Aller au contenu

Classiques Garnier

La « Nouvelle Science » Construction d’un champ de savoirs sur l’artillerie

  • Auteur lauréat du Prix Turriano 2017 de l’International Committee for the History of Technology et du Prix d’histoire militaire 2017 du ministère des Armées
  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Artilleurs et la Monarchie hispanique (1560-1610). Guerre, savoirs techniques, État
  • Pages : 427 à 505
  • Collection : Histoire des techniques, n° 21
  • Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
  • EAN : 9782406115564
  • ISBN : 978-2-406-11556-4
  • ISSN : 2264-458X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11556-4.p.0427
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2021
  • Langue : Français
427

La « nouvelle science »

Construction dun champ de savoirs
sur lartillerie

Y así, por la larga esperiencia del huso ha salido una linda arte para bien gobernarla que se llama la arte nueva de la artillería como lo dice Nicolo Tartaglia1.

Diego de Prado, lieutenant du capitaine général de lartillerie, Malaga, 1591.

Introduction

En introduction à son manuscrit dédié au capitaine général de lartillerie, le lieutenant Diego de Prado identifiait un champ de savoir – un « art » – qui avait émergé afin de bien « gouverner » lartillerie. Le lieutenant dartillerie soulignait la nouveauté de ce champ de savoir, et en affirmait également le caractère empirique, employant les mots « usage » et « expérience ». Il en présentait même lautorité centrale, le mathématicien brescian Niccolò Tartaglia. En 1537, Tartaglia avait en effet publié à Venise le premier traité dartillerie du genre, intitulé la Nova Scientia, la « Nouvelle Science2 ». Depuis cette publication, comme le faisait remarquer Diego de Prado, un grand nombre dauteurs avaient écrit à ce sujet, le plongeant dans une grande confusion dont il proposait maintenant de sortir les lecteurs3. Or, 428les chapitres précédents lont montré, en tant que lieutenant dartillerie à Perpignan et assistant du capitaine général de lartillerie, Diego de Prado fut un personnage particulièrement bien intégré dans le milieu des artilleurs de la Monarchie hispanique. Il prétendait coucher par écrit « ce quétait obligé de savoir tout bon artilleur souhaitant bien faire son office4 ». Une telle affirmation venant dun homme de terrain invite donc à interroger la relation entre le processus de formalisation et de publication de savoirs sur lartillerie et le milieu des artilleurs.

Une historiographie marquée
par la dichotomie savant/artisan

En 1988, David Goodman, hispaniste spécialiste de lhistoire des techniques sous Philippe II, écrivait :

Il est clair que toutes les tentatives de fonder des théories mathématiquement précises de balistique ou les tables de portée navaient aucune pertinence vu la grossièreté des canons de lépoque. Dans tous les coins dEurope, les canons avaient des calibres imprécis, leurs âmes étaient évasées exprès pour éviter les blocages dûs à lirrégularité de forme des boulets. Avec des tirs qui partaient du canon à des angles imprédictibles et avec une force imprédictible en raison des grandes variations dans la poudre noire, les tâtonnements successifs étaient de bien meilleurs guides que les mathématiques. Le tir précis à longue portée était impossible, et il nétait même pas désirable car les fortes charges de poudre auraient augmenté la probabilité dexplosion des pièces fragiles. Par conséquent, les artilleurs du xvie siècle, en Espagne comme ailleurs, tiraient à courte portée et sans lassistance des mathématiques5.

Cette affirmation, par David Goodman, de lexistence dune séparation claire entre mathématiciens et artilleurs est symptomatique dune lecture 429de lhistoire à travers des catégories danalyse préconçues. Encore fréquente au sein de lhistoriographie des sciences et des techniques, cette représentation tend à opposer de manière dichotomique – et souvent avec une hiérarchie implicite – les couples savant/artisan, science/technique, théorie/pratique6.

Lacceptation répandue de cette séparation entre monde savant et monde artisan doit beaucoup au succès du récit de la « révolution scientifique » tel que lont relaté les historiens des sciences Alexandre Koyré, Herbet Butterfeld et Alfred Rupert Hall au milieu du xxe siècle7. En quelques mots, la révolution scientifique se réfère à une transformation relativement brutale de la physique – ou selon la terminologie plus récente de Thomas Kuhn, un « changement de paradigme8 » – qui survint en Europe occidentale dans le courant du xviie siècle. Ce bouleversement est marqué par le passage de la philosophie naturelle aristotélicienne fondée sur des notions qualitatives telles que lordre cosmique et la substance de la matière, à ce qui est aujourdhui considéré comme la physique moderne mathématisée. Cette histoire des sciences est avant tout une histoire des idées et des grands hommes. Son récit débute avec la figure prométhéenne de Galilée qui, faisant sécrouler le cosmos aristotélicien à laide de son télescope, offrit à lhumanité le projet de lire « le livre de la Nature écrit dans un langage mathématique ». Ainsi initiée dans les premières décennies du xviie siècle en Toscane, la révolution scientifique trouva son aboutissement en Europe du nord à la fin du xviie siècle, grâce à un autre grand homme de science, Newton, dont lœuvre maîtresse, les « principes mathématiques de la philosophie naturelle », publiée à Londres en 1686, établit les lois fondamentales du mouvement, scellant définitivement le lien entre physique et mathématiques. Cette histoire intellectuelle à la recherche dune généalogie de la science moderne a eu tendance à placer hors de son domaine détude ce qui ne relevait pas du champ 430scientifique selon les critères du xxe siècle appliqués rétrospectivement à lépoque moderne9.

Dans les années 1980, lhistoire des sciences connut cependant un profond tournant historiographique sous linfluence du constructivisme, de la sociologie des sciences et des science studies10. Létude des controverses a ainsi démontré que, loin dêtre une idée universelle, la science est une pratique culturelle inscrite dans un contexte historique et dans un environnement social et politique qui influencent sa production11. La révolution galiléenne devient de ce fait le résultat dune profonde mutation sociologique, celle du mathématicien transformé en philosophe et homme de cour12. Ce tournant historiographique a fini par remettre en question le concept même de révolution scientifique13. Ce « travail décapant », comme le formule Stéphane Van Damme, a critiqué la singularité, la rupture, la périodisation et la géographie de ce concept historiographique14. Lexistence même de lobjet détude spécifique de lhistoire des sciences, la « science » en tant quentité culturelle cohérente, a été remise en question pour des périodes antérieures au xviiie siècle15. Néanmoins, malgré cette déconstruction, le concept de révolution scientifique continue dêtre employé par les historiens des sciences comme catégorie danalyse, signe du besoin de pouvoir se référer au fossé qui sépare les pratiques scientifiques du début et de la fin de lépoque moderne16.

Ce bouleversement historiographique a également poussé les historiens des sciences à réexaminer les acteurs de la révolution 431scientifique. Sinspirant des travaux dEdgar Zilsel17, contemporain de Koyré mais dont lœuvre a connu un écho bien plus limité, certains chercheurs ont récemment proposé de réévaluer positivement la contribution des artisans aux transformations scientifiques de lépoque moderne18. Comme lécrit Pamela Long, il sagit pour ces historiens de montrer que la culture artisanale a influencé le développement des méthodologies empiriques des nouvelles sciences en fournissant aux sociétés de lépoque un ensemble de valeurs – la croyance en lefficacité de lexpérience individuelle, lobservation, la mesure, lusage dinstruments, la précision19. Dans un ouvrage collectif publié en 2007, ces chercheurs offrent comme programme de reconsidérer la fracture artificielle entre monde savant et monde artisan en mettant en évidence le caractère hybride de la production des savoirs à lépoque moderne20. Cette production sinscrivait dans des lieux spécifiques, des trading zones (« espaces déchange ») où des individus formés à luniversité purent interagir avec des individus formés dans latelier21. Ces récits présentent un nouveau visage de la figure prométhéenne de Galilée, fréquentant désormais les ateliers des artisans et larsenal vénitien22. De la sorte, cette nouvelle historiographie des sciences entend renouer le dialogue avec les historiens des techniques23.

Par ailleurs, dans le champ de lhistoire des techniques, lune des propositions les plus influentes concernant les savoirs est celle de Joël 432Mokyr et son concept de useful knowledge24. Les savoirs y sont étudiés dans le cadre de leur « utilité », cest-à-dire de leur contribution à un but précis, qui est en loccurrence pour Mokyr la capacité de production des sociétés, avec pour horizon intellectuelle la révolution industrielle. Or cette perspective utilitariste permet à lauteur déchapper à la dichotomie traditionnelle entre théorie et pratique quil remplace par le couple savoirs Ω/savoirs λ. Les savoirs λ constituent la technique en action, la recette, les instructions, le « comment » et ils reposent en partie sur lemploi des savoirs Ω qui, eux, rassemblent tous types de connaissances systématiques, classifiées et formalisées portant sur les régularités de la nature et de la technique25. Lauteur insiste sur ce point, les savoirs Ω embrassent bien plus que ce que notre société actuelle considère comme scientifique puisquils incluent les savoirs dartisans et dingénieurs tentant de formuler des relations empiriques entre différentes propriétés mesurables26. Dans la perspective explicative de Mokyr, la distinction entre ce qui relève du scientifique et le reste nest pas pertinente car ce qui est intéressant, cest le résultat productif des savoirs λ et Ω. En appliquant ce modèle à létude de la révolution industrielle, Mokyr explique que le dynamisme des interactions entre savoirs Ω et λ, en particulier à partir des années 1750, permit de soutenir pendant de nombreuses décennies la croissance industrielle de lEurope occidentale.

Ce chapitre sur la construction dun champ de savoirs sur lartillerie a vocation à contribuer aux recherches récentes des historiens des sciences souhaitant réévaluer linfluence des artisans sur la transformation des pratiques scientifiques à lépoque moderne. Dans le cas de lartillerie, les producteurs de savoirs étaient, pour la plupart, des acteurs de niveau intermédiaire au sein des structures administratives de lartillerie : il sagissait de caporaux artilleurs, de lieutenants dartillerie, dingénieurs, cest-à-dire dindividus aux profils professionnels techniciens plutôt quuniversitaires et savants. Les savoirs produits relevaient principalement de la catégorie Ω en ce sens quils étaient formalisés, classifiés, organisés et recherchaient les régularités de la technique du tir au canon (par des règles et des instruments de mesures). Ils avaient cependant une vocation prescriptive, de nature λ, puisquil sagissait, comme lécrivait Diego de Prado, de pouvoir « bien 433gouverner lartillerie27 ». Ce champ de savoirs offre donc un cas détude dun système dinteractions entre savoirs Ω et savoirs λ développé à une période bien antérieure à celle du début de la révolution industrielle et qui ne peut être analysée quen dehors de la perspective économique choisie par Joël Mokyr. Ici, lhorizon est politique et militaire, il concerne les moyens de déploiement dune puissance militaire mondiale au xvie siècle.

La Nouvelle Science de lartillerie
et lhistoriographie des sciences

La « balistique », cest-à-dire létude des tirs de canons, revêt un statut particulier au sein des récits de la révolution scientifique. Son objet était sans doute propice à la rencontre entre physique et mathématiques dans la mesure où cette science avait en partie vocation à calculer des trajectoires. Dailleurs, les principaux héros de la révolution scientifique ont tous écrit à son sujet, que ce soit Galilée, Huygens ou encore Newton28. Or, les grands récits de la révolution scientifique reconnaissent que la balistique est née au xvie siècle, cest-à-dire avant la révolution galiléenne. Aussi son inventeur, le mathématicien Niccolò Tartaglia, apparaît-il dans le récit dAlexandre Koyré comme une sorte de précurseur de Galilée29. Cependant, comme ses deux livres concernant lartillerie, la Nova Scientia30 et les Quesiti et Inventioni Diverse31, ne parvinrent pas à se défaire de la philosophie naturelle dAristote, Koyré considéra les travaux de Tartaglia comme une tentative incomplète dapplication des mathématiques à létude du mouvement. De même, Alfred R. Hall mentionne Tartaglia et les auteurs de la Renaissance qui le reprirent pour leur contribution à la révolution scientifique en tant quinitiateurs dun nouveau projet scientifique détude du mouvement des projectiles, mais il disqualifie le contenu de leurs écrits, jugé trop aristotélicien32. De plus, Hall fait remarquer que cette science de lartillerie était inapplicable dans la mesure où la production de pièces dartillerie était bien trop irrégulière pour quaucun tir « scientifique » 434ne fût possible33. La révolution scientifique ainsi purgée de ses relations compromettantes avec la guerre, apparaît donc comme le fruit dun pur développement intellectuel positiviste réalisé par des hommes de science curieux détudier le mouvement des corps. Cest précisément le poids de cet héritage historiographique qui pèse si fort dans le jugement de David Goodman cité en introduction de ce chapitre.

Malgré cela, le binôme science-guerre sest constitué comme un élément récurrent des études sur lhistoire des sciences à lépoque moderne34. Ainsi, avant la publication des travaux de Koyré et Hall, linfluence de la guerre sur la production scientifique fut au cœur des premières recherches du fondateur de la sociologie des sciences, Robert Merton35. Plus récemment, chez Biagioli, autre sociologue des sciences, la mathématisation de lart militaire dans lItalie de la Renaissance offrit une opportunité inopinée pour les mathématiciens délever leur statut social36. Ce fut cette transformation qui, selon Biagioli, permit au mathématicien Galilée de se hisser au statut de philosophe avant de révolutionner létude du mouvement jusque-là sous lautorité des philosophes aristotéliciens37. La guerre comme force motrice de la production scientifique et de linnovation est également présente dans le récit des historiens des sciences visant à réévaluer positivement la contribution des artisans à la production scientifique38. Pamela Long identifie ainsi les arsenaux militaires comme lune des principales zones déchange, à la Renaissance, entre monde savant et monde artisan39. Lauteur de traités dartillerie Niccolò Tartaglia tient dailleurs un rôle de premier 435plan dans les écrits dEdgar Zilsel qui ont inspiré lagenda de recherche de ces historiens40.

La thèse de Mary J. Voss constitue à ce jour lune des principales études approfondies des liens entre cultures militaire et mathématique dans lItalie du xvie siècle41. Selon cette historienne, les travaux de Tartaglia sur lartillerie, sinspirant dauteurs anciens tels quEuclide ou Archimède, et médiévaux tels que Jordan de Némore, sinscrivirent dans le phénomène plus large de « Renaissance des mathématiques » que Paul Lawrence Rose présente comme un regain dintérêt des Humanistes italiens pour les anciens textes de mathématiques, darchitecture et de mécanique42. Tartaglia aurait joint à cette démarche humaniste la tradition de labaque, cest-à-dire des mathématiques appliquées au commerce et aux arts mécaniques qui étaient alors enseignées dans les nombreuses écoles dabaque de la péninsule italienne. Du point de vue de lhistoire des idées, sa principale réalisation aurait été de faire entrer la philosophie aristotélicienne, en la déformant, dans le champ détude des mathématiques. Dans une perspective de sociologie des sciences, en sattaquant à un objet détude telle que lartillerie – particulièrement utile à la haute noblesse en charge du commandement militaire – la contribution de Tartaglia aurait été de diffuser la culture mathématique émergente au sein des cours princières, futur espace clé de la révolution scientifique.

