pour lavoir vu de mes yeux, le grand manque quil y a dartilleurs pour les armadas de Votre Majesté. »

2 AGS GYM, leg. 281/32 (07/02/1590).

3 Goodman, David C., Power and Penury : Government, Technology and Science in Philip IIs Spain, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.

4 Roberts, Michael, The Military Revolution, 1560-1660, op. cit.

5 Parker, Geoffrey, The Military Revolution, op. cit.

6 Pour une présentation du débat autour de la révolution militaire, voir Rogers, Clifford J. (éd.), The Military Revolution Debate, op. cit. Un autre auteur très influent : Black, Jeremy, A Military Revolution ? op. cit. Pour limpact de la révolution militaire sur la construction de lÉtat moderne, voir louvrage particulièrement influent de Tilly, Charles, Coercion, Capital and European States, AD 990-1992, op. cit. Pour limpact de la révolution militaire en histoire globale et coloniale, voir : Andrade, Tonio, The Gunpowder Age. China, Military Innovation, and the Rise of the West in World History, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 2016. Hoffman, Philip T., Why did Europe Conquer the World ?, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 2015. Andrade, Tonio, « Was the European Sailing Ship a Key Technology of European Expansion ? Evidence from East Asia », International Journal of Maritime History, vol. 23, no 2, 2011, p. 17-40. Les relations entre transformations militaires et sociales ont fait lobjet de travaux antérieurs au livre de Parker : Hale, John R., War and Society in Renaissance Europe : 1450-1620, Leicester, Leicester University Press, 1985. Il en va de même pour limpact des canons sur le développement des empires : Carlo M. Cipolla, Guns, Sails and Empires, op. cit.

7 Parker, Geoffrey, The Military Revolution, op. cit., p. 10.

8 Favé, Ildefonse, Bonaparte, Louis-Napoléon, Études sur le passé et lavenir de lartillerie. Volume III, Paris, J. Dumaine, 1862, p. 216.

9 Voir labondante littérature sur lartillerie du xve siècle : Rogers, Clifford J., « The Military Revolution in the Hundred Years War », dans The Military Revolution Debate, op. cit., p. 55-94. Hall, Bert S., Weapons and Warfare in Renaissance Europe : Gunpowder, Technology, and Tactics, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997. DeVries, Kelly R., Guns and Men in Medieval Europe, 1200-1500 : Studies in Military History and Technology, Aldershot, Ashgate/Variorum, 2002. Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusquau milieu du xvie siècle : France, Bretagne et Pays-Bas bourguignons », thèse défendue à luniversité Paris 1 (Panthéon – La Sorbonne), 2014. Cobos Guerra, Fernando, La artillería de los Reyes Católicos, Valladolid, Junta de Castilla y León, Consejería de Cultura y Turismo, 2004.

10 Prouteau Nicolas, Crouy-Chanel, Emmanuel de, Faucherre, Nicolas (éd.), Artillerie et fortification, 1200-1600, op. cit. Parker, Geoffrey, « The Artillery Fortress as an Engine of European Overseas Expansion, 1480-1750 », op. cit. Duffy, Christopher, Siege Warfare, op. cit. Pepper, Simon, Adams, Nicholas, Firearms & Fortifications, op. cit.

11 Guilmartin, John F., Gunpowder and Galleys, op. cit.

12 Hildred, Alexzandra, The Archeology of the Mary Rose Vol. 3 : Weapons of warre – the Armaments of the Mary Rose, Portsmouth, The Mary Rose Trust ltd., 2011. Témoignage dune collaboration fructueuse entre historien et archéologue, louvrage de Parker et Martin sur la Grande Armada de 1588 explique la défaite espagnole par linfériorité de son artillerie. Voir Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, New York ; Londres, W.W. Norton & Co., 1988.

13 Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instituto Jerónimo Zurita, 1947.

14 Parker, Geoffrey, The Army of Flanders and the Spanish Road, 1567-1659 : the Logistics of Spanish Victory and Defeat in the Low Countries Wars, Cambridge, Cambridge University Press, 1972. Quatrefages, René, Los tercios españoles (1567-1577), Madrid, Fundación Universitaria Española, 1979. Thompson, I.A.A., War and Government in Habsburg Spain, 1560-1620, Londres, Athlone Press, 1976. González de León, Fernando, The Road to Rocroi, op. cit.

15 Benoit, Paul, « Artisans ou combattants ? Les canonniers dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de lenseignement supérieur public, vol. 18, no 1, 1987, p. 287-296. Contamine, Philippe, « Lartillerie royale française à la veille des guerres dItalie », Annales de Bretagne, Tome 71, no 2, 1964, p. 221-261. Ladero Galán, Aurora, « Artilleros y artillería de los Reyes Católicos (1495-1510) » op. cit.

16 Série AGI CT leg. 29XX.

17 Série AGI CT leg. 39XX.

18 Cette partie sappuie sur le traitement statistique dune base de données contenant 1 151 entrées et des informations sur un total de 3 272 utilisées par la Monarchie hispanique entre 1560 et 1610. Cette base de données est consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.

19 Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusquau milieu du xvie siècle », op. cit., p. 293.

20 Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit., p. 247.

21 La classification des pièces est un aspect incontournable de la littérature technique sur lartillerie. Voir par exemple Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, Brescia, Thomaso Bozzola, 1567. Collado, Luis, Plática manual de artillería en la qual se tracta de la excelencia de el arte militar y origen de ella, Milan, Pablo Gotardo Poncio stampador de la Real Cámara, 1592. La palme de la plus grande diversité de pièces décrites revient à un ouvrage du début du xviie siècle décrivant plus de 100 pièces différentes, Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della platicado por el capitán Diego Ufano en las guerras de Flandes, Bruxelles, Juan Momarte, 1612.

22 Crouy-Chanel, Emmanuel de « Le canon jusquau milieu du xvie siècle », op. cit., p. 255-256.

23 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería y de todo lo necessario a ella, Milan, Marco Tulio Malatesta, 1611, p. 14.

24 Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 35-43.

25 Voir la base de données consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.

26 AGS EST leg. 1142/175 et 187 (20/12/1574).

27 AGS GYM leg. 365/128 (21/01/1589).

28 AGS GYM leg. 365/179 (15/10/1592).

29 Voir les remarques de López Martín, Francisco Javier, Esculturas para la guerra. La creación y evolución de la artillería hasta el siglo xvii, Madrid, Ministerio de Defensa, CSIC, 2011, p. 363-364.

30 AGS GYM leg. 365/128 (21/01/1589).

31 AGS GYM leg. 149/109 (Santander, 16/09/1583), AGI CT leg. 5108, sans num. (Cadix, 05/05/1586).

32 AGS GYM leg. 149/336 (18/09/1583).

33 On compte 18 canons dans les différents châteaux de Naples, AGS EST leg. 1066/13 (1575).

34 Un inventaire de 1592 mentionne 15 canons pour Pampelune, AGS GYM leg. 365/125 (1592).

35 Pas moins de 30 canons à Perpignan en 1593, tandis que lon craint une attaque française, AGS GYM leg. 378/1 (1593).

36 On trouve systématiquement un canon par galère dans les inventaires dartillerie des galères. Voir par exemple AGS VG leg. 4. Cet armement semble commun à toutes les puissances navales méditerranéennes, selon Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit.

37 Voir par exemple les préparatifs de linvasion du Portugal en 1579-1580, AGS CMC 2a epoca leg. 500. Des canons de batterie sont également embarqués dans la Grande Armada en prévision des sièges de châteaux dans le sud de lAngleterre selon Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 41.

38 Ces réserves étaient chacune de 20 canons de 40 lb. Voir AGS GYM leg. 365/125 (1592).

39 Seulement deux exemplaires répertoriés dans léchantillon, AGS EST leg. 1142/175 et 187 (1574).

40 Cest ce que rapportent la plupart des auteurs de traités. Le fait semble confirmé par quelques informations éparses : rapport de 30 pour une couleuvrine à Alghero en Sardaigne et 35 pour deux couleuvrines milanaises de la forteresse de Cagliari, AGS GYM leg. 88/43 (27/07/1578).

41 AGS GYM leg. 126/105 (09/05/1582).

42 Rapport longueur/calibre de 18 dans le modèle proposé par don Juan de Acuña Vela pour la fonderie de Malaga, AGS GYM leg. 365/128 (1589). Rapport longueur/calibre de 22 pour 3 demi-canons de la forteresse dAlghero en Sardaigne, AGS GYM leg. 88/43 (1578).

43 Il y avait à Alghero en Sardaigne quatre sacres de 22 calibres de longueur, et six de 27. À Cagliari, on trouvait quatre sacres mesurant 30 calibres de long et un de 32. AGS GYM leg. 88/43 (1578).

44 Sept demi-sacres de 25 calibres de long et deux demi-sacres de 26 sont répertoriés dans linventaire de lartillerie de Sardaigne. AGS GYM leg. 88/43 (1578).

45 Lemploi de ce terme est cependant très rare, seulement 13 occurrences dans léchantillon de 3 272 pièces.

46 Le modèle de falconete proposé par don Juan de Acuña Vela pour la fonderie de Malaga mesure 33 calibres de long. AGS GYM leg. 365/128 (1589). Les auteurs de traités dartillerie évoquent tous des rapports de longueur/calibre de 30 à 36.

47 Sur lenceinte de la ville de Brindisi, on comptait 30 esmeriles pour un total de 50 pièces dartillerie, AGS EST leg. 1066/13 (1575). On en compte 32 sur les 43 pièces du fort de las Navas en Andalousie, AGS GYM leg. 365/132 (31/05/1589). Ils représentent 27 des 37 pièces du fort dOton, près de Setubal au Portugal, AGS GYM leg. 195/65 (19/05/1586).

48 Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusquau milieu du xvie siècle », op. cit., p. 263 et suiv.