Plus récemment, les travaux de Pascal Brioist ont montré la richesse des interactions entre les mathématiques et la guerre dans lEurope du xvie siècle43. Il met en évidence lénorme littérature technique sur la guerre produite à cette époque, ses principaux objets détude – la fortification, lartillerie, linfanterie – et ses auteurs, à la jonction entre milieux militaires et milieux savants. Ainsi, tout un champ de savoirs, avec ses problématiques, ses grands thèmes, ses débats et ses autorités se constitua du fait de limportante circulation de ces textes à léchelle de lEurope. Lautorité qui simposa clairement parmi les écrits sur lartillerie fut ce même Niccolò 436Tartaglia qui figure dans les grandes narrations de la révolution scientifique. En cherchant à retracer la réception de Tartaglia parmi les auteurs de traités militaires italiens, anglais, français et espagnols, Pascal Brioist montre les différents milieux intéressés par ce type décrits : les cours, les savants, mais aussi les commandants, les ingénieurs militaires et les maîtres artilleurs eux-mêmes. Or, les milieux hispanophones, en prise directe avec la pratique de lartillerie, ont été particulièrement réceptifs aux écrits de Tartaglia et des auteurs italiens qui ont suivi son projet de création dune « nouvelle science ». Lapprofondissement de ces recherches sur la production de traités dartillerie écrits en castillan permet en ce sens de sinterroger sur le lectorat de cette littérature et son lien hypothétique avec les artilleurs de terrain.

Leyenda Negra et science du Siglo de oro

Sintéresser à la production de traités dartillerie écrits en castillan, cest aussi se confronter à un vieux débat historiographique sur les sciences dans lEspagne du xvie siècle. Dune part, lEspagne de Philippe II souffre du mythe de la leyenda negra, la légende noire, qui dépeint un pays dominé par le fanatisme religieux et lobscurantisme. Remontant à la propagande protestante de lépoque, amplifié par les Lumières44, confirmé par le succès de Max Weber qui perçoit la modernité dans le monde protestant, ce mythe proclame larchaïsme et le retard scientifique de la Monarchie hispanique45. Or, lhistoriographie des sciences est encore aujourdhui profondément marquée par cette légende noire. Ainsi, lEspagne est totalement absente des récits classiques de la révolution scientifique dont les héros sont italiens, anglais, français, allemands ou encore hollandais46. Les études les plus influentes du tournant sociologique et constructiviste de lhistoire des sciences nont pas cherché à sortir de ce cadre spatial au sein duquel lAngleterre et lItalie tiennent des rôles de premier plan47. Les publications récentes proposant de 437réévaluer linfluence des artisans en histoire des sciences se situent également toujours dans le même croissant fertile de développement des sciences européennes qui, sétalant de lItalie à lAngleterre, recouvre aussi lAllemagne, les Pays-Bas et la France48. Le poids extrêmement lourd de cette tradition historiographique a pourtant été dénoncé par certains chercheurs hispanophones qui, sadressant en anglais à une communauté internationale dhistoriens, ont invité à reconsidérer positivement la contribution des Ibériques aux transformations des pratiques scientifiques de lépoque moderne49.

Dautre part, en réponse à la légende noire sest développée en Espagne toute une littérature du siglo de oro, le siècle dor, qui, avec des accents nationalistes et patriotiques, sest attachée à forger le mythe de la domination espagnole aussi bien sur les plans politique et militaire que scientifique et technique. Depuis une trentaine dannées, lhistoriographie des sciences de lEspagne du xvie siècle a connu un regain dintérêt de la part des historiens espagnols, en particulier suite à limpulsion donnée par José María López Piñero50. Cette littérature a mis en évidence la nécessité de remettre en question les préjugés de la leyenda negra. En effet, les nombreuses publications de ces historiens ont révélé, à lépoque de Philippe II, une intense activité scientifique dans de multiples domaines tels que les mathématiques, la cosmographie, lhistoire naturelle ou encore lastronomie. Néanmoins, cette historiographie néchappe pas tout à fait à la légende dorée dans la mesure où elle conserve systématiquement un cadre détude national – lEspagne, voire la Castille – et par conséquent une narration légèrement empreinte de patriotisme.

438

Lintérêt qui sera porté dans ce chapitre à la production de traités dartillerie en castillan visera en ce sens à réévaluer positivement la contribution de la Monarchie hispanique à lactivité scientifique de son temps. Toutefois, il sagira, autant que faire se peut, déviter lécueil du nationalisme que pourrait représenter létude des traités uniquement écrits en castillan. Par conséquent, il paraît indispensable dintégrer dans lanalyse suivante les traités italiens les plus influents auprès des auteurs hispanophones. La constitution de ce corpus hispano-italien trouve de multiples justifications. En réalité, auteurs espagnols et italiens empruntèrent abondamment les uns aux autres, débattirent des mêmes problèmes et se répondirent. Ces échanges étaient facilités dune part par la forte présence espagnole dans la péninsule italienne et dautre part par lintense circulation dartilleurs italiens en Espagne51. Dailleurs, comme la suite de ce chapitre le montrera, un certain nombre de traités écrits en castillan furent publiés en Italie. Il ny a par conséquent aucune raison de dresser une cloison artificielle entre les productions italienne et espagnole de traités dartillerie. Comme le suggèrent les travaux de Pascal Brioist, la construction dune science de lartillerie fut en réalité un phénomène transnational à léchelle de lEurope et, sil est impossible dembrasser dans ce chapitre un ensemble plus vaste constitué de traités allemands, anglais ou encore français, il sagira au moins de montrer, à travers lexemple des échanges italo-espagnols, lintense circulation de ces écrits malgré lapparente barrière linguistique.

Émergence dun champ de savoirs
sur lartillerie

La fondation dune science de la balistique est généralement datée de la publication des traités de Niccolò Tartaglia en 1537 et 154652. Cependant, avant danalyser comment sest construit un vaste champ de savoir sur lartillerie à partir des publications de Tartaglia, il convient 439de noter quun certain nombre de manuscrits sattachèrent avant lui à étudier lartillerie à poudre. Lun des plus connus est sans aucun doute le Feuerwerkbuch53, texte allemand de la première moitié du xve siècle centré sur la fabrication de la poudre noire, dont il existe de nombreuses copies ainsi que des traductions, notamment en français54. De cette même époque datent le Bellifortis de lallemand Conrad Kyeser et le manuscrit des guerres hussites, représentant chacun quelques bouches à feu55. À partir du milieu du xve siècle, une école italienne de traités dingénierie militaire se développa également. Mary J. Voss fait ainsi remarquer que vers 1450, larchitecte Alberti évoquait, dans son manuscrit « Ludi rerum mathematicarum », des problèmes de mathématiques appliquées à lusage des instruments de bombardiers56. Le manuscrit de lingénieur militaire Taccola57 ainsi que louvrage imprimé de Roberto Valturio58 témoignent dune certaine curiosité pour létude des machines de guerre, bien que les inventions quils présentent oscillent souvent entre fantasme et réalité. À la toute fin du xve siècle, à la cour du duc de Milan Lodovico Sforza, Léonard de Vinci coucha par écrit des réflexions intéressantes sur la fonderie et le tir de canon, représentant même des trajectoires paraboliques59. Ces dernières étaient probablement le fruit de discussions avec des professionnels de la guerre tels le condotierre Pietro Monte, qui écrivit lui aussi au sujet des trajectoires de tir60. Enfin, quelques feuillets des archives de Simancas montrent que des préoccupations similaires touchaient certains militaires castillans de la première moitié 440du xvie siècle61. Lauteur anonyme y décrit notamment les différents types de pièces dartillerie, leurs proportions, ainsi que les différents éléments à prendre en compte lors dun tir, insistant sur la variation de portée en fonction de langle de hausse de la pièce. Toutefois, en termes de circulation et de recherche dexhaustivité, cette première production diluée sur un siècle et demi ne peut se comparer au succès rencontré par le projet du mathématicien Niccolò Tartaglia de fonder la Nouvelle Science de lartillerie.

La Nouvelle Science de Tartaglia et la première
génération de traités dartillerie (1537 – c. 1580)

Les biographies de Niccolò Tartaglia (1500-1557) abondent du fait, sans doute, de la fascinante originalité de son parcours62. Né à Brescia dans un milieu modeste, orphelin de père dès son plus jeune âge, Niccolò Fontana dut son surnom de Tartaglia (« le bègue ») à un défaut délocution provenant dune blessure quil reçut à 12 ans lors du sac de Brescia par les troupes de Gaston de Foix. Trop pauvre pour aller à lécole, il se forma lui-même en parfait autodidacte, devenant maître de mathématiques dans une école dabaque à Vérone puis à Venise. Malgré ce statut relativement humble, Tartaglia acquit une renommée internationale et fut reconnu comme lun des grands mathématiciens de son temps. Il se rendit particulièrement célèbre par linvention dune solution générique des équations du troisième degré puis par la dispute publique qui en résulta avec deux autres mathématiciens italiens, Girolamo Cardano et son disciple Lodovico Ferrari, qui trahirent son secret en publiant lArs Magna en 1545. Impliqué dans le commerce de livres63, Tartaglia fut aussi connu pour son activité humaniste de traduction en italien dœuvres scientifiques anciennes comme celles dEuclide (1543), dArchimède (1543) et de Jordan de Némore (1565). 441Enfin et surtout, il gagna une grande notoriété grâce à ses travaux sur lartillerie contenus dans deux ouvrages, la Nova Scientia et les Quesiti et Inventioni Diverse64.

Comme son titre lindique, lambition de la Nova Scientia, publiée à Venise en 1537, fut de créer une nouvelle science de lartillerie. Le frontispice de louvrage, conçu par lauteur lui-même65, résume parfaitement ce projet : entouré dallégories de la géométrie, de larithmétique et de diverses sciences mixtes telles que lastronomie, la musique ou la géographie, Tartaglia sapproche dun groupe dartilleurs afin de leur offrir une nouvelle science mixte alliant la philosophie naturelle dAristote et de Platon – en haut de limage – aux mathématiques dEuclide – en bas de la scène. Suivant une structure euclidienne de type hypothético-déductif, louvrage propose des définitions, pose des axiomes, cest-à-dire des suppositions non-démontrées, puis fournit des propositions démontrées, pour la plupart, à laide darguments géométriques et numériques.

Dans cet opuscule, le propos de Tartaglia se concentre essentiellement sur la balistique externe. Il sagit de décrire et de caractériser les trajectoires de boulets de canon, ainsi que de mettre en évidence leur régularité, leur proportionnalité et leur évolution selon langle de hausse de la pièce. En outre, Tartaglia y fournit quelques techniques et instruments de mesure utiles à cette nouvelle science parce quils permettent, par exemple, de mesurer des distances. Le plus célèbre de ces instruments, parfois appelé « équerre de Tartaglia », était une équerre disposant dun fil à plomb et dun cadran muni de douze graduations qui permettait de mesurer les angles délévation dune pièce dartillerie. Par ailleurs, il faut noter que les logiques de patronage amputèrent cet ouvrage de deux des cinq parties prévues initialement66. Sollicitant le patronage du duc dUrbino, Francesco Maria della Rovere, alors capitaine général de larmée vénitienne, Tartaglia prétendait en effet avoir composé son livre à la hâte tandis que la Sérénissime se préparait à affronter la menace ottomane pour défendre ses possessions en Grèce. Il proposait au duc, si ce dernier était satisfait par cette publication, de sentretenir avec lui en privé afin de lui dévoiler bien dautres secrets.

442

Fig. 39 – Frontispice de la Nova Scientia de N. Tartaglia,
publiée à Venise en 1537. Document appartenant aux collections
de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

443

Neuf années plus tard, en 1546, Tartaglia consacra un tiers des Quesiti et Inventioni Diverse à lapprofondissement du projet entamé dans la Nova Scientia. La sollicitation du patronage du duc dUrbino navait pas porté ses fruits puisque ce dernier mourut lannée suivant la publication de la Nova Scientia. Toutefois, le projet de créer une science de lartillerie avait soulevé de nombreuses questions non seulement de la part du duc lui-même mais aussi de la part de Gabriel Tadino di Martinengo, superintendant des fortifications et de lartillerie vénitienne, de lingénieur militaire Giulio Savorgnano, du fondeur de canons Alberghetto di Alberghetti, ainsi que dartilleurs anonymes. Les Quesiti mettent en scène ces dialogues, fictifs bien que probablement fondés sur une certaine réalité de fréquentation entre lauteur et ces hommes de guerre au service de la Sérénissime. Le contenu, plus concret que celui de la Nova Scientia, vint la compléter. Tartaglia tâcha notamment de tenir compte des divers facteurs de balistique interne, avant que le boulet ne sorte du canon. À une époque où, il faut le rappeler, la fabrication de larmement nétait pas normalisée, il sagissait notamment de caractériser les pièces selon leurs proportions, de les charger avec le type et le volume de poudre adéquat, de disserter sur la taille et les matériaux des boulets ou encore de régler les mires dun canon par rapport à son âme, son axe interne, qui était rarement parfaitement parallèle aux bords extérieurs. Pour toutes ses actions, le mathématicien-géomètre avait des solutions, des techniques et des instruments à offrir à lartilleur.

Ces traités ont tous deux été de grands succès dédition, connaissant chacun plusieurs rééditions à Venise au cours du xvie siècle et jusquaux premières années du xviie siècle67. Daprès le nombre dexemplaires conservés aujourdhui dans les bibliothèques, lédition de la Nova Scientia de 1558 fut sans doute celle qui connut la plus grande diffusion68, tandis que lédition la plus importante des Quesiti et Inventioni Diverse fut celle de 155469. En dautres termes, ce ne fut réellement que dans la seconde moitié du xvie siècle que les œuvres de Tartaglia circulèrent 444abondamment. Elles connurent dailleurs des traductions dans plusieurs langues70 et furent, à nen pas douter, lues dun certain nombre de militaires au service du roi dEspagne.

Il y eut, dabord, des contacts personnels entre Tartaglia et quelques grands serviteurs de la Monarchie hispanique. Les Quesiti mettent notamment en scène de nombreux dialogues de lauteur avec Gabriel Tadino di Martinengo, chevalier de lordre de Malte et prieur de Barletta, auquel lauteur dédia sa traduction dEuclide en 1543. Bien quau service des Vénitiens à lépoque de ses contacts avec Tartaglia, cet homme avait été, quelques années auparavant, capitaine général de lartillerie de Charles Quint en Espagne71. De plus, après la mort du duc dUrbino, Tartaglia chercha le patronage dun autre commandant important, le marquis del Vasto, alors gouverneur de Milan au service de Charles Quint. Il lui fit parvenir, grâce à Girolamo Cardano, deux exemplaires de la Nova Scientia accompagnés dinstruments72. Ce fut dailleurs en échange de ce service que Tartaglia dévoila à Cardano sa solution secrète des équations du troisième degré à lorigine de la dispute entre les deux hommes. Même si cette tentative de sollicitation de patronage se solda par un échec, elle met en évidence la diffusion, très tôt, de la Nova Scientia, vers lun des territoires italiens de la Monarchie hispanique. Enfin, Tartaglia rencontra et sentretint à Venise avec lambassadeur de Charles Quint, don Diego Hurtado de Mendoza, entre 1539 et 1546. Ce dernier mit sans doute à disposition de Tartaglia quelques-uns de ses ouvrages, notamment sur la science des poids73. Aussi est-il tout à fait probable quen échange, lambassadeur put enrichir sa bibliothèque de quelques ouvrages du mathématicien italien. Il faut ajouter que cette bibliothèque fut léguée à Philippe II en 1576, à la mort de Hurtado de 445Mendoza, et intégrée aux fonds royaux de lEscurial74, dont linventaire réalisé précisément en cette année de 1576 révèle la présence des travaux de Tartaglia sur lartillerie75.