49 Les pedreros semblent avoir eu un rapport longueur/calibre de 12. Il en va ainsi du modèle de medio cañon pedrero de don Juan de Acuña Vela, AGS GYM leg. 365/128 (1589). De même les pedreros dAlghero en Sardaigne mesuraient 12 calibres de long, AGS GYM leg. 88/43 (1578).

50 La fonderie de Malaga produisit ainsi 30 medios cañones pedreros de 12 lb. de calibre entre 1590 et 1592, AGS GYM leg. 365/179 (15/10/1592).

51 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 53r et 111r.

52 Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 39.

53 De nombreux fondeurs de canons en fonte étaient installés à Liège et à Anvers. La Monarchie hispanique chercha dailleurs à en attirer en Espagne, AGS EST leg. 564/60 et 63 (23/07/1574).

54 Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 42. Limportance de lAngleterre comme lieu de production de lartillerie en fonte est confirmée par les inventaires qui mentionnent régulièrement lorigine anglaise de ce type de pièce. Voir AGS GYM leg. 149/18 (Cadix, 24/09/1583) et leg. 655/287 et 289 (Gibraltar, 1606).

55 Lartillero mayor Andrés Muñoz el Bueno, sur les tests de pièces dartillerie de la carrera de Indias, AGI IG leg. 2007, sans num. (Séville, 16/01/1602).

56 Plainte de luniversidad de mareantes à la casa de la contratación, AGI IG leg. 2008 (Séville, c. 1605).

57 « Asientos de 30 artilleros que por mandado de su Magestad y orden de Don Francés de Alava vinieron de Burgos a servir en este ejercito », AGS CMC 2a epoca, leg. 500 (03/11/1579).

58 AGS GYM leg. 162/105 (30/05/1584).

59 Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit., p. 147.

60 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 99v.

61 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 191.

62 Arántegui y Sanz, José, Apuntes históricos sobre la artillería española en la primera mitad del siglo xvi, Madrid, imprenta del Cuerpo de artillería, 1891, p. 166. Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit. p. 373.

63 AGS GYM leg. 365/125 (1592).

64 Mendoza, Bernardino de, Comentarios de lo sucedido en las guerras de los Paises Baxos desde el año de 1567 hasta el de 1577, Madrid, Pedro Madrigal, 1592, p. 177.

65 AGS EST leg. 564/123 (15/10/1575).

66 AGS EST leg. 564/134 (04/11/1575).

67 AGS EST leg. 615/4 (27/05/1596).

68 AGS EST leg. 1284/12 (fin de lannée 1596).

69 AGS EST leg. 1066/13 (24/01/1575).

70 Le marquis de Polignano, don César Gonzaga et de nombreux autres barons apparaissent dans cet inventaire. Ibid.

71 Bari avec 25 pièces, Lecce avec 32 pièces ou encore Barletta avec 52 pièces nont aucun artilleur payé par la Couronne. Je fais ici la déduction que ces villes finançaient elles-mêmes leur défense.

72 AGS GYM leg. 654/93 (20/12/1606).

73 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 48r.

74 Le statut de ces ayudantes est discuté p. 218. Il suffira pour le moment de savoir que ces assistants constituaient des sortes dartilleurs apprentis que la Monarchie payait à moindre prix par rapport aux véritables artilleros.

75 Pour ceux des lecteurs qui seraient malgré tout curieux davoir quelque information sur la distribution des valeurs des échantillons analysés précédemment, voici ce quil faut savoir. Pour léchantillon de Naples de 1575, la moyenne de pièces par artilleur est, comme on la dit, de 8,2, lécart-type étant de 4,4. La variabilité est plus réduite dans le second échantillon qui a révélé une moyenne de 4 pièces par artilleur et un écart-type de 1,1. Enfin, le dernier échantillon, croisant les sources, est également plus variable puisquil obtient une moyenne de 3,1 pièces par artilleur et un écart-type de 1,7. On trouve donc des écarts-types variant entre 30 et 50 % de la moyenne, ce qui est relativement élevé. La variabilité des poids dartillerie par artilleur obtient des résultats du même ordre de grandeur, voire légèrement supérieurs. Moyenne de léchantillon 1 : 142 q. par artilleur, écart-type : 62 q. Moyenne de léchantillon 2 : 72 q., écart-type : 50 q. Moyenne de léchantillon 3 : 74 q., écart-type : 45 q.

76 AGS EST leg. 1066/13 (24/01/1575).

77 AGS EST leg. 1066/84 (15/10/1575).

78 AGS EST leg. 1073/53 (28/03/1577).

79 AGS EST leg. 1144/25 (24/03/1575).

80 AGS EST leg. 1156/180, 181 et 184 (12/10/1589).

81 AGS EST leg. 1158/91 (17/05/1596).

82 Voir p. 379-381.

83 AGS EST leg. 1264/97 et 98 (03/12/1588).

84 AGS EST leg. 1260/119 et 126 (28/10/1583).

85 AGS EST leg. 1260/119 (28/10/1583).

86 AGS EST leg. 1260/109 et 113 (12/10/1585).

87 AGS EST leg. 1280/30, Lettre de Juan Fernández de Velasco au Roi (05/01/1596).

88 Voir les comptes de ces travaux de fortification qui sétalèrent sur plusieurs années, AGS EST leg. 1272/210 (1592).

89 Voir la visite des forteresses par le capitaine Lechuga, sous forme dimprimé, AGS EST leg. 1294/21 (25/01/1605).

90 Voir p. 382-383 ainsi que AGS EST leg. 1293/23 et 24 (06/05/1604).

91 AGS GYM leg. 365/125 (1592).

92 Les comptes du pagador del artillería pour les années 1570-1590 font état denviron 20 ou 21 artilleurs pour Saint-Sébastien et 17 à 18 artilleurs pour Fontarrabie. Voir AGS CMC 2a epoca leg. 414.

93 Sur le nombre de 50 artilleurs donné par le capitaine général de lartillerie au conseil de guerre, voir AGS GYM leg. 246/191 (20/02/1589).

94 Pour lartillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour le nombre dartilleurs, voir les comptes de la garnisons des années 1560-1570, AGS CSU 2a época leg. 91.

95 Pour lartillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Le nombre précis dartilleurs de cette place forte reste inconnu, les chiffres avancés sont donc le fruit destimations fondées sur larmement de la place.

96 Les chiffres dont je dispose sont relativement anciens, AGS GYM leg. 146/59 (01/05/1543). Il tout à fait possible que les effectifs dartilleurs de Barcelone aient subi quelques variations à la fin du xvie siècle.

97 Pour Collioure, voir AGS CSU 2a época leg. 91. Pour Salses, lindication la plus fiable me paraît être linventaire du lieutenant Diego de Prado, AGS GYM leg. 378/157 (08/10/1593).

98 AGS GYM leg. 365/87 (année 1592).

99 AGS GYM leg. 378/24, 40 et 51 (année 1593).

100 Pour lartillerie, ibid. Pour le nombre dartilleurs, voir AGS GYM lib. 70, fol. 57r (19/09/1594).

101 AGS GYM leg. 365/88 (29/07/1592).

102 AGS GYM leg. 186/221 (18/07/1586). La Monarchie entretenait des artilleurs à Laredo par exemple : AGS GYM leg. 307/202.

103 « Relación de la artillería que queda en el Reyno de Galicia », AGS GYM leg. 3143 sans num. (07/12/1601).

104 AGS GYM lib. 70, fol. 159v-160r (10/06/1595).

105 AGS GYM leg. 654/93 (20/12/1606).

106 Pour lartillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, voir AGS GYM leg. 281/240. Le statut particulier de cette milice dartilleurs sera abordé dans les chapitres suivants.

107 Pour lartillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, voir AGS GYM leg. 254/221 (22/12/1589).

108 AGS GYM leg. 118/226 (17/10/1581).

109 AGS GYM leg. 604/132 (26/06/1603).

110 AGS GYM leg. 118/226 (17/10/1581).

111 Pour lartillerie, voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, voir AGS CMC 2a epoca leg. 414 (Gibraltar 1570 et 1580), AGS GYM lib. 57, fol. 52r-56v (Gibraltar 1590), fol. 77r-84v (Gibraltar 1591).

112 Pour lartillerie voir AGS GYM leg. 365/125 (1592). Pour les artilleurs, AGS GYM lib. 63, fol. 268v-269r (Cadix, 13/04/1594), fol. 305r (Cadix, 16/07/1594). Pour les travaux de fortification réalisés par lingénieur Cristóbal de Rojas, AGS GYM leg. 307/109 (08/04/1590).

113 AGS GYM leg. 125/169 et 170 (10/04/1582).

114 « La carta que Vuestra Señoría me envió del duque [de Medina Sidonia] para que se prestasen las 25 piezas de artillería de su fortaleza… », AGI CT leg. 5108 sans num. (Sanlúcar, 08/05/1586).

115 AGS GYM leg. 280/252 (année 1590).

116 Le quatrième chapitre de ce livre est intégralement dédié à létude de cette école dartilleurs de Séville. Pour lépisode de la prise de Cadix, voir AGI CT leg. 746/4 (1598).

117 Voir p. 143 et 384.

118 Voir linstruction de Francés de Álava, capitaine général de lartillerie, AGS GYM leg. 76/133 (17/05/1572). Ce nombre des 60 artilleurs de Burgos revient de manière récurrente dans la documentation du conseil de guerre tout au long de la période.

119 AGS GYM leg. 365/88 (29/07/1592).

120 AGS GYM leg. 365/132 (31/05/1589).

121 AGS GYM leg. 88/43 (27/07/1578).

122 AGS GYM leg. 552/11 (04/01/1599).

123 AGS GYM leg. 365/122 (10/07/1587).

124 AGS GYM leg. 212/64 (17/09/1587), leg. 316/102 (année 1590), leg. 389/795 (08/11/1593).

125 AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581).

126 AGS GYM leg. 365/125 (1592).

127 AGS GYM leg. 195/65 (1586) et leg. 115/269 (1581).

128 AGS GYM leg. 688/65 (10/11/1608).

129 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, op. cit., tome 8-1, p. 267.