Le processus de diffusion et dassimilation des œuvres de Tartaglia est également visible à travers la lecture de certains traités militaires écrits en castillan. Un manuscrit intitulé « Libro muy curioso y utilíssimo de artillería » contient ainsi de nombreux passages traduits en castillan des œuvres de Tartaglia, principalement des Quesiti et Inventioni Diverse, juxtaposés à des développements originaux de lauteur76. Répondant au nom de Hernando del Castillo, ce dernier se présente lui-même comme un artilleur mais sa vie demeure obscure. Il servit de toute évidence dans le nord de lItalie car il évoque à plusieurs reprises dans son manuscrit des pièces dartillerie se trouvant au château Sforza de Milan77 et représente plus loin un fort avec des créneaux à queues daronde, symbole gibelin typique de larchitecture militaire médiévale italienne, que lauteur situait dailleurs dans la région de Ferrare78. Généralement daté par les historiens des années 1550 ou 156079, ce manuscrit manifeste lassimilation à cette période, dune partie du projet de Tartaglia par certains artilleurs castillans stationnés en Lombardie.

Limportante mobilité de la profession dartilleur favorisa sans doute les échanges intellectuels entre péninsules italienne et ibérique comme en témoigne un autre manuscrit rédigé vers 1570 par un Italien du nom de Giusto Aquilone80. Construisant son argumentation à partir dEuclide et des propositions de la Nova Scientia de Tartaglia, cet auteur avait 446manifestement assimilé en détail le projet du mathématicien brescian et proposait même à son lecteur de lui révéler, à laide dune technique géométrique, la loi de variation des portées que Tartaglia avait gardée secrète. Or, cet Italien avait manifestement fréquenté les milieux artilleurs de la Monarchie hispanique puisquil faisait mention, dans son texte, dune expérience de tir dartillerie réalisée en 1565 sur lîle dIbiza81. Cette expérience visait clairement à résoudre des disputes entre artilleurs suite à la lecture de Tartaglia. De tels contacts entre artilleurs italiens et espagnols, quils aient eu lieu en Italie ou en Espagne, participèrent certainement à la diffusion du projet tartaglien.

Le premier livre imprimé en castillan abordant le thème de lartillerie fut publié en 1583 à Mexico82. Il sagit dun ouvrage traitant de lart militaire en général mais consacrant lune de ses quatre parties à lusage de lartillerie. Cette partie est essentiellement composée, à quelques rares exceptions près, de passages traduits des Quesiti et Inventioni Diverse, ainsi que de quelques éléments de la Nova Scientia permettant dailleurs daffirmer que lauteur a eu accès à un exemplaire des éditions de 1550 ou 155883. Le contexte de publication de cette œuvre demeure assez flou. Son auteur, Diego García de Palacio, était un letrado (juriste) originaire de larrière pays de Santander, docteur en droit de luniversité de Mexico et auditeur de la real audiencia de Mexico, tribunal suprême de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne. Il était également un grand capitaliste possédant de nombreuses fermes, exploitations agricoles, moulins et sucreries en Nouvelle-Espagne84. Enfin, et surtout, cet individu semble avoir eu un intérêt particulier pour ce qui touchait au militaire85. Quelques années auparavant, en 1578, García de Palacio avait soumis 447aux autorités madrilènes un projet de conquête de la Chine à partir du Guatemala et des Philippines86. Les Dialogos Militares publiés en 1583 et dédiés au vice-roi de Mexico, commandant militaire de Nouvelle-Espagne, visaient donc sans doute à démontrer les aptitudes guerrières de ce juriste de formation, dans le contexte dune menace croissante de la course anglaise sur les côtes américaines. Dailleurs, en 1587, juste après avoir publié un fameux traité de navigation87, ce même auteur prit le commandement dune flottille de défense contre la venue du corsaire Thomas Cavendish sur la côte Pacifique88. Néanmoins, malgré son intérêt en tant que premier traité sur lartillerie en castillan et en tant que témoignage de lassimilation des travaux de Tartaglia, les Dialogos Militares neurent quune faible diffusion, les exemplaires étant aujourdhui rares et lœuvre nétant ni citée ni reprise par les auteurs de traité dartillerie des décennies suivantes89.

Entre temps, dans la péninsule italienne, le projet tartaglien de création dune science de lartillerie fut enrichi dun certain nombre de publications à la fin des années 156090. Cette production était fortement ancrée dans le nord de lItalie et plus particulièrement à Venise, capitale européenne de limprimerie et lieu de publication des ouvrages de Niccolò Tartaglia. Ainsi, en 1567, lhomme de guerre Domenico Mora y publia un traité militaire divisé en trois dialogues, dont le premier fut consacré à lartillerie, lauteur y reprenant certaines conclusions de Tartaglia91. La même année, un traité dartillerie fut imprimé à Brescia par lingénieur militaire Girolamo Cataneo92. Ce dernier nen était pas à sa première publication puisque, trois années auparavant, il avait fait imprimer un traité de fortification à la fin duquel il proposait déjà un bref traité dartillerie, accompagné dun 448« examen de bombardier93 ». Ses écrits, explicitement tournés vers lactivité de lartilleur, rencontrèrent un certain succès, étant réimprimés à Venise en 1580 et 158294, puis encore en 1584 à Brescia dans une compilation de traités militaires95. Un autre traité dartillerie connut un succès comparable sur la même période. Il sagit des Precetti della Militia Moderna de lhumaniste et cartographe Girolamo Ruscelli96. Sorti des presses vénitiennes pour la première fois en 1568, il fut réédité à trois reprises à Venise, en 1572, 1583 et 1595, ce qui témoigne de son succès et de sa diffusion.

Tartaglia contesté : les premières autorités
espagnoles (c. 1580-1600)

À partir des années 1580, une nouvelle génération dauteurs sefforça de contester les autorités qui sétaient mises en place depuis le milieu du xvie siècle, au premier chef desquelles figurait Tartaglia. Lun des premiers auteurs de cette vague contestataire fut Gabriel Busca, ingénieur militaire issu dune famille milanaise de fondeurs de canons. Lun de ses frères, Francesco, devint fondeur attitré du duc de Savoie dans les années 156097, tandis quun autre membre de sa famille, Giovan Battista, fut fondeur dartillerie du duché de Milan dans les années 1570-158098. Gabriel quant à lui oscilla entre le service de la maison de Savoie, pour laquelle il fut lieutenant dartillerie à partir de 1561, et celui du roi dEspagne, quil servit en Lombardie en tant quingénieur militaire, participant notamment à la construction de la forteresse de Fuentes verrouillant la vallée de la Valteline99. En 1584, il publia à Carmagnole lInstruttione de Bombardieri, un traité dartillerie qui nhésitait pas à attaquer les précédents auteurs sur lartillerie. La critique de Tartaglia 449revient à plusieurs reprises sous la plume de lauteur qui en fait sa cible privilégiée aux côtés de Domenico Mora et Girolamo Cardano100. Un dialogue sétait par conséquent instauré entre la première génération dauteurs de traités dartillerie et une nouvelle génération qui souhaitait renverser les autorités passées. Néanmoins, le traité de Busca eut un succès plus limité que les livres de Tartaglia, Cataneo et Ruscelli, ses exemplaires étant plus rares et le traité ne comptant quune seule réédition, en 1598, conjointe à un traité de fortification du même auteur101.

Tout autre fut le succès de lœuvre de Luis Collado. Né à Lebrija en Andalousie, Collado fit une longue carrière militaire dune cinquantaine dannées au service du roi dEspagne. Il fut ainsi soldat et capitaine dartilleurs à Ibiza, participa à la bataille de Navarino en 1572, sorte dappendice de la bataille de Lépante, puis dirigea divers travaux de fortifications en Sicile et dans le royaume de Naples, notamment à Brindisi et Tarente102. Il finit sa carrière comme ingénieur militaire dans le duché de Milan, en charge des fortifications ainsi que des examens dartilleurs. Il eut une dernière occasion de sillustrer sur le champ de bataille lors du siège de Bricherasio, en 1594, contre les troupes de Lesdiguières, avant de décéder en juin 1602. Luis Collado fut donc de la même génération que Gabriel Busca et fréquenta la Lombardie à la même période. Tous deux étaient ingénieurs au service du gouverneur de Milan dans les toutes premières années du xviie siècle, ce qui ne laisse aucun doute sur le fait quils se côtoyèrent dans les dernières années de leur vie, si ce nest avant. Or, comme Gabriel Busca, Luis Collado publia une œuvre visant à faire choir de leur piédestal les autorités quétaient devenus Tartaglia, Cataneo et Ruscelli.

Son succès fut le fruit de deux tentatives exécutées par lauteur à la fin de sa carrière, tandis quil était ingénieur militaire à Milan. Dabord, en 1586, il publia un premier traité dartillerie dédié au gouverneur de Milan, Carlo dAragona, duc de Terranova. Comme le chapitre précédent la mis en évidence, le duc de Terranova sétait montré particulièrement 450sensible aux questions dartillerie lorsquil gouverna la Sicile entre 1571 et 1577, puis la Lombardie à partir de 1583. Il avait été le principal artisan de louverture décoles dartilleurs dans ces deux États. Il y a par conséquent fort à croire quil encouragea dune manière ou dune autre lentreprise de Collado. Ce dernier fit imprimer son traité en italien à Venise, là même où les principaux traités dartillerie qui le précédaient avaient été publiés. Néanmoins, à côté de cette apparente continuité, Collado revendiquait une rupture :

Certains auteurs ont écrit et fait imprimer des livres dartillerie, à savoir Niccolò Tartaglia, Girolamo Ruscelli et Cataneo, lesquelles œuvres sont plutôt le produit dhommes instruits en mathématiques et dans dautres arts et sciences que dhommes ayant pratiqué lexercice manuel de lartillerie et de ses effets103.

Ce passage met en évidence le statut dautorités acquis par Tartaglia, Cataneo et Ruscelli auprès des hommes de guerre de cette période. Ambitionnant de les remplacer, Collado tenta de saper leur crédibilité en insistant sur leur statut de mathématiciens totalement étrangers au champ de bataille, tandis que lui-même possédait la légitimité conférée par lexpérience. Dans cette même perspective de renversement de pouvoir, Collado chercha à déposséder Niccolò Tartaglia de sa principale regalia, la fameuse équerre de lartilleur, dont il resitua linvention en Allemagne au xve siècle en sappuyant sur une citation de lastronome bavarois Regiomontanus104. Toutefois, cette première tentative ne réussit pas complètement puisque, si lon se fie au nombre dexemplaires survivants aujourdhui, cette édition de 1586 natteignit probablement pas les niveaux de diffusion des œuvres de Tartaglia, Cataneo et Ruscelli105.

Cependant, le véritable triomphe de Luis Collado intervint seulement six ans plus tard, en 1592, avec la publication du Plática Manual de Artillería106. Il sagissait dune réédition du traité de 1586, augmentée de nombreux développements, publiée à Milan, et résolument tournée 451vers la péninsule ibérique à travers une dédicace au roi Philippe II ainsi que par lemploi du castillan au lieu de litalien. La critique des auteurs italiens, et en particulier de Tartaglia, sy fit plus franche et plus acerbe, à limage de ce passage où Collado attaque leurs lois mathématiques des portées, les qualifiant de mensonges :

Ils mentent Girolamo Ruscelli et Niccolò Tartaglia, et ils mentent aussi tous ces auteurs qui, sans aucun fondement ni expérience, veulent savoir, à partir de la connaissance de la portée dune pièce au premier point de léquerre, quelle sera sa portée aux autres points, en recherchant les différences par des règles numériques, ce qui ne pourra jamais être fait sans erreur107.

Entre 1586 et 1592, la plume de Collado avait indéniablement gagné en assurance. Certes, il écrivait en castillan, sa langue maternelle, mais il écrivait surtout pour un public castillan, auprès duquel il se sentait une grande légitimité, dabord en tant quhomme de guerre reconnu pour ses nombreux services rendus à la Monarchie, ensuite en tant que premier auteur castillan à avoir défié, en 1586, les auteurs italiens de traités dartillerie sur leur propre terrain. Il expliquait dailleurs dans la préface au lecteur de lédition de 1586 que, sil sétait décidé à prendre la plume, cétait parce que, malgré les nombreux hauts faits darmes des Espagnols, aucun dentre eux navait encore souhaité écrire sur le sujet. La version castillane augmentée de 1592 concrétisa cette aspiration. Collado y proposa un ouvrage exhaustif sur lartillerie, dotant même la discipline dune histoire propre appuyée sur des schémas repris du De Re militari de Valturio de 1472. Le tirage de 1592 fut certainement de grande ampleur, comme en témoignent encore aujourdhui les nombreux exemplaires présents dans les bibliothèques108. De la sorte, le traité de Collado connut une importante diffusion qui hissa son auteur parmi les principales autorités en matière dartillerie. La version castillane augmentée fut dailleurs à son tour traduite en italien et publiée à Milan en 1606 puis en 1641.

Un autre traité important fut publié en 1590, entre les deux versions du manuel de Collado. Il sagit du Perfeto Capitán, le premier imprimé traitant 452dartillerie ayant été publié dans la péninsule ibérique109. Son auteur, Diego de Álava y Viamont, nétait autre que le fils du capitaine général de lartillerie don Francés de Álava, issu de la haute noblesse de Navarre110. Toutefois, contrairement à don Francés qui avait une grande expérience du champ de bataille, Diego avait dû suivre le chemin des lettres sous la contrainte de son père, se formant à la culture humaniste et au droit aux universités dAlcalá et de Salamanque111. Âgé denviron 35 ans en 1590 et ayant perdu son père quelques années plus tôt, en 1586, Diego de Álava aspirait à une carrière militaire et souhaitait, par la publication du Perfeto Capitán, démontrer au roi Philippe II ses grandes connaissances théoriques sur lart militaire. Les lettres mises en prologue de louvrage et rédigées par des humanistes et courtisans de lépoque tendaient en ce sens à souligner la ressemblance entre Diego de Álava et son père, rendant naturel le désir du fils de devenir capitaine. Par ailleurs, ce désir se manifesta concrètement par une demande soumise au conseil de guerre lannée de publication de louvrage112. Mettant en avant à la fois les services mémorables de son père et la publication de son traité sur la discipline militaire, Diego de Álava y Viamont y sollicitait la place de capitaine dune compagnie dhommes darmes – cest-à-dire de cavalerie lourde – commandée par le défunt comte de Cifuentes. Malheureusement, malgré un avis favorable des membres du conseil, Diego de Álava nobtint pas la place et trois ans plus tard il réitéra sa demande dobtention dun poste de capitaine dhommes darmes sans obtenir, semble-t-il, plus de succès113. La seule position quil acquît avant sa mort, à la fin de lannée 1596, fut un office courtisan – et non militaire – de gentilhomme de la maison du roi114.