130 Vincent, Bernard, « Philippe II et lAfrique du Nord » dans Felipe II (1527-1598), Europa y la Monarquía Hispánica, vol. 1.2, José Martínez Millán (éd.), Madrid, Parteluz, 1998, p. 965-974.

131 AGS GYM leg. 77/206 (01/03/1573).

132 AGS GYM leg. 365/79 (24/09/1581).

133 AGS GYM leg. 365/167 (31/07/1592).

134 AGR CP no 560 et 563 (années 1602 à 1615).

135 Le maitre de camp Agustín de Mejía évoquait la présence de 72 pièces à la citadelle dAnvers, quil fallait compléter de 65 nouvelles pièces, AGS EST leg. 620/215 (29/10/1602). Pour les inventaires des pièces des forts de lEscaut, voir AGR CP no 560 et 563.

136 Voir les dix-huit artilleurs de Malines engagés pour le siège de Mons en 1572, AGR CC no 20970. Le rôle de Malines est discuté p. 179-182.

137 AGS EST leg. 535/46 (08/08/1567), leg. 564/67 (21/07/1575) et leg. 564/117 (05/11/1578).

138 Les routes de la carrera de Indias sont décrites en détail dans Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit. Comme publication plus récente sur la carrera de Indias. Voir aussi Perez-Mallaína, Pablo, Spains Men of the Sea : Daily Life on the Indies Fleets in the Sixteenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998.

139 AGS GYM leg. 365/95 (année 1592).

140 AGS GYM leg. 604/95 et 96 (23/05/1588).

141 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).

142 AGS GYM leg. 148/317 (20/08/1583), leg. 186/85 (20/04/1586).

143 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).

144 AGS GYM leg. 149/338 et 350 (18/09/1583).

145 Lingénieur italien Batista Antonelli est à lorigine de bon nombre de ces travaux de fortification. Voir par exemple à San Juan de Ulua AGI MEXICO leg. 22/16 (05/06/1590), ou encore la plateforme « Antonelli » de la forteresse de Portobelo AGI PANAMA leg. 1/139 (15/11/1597).

146 AGS GYM leg. 133/245 et 257 (année 1582).

147 « Estan en ella 19 piezas de artilleria puestas en horden son todas muy pequeñas », le commandant de la forteresse de la Havane, à la casa de la contratación, AGI CT leg. 5108, sans num. (12/09/1588).

148 Macías Domínguez, Isabelo, Cuba en la primera mitad del siglo xvii, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1978, p. 297 et 314.

149 AGS GYM leg. 133/245 (année 1582).

150 AGS EST leg. 615/44 (04/12/1598).

151 Lettre de Juan de Tejeda à la casa de la contratación, AGI CT leg. 5108, sans num.(12/07/1587).

152 AGS GYM leg. 604/43 (04/04/1603).

153 Perez-Mallaína, Pablo, Spains Men of the Sea, op. cit., p. 13.

154 AGI PANAMA leg. 1/139 (15/11/1597) et leg. 14/13-91 (15/11/1597).

155 AGI MEXICO leg. 21/9 (22/04/1587). Les plaintes du manque dartillerie continuaient en 1590, AGI MEXICO leg. 22/16 (05/06/1590).

156 AGI MEXICO leg. 24/25 (04/10/1599).

157 Rapport du capitaine Gómez de Rojas Manrique, lieutenant à Santiago de Cuba, au gouverneur Gabriel de Luján, AGI CT leg. 5108, sans num.(01/05/1586).

158 Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, 1579-1700 : Royal Reluctance and Colonial Self-Reliance, Morisville, Lulu.com, 2009.

159 Giraldez, Arturo, The Age of Trade. The Manila Galleons and the Dawn of the Global Economy, Lanham ; Boulder ; New York ; Londres, Rowman and Littlefield, 2015.

160 Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, op. cit.

161 Sluiter, Engel, « The Fortification of Acapulco, 1615-1616 », The Hispanic American Historical Review, vol. 29, no 1, 1949, p. 69-80.

162 AGI MEXICO leg. 27/35 (03/03/1608).

163 AGI MEXICO leg. 28/33 (25/01/1616).

164 Voir p. 194.

165 Il faut attendre les résultats de la thèse de Tiago Machado de Castro qui devrait fournir de nombreux éléments de réponse, tant quantitatifs que qualitatifs, au sujet des artilleurs des Indes Orientales. Voir déjà son travail de master : Machado de Castro, Tiago, « Bombardeiros na Índia. Os homens a as artes da artilharia portuguesa (1498-1557) », Thèse de master défendue à la Universidade de Lisboa, Lisbonne, 2011.

166 Teodoro de Matos, Artur, Orçamento do Estado da India – 1571, CNCDP/Centro de Estudos Damião de Góis, 1999. Je remercie Roger Lee de Jesus pour cette référence.

167 Parker, Geoffrey, « The Artillery Fortress as an Engine of European Overseas Expansion », op. cit., p. 395.

168 Bethencourt, Francisco, Chaudhuri, Kirti, História da Expansão Portuguesa, vol. 1 : A Formação do império (1415-1570), Lisbonne, Temas e Debates, 1998, p. 402-403.

169 Ibid.

170 Voir chapitre « des écoles dartilleurs pour soutenir un empire ».

171 Largumentation de cette partie sappuie sur le traitement statistique dune base de données disposant dinformations sur lartillerie et les artilleurs de plus de 600 navires. La base de données est consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.

172 Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit. Williams, Phillip, Empire and Holy War in the Mediterranean : the Galley and Maritime Conflict between the Habsburgs and Ottomans, Londres, New York, I.B. Tauris, 2014.

173 Williams, Phillip, Empire and Holy War in the Mediterranean, op. cit., p. 92.

174 Pour les effectifs de soldats, voir par exemple les listes déquipage à la veille de la bataille de Lépante, AGS EST leg. 1134/16 (18/07/1571), pour avoir une idée des effectifs de routine, voir les listes de lescadron des galères de Bretagne, AGS CSU 2a epoca leg. 201 (1598).

175 Voir à ce titre larmement des galères de Sicile en 1584, AGS GYM leg. 175/116 et 117 (22/04/1584).

176 Pour lEspagne, la première référence de galion remonterait à 1526, Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain : Imperial Defense in the Early Seventeenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, p. 40.

177 Contente Domingues, Francisco, Os navios do mar Oceano : Teoria e empiria na arquitectura naval portuguesa dos seculos xvi e xvii, Lisbonne, Centro de historia da universidad de Lisboa, 2004, p. 252-258. Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit., p. 42-43.

178 Goodman, David C., Power and Penury, op. cit., p. 106-108. Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665 : Reconstruction and Defeat, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 1997, p. 86.

179 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit. Les commentaires des tables des tomes 2 à 5, détaillant le trafic de la carrera de Indias, mettent clairement en évidence la fréquence de cette pratique, en particulier pour les galions descorte des flottes de Nouvelle-Espagne et de Tierra Firme. Pour un exemple concret, voir AGS GYM leg. 128/310 (20/07/1582).

180 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 6, p. 168.

181 Pour un exemple darmement dun navire de guerre anglais du milieu du xvie siècle, voir les travaux archéologiques réalisé sur lépave du Mary Rose, Hildred, Alexzandra, The Archeology of the Mary Rose Vol. 3, op. cit. Daprès Parker, la flotte royale anglaise était constituée en 1540 de 53 vaisseaux dont 15 grands navires de plus de 400 t. lourdement armés, Parker, Geoffrey, The Grand Strategy of Philip II, New Haven, Yale University Press, 1998, p. 252.

182 Ibid. p. 253.

183 Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit.

184 « Por esto dicen algunos que en la jornada de Ingalaterra tirava más la artillería del enemigo que no la nostra y es que no tenían quenta que en nuestra armada abía mucha cantidad de artillería de hierro colado de una libra asta tres y quatro libras y con esas no es posible poder tirar tanto como la otra artillería de 10 y 12 libras de pelota que traía el enemigo, que eran medias culebrinas y medios cañones », Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 59v-60r.

185 Voir les rapports fournis à Philippe II avant le départ de la Grande Armada et les conseils que ce dernier donna à Medina Sidonia, cités par Parker, Geoffrey, The Grand Strategy of Philip II, op. cit. p. 251.

186 Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit., p. 232-250.

187 AGS EST leg. 1134/150 (28/12/1571).

188 Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit., p. 233. Le chiffre de 500 toneladas provient des documents de ladministration militaire espagnole, AGS GYM leg. 280/103 (Février 1590).

189 Quatre-vingt quinze artilleurs embarqués dans deux galéasses à Naples en 1589, AGS EST leg. 1090/36 et 40 (04/05/1589). Mais utilisées comme transports de Cadix à Naples, les effectifs dartilleurs sont bien plus faibles, entre 17 et 23, AGS GYM leg. 162/53 (11/05/1584).

190 Pour un parfait exemple de ce genre darbitristas, voir AGS GYM leg. 655/341 (année 1606).

191 Contente Domingues, Francisco, Os navios do mar Océano, op. cit., p. 262-266.

192 Voir les listes de zabras envoyées en Flandres sous le commandement de Juan Martínez de Recalde en 1576, AGS CMC 2a epoca leg. 747. Par comparaison, voir les listes déquipage de la flottille AGI CT leg. 2965 (année 1599).

193 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), Madrid, España, Editorial Naval, 1988, p. 24.

194 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 1, p. 278.

195 Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à lépoque de Philippe II, op. cit.

196 Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à lépoque de Philippe II – Tome 2, op. cit., (1976), p. 314-317. Elliott, John H., Europe Divided 1559-1598, Fontana, Collins, 1968, p. 176. Sur le désastre de Djerba, voir Guilmartin, John F., Gunpowder & Galleys, op. cit., p. 123-133.