Son traité en revanche connut une grande réussite. Il sagissait dun ouvrage dédié à lart militaire en général puisquil proposait de former « le parfait capitaine ». Toutefois, en digne héritier du capitaine général de lartillerie, lauteur y fit la part belle à lartillerie, lui consacrant 453quatre des six livres de son œuvre. La stratégie employée par Diego de Álava fut semblable à celle de Busca et Collado à la même période : il chercha à déconstruire lautorité de Tartaglia, signe manifeste de la réputation acquise par de ce dernier au sein de la péninsule ibérique. En revanche, la tactique fut quant à elle différente puisque Diego de Álava ne pouvait se légitimer, comme Collado ou Busca, par une quelconque expérience du champ de bataille. Il sattacha à présenter la « doctrine de Nicolo Tartalla », nhésitant pas à spéculer sur les intentions du mathématicien brescian et prétendant révéler une fameuse loi mathématique des portées que Tartaglia avait gardée secrète, ceci afin de mieux mettre en contraste ses propres lois en sinus, bien plus complexes et raffinées115. Autrement dit, Álava chercha à se distinguer par lapprofondissement des aspects les plus spéculatifs et théoriques des travaux de Tartaglia.

Ce fut sa formation à luniversité de Salamanque qui lui procura les outils mathématiques et philosophiques nécessaires à la poursuite de cet objectif. Il y fut notamment lélève de Gerónimo Muñoz, qui y enseigna lastrologie, lastronomie et les mathématiques116. Diego de Álava nhésita dailleurs pas à mettre en avant limplication de son maître dans son projet de recherche sur lartillerie :

En discutant de cela avec le très docte maître Gerónimo Muñoz, il me dit quil tenait pour fausse lopinion de Tartaglia et que, pour tirer le vrai du faux, il avait fait tirer quelques mortiers et bombardes117.

454

Ainsi, il semble que les lettrés humanistes de luniversité de Salamanque réalisaient des expériences de tir dartillerie afin de vérifier les théories de Tartaglia. Malgré cela, ils manquaient indubitablement de connaissances empiriques et techniques sur les canons.

Pour composer les aspects les plus pratiques de son traité, Diego de Álava recourut – sans lexpliciter – à lexpertise dauteurs plus expérimentés dans le maniement du canon. En effet, dans le troisième livre, celui concernant la fonderie et les proportions des pièces dartillerie, il reprit non seulement certains passages des Quesiti et Inventioni Diverse de Tartaglia mais il traduisit également en castillan des données numériques et techniques décrites dans le premier traité de Luis Collado publié en italien en 1586, la version castillane de Collado ayant été publiée deux après après le Perfeto Capitán. De même, le long développement sur la fabrication des artifices de feu et explosifs reprenait, mot pour mot, des chapitres dun traité manuscrit écrit par lartilleur Cristóbal de Espinosa à Milan en 1584118. En tant que dédicataire de cette œuvre, le général de lartillerie don Francés de Álava avait sans doute transmis le manuscrit à son fils Diego qui lutilisa pour combler les lacunes techniques de sa publication. Cependant, malgré ce défaut de connaissances pratiques résultant de linexpérience militaire de lauteur, louvrage connut une très grande diffusion, sans doute du fait du haut statut social de Diego de Álava et de ses relations à la cour de Madrid119.

La plupart des auteurs de traités dartillerie en castillan appartenaient toutefois au milieu des hommes de guerre et le statut de lettré de Diego de Álava fut plutôt lexception confirmant la règle. Ainsi, en 1595, Lazaro de la Isla publia à Madrid, chez la veuve de léditeur du Perfeto Capitán, un court traité dartillerie qui connut un certain succès et qui fut réédité à Valladolid en 1603 et à Lisbonne en 1609120. Fils dun artilleur qui servit Charles Quint et Philippe II pendant plus de quarante ans avant de mourir à la bataille de Djerba en 1560, Lazaro de la Isla servait lui aussi en tant quartilleur sur les galères dEspagne 455depuis une trentaine dannées lorsquil publia son traité121. Il avait participé à diverses batailles navales, à la conquête de Tunis menée par don Juan dAutriche en 1573 ainsi quà linvasion du Portugal en 1580, parvenant au grade de chef des artilleurs dune escadre de huit galères122.

De tels profils militaires se retrouvent également dans la production manuscrite de traités dartillerie. À ce sujet, il faut mentionner notamment le manuscrit du lieutenant dartillerie Diego de Prado cité en introduction de ce chapitre123. Un autre manuscrit, écrit dans les mêmes années à Milan par lartilleur Espinel de Alvarado, témoignait de limportante circulation de traités – imprimés autant que manuscrits – au sein des milieux artilleurs de la fin du siècle :

Je me souviens avoir vu et lu certains livres qui traitent du même sujet que ce dont nous prétendons traiter, comme ceux de Tartaglia qui est le meilleur que jai vu, celui de Cataneo qui nest pas mal, la Pyrotechnie de messire Domenico [Mora], et dautres de peu de fruits et de substances sans oublier les très nombreux petits livres secrets rédigés à la main par certains de mes amis artilleurs, pour tous lesquels mon opinion est que, à part ceux de Tartaglia et Cataneo, tous les autres sont loin dêtre justes124.

Par conséquent, les dernières années du xvie siècle furent caractérisées par dintenses échanges littéraires où lon sexprimait et débattait sur des grandes questions déjà bien délimitées par les autorités italiennes du milieu du xvie siècle, Tartaglia en tête.

Malgré linfluence manifeste des traités italiens, la nouvelle génération dauteurs castillans commençait à asseoir son autorité à Madrid à la toute fin du xvie siècle. Cest du moins ce qui transparaît de la lecture des notes manuscrites du docteur Julián Ferrofino125. Pour rappel, Julián 456Ferrofino était un mathématicien et juriste originaire de Lombardie qui avait travaillé au service du conseil de guerre en enseignant aux artilleurs de Burgos, Malaga et Séville126. Le manuscrit porte la mention « écrit par le docteur Julián Ferrofino, tiré de ses brouillons lors de lannée 1599 », lorsque ce dernier était professeur de mathématique à la cour du roi à Madrid. Cette information indique quil sagit dune copie, par un tiers – disciple, serviteur ou autre – décrits attribuables selon toute probabilité à Ferrofino mais dont on ne sait pas sils furent copiés dans leur intégralité. Il faut néanmoins remarquer quaucun auteur italien ny apparaît, même sil est possible de reconnaître quelques éléments caractéristiques de la Nova Scientia de Tartaglia tels que léquerre dartilleur graduée en douze points127. En revanche, les nouvelles autorités, celles dont on parlait alors à la cour de Madrid, étaient Luis Collado128 et Diego de Álava y Viamont129.

Maturité de lécole castillane (1600-1613)

Au début du xviie siècle, la littérature sur lartillerie continuait dêtre intensivement discutée, et la génération dauteurs de la fin du siècle précédent était progressivement assimilée. Un certain manuscrit rédigé par le capitaine Cristóbal de Rojas à Cadix en 1607 rend parfaitement compte de cette situation130. Lauteur était un architecte militaire qui avait dirigé divers projets de fortifications, notamment à Cadix dans les années 1590131. Par ailleurs, il avait acquis une expérience de terrain en matière dartillerie en Bretagne vers 1595, lorsquil accompagna le capitaine Juan del Águila en soutien du duc de Mercœur, le dernier grand ligueur français132. Toutefois, le capitaine Rojas nétait pas quun homme de terrain. Expert en fortification, il publia en 1598 un traité à 457ce sujet133 et enseigna à lacadémie royale de mathématiques de Madrid au tournant du xviie siècle134.

Dédié à Philippe III, son manuscrit de 1607 visait à fournir des recommandations au roi et à ses plus proches conseillers. Or, ses propositions portaient sur les fortifications mais aussi sur lartillerie, à la périphérie de la zone dexpertise de lauteur. Aussi, pour appuyer ses conseils, le capitaine Rojas en appela-t-il aux principales autorités en la matière, renvoyant à leurs œuvres pour de plus amples détails. Voici la liste chronologique douvrages qui lui semblaient les plus pertinents :

Jai lu quasiment tous les auteurs qui ont écrit au sujet de lartillerie, tant anciens que modernes, comme sont Niccolò Tartaglia, Cataneo, Luis Collado, Lazaro de la Isla ou encore Andres Muñoz, artillero mayor de la casa de la contratación à Séville135.

Les noms contenus dans cette liste ne surprennent en rien à lexception notable dAndrés Muñoz el Bueno, qui enseignait alors lartillerie à Séville depuis plus dune décennie mais qui navait encore publié aucun traité136. Il faut par conséquent en déduire que ses écrits avaient sans doute dû circuler en Espagne sous forme manuscrite dans les premières années du xviie siècle. Par ailleurs, il faut noter que les deux noms revenant le plus souvent dans ce manuscrit sont ceux de Tartaglia et Collado, souvent juxtaposés pour manifester des grandes tendances opposées, signe que Luis Collado avait partiellement réussi son entreprise de sape de lautorité suprême de Tartaglia.

En 1606 fut publié un autre traité qui, bien quayant un rôle secondaire en tant quautorité, présente quelques traits intéressants. Il sagit dun traité de mathématiques appliquées composé par Andrés García de Céspedes, personnage dont lœuvre éclectique révèle les passerelles qui existaient entre différents milieux et disciplines mathématiques137. 458Au début de ce traité, lauteur joignit une liste de onze ouvrages quil avait précédemment composés, parmi lesquels se trouvaient des livres sur lastrolabe, la topographie, la navigation, lastronomie, la cartographie, lhydrographie ou encore les machines. Il construisit avant tout sa carrière en tant que spécialiste de cosmographie, dabord à Lisbonne dans les années 1580, puis à Séville en tant que piloto mayor de la casa de la contratación (pilote principal en charge des examens) entre 1596 et 1598, et enfin en tant que cosmographe en chef du conseil des Indes à Madrid, à partir de 1598138. Le Libro de instrumentos nuevos de geometría traitait de divers problèmes de mathématiques appliquées et, en particulier dans sa dernière partie, de questions dartillerie à loccasion desquelles lauteur proposait de discuter des trajectoires de tir, prétendant « corriger les erreurs de Tartaglia139 ». Le court développement de lauteur ne rend pas compte de la lecture dautres traités dartillerie. En revanche, la préface au lecteur, qui explique la genèse de lœuvre, évoque les nombreuses discussions et paris dAndrés García de Céspedes avec les artilleurs du château de Burgos puis de Lisbonne, à lépoque où le lieutenant dartillerie était le capitaine Alonso de Céspedes (1583-1587). Ce témoignage offre par conséquent un exemple de procédé dassimilation de la littérature sur lartillerie au sein de groupes dartilleurs à travers des discussions avec des personnages hautement qualifiés en mathématiques.

Il fallut attendre lannée 1611 pour voir la parution dun traité dartillerie dune ambition comparable à celui de Luis Collado : il sagissait des Discursos du capitaine Cristóbal Lechuga, publiés à Milan, comme le manuel de Collado deux décennies auparavant140. Lauteur avait derrière lui une carrière militaire spectaculaire141. Né à Baeza, en Andalousie, en 1557, il sengagea comme soldat à Carthagène en mars 1575, participa à plusieurs opérations militaires en Méditerranée, puis passa en Flandre entre 1578 et 1580, avant dêtre stationné à Milan avec son tercio, au sein duquel il devint sergent. Il fut amené à prendre part à la conquête des Açores en 1582-1583 puis séjourna quelque temps dans le port marocain dAssilah, rattaché à la couronne de Portugal. 459En 1585, à son retour en Espagne, il fut fait, à lâge de 28 ans, sargento mayor, cest-à-dire commandant en second dun tercio rassemblant entre 2 500 et 4 000 soldats dinfanterie142. Il fut alors à nouveau envoyé en Flandre, au siège dAnvers la même année. Dans les années qui suivirent, il participa à de nombreuses batailles et sièges de la guerre de Quatre-Vingts-Ans. Après cette longue expérience dans linfanterie, il obtint, en 1595, la charge de lieutenant du capitaine général de lartillerie de Flandre, poursuivant ses exploits lors de nombreux sièges importants, tels que celui de Cambrai (1595) où il inventa les batteries de canons enterrées, et celui dAmiens où il défendit la place durant plusieurs mois (1597) contre les troupes dHenri IV. Il rentra enfin en Espagne en septembre 1599.

En 1600, lorsque le gouvernement du duché de Milan fut confié au comte de Fuentes, sous les ordres duquel Lechuga avait servi en Flandre, le vétéran fut invité à le suivre en tant que lieutenant, puis capitaine général de lartillerie de Lombardie. Lechuga eut alors lopportunité de rencontrer Luis Collado et Gabriel Busca, alors ingénieurs militaires du duché143. Autrement dit, ces deux générations dauteurs de traités dartillerie se sont côtoyées à Milan dans les toutes premières années du xviie siècle. Durant cette période, Lechuga publia un premier traité centré sur le commandement de linfanterie144, puis, en 1611, après la disparition des deux vieux ingénieurs, il choisit de publier le fruit de sa longue expérience de lartillerie. Cependant, la publication de cet ouvrage ne lui porta pas chance puisque, lannée suivante, lors de la visite du contrôleur royal Felipe de Haro, plusieurs dizaines daccusations de fraude furent retenues contre lui. En réponse à ces charges, il fit imprimer une défense point par point dans laquelle il relatait également ses longs états de service145. Cristóbal Lechuga y expliquait quil était victime de faux témoignages de la part dingénieurs militaires milanais qui lui vouaient une haine sans borne par jalousie professionnelle. Il parvint finalement à se sortir daffaire et prit part en 1614 à la conquête de la Mamora, nid de corsaires situé sur la côte 460atlantique du Maroc, dont il devint gouverneur et où il servit au moins jusquen 1621146.

Le traité du capitaine Lechuga rend compte de lévolution des autorités en matière dartillerie. Dans la préface, ce vétéran de Flandre affirmait avoir lu tous les auteurs quil avait pu trouver à ce sujet, citant, pour les discréditer, les noms de Diego de Álava y Viamont et Luis Collado. Ces critiques témoignent de la dynamique interne de ce champ de savoirs au sein duquel chaque nouvelle génération dauteurs cherchait à se distinguer des principales autorités de la génération précédente. Néanmoins, la complexité des références augmentait à mesure que le champ se développait. Une partie du traité de Lechuga est ainsi une traduction de certains passages du traité de Gabriel Busca publié en 1584147, dans lequel lingénieur milanais se montrait très critique de Tartaglia. Par conséquent, différentes couches dautorités se superposent dans cet ouvrage de Lechuga où la critique des premiers traités dartillerie fut reprise à travers le prisme déformant dun auteur de la génération des années 1580. Adopter une position critique vis-à-vis des principales autorités espagnoles quétaient Collado et Álava, relevait, pour cet auteur écrivant en castillan et dédiant son œuvre au roi dEspagne, dune stratégie dauto-affirmation. Reprendre Busca, auteur italien certainement moins connu et diffusé auprès du public hispanophone, cétait marquer son affinité avec la génération contestataire de la fin du xvie siècle et se positionner ainsi contre les autorités italiennes les plus célèbres au premier chef desquelles figurait Tartaglia. Sans aucun doute le capitaine Lechuga se sentait-il socialement et intellectuellement plus proche de Busca et Collado, quil avait dailleurs côtoyés, que du mathématicien qui avait inventé la science de lartillerie trois quart de siècle plus tôt. Que ce soit dû à la pertinence de son contenu ou à la renommée de son auteur, force est de constater que ce traité dartillerie connut une très grande diffusion, comparable à celle des ouvrages de Collado et Álava148.

461

En 1612, un autre capitaine dartillerie vétéran des guerres de Flandre publia, à Bruxelles, un important traité dartillerie149. Il sagissait de Diego Ufano, alors capitaine dartillerie de la place forte dAnvers. Ce dernier avait servi en tant que gentilhomme dartillerie depuis au moins lannée 1598150. Il y a par conséquent fort à parier quil fréquenta Cristóbal Lechuga dans la mesure où ce dernier fut lieutenant du capitaine général de lartillerie de Flandre jusquen 1599. Dépassant les 400 pages, le traité dUfano était sans doute le plus volumineux ouvrage à jamais avoir été imprimé sur lartillerie. Parmi les autorités citées par lauteur, on retrouvait, aux côtés des classiques Tartaglia et Collado, lallemand Leonhard Fronsberger, jouissant apparemment dune grande renommée aux Pays-Bas. En revanche, Diego Ufano adopta face à ses prédécesseurs une position non pas critique mais plutôt conciliante, se positionnant dans le prolongement, lapprofondissement et la synthèse de leurs travaux. Il reprit ainsi bon nombre déléments de Luis Collado, recopiant certains de ses témoignages151 et proposant un certain nombre de gravures semblables à celle du Plática Manual152. Par ailleurs, il réutilisa Tartaglia dans ses passages sur létude des trajectoires de tir, citant explicitement sa source, la Nova Scientia153, et reprenant également plus loin certains problèmes et certaines conclusions des Quesiti et Inventioni Diverse154. En dautres termes, Diego Ufano opéra une synthèse des principales autorités, conservant chez chacune ce qui lui semblait le plus pertinent et ajoutant de nombreux éléments tirés de ses propres réflexions et de son expérience de terrain.

Il en résulta un grand succès dédition. Le traité connut deux tirages successifs relativement importants en 1612 et 1613, mais il fut surtout diffusé à linternational, contribuant à asseoir lécole des auteurs castillans dans le paysage européen des spécialistes dartillerie. La publication 462de louvrage à Bruxelles et la dédicace à larchiduc Albert, souverain gouverneur des Pays-Bas espagnols, déplaçait vers lEurope du nord le barycentre de production de traités dartillerie castillans, jusque-là avant tout méditerranéen. Le texte du capitaine Diego Ufano fut ainsi traduit et imprimé au moins à quatre reprises en français155 et en allemand156 ainsi que deux fois en anglais157. La renommée et lautorité de Diego Ufano et, à travers lui, de Luis Collado, se propagea ainsi à toute lEurope occidentale. Lorsque, à la fin du xviie siècle, le maréchal Blondel fit imprimer à Paris un célèbre traité dartillerie dédié au roi Louis XIV, il consacra la première partie de louvrage à retracer lhistorique de la littérature sur lartillerie158. Or, les trois premières autorités sur lartillerie citées par Blondel sont Niccolò Tartaglia, véritable initiateur des réflexions mathématiques, puis Luis Collado et Diego Ufano, dont il sattacha à démontrer les erreurs, signe de la renommée atteinte par ces deux auteurs dans la France du xviie siècle.

Enfin, il faut remarquer que la production de traités dartillerie en castillan sétendit au-delà de notre chronologie. Un autre traité fut par exemple imprimé aux Pays-Bas quelques années après celui de Diego Ufano159. En outre, les écrits dAndrés Muñoz el Bueno, qui comme cela a été mis en évidence, furent en circulation dès les premières années du xviie siècle sous forme manuscrite, connurent finalement une version imprimée en 1627160. Le fils du docteur Julián Ferrofino, Julio César, qui enseigna lartillerie et les mathématiques à la cour du roi pendant de nombreuses années, publia quant à lui deux traités dartillerie161. La poursuite de cette production témoigne du dynamisme des échanges 463intellectuels au sujet de lartillerie et de leur persistance dans le temps, bien après les fondements jetés par les auteurs du xvie siècle. Ne serait-ce pas la meilleure preuve de lémergence dune véritable « science » de lartillerie ?

Science ou art de lartillerie ?

Paradoxalement, user du mot « science » parmi les historiens des sciences est devenu incommode et délicat, en particulier pour les époques antérieures à la révolution scientifique du xviie siècle162. Les auteurs classiques de lhistoriographie des sciences navaient autrefois aucune difficulté à distinguer, dans lhistoire, ce quils considéraient comme scientifique de ce qui ne létait pas : ils appliquaient les critères de scientificité de leur propre époque aux périodes antérieures. Ainsi, un personnage comme Newton et une discipline comme la physique étaient-ils du côté de la science, du vrai, tandis quAristote ou bien lastrologie étaient des objets indignes de lhistorien des sciences. Dans les années 1970 et 1980, le développement du constructivisme et les succès de la sociology of scientific knowledge et des sciences studies renversèrent ce paradigme historiographique en présentant le scientifique comme une construction sociale163. Les critères de scientificité devinrent par conséquent relatifs, dépendants dun contexte historique particulier. Depuis lors, le mot « science » tend à être remplacé par celui, plus consensuel, de « savoir », knowledge en anglais. Cependant, si ce détour par un nouveau concept permet déviter lécueil du jugement de scientificité, il induit également une perte de sens puisque lunivers des savoirs est infiniment plus vaste que celui des sciences. Il faut bien être conscient que tous les savoirs ne furent pas aussi formalisés que ceux exposés dans les traités dartillerie : lensemble des savoirs sur lartillerie regroupait également des savoirs manuels, gestuels, etc. En ce sens, évoquer à propos des écrits de Tartaglia, de Collado et dUfano la construction dun champ de savoirs sur lartillerie est une solution consensuelle mais pas entièrement satisfaisante, dautant plus que les contemporains ne se privèrent pas 464duser de termes plus spécifiques, tels que « science », « art », ou encore « discipline » pour décrire le contenu de leurs écrits. Cest la raison pour laquelle il est intéressant danalyser le discours des acteurs eux-mêmes afin de voir comment ils caractérisaient la production de cet ensemble de savoirs formalisés sur lartillerie.

Les traités évoquent souvent lartillerie comme un « art », tel que lexpression apparaît sous la plume de Diego de Prado en introduction de ce chapitre164. De même, on trouve lusage des termes « art de lartillerie » à de nombreuses reprises chez Luis Collado et quelques fois chez Diego García de Palacio ainsi que chez Diego Ufano. Pourtant, louvrage fondateur de létude de lartillerie, la Nova Scientia, renvoyait explicitement au mot « science ». Lexpression « science de lartillerie » est dailleurs employée par Diego de Álava y Viamont à plusieurs reprises165, ainsi que par Cristóbal de Rojas166 et Diego Ufano167. Lartillerie est donc alternativement, selon les auteurs, une science ou un art. Toutefois, il faut bien se garder dinterpréter ces deux termes suivant le lexique du xxie siècle car, comme la montré Luce Giard, lusage du mot « science » – et a fortiori celui d« art » – revêtait à la Renaissance une complexité de sens héritée dun long usage depuis la Grèce ancienne168.

Lemploi des mots sciences et arts remontait à Aristote, ou plutôt à ses traducteurs latins. Ainsi, la traduction latine par Boèce de lOrganon dAristote, traduisait epistèmè par scientia ou discplina, alors que le mot technè devenait ars169. Les mots dars et de scientia héritèrent par conséquent dune distinction qui existait déjà chez Aristote entre epistèmè et technè. Pour Aristote, lepistèmè était tournée vers le monde de lêtre, désintéressée des aspects matériels, tandis que la technè, orientée vers la nécessité ou lagrément, concernait le monde de la génération, du matériel170. En 465tant quhéritier du concept de technè, lart serait-il donc du côté de la technique au sens actuel du terme, cest-à-dire uniquement du côté du faire ? La situation est en réalité plus complexe car la technè chez Aristote renvoie à un processus dunification et dabstraction de lexpérience :

Lart [traduction de technè] apparaît lorsque, dune multitude de notions expérimentales, se dégage un seul jugement universel applicable à tous les cas semblables. En effet, former le jugement que tel remède a soulagé Callias, atteint de telle maladie, puis Socrate, puis plusieurs autres pris individuellement, cest le fait de lexpérience ; mais juger que tel remède a soulagé tous les individus atteints de telle maladie, déterminée par un concept unique, comme les flegmatiques, les bilieux ou les fiévreux, cela appartient à lart171.

Autrement dit, lexpérience étant une connaissance, lart/technè sattachait à généraliser, à fonder de luniversel au-delà de cette connaissance de lindividuel. Il sagissait donc dune recherche de systématisation, au moyen de la mise en place de règles et de concepts. Malgré sa vocation pratique, lart chez Aristote était en réalité assez voisin de ce que la société actuelle qualifie de science – ici, il sagissait de lexemple de la médecine. Dans la terminologie de Joel Mokyr, lart relevait, selon cette définition, des savoirs Ω visant à systématiser et formaliser les régularités par des règles172. On voit ainsi combien les catégories danalyse préétablies, opposant théorie/pratique ou encore science/technique, peuvent être anachroniques.

Par-dessus cette première couche de significations anciennes sétait déposée une couche médiévale dusages des mots scientia et ars associés à différents domaines de connaissances issues principalement de la tradition universitaire médiévale. La théologie était ainsi la scientia divina, à ne pas confondre avec lars divina qui se référait à lalchimie173. La politique, léconomie et léthique étaient connues comme les scientie pratice, scientie active ou encore scientie morales174. Le mot « art » renvoyait quant à lui aux arts libéraux du trivium – grammaire, dialectique, rhétorique – et du quadrivium – arithmétique, géométrie, astronomie, musique – qui 466constituaient lessentiel de lenseignement de la faculté des arts de luniversité médiévale et renaissante. Au début de la tradition médiévale, ces sept arts libéraux étaient mis en parallèle avec les sept arts terrestres, plus tard identifiés sous le terme darts mécaniques175. Hugues de Saint-Victor identifiait ainsi ces sept arts mécaniques comme la fabrication, larmement, le commerce, lagriculture, la chasse, la médecine et le théâtre, mais cette classification pouvait varier considérablement selon les auteurs.

Dans la tradition universitaire médiévale, les mathématiques étaient évoquées sous lexpression dars mathematica ou ars arithmetica. Lenseignement des mathématiques faisait dailleurs partie des arts libéraux du quadrivium. Il existait toutefois des disciplines dépendantes des mathématiques pour lesquelles le vocable utilisé était celui de « science » : les scientiae mediae. Cette expression, qui se trouve par exemple dans les écrits de Robert Grosseteste, dans ses commentaires des Seconds Analytiques dAristote au xiiie siècle, subsiste dans les textes du xvie siècle, où elle fut parfois remplacée par scientiae mistae176. Ces sciences intermédiaires ou sciences mixtes étaient celles qui utilisaient larithmétique et la géométrie comme cétait le cas de loptique ou de lharmonique177. Enfin, au bas Moyen Âge, les savoirs relatifs à la guerre étaient souvent désignés par lexpression dart de la guerre ou art militaire. Louvrage de la tradition antique le plus couramment repris au Moyen Âge et à la Renaissance, le De Re Militari de Végèce, nutilisait pourtant pas le mot latin ars. En revanche, la traduction française réalisée par Jean de Meung en 1284, sous le titre de Lart de chevalerie selon Végèce, faisait quant à elle clairement ce lien entre art et guerre. Au xvie siècle, ce couple semblait être devenu un lieu commun, comme lindique le titre du célèbre ouvrage de Machiavel, Dellarte della guerra (« lart de la guerre ») publié en 1521178.

Lartillerie se trouvait au carrefour de ces innombrables sens et traditions dusage. Tournée vers le monde matériel, elle relevait de la technè, donc de lart selon la doctrine aristotélicienne. Les artilleurs étaient eux-mêmes parfois issus des arts mécaniques et leur activité sapparentait sur de nombreux aspects à celle de lartisan. En outre, lartillerie était 467une activité guerrière constituant une branche de lart militaire. Pour toutes ses raisons, lexpression « art de lartillerie » respectait les logiques dusage de lépoque. Toutefois, comme lensemble des auteurs de traités le reconnurent, lartillerie reposait en grande partie sur larithmétique et la géométrie. En ce sens, Niccolò Tartaglia pouvait tout à fait légitimement en faire une nouvelle science mixte. Mais alors, dans quelle mesure cette différence de mots pouvait-elle réellement véhiculer une distinction de sens concernant les divers projets de formalisation des savoirs sur lartillerie ?

Il faut avant tout remarquer le manque de rigueur dans lemploi de lun ou lautre terme. Dans son Plática Manual de artillería, Luis Collado écrivait ainsi :

Que les auteurs laissent les forgerons traiter du fer et les hommes experts traiter de lart de lartillerie, sils veulent réaliser le but pour lequel on écrit toute science ou art, qui est le bénéfice de celui qui lit179.

De même, Diego de Álava y Viamont rédigea cette phrase dans son Perfeto Capitán :

Bien que les choses concernant lusage de lartillerie, qui touchent plus à la pratique manuelle des artilleurs quà la spéculation de la science et de lart dont jai principalement traité180

Ainsi, bien quils eussent une culture et des parcours bien différents, ces deux hommes employaient parfois les termes de science et dart de manière peu différenciée voire équivalente. Cette confusion se trouvait déjà dans les écrits dAristote, qui employait parfois le terme de technè comme substitut dépistèmè. De même, Mariken Teeuwen, qui a étudié le vocabulaire intellectuel latin du Moyen Âge, explique que « les mots ars, scientia et disciplina, sont la plupart du temps virtuellement interchangeables181 ». Encore à la fin du xvie siècle, les frontières et hiérarchies entre art et science restaient extrêmement malléables. Ainsi, 468par exemple, à luniversité de Padoue, Jacopo Zabarella travaillait à construire, à partir de commentaires dAristote, la supériorité des sciences contemplatives – dont sa propre discipline, la philosophie naturelle – sur les arts productifs, alors favorisés par lintérêt humaniste pour la pratique et lutilité182.