197 Barbero, Alessandro, Lepanto. La battaglia dei tre imperi, Bari, Gius. Laterza et Figli, 2011, p. 623 et 637.

198 AGS GYM leg. 175/107 (année 1583).

199 AGS GYM leg. 175/7 et 8 (année 1583).

200 Williams, Phillip, Empire and Holy War in the Mediterranean, op. cit.

201 Ibid., p. 231.

202 Exemple denvoi de deux galères en Nouvelle-Espagne, AGS GYM leg. 126/175 (12/05/1582). Deux autres galères envoyées à Tierra Firme lannée suivante, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 326. En 1586, quatre galères sont envoyées à Cuba et deux à Tierra Firme, ibid. p. 378 et 382.

203 Lettre du capitaine Juan de Tejeda à la casa de la contratación, AGI CT leg. 5108, sans num. (12/07/1587). Cet escadron de galères « de Tierra Firme », commandé par Pedro Vique Manrique, était notamment chargé du transport des perles de lîle Margarita au port fortifié de Carthagène des Indes, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 364.

204 AGI PANAMA, leg.13, R.18, N.99 (16/06/1579).

205 Lettre de Diego Naguera Valenzuela à la Casa de la Contratación, AGI CT leg. 5108, sans num. (06/02/1588).

206 Une armada de 11 galères et 10 galiots (petites galères) était présente à Manille en 1578, AGI FILIPINAS, leg.6, R.3, N.30 (14/07/1578). En 1592, quatre galères étaient encore entretenues, AGI FILIPINAS, leg.18B, R.2, N.5 (31/05/1592). Elles nétaient plus que trois en 1597, AGI FILIPINAS, leg.18B, R.7, N.63 (07/06/1597).

207 Lartilleur Pedro de Sierra servait dans la capitana de lescadron avant 1593, ce qui atteste de son existence dès le début des années 1590, AGS GYM leg. 389/238 (27/05/1593). Liste de comptes de lescadron (effectifs allant jusquà cinq galères normales, une capitana, une patrona) pour lannée 1598, AGS CSU 2a epoca leg. 201 (année 1598).

208 AGS GYM leg. 431/157 (année 1595).

209 AGS EST leg. 560/51 (09/10/1574).

210 AGS EST leg. 564/76 (24/08/1575).

211 Stradling, R.A., The Armada of Flanders : Spanish Maritime Policy and European War, 1568-1668, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 11-13.

212 AGS EST leg. 1065/135 (28/08/1574).

213 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).

214 Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit.

215 Entre Naples, Carthagène et Melilla en 1584, AGS GYM leg. 162/58 (11/05/1584), entre Naples, Gênes et Lisbonne en 1589, AGS EST leg. 1265/85 (20/02/1589), AGS GYM leg. 254/171 (09/12/1589).

216 AGS GYM leg. 175/7 et 8 (année 1583).

217 AGS GYM leg. 397/68 (19/02/1593).

218 AGS GYM leg. 364/128 (30/05/1592).

219 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 49-50.

220 Ibid. p. 59, 72-73.

221 Ibid. p. 80.

222 Ibid. p. 95.

223 Serrano Mangas, Fernando, Función y evolución del galeón en la carrera de Indias, Fundación MAPFRE, 1992.

224 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., pour lhistoire du monopole, voir en particulier tome 8-1.

225 Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit., p. 10-12.

226 Mira Caballos, Esteban, Las armadas imperiales : la guerra en el mar en tiempos de Carlos V y Felipe II, Madrid, Esfera de los Libros, 2005, p. 138-139.

227 La plupart des historiens situent cet évènement en 1576, Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit. p. 3. Mira Caballos, Esteban, Las armadas imperiales, op. cit. p. 138. Les Chaunu voient dans la flotte de Menendez de Avilés de 1571 les prémices de cette armada, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit. tome 1, p. 109.

228 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit., p. 3.

229 Elliott, John H., Imperial Spain, op. cit., p. 186.

230 Cespedes del Castillo, Guillermo, La avería en el comercio de Indias, Séville, CSIC, Escuela de estudios hispano-americanos de la Universidad de Sevilla, 1945. Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 1, p. 169-173.

231 Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à lépoque de Philippe II – Tome 2, op. cit., p. 460 et suiv.

232 Parker, Geoffrey, The Army of Flanders and the Spanish Road, 1567-1659, op. cit.

233 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), op. cit., p. 117.

234 Pi Corrales, Magdalena, « La otra Invencible », 1574 : España y las potencias nordicas., Madrid, San Martín, 1983, p. 120.

235 AGS EST leg. 564/76 (24/08/1575).

236 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), op. cit. Stradling, R.A., The Armada of Flanders, op. cit.

237 Fernández Duro, Cesáreo, Armada española desde la unión de los reinos de Castilla y de Aragón, tomo II, Madrid, Museo Naval, 1972, p. 296.

238 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit. p. 11. Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 36.

239 Fernández Duro, Cesáreo, Armada española desde la unión de los reinos de Castilla y de Aragón, tomo II, op. cit., p. 315.

240 AGS GYM leg. 148/311 (année 1583).

241 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit., tome 3, p. 292-297 et 352.