Par conséquent, il est difficile de relier lemploi des termes art et science par les auteurs de traités dartillerie à de réelles revendications épistémologiques. Certes, ces usages tendent à refléter de grandes positions argumentaires. Tartaglia parlait de science de lartillerie afin de la rattacher à la tradition des sciences mixtes et ainsi justifier son intervention de mathématicien sur le terrain des artilleurs, tandis que Luis Collado, faisant valoir sa longue expérience militaire, employait surtout le mot art plutôt tourné vers lapplicatif et évoquant lart militaire. Mais, même lorsque lartillerie est qualifiée dart, elle reste une connaissance du systématique, de la règle générale. Il sagit toujours de déterminer lensemble des règles permettant de faire bon usage des pièces dartillerie. Cette vision de lart comme réduction à des principes généraux, apparaît dailleurs sous la plume de lhumaniste Francisco Sánchez el Brocense, dans la préface du Perfeto Capitán de Diego de Álava, lorsquil évoque « la nouvelle et admirable invention qu[Álava] a découverte pour réduire en art lusage de lartillerie183 ». Lexpression est récurrente dans les publications techniques de lépoque moderne, signe que le projet de ces auteurs sur lartillerie sinscrivit dans un mouvement bien plus large de formalisation et de systématisation des savoirs techniciens184. Par conséquent, si lon doit faire comprendre au lecteur daujourdhui ce que les hommes de la Renaissance appelaient « la science ou lart de lartillerie », il faut bien insister sur cette recherche de systématisation et parler dun nouveau champ de savoirs, voire dune nouvelle discipline scientifique.

Dailleurs, lart de lartillerie possédait bon nombre de caractéristiques sociologiques du champ scientifique contemporain tel que Pierre 469Bourdieu le décrit185. Il sy déroulait bien une lutte de concurrence pour le monopole de lautorité scientifique, impliquant la mise en place de stratégies de succession et de subversion. Le capital scientifique et le jugement par les pairs étaient contaminés par la position de lacteur dans la hiérarchie instituée, ici principalement relative au service du roi, à lexpérience militaire et aux institutions denseignement. Bien entendu, les structures institutionnelles de cette science nétaient alors pas aussi clairement définies que pour dautres disciplines telles que la médecine ou le droit, assises sur des siècles de pratiques universitaires. Il sagissait dun champ scientifique en construction, en marge des structures médiévales de luniversité. Son existence provenait de ce que les acteurs eux-mêmes (des capitaines, des artilleurs, des mathématiciens) avaient conscience de la présence dun espace de discussion au sein duquel régnait un consensus implicite sur les grandes questions au cœur du sujet et autour desquelles gravitaient une multitude de questions connexes.

Lartillerie réduite en art

Lensemble des questions abordées dans les traités dartillerie allait bien au-delà de la description des trajectoires sur laquelle sest attardée lattention des historiens des sciences. Le canon était un objet technique relativement complexe, dont lutilisation faisait intervenir un grand nombre de paramètres. La force de propulsion dune pièce dartillerie provient de la poudre noire constituée de salpêtre, de soufre et de charbon. Mélangés dans les bonnes proportions, ces trois ingrédients se consument extrêmement rapidement, acquérant un caractère explosif qui génère quasiment instantanément un grand volume de gaz de combustion. Un canon est un dispositif permettant de canaliser la pression de ces gaz de combustion afin de la transmettre à un projectile, le boulet. Le schéma ci-dessous présente la nomenclature technique et le principe de mise à feu dune pièce dartillerie. La balistique externe, cest-à-dire létude des trajectoires de boulets de canon après leur sortie de la bouche 470à feu, ne porte en fait que sur lultime étape du tir. En ce sens, Alfred Rupert Hall et David Goodman ont parfaitement raison dinsister sur linapplicabilité des théories de balistique externe sans la prise en compte des multiples paramètres de balistique interne conditionnant le tir186. Labsence de standardisation de la production des pièces dartillerie, de la poudre et des boulets rendait dailleurs particulièrement délicate cette prise en compte.

Le rôle des traités était précisément de parvenir à maîtriser, par le recours aux instruments de mesure et aux mathématiques, la diversité des paramètres en jeu dans un tir dartillerie. En réalité, le seul traité du corpus intégralement consacré à la balistique externe fut la Nova Scientia, le premier traité dartillerie imprimé. Après ce premier coup dessai, Niccolò Tartaglia développa les questions de balistique interne dans son second opus, les Quesiti et Inventioni Diverse. Il est important de préciser que la balistique externe est systématiquement abordée de manière minoritaire dans les ouvrages du corpus. Les auteurs insistent bien davantage sur la prise en compte des paramètres de balistique interne. Dabord, la composition de la poudre, sa fabrication et la qualité de ses ingrédients lui donnait, à volume égal, plus ou moins dexplosivité et donc de puissance. Il fallait ensuite adapter le volume de poudre à la pièce dartillerie. Ici, les proportions de métal du canon étaient fondamentales. Une pièce très longue et très épaisse pouvait recevoir un gros volume de poudre sans risquer dexploser mais une pièce plus courte ou plus fine devait être chargée avec grande attention : tout surplus pouvait faire voler en éclat ses parois, menaçant directement la vie de lartilleur. Au contraire, une charge trop faible faisait perdre de la force et de lefficacité au tir. En outre, le comportement de la pièce variait avec le nombre de tirs, les parois ayant tendance à chauffer et à se déformer légèrement. Il fallait également utiliser un boulet de la taille adéquate, ce qui nétait pas une mince affaire à cette époque où il existait presquautant de calibres que de pièces. Or, un boulet trop gros risquait de frotter contre la paroi interne de lâme du canon et, sil se coinçait, la pièce risquait tout simplement dexploser. Si, au contraire, il était trop petit, les gaz de combustion séchappaient massivement autour de lui et la force de propulsion diminuait drastiquement. Les 471défauts de fabrication étaient par ailleurs fréquents et il nétait pas rare quune pièce eût une âme de travers, déviant les boulets à gauche, à droite, en haut ou en bas. Même laffût, le support en bois sur lequel était posée la pièce, avait une influence sur le tir selon quil était plus ou moins capable dabsorber le recul causé par lexplosion de la poudre noire. Les traités dartillerie apportaient des solutions à chacun de ces problèmes grâce à lusage dinstruments spécifiques et au recours à la géométrie et aux proportions.

Fig. 40 – Schéma de mise à feu dun canon.

Enfin, en plus de ces questions directement pertinentes pour le tir dartillerie, les traités sintéressaient également à certains appareillages techniques considérés comme connexes à lactivité de lartilleur. On 472trouve ainsi fréquemment des développements sur la composition des artifices de feu, cest-à-dire diverses compositions chimiques dérivées de la poudre noire et visant à causer de gros dommages aux adversaires sans recourir directement aux pièces dartillerie. De même, la construction de mines remplies de tonneaux de poudre visant à faire sécrouler les fortifications de ladversaire était un élément récurrent de ces ouvrages. Les auteurs présentaient aussi des techniques et des machines nécessaires au transport de ces lourdes pièces de métal, permettant de les hisser au sommet dune montagne ou dune tour, ou encore de franchir une rivière. Enfin, certains traités développaient des aspects tactiques montrant où placer des pièces dartillerie en défense ou en attaque dune forteresse, ou bien lors dune bataille rangée. Il nest pas possible dans ce chapitre daborder en détail chacun de ces aspects. Aussi le développement suivant vise-t-il essentiellement à illustrer les débats et réflexions des auteurs de traités dartillerie, révélant leurs sources dinspiration, la circulation de leurs solutions, leurs discussions internes, cest-à-dire le contenu de ce champ de savoirs en construction quétait lartillerie.

Lartillerie, la philosophie naturelle
et les trajectoires de tir

Compte tenu du grand intérêt qua porté lhistoriographie des sciences à cet aspect particulier de lartillerie, il paraît incontournable daborder létude des trajectoires de tir, malgré son poids limité par rapport à lensemble des problématiques développé au sein de ce champ de savoirs. Les recherches sur les trajectoires de boulets de canon étaient présentes dès le premier ouvrage de Tartaglia, la Nova Scientia. Pour décrire le mouvement des projectiles, Tartaglia se servit de loutillage conceptuel à sa disposition : la philosophie naturelle héritée dAristote et digérée par les savants universitaires du bas Moyen Âge187. Il sagissait de la théorie alors dominante, enseignée dans la plupart des universités européennes188.

Le mouvement, chez Aristote, était profondément lié aux notions dordre et de cosmos. Lunivers était composé de cinq éléments ayant chacun leur place : au centre se trouvait la terre, puis autour leau, puis lair, puis le feu, puis, à partir de la Lune, la quintessence. Si un élément 473était arraché à sa position dorigine, comme par exemple, une pierre (élément terrestre) soulevée dans lair, alors, elle subissait un mouvement « violent », cest-à-dire forcé, contre-nature. En revanche, si cette pierre était lâchée dans lair, elle retombait par un mouvement « naturel » sur son « lieu propre », la terre. Cette théorie avait cependant quelques difficultés à expliquer le lancer car elle ne concevait pas le mouvement sans puissance motrice appliquée directement sur lobjet. Comment une pierre, une fois quittée la main du lanceur, pouvait-elle continuer à se mouvoir sans directement retourner à son lieu propre ? Cest par la théorie de lantipéristase quAristote résolvait ce problème. Les déplacements dair continuaient de mouvoir la pierre en ligne droite tout en offrant une résistance qui épuisait peu à peu le mouvement violent, jusquà ce que le mouvement naturel lemportât, et la pierre retombait alors en ligne droite vers le sol.

Les savants et philosophes du Moyen Âge construisirent par-dessus lédifice aristotélicien, lui apportant quelques corrections et précisions. En particulier, les nominalistes parisiens de la Sorbonne Jean Buridan (1292-1363), Albert de Saxe (1316-1390) et Nicole Oresme (1335-1382), sceptiques face aux explications de lantipéristase, proposèrent en remplacement le concept dimpetus, peut-être sous inspiration de la science arabe ou des travaux du byzantin Philopon189. Cet impetus, « qualité dont la nature est de mouvoir les corps en lesquels elle est imprimée » selon Buridan, constituait une sorte délan transmis à lobjet, qui lui permettait de continuer sa course une fois lancé mais qui sépuisait progressivement jusquà ce que le mouvement naturel prît le relais. Entre la progression en ligne droite du corps mû par limpetus et la trajectoire verticale du mouvement naturel, Buridan et Albert de Saxe commencèrent à imaginer une section intermédiaire de transition, un mouvement « mixte » produit dun impetus affaibli qui amorçait la descente de lobjet vers son lieu propre et qui rendait compte dune trajectoire tripartite dont la postérité fut importante jusquau xviie siècle.

Tartaglia édifia sa nouvelle science de lartillerie à partir de ces différentes couches dinterprétations dAristote, tâchant de transcrire en termes aristotéliciens le tir au canon. Toutefois, le paradigme aristotélicien, dans la mesure où il sintéressait avant tout aux substances et aux qualités, nétait pas parfaitement adapté aux aspirations quantitatives 474du mathématicien qui cherchait à proposer des solutions calculatoires afin doptimiser lutilisation des canons. Tartaglia voulait tenter en quelque sorte une approche analytique de létude du mouvement. Savoir par exemple que le mouvement violent était décéléré lui permettait daffirmer quun canon causerait dautant plus de dommages quil serait près de sa cible. Or, si le mouvement violent était décéléré et le mouvement naturel, accéléré, un mouvement mixte combinant les deux mouvements ne pouvait exister190. Par conséquent, la trajectoire représentée par Tartaglia, bien que géométriquement tripartite (composée dune droite oblique, dun arc de cercle et dune droite verticale) nétait composée dans sa substance que de seulement deux mouvements. Un universitaire comme Girolamo Cardano sinsurgeait contre une position si hétérodoxe191. En sopposant à lexistence du mouvement mixte, la réflexion de Tartaglia allait par conséquent à lencontre de la doctrine enseignée à luniversité. Loriginalité de Tartaglia fut donc de ne pas rester prisonnier dun dogme mais demprunter et dinterpréter librement la philosophie naturelle dAristote.

Fig. 41 – Trajectoire dun tir dartillerie selon Tartaglia, Nova Scientia,
Venise, 1537. Le mouvement violent est représenté de A à D et le mouvement naturel de D à F. Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

475

Fig. 42 – Trajectoire tripartite dun tir dartillerie selon Collado,
Plática manual de artillería, Milan, 1592. Document appartenant
aux collections de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Les représentations de trajectoires tripartites figurent dans bon nombre de traités dartillerie. On les retrouve notamment dans les ouvrages très diffusés de Luis Collado, Diego de Álava et Diego Ufano192. Généralement associées au nom de Tartaglia, elles traduisent en réalité, ou bien une incompréhension de son argumentaire, ou bien une volonté de le réadapter aux formes plus communément enseignées à luniversité. En fait, seul le manuscrit de Diego de Prado respectait, sur ce point, la proposition faite dans la Nova Scientia193. Il faut toutefois remarquer que le retour de la notion de mouvement mixte, confuse à propos de la variation de vitesse, diminuait les possibilités de tirer des conclusions intéressantes à partir de létude analytique dune trajectoire. En dautres termes, le fait que Collado et Ufano revinrent à la notion de mouvement mixte laisse supposer que ces aspects de la science de lartillerie consistaient moins à tirer des conclusions applicables sur le terrain quà sapproprier intellectuellement leur objet en le faisant pénétrer dans le cadre de la philosophie naturelle aristotélicienne.

Le traitement analytique des trajectoires par Tartaglia consistait avant tout en une étude des proportions des parties droites et courbe du 476mouvement dun boulet, ainsi que de leur évolution selon les différents angles dinclinaison du canon, communément appelés angles de hausse. Ainsi par exemple, Tartaglia affirmait, démonstrations géométriques à lappui, que la partie droite du mouvement violent dun tir à 45° équivalait à environ quatre fois la partie droite dun tir effectué le long de lhorizon194. Une telle proposition visait un but tout à fait pratique, comme Tartaglia le montra dans les Quesiti et Inventioni Diverse195. Il y développa une brève étude de cas dans laquelle ses calculs visaient à prendre la meilleure décision quant au placement dune batterie de canons pour battre un fort en hauteur. Ce problème de mathématiques appliquées à lartillerie connut une grande postérité : on le retrouve dans le manuscrit dHernando del Castillo avec des valeurs et un schéma légèrement modifiés196, ou encore sans schémas chez García de Palacio197 et Diego Ufano198, tandis que Gabriel Busca et Cristóbal Lechuga affirmèrent limpossibilité de choisir une position à partir de ce genre de calculs199.

Fig. 43 – Problème du tir dartillerie sur un mont selon Tartaglia, Quesiti
et inventioni diverse
, Venise, 1546. Document appartenant aux collections
de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

477

Fig. 44 – Même problème de tir dartillerie sur un mont revu par Castillo,
« Libro muy curioso », Lombardie, c. 1560. Image et document appartenant
aux collections de la Bibliothèque Nationale dEspagne.

Rares furent néanmoins les auteurs à vouloir approfondir cet aspect de la science de lartillerie. Le manuscrit de Diego de Prado fait en ce sens figure dexception puisque lauteur y développa une méthode relativement complexe de construction géométrique des trajectoires permettant dobtenir les proportions droite et circulaire des tirs sans recours au calcul numérique mais simplement à léchelle du dessin. Il sagissait dune solution générique à la question du placement des canons et de la portée des tirs permettant, comme le remarquait lauteur, de résoudre ce problème récurrent du tir sur une cible en hauteur200. Par ailleurs, ce procédé de construction nest pas sans rappeler les schémas du manuscrit de litalien Giusto Aquilone201. Or, ce dernier fréquenta vraisemblablement les artilleurs de lîle dIbiza dans les années 1560202. Il faut par conséquent considérer ou 478bien lhypothèse dun contact direct entre Aquilone et Prado à cette époque, ou celle dune circulation de ce modèle géométrique à travers un ou plusieurs intermédiaires dont la trace a été perdue. Quoiquil en soit, de telles similitudes entre manuscrits mettent en évidence les échanges intellectuels entre artilleurs italiens et espagnols en marge de la circulation des livres imprimés.

Fig. 45 – Variation géométrique des trajectoires de tir dartillerie selon Prado,
« La obra manual », Malaga, 1591. Image et document appartenant aux collections de la Bibliothèque Nationale dEspagne.

La proposition détude analytique des trajectoires de boulets de canon alimenta par ailleurs un certain nombre de réflexions sur lallure générale des trajectoires au-delà de toute application pratique. Tartaglia lui-même avait lancé le débat puisque, dès la Nova Scientia de 1537, il précisait que ses constructions géométriques nétaient que des approximations, les tirs étant en réalité toujours légèrement curvilignes :

Aucun trajet ou mouvement violent dun corps grave effectué en dehors de la perpendiculaire à lhorizon ne peut jamais avoir une seule partie parfaitement 479droite à cause de la gravité qui se retrouve dans un tel corps : laquelle, de manière continue le stimule et le tire vers le centre du monde203.

Neuf ans plus tard, il en faisait la démonstration par récurrence dans les Quesiti204. Une telle conception dun mouvement combinant un déplacement horizontal violent et un déplacement vertical de chute libre était tout à fait innovante par rapport à la doctrine aristotélicienne classique qui ne voyait que des enchaînements successifs de différents types de mouvements et non des compositions. Néanmoins, pour ses calculs, Tartaglia avait besoin de raisonner à partir de droites et de cercles, non de paraboles, et cest la raison pour laquelle il proposa une approximation des trajectoires aux figures géométriques les plus basiques.

Ces réflexions sur lallure dun tir dartillerie inspirèrent par la suite certains auteurs de traités. Ainsi, Diego de Álava y Viamont accepta la conclusion de Tartaglia sur le fait quaucune partie droite du mouvement violent nétait véritablement droite, et sattacha en outre à démontrer quil ny avait pas non plus darc de cercle, mais plutôt une succession dune infinité darcs de cercle dont le diamètre allait décroissant205. Pour le démontrer, il affirmait lexistence dune composition entre un mouvement violent décéléré le long de lhorizontal et un mouvement naturel accéléré vers le bas, selon une logique semblable à celle de Tartaglia. Le cosmographe Andrés García de Céspedés opérait quant à lui un mélange entre ces différentes théories, représentant des trajectoires composées dune partie droite et dune partie parabolique dont il avait puisé linspiration dans lobservation de la courbure des jets deau des fontaines206. En dautres termes, le travail de réflexion de certains auteurs sur les trajectoires de tirs, parce quil sancrait dans des aspects très pratiques, les conduisit à sortir des grandes lignes de la doctrine aristotélicienne, préfigurant, en ce sens, les bouleversements paradigmatiques du xviie siècle. Ces réflexions étaient toutefois le fait des individus les plus instruits du corpus : Álava et García de Céspedes avaient tous 480deux fréquenté luniversité de Salamanque, lun des principaux centres détudes en philosophie naturelle de la péninsule ibérique, marquée notamment par la figure de Domingo de Soto et par ses travaux sur la chute des corps207.

Certains capitaines dartillerie pouvaient également tenir des positions philosophiques audacieuses dans leurs traités. En particulier, en 1584, lingénieur lombard Gabriel Busca prétendait quun tir dartillerie effectué depuis une colline terminait sa course par une parabole ou une hyperbole, malheureusement sans plus développer son argument208. Il affirmait également que la vitesse de chute des corps ne dépendait pas de leur masse :

Si lon laisse tomber dune même hauteur deux boulets de fer, lun dune livre et lautre de cinquante livres, tous deux vont à terre avec une même vitesse et au même moment, comme lexpérience le démontre clairement209.

Repris et traduits en castillan par le capitaine Lechuga dans son traité de 1611, ces passages connurent par conséquent une certaine diffusion parmi les hommes férus dartillerie. Or, une telle déclaration allait à lencontre de lenseignement dAristote, qui prétendait que les corps les plus lourds tombaient plus vite que les plus légers. Il est tout à fait probable que linspiration de Busca lui vînt des textes de Giovan Battista Benedetti, disciple de Tartaglia, qui fut mathématicien à la cour du duc de Savoie à lépoque où Busca y servait en tant que lieutenant dartillerie. Dans des ouvrages publiés en 1553 et 1585, Benedetti affirmait cette égalité de vitesse de la chute de corps de même matière, indépendamment de leurs poids210. Ces travaux inspirèrent dailleurs Galilée qui, dans les Discorzi e Dimonstrazioni Matematiche intorno a due scienze de 1638, généralisa cette loi à lensemble des corps graves, quelque soit leur matière211. Dailleurs, le dialogue mis en scène par Galilée à 481ce sujet portait sur des expériences de chute de boulets de canon et de balles de mousquet. Ce dernier exemple témoigne des intersections directes qui purent exister entre lémergence dune science de lartillerie proposant une étude à vocation applicative du mouvement des boulets de canon et le changement paradigmatique amorcé par les publications de Galilée au xviie siècle.

Toutefois, précisément dans ces passages de description des trajectoires de tir, la vocation applicative était bien souvent douteuse. Malgré les efforts de Tartaglia et quelques autres, la caractérisation des trajectoires de tir sous forme de trajectoire tripartite, de parabole ou dhyperbole ne permettait pas à la plupart des auteurs de tirer des conclusions applicables à la balistique externe. Ces passages, généralement brefs, visaient sans doute avant tout à appréhender et sapproprier le phénomène de transit aérien du boulet à laide de termes savants et philosophiques. Les conclusions réellement applicables à la balistique externe étaient en revanche à chercher du côté de la méthode du « tir par la raison ».

Le tir par la raison

Le tir par la raison est une technique décrite par les traités dartillerie sous différentes formes. Le docteur Julián Ferrofino la formulait de cette manière dans son manuscrit :

Que lartilleur [] sache également la puissance, cest-à-dire la distance que la pièce peut tirer sur le plan de lhorizon ainsi quà chaque point ou degré délévation, et la distance quil y a entre la pièce et le lieu quil souhaite atteindre212.

Il sagissait dune technique particulièrement utile pour toucher des cibles lointaines, puisquelle proposait dutiliser les pièces dartillerie autrement quen pointant directement sur la cible, de punto en blanco, « de but en blanc ». Lexpression de « tir par la raison » se rencontre sous la plume de Tartaglia213. Même si la plupart des auteurs lévoquaient 482plutôt sous les termes de tiro de volada (« tir à la volée ») ou tiro señalado (« tir ciblé »), lexpression de Tartaglia reflète bien mieux lambition de la technique. Elle trouvait son origine dans le constat que la portée dune pièce dartillerie augmente à mesure que lon pointe sa bouche vers le haut. Pour maîtriser un tir lointain, il fallait donc contrôler deux paramètres essentiels : langle de hausse de la pièce et la distance à la cible. Il était également nécessaire davoir une connaissance du rapport entre langle et la distance, afin de pointer la pièce à langle adéquat pour atteindre la cible.

Fig. 46 – Équerre de Tartaglia permettant de mesurer langle
de hausse dune pièce dartillerie, publiée dans la Nova Scientia, Venise, 1537. Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Linstrument fondamental pour mesurer langle de hausse dune pièce dartillerie était une équerre munie dun cadran gradué et dun fil à plomb. La branche la plus longue de léquerre se plaquait à la paroi interne de lâme du canon et le fil à plomb indiquait sur le cadran gradué langle que faisait la pièce avec lhorizon. Dautres 483techniques de mesure avaient dû être en usage avant que Tartaglia ne décrivît cet instrument en 1537. Un document technique rédigé en castillan dans les années 1530 évoque ainsi des mesures délévation en « doigts » – dedos de caza. Des quadrants de bombardiers étaient par ailleurs décrits dans les Ludi rerum mathematicarum de Leon Battista Alberti au milieu du xve siècle, leur emploi remontant probablement à lépoque des guerres hussites, vers 1420-1430214. Néanmoins, le succès des ouvrages de Tartaglia contribua à diffuser son usage, léquerre dartilleur devenant, dans la plupart des traités, une invention du mathématicien brescian. Le fait que Luis Collado cherchât à déconstruire ce mythe de linvention de léquerre dans sa stratégie de subversion de lautorité de Tartaglia met clairement en évidence cette réalité215. Dans ces multiples reprises, le cadran de léquerre était parfois modifié : divisé en douze graduations chez Tartaglia, vingt chez Diego de Álava216, quatre-vingt-dix degrés chez Diego de Prado217, le cadran dépassait parfois langle droit afin de mesurer les angles des pièces pointées vers le bas218 mais le principe de fonctionnement était absolument identique.

Les traités développaient aussi parfois des solutions mathématiques pour mesurer les distances. La plupart nétaient pas innovantes mais provenaient de la géométrie appliquée et de lagrimensura. Ainsi, au troisième livre de la Nova Scientia, Tartaglia citait quelques auteurs dont les ouvrages lavaient inspiré, tels que Johannes Stöffler et Oronce Fine219. À laide dinstruments comme lastrolabe et le carré géométrique, il était possible de mesurer la hauteur dun mur, sa largeur et, surtout, la distance à laquelle il se trouvait du canon, sans trop sen approcher afin de rester à labri des tirs ennemis. Ces techniques furent reprises et développées dans plusieurs autres ouvrages, comme ceux de Diego García de Palacio220, Diego de Álava y Viamont221 ou encore Andrés 484García de Céspedes222. Lechuga et Ufano, auteurs plus tardifs, ne traitèrent pas de lart de mesurer les distances, même sils le considéraient manifestement comme nécessaire à lartilleur223. Sans doute jugeaient-ils que le sujet avait déjà été suffisamment exploré par les nombreux auteurs de géométrie et de mathématiques appliquées. Il faut par ailleurs remarquer que ces méthodes de mesure des distances étaient aussi utiles à dautres opérations décrites dans les traités dartillerie, telles que le passage de lartillerie par les rivières ou la réalisation de mines pour saper les murailles224.

Fig. 47 – Usage de carrés géométriques pour mesurer une distance
selon García de Palacio, Dialogos militares, Mexico, 1583. Ce schéma est
une reprise quasiment à lidentique dun schéma de Tartaglia présent
dans les éditions de 1550 et 1558 de la Nova Scientia. Image et document appartenant aux collections de la Bibliothèque Nationale dEspagne.

485

Fig. 48 – Technique géométrique pour mesurer une distance
selon Álava y Viamont, El perfeto capitán, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

La possibilité de mesurer les distances et les angles de hausse de pièces dartillerie ne suffisait néanmoins pas à réaliser un tir juste. Encore fallait-il savoir à quel angle régler la pièce pour atteindre la distance requise. Cette relation entre langle de hausse et la portée, Niccolò Tartaglia senorgueillissait dans sa dédicace au duc dUrbino den avoir acquis la connaissance systématique :

Et encore, Illustrissime Seigneur, par le calcul jai trouvé la proportion selon laquelle les tirs de chaque pièce dartillerie croissent ou décroissent selon quon élève ou abaisse la pièce sur le plan de lhorizon. Et de la même manière, Libéral Seigneur, jai trouvé la manière de connaître la variété des tirs de toute pièce, grande comme petite, par la connaissance dun seul tir (à condition que la charge de poudre demeure égale). De plus, Seigneur Très Prudent, jai fait des recherches sur la proportion et lordre des tirs de mortier et, semblablement, jai trouvé le moyen de connaître la variation des dits tirs à partir dun seul225.

486

Tartaglia prétendait donc avoir découvert une loi permettant, à partir dun tir, de connaître la portée dune pièce à tous les angles de hausse. Malheureusement, les logiques de patronage ont préservé cette loi secrète puisque Tartaglia décida de la réserver pour le creux de loreille de son potentiel patron. Lunique point quil publia à ce sujet fut la démonstration que langle de portée maximale était de 45°, célèbre argument qui fut une fois de plus repris par la plupart des auteurs à sa suite.

Le défi de trouver une telle loi générale des portées fut néanmoins relevé par une multitude dindividus à travers lEurope, au nombre desquels figurèrent Thomas Harriot et Galilée226. Parmi les auteurs castillans, Diego de Álava fut sans doute celui qui montra le plus dengouement pour cette question. Sa stratégie de subversion de lautorité de Tartaglia passa dailleurs en grande partie par la résolution de ce problème. Il prétendait en effet connaître la loi secrète du mathématicien brescian, affirmant quil sagissait dune variation linéaire, cest-à-dire que la portée variait autant entre les premier et deuxième points de léquerre quentre les cinquième et sixième227. Il est fort peu probable quil sagît bel et bien de la loi secrète de Tartaglia car ce dernier était conscient, comme il laffirma dans ses Quesiti, que la portée ne variait presque pas entre le cinquième et le sixième point228. La présentation de cette pseudo-loi de Tartaglia par Álava relevait sans doute plutôt de lartifice rhétorique, permettant de mieux mettre en évidence le raffinement de sa propre loi, exposée en apothéose dans la dernière partie de louvrage avec un intitulé sans ambigüité : « Sixième livre où lon réprouve la doctrine de Tartaglia et où lon enseigne la véritable doctrine avec les démonstrations sur lesquelles elle se fonde229 ». Plutôt quune relation de proportionnalité linéaire entre angle et tir, Álava proposait une proportionnalité entre le sinus de langle et la portée. De la sorte, sa loi rendait compte du fait que la portée augmentait bien plus dans les premiers angles délévation que dans ceux proches de 45°.

La capitaine dartillerie dAnvers Diego Ufano proposa lui aussi une loi des portées. Elle prenait la forme dune suite arithmétique par laquelle il était possible de calculer degré après degré la portée dune pièce dartillerie à partir de la connaissance de la portée le long de 487lhorizon230. Comme dans le cas dÁlava, lauteur tâchait ici de refléter cette tendance des tirs à augmenter bien plus pour les faibles élévations que pour les angles proches de la portée maximale (à 45°). Ufano ne prenait même pas la peine de démontrer ni de justifier sa loi, quil fournissait comme une sorte de recette. La nature de la « réduction en art » de lartillerie apparaît ici très empirique. Il sagissait de systématiser à partir dobservations singulières. Álava et Ufano ne déduisaient pas leurs lois à partir dune théorie mathématisée du mouvement mais tâchaient plutôt de fournir une modélisation mathématique de lévolution des portées en fonction des angles de hausse, obtenue à partir des données empiriques de tests de tir, alors en circulation dans les milieux artilleurs.