242 Ce paragraphe sappuie principalement sur létude de Martin et Parker : Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit. Consulter la réédition de 1999 pour une mise à jour de leurs recherches.

243 AGI CT leg. 2934.

244 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit. Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit.

245 Wernham, Richard B., After the Armada : Elizabethan England and the Struggle for Western Europe, 1588-1595, Oxford, Oxford University Press, 1984. Wernham, Richard B., The Return of the Armadas : The Last Years of the Elizabethan War against Spain, 1595-1603, Oxford, Oxford University Press, 1994.

246 Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 264.

247 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit., p. 8.

248 Ibid. p. 9.

249 AGS GYM leg. 280/103 (Février 1590).

250 Pour les trois escadrons, et surtout celui de Gibraltar, AGS GYM leg. 655/285, 287 et 289 (10/12/1606). Pour lescadron de Lisbonne, AGS GYM leg. 655/308 (01/12/1606).

251 AGS GYM leg. 655/308 (01/12/1606).

252 Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit. p. 14. Tenace, Edward, « A Strategy of Reaction : The Armadas of 1596 and 1597 and the Spanish Struggle for European Hegemony », The English Historical Review, vol. 118, no 478, 2003, p. 855-882.

253 AGI CT leg. 2963 (année 1606).

254 La suite de ce paragraphe sappuie sur les deux auteurs suivants : Wernham, Richard B., The Return of the Armadas, op. cit. Tenace, Edward, « A Strategy of Reaction », op. cit.

255 Stradling, R.A., The Armada of Flanders, op. cit. p. 7-8.

256 AGR CA no 79.

257 Ibid.

258 Perez-Mallaína, Pablo E., Torres Ramírez, Bibiano, La Armada del Mar del Sur, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1987.

259 Ibid. p. 86. Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, op. cit.

260 Bradley, Peter T., Spain and the Defence of Peru, op. cit. p. 31.

261 Torres Ramírez, Bibiano, La Armada de Barlovento, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1981.

262 Ibid. p. 1-35.

263 Parrott, David, The Business of War : Military Enterprise and Military Revolution in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2012. Torres Sánchez, Rafael, Military Entrepreneurs and the Spanish Contractor State in the Eighteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 2016.

264 Voir louvrage très influent de Tilly, Charles, Coercion, Capital and European States, AD 990-1992, op. cit.

265 Parker, Geoffrey, The Military Revolution, op. cit.

266 AGS GYM leg. 128/310 (20/07/1582).

267 AGS GYM leg. 186/220 (12/07/1586).

268 Gómez-Centurión Jiménez, Carlos, Felipe II, la empresa de Inglaterra y el comercio septentrional (1566-1609), op. cit., p. 189, 211-215.

269 Douze navires flamands, treize anglais, dix français saisis en Basse Andalousie en 1585, AGS GYM leg. 177/17 (20/04/1585). Treize naves flamandes, allemandes et anglaises saisies à Sanlucar et Cadix deux mois plus tard, AGS GYM leg. 177/114 (19/06/1585).

270 Listes déquipage avec des artilleurs désignés sous les termes de « condestable » et « lombardero », AGS GYM leg. 177/115 (19/06/1585).

271 AGS GYM leg. 280/228 (06/02/1590).

272 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit.

273 Recopilación de leyes de los reinos de las Indias : mandadas imprimir y publicar por la Majestad Católica del rey Don Carlos II, nuestro señor., Madrid, Impr. por Julián de Paredes, 1681, Lib. IX, Tit. XXX, Leyes XXX, XXXII et XXXIII.

274 Lettre dAndrés Muñoz el Bueno au roi, AGI IG leg. 2007, sans num. (16/01/1602).

275 Voir chapitre « théorie et pratique à lécole dartilleurs de Séville ».

276 AGI CT leg. 2945.

277 AGI MEXICO leg. 21/9 (22/04/1587).

278 Lettre de Andrés Muñoz el Bueno au roi, AGI IG leg. 2007, sans num. (16/01/1602).

279 Recopilación de leyes de los reinos de las Indias, op. cit. Libro IX, Tit. XXX, Ley XXXIII.

280 C. Cipolla a parfaitement identifié cet avantage économique de lartillerie en fonte, malgré sa qualité inférieure à lartillerie de bronze, Cipolla, Carlo M., Guns, Sails and Empires, op. cit., p. 41-43.

281 AGI IG leg. 2008, sans num.

282 Recopilación de leyes de los reinos de las Indias, op. cit. Libro IX, Tit. XXX, Ley XXX.

283 AGI CT leg. 2945.

284 Tables statistiques du mouvement annuel global en unités pondérées, de 1504 à 1650, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et lAtlantique, 1504-1650, op. cit. tome 6, p. 338-340.

285 Ladero Galán, Aurora, « Artilleros y artillería de los Reyes Católicos (1495-1510) », op. cit. Cobos Guerra, Fernando, La artíllería de los Reyes Católicos, op. cit.

286 Elliott, John H., « A Europe of Composite Monarchies », op. cit.