En effet, plutôt que de déterminer une loi générale, de nombreux auteurs de traités dartillerie recouraient à des tables de portées indiquant, pour chaque type de pièces, la portée aux différents points de léquerre. Niant toute possibilité de recourir à une règle générale des portées, Luis Collado fournit ainsi dans son traité les résultats dexpériences de tirs quil avait lui-même effectués avec un fauconneau tirant trois livres de balle231. De telles données, dont lorigine expérimentale nétait que rarement précisée, se rencontraient dans presque tous les traités, preuve que leur usage était courant. Dailleurs, Diego de Álava présentait lui aussi de telles tables de portées, la différence étant que la plupart de ses valeurs étaient obtenues par le calcul et non par lexpérience.

Il faut par ailleurs remarquer limportante circulation de telles données sur les portées des pièces dartillerie. Les tables de portées nétaient en effet pas systématiquement issues dexpériences menées par lauteur lui-même. Dans son manuscrit de 1591, le lieutenant dartillerie Diego de Prado inséra ainsi une table des portées quil disait avoir recopiée dexpériences de tir réalisées par le duc de Clèves à une époque antérieure232. Le contexte précis de cette expérience demeure obscur mais la table connut quant à elle une grande diffusion. On retrouve en effet exactement les mêmes données dans le court traité manuscrit du docteur Julián Ferrofino datant de 1599233. Léchange de cette table eut probablement lieu à la fonderie de Malaga en 1590, lorsque Prado et 488Ferrofino sy retrouvèrent tous deux durant quelques mois aux côtés du capitaine général de lartillerie Juan de Acuña Vela234. Par ailleurs, ces mêmes données figuraient dans louvrage dAndrés Muñoz el Bueno, imprimé en 1627235. Or, Muñoz el Bueno fut lélève de Julián Ferrofino à lécole dartilleurs de Séville entre 1591 et 1593236. Il est par conséquent presque certain que la table lui fut transmise à cette occasion avant dêtre publiée dans un imprimé plusieurs décennies plus tard.

Il est également intéressant de noter le manque de recherche de précision dans ces données. Même si sa table fournissait des chiffres précis au pas près, Diego de Prado spécifiait que les expériences de tir quil indiquait avaient été réalisées avec une formule de poudre ancienne, moins forte que la poudre en usage à son époque237. Les données quil présentait devaient donc être augmentées dans une proportion que lauteur ne se risquait pas à donner. Par conséquent, ces tables de portées étaient sans doute proposées à titre indicatif afin que le lecteur pût disposer des ordres de grandeur des portées de chaque pièce. La méthode et le format lui étaient montrés, libre à lui de constituer ses propres tables. Les données chiffrées se mélangeaient dailleurs parfois avec des aspects spéculatifs brouillant les interprétations quant à la nature de ce type de savoirs. Ainsi, une fameuse gravure du traité de Diego de Ufano représentait de multiples trajectoires à différents angles de hausse, visant à affirmer la symétrie des portées en-dessous et au-dessus de 45°. Laffirmation était en elle-même pure spéculation théorique puisquil existait un consensus général parmi les auteurs sur le fait que les canons et couleuvrines ne pouvaient tirer au dessus de 45° et que la plage entre 45° et 90° était réservée aux mortiers. Quand bien même Ufano fût-il parvenu, par quelque technique, à faire tirer une pièce à toutes les élévations depuis 0° jusquà 90°, il y aurait eu peu de chances quil vît sa proposition de symétrie des tirs se réaliser dans les faits, à cause de facteurs tels que la résistance de lair ou le vent. Pourtant, il fit figurer sur la gravure des portées précises au pas près, conférant à sa proposition une sorte de légitimité empirique.

489

Fig. 49 – Symétrie des portées en-dessous et au-dessus de 45° selon Ufano,
Tratado de artillería, Bruxelles, 1612. Document appartenant aux collections
de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Ce dernier exemple reflète la nature hybride et ambivalente de la balistique externe à la Renaissance. Oscillant entre son but applicatif et son désir de systématisation, elle empruntait librement à diverses traditions savantes, recourait aux données empiriques de première ou de seconde main et, sans réellement construire un nouveau cadre théorique détude du mouvement, elle mettait en évidence le gain potentiel de lapplication de la mesure, de la géométrie et des proportions à certains objets particuliers de la philosophie naturelle. La méthode du tir par la raison était caractéristique de ce champ de savoirs en construction. Il sagissait, à propos dun problème particulier relatif à lartillerie, de fournir des instruments, des techniques et, si possible, des règles afin de maîtriser laléa et le chaos dune activité dangereuse et complexe, dont la balistique externe nétait quune petite partie. En réalité, cette démarche de résolution de problèmes par le recours aux instruments, à la mesure et aux calculs était appliquée à 490pratiquement tous les éléments impliqués dans lusage de lartillerie et de la poudre noire.

Anatomie des pièces dartillerie
et puissance de la poudre

La balistique interne, parce quelle mettait en jeu un nombre conséquent déléments dont la production nétait pas standardisée, se prêtait tout à fait à ce type de démarches de résolution de problèmes. Il est possible de distinguer deux grands ensembles déléments de balistique interne discutés dans les traités : dune part, tout ce qui avait trait à la forme et aux proportions des pièces et, dautre part, tout ce qui touchait à la composition et au volume de poudre noire.

La plupart des auteurs de traités consacrèrent une part conséquente de leur ouvrage à la classification des pièces dartillerie. Lanalyse du parc dartillerie de la Monarchie hispanique, au début de ce livre, a bien mis en évidence lhétérogénéité du matériel de guerre utilisé par les artilleurs. Même la nomenclature pouvait varier selon les individus. Ainsi, une pièce allongée tirant des boulets de 10 livres pouvait très bien être identifiée comme un sacre ou comme une demi-couleuvrine238. Les chapitres des traités dartillerie consacrés aux différents types de pièces constituaient donc dabord des sortes de guide permettant didentifier le matériel. Les pièces étaient classifiées par grandes familles, selon quelles étaient allongées (couleuvrines), plus compactes (canons) ou très ramassées (pierriers et mortiers)239. Il faut noter que ce vocabulaire technique commun se diffusa lors des guerres dItalie (1494-1559)240. Cest précisément ce vocabulaire qui était employé dans les inventaires dartillerie de la seconde moitié du xvie siècle. Les chapitres des traités concernant la classification des pièces proposaient donc bien, en ce sens, une « réduction en art » à partir de ce qui était couramment pratiqué au sein du métier241.

Certains traités présentaient également des techniques afin de mesurer les proportions dune pièce dartillerie. À laide dun grand 491compas et dune feuille de papier, il sagissait, selon lexpression de Luis Collado, de saisir « lanatomie » des pièces dartillerie242. Les mesures étaient toujours exprimées en proportion du diamètre de la bouche à feu afin de contourner le problème de la grande diversité des unités de mesure :

Certains mesurent en pieds, dautres en empans, en cannes, en aunes, en bras ou encore en onces, sans se rendre compte que tous ces types de mesures sont très différents dans chaque royaume du monde. Il convient de savoir que le pied romain est distinct de celui de Venise, lui-même étant différent de celui de Naples et de Sicile tandis que le bras de Milan nest semblable à aucun de ceux-ci excepté celui de Rome, et que tous les pieds sont différents en Allemagne, en France et aussi en Espagne243.

Au-delà de la longueur et du calibre qui déterminaient le nom et lusage dune pièce, les traités abordaient souvent lanatomie du canon dans ses moindres détails : le positionnement des anses et des tourillons ou encore lépaisseur de métal en divers endroits de la culasse et de lâme étaient discutés. Ce dernier paramètre était particulièrement important dans lusage de lartillerie puisquune paroi un peu trop fine risquait dexploser si elle était exposée à une charge de poudre excessive. En outre, certaines pièces possédaient des défauts de fabrication au niveau du parallélisme entre lâme et les parois externes, ce qui posait à la fois des problèmes de visée et de risque dexplosion en raison dune épaisseur irrégulière de métal. Les prises de mesure devaient donc tenir compte de telles imperfections, certains auteurs, comme Tartaglia, proposant même un instrument pour quantifier les défauts de parallélisme244.

492

Fig. 50 – Canon en vue de face, par Collado, Plática manual de artillería,
Milan, 1592. Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Fig. 51 – Canon en coupe avec proportions exprimées en fonction du calibre,
par Lechuga, Discurso…, Milan, 1611. Document appartenant aux collections
de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

493

Fig. 52 – Technique pour mesurer le parallélisme de lâme
dun canon selon Tartaglia, Quesiti et inventioni diverse, Venise, 1546.
Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Non seulement tous les traités insistaient-ils sur cette analyse détaillée des pièces dartillerie mais ils allaient aussi, pour la plupart, au-delà de ces informations morphologiques. Cétait bien souvent à loccasion de ces développements sur les grandes familles de pièces quétaient intégrées les listes et tables de portées évoquées précédemment. Les schémas de lanatomie des pièces étaient parfois accompagnés de plans de leurs affûts comprenant des détails sur le dimensionnement des roues et des pièces de bois nécessaires au transport de ces armes lourdes. Dautres données étaient fournies au lecteur, telles que le poids des pièces, le nombre de chevaux ou de bœufs nécessaires pour les tracter, le nombre maximal de tirs par jour, ou bien encore le dosage de poudre le plus adéquat. Il faut également mentionner la présence de quelques lois mathématiques, comme la règle de calcul de Luis Collado permettant destimer le poids dune pièce à partir de la connaissance de son calibre245.

En outre, des auteurs ayant une longue expérience de terrain tels que Collado, Ufano et Lechuga, nhésitaient pas à consacrer des développements entiers à la fabrication des pièces dartillerie246. Ces vétérans qui avaient circulé dans plusieurs États de la Monarchie hispanique avaient manifestement acquis de solides connaissances en métallurgie. Fort de leur statut dexperts reconnus, ils endossaient même le rôle de conseiller du roi, prêchant pour une harmonisation des normes de fabrication de lartillerie :

494

Si les Princes qui commandent la fabrication de lartillerie se rendaient compte du préjudice [] qui en résulte, ils accorderaient plus dattention à ce qui se fait dans leurs fonderies et interdiraient la réalisation dune si grande diversité de pièces, avec tant de bouches différentes, comme cela est aujourdhui le cas247.

Dans son traité, le capitaine Lechuga tenait exactement le même discours, invitant même le roi à réduire son parc dartillerie à six calibres248. Comme ces deux auteurs le mettaient en évidence, la grande diversité de pièces alors en usage au sein de lappareil militaire de la Monarchie hispanique généraient de multiples difficultés quant à la gestion des stocks de matériel, en particulier de boulets. De plus, lhétérogénéité des formes et des proportions rendait lusage de lartillerie complexe et sujet à des erreurs de manipulation, ce qui justifiait dailleurs quune si grande part du volume des traités dartillerie fût dédiée à lanalyse qualitative et quantitative du matériel.

Bien que visionnaire, ce projet dune standardisation des pièces dartillerie se confrontait à de nombreux problèmes. Dabord, il faut rappeler que la Monarchie hispanique réunissait une pluralité dÉtats ayant diverses unités de mesure et habitudes de fabrication ce qui promettait de compliquer tout projet dharmonisation des calibres. De plus, pour disposer dun parc dartillerie entièrement harmonisé, il aurait fallu refondre toute lartillerie alors en usage dans lempire, soit des milliers de pièces. Maintenir le parc ainsi harmonisé soulevait encore dautres problèmes. Lobsolescence des caractéristiques dun modèle générait un surcoût important puisquil fallait soudain remplacer toutes les pièces du modèle, tandis que dans le système non-standardisé de la Monarchie hispanique, le coût de fabrication de lartillerie samortissait sur une plus longue période de temps, les vieilles pièces, parfois âgées dun demi-siècle, côtoyant les plus récentes249. En outre, les pièces circulaient sur de grandes distances : 495il est pertinent ici de rappeler lexemple de la forteresse de Ponta Delgada aux Açores, qui réunissait en 1583 des pièces en provenance de Lisbonne, dAllemagne, de Flandre, du Mexique et de Malaga250. On ne peut que douter de lefficacité, dans la durée, de la réforme dharmonisation des calibres tentée au début du xviie siècle aux Pays-Bas par le comte de Bucquoy251. Les grandes productions par lot de la fonderie de Malaga tendaient à être dispersées et mélangées à des lots postérieurs, fabriqués selon des normes soit plus récentes, soit différentes parce quémanant dun autre centre de production252. Lharmonisation des calibres aurait nécessité dêtre menée à bien à léchelle de lempire, dans un délai relativement réduit et avec un gel total des importations dartillerie étrangère. Un tel projet dépassait certainement les capacités techniques et financières de la Monarchie hispanique à cette époque. Des travaux récents sur le système de Gribeauval montrent combien standardiser lartillerie dun État représenta un formidable défi dans un contexte technique et industriel pourtant plus avancé (la fin du xviiie siècle) et à une échelle bien plus modeste (la France)253.

Bien quelle mobilisât souvent un volume moindre de pages, la poudre noire fut un autre élément important sur lequel dissertèrent les divers auteurs de traités dartillerie. Ainsi, dans les Quesiti, Tartaglia fournit un grand nombre de recettes de poudre quil avait, disait-il, trouvées dans de vieux livres254. Manifestement, de vieilles recettes de fabrication de poudre noire devaient être en circulation sous forme manuscrite. Dans cette même perspective, le livre de cannonerie publié à Paris, en 1561, intégrait un « petit traicté contenant plusieurs artifices de feu [] recueilly dun vieil livre escrit à la main et nouvellement mis en lumière255 », dont les formules reprenaient celles dune traduction française du Feuerwerkbuch, texte allemand de la première moitié 496du xve siècle256. Cependant, à la fin du xvie siècle, la plupart des auteurs ayant une expérience militaire névoquaient que très peu de formules en usage. Les plus courantes sont identifiées par les expressions « quatre, as et as », « cinq, as et as » et « six, as et as257 ». La première, qui contient la plus faible proportion de salpêtre est parfois jugée ancienne, tandis que la dernière est régulièrement identifiée comme de la poudre darquebuse258. Ainsi, il semble à première vue que les artilleurs du xvie siècle étaient loin dutiliser la pléthore de recettes présentée par Tartaglia.

Néanmoins, comme dans le cas des pièces dartillerie, les vétérans appelaient à une standardisation des poudres, ce qui plaide tout de même en faveur de lusage courant dune certaine diversité de recettes259. Le capitaine Cristóbal Lechuga évoque ainsi une assemblée réunie pour discuter de ce sujet dans les Pays-Bas espagnols :

Lors dune assemblée qui se fit dans la ville de Bruxelles le 9 mai 1568, le général de lartillerie réunit les hommes les plus expérimentés en artillerie et poudres dans le but de traiter des proportions quil fallait lui donner. Après de nombreux essais, il fut conclu que la poudre qui serait préparée dans le futur aurait les proportions suivantes : 75 livres de salpêtre bien raffiné, 15 livres et 10 onces de charbon et 9 livres et 6 onces de soufre260.

Le fait que Lechuga fît encore ses propres recommandations de recettes en 1611 indique que cette standardisation décidée à Bruxelles 40 ans plus tôt ne devint pas une norme. Mais cette anecdote révèle la recherche de la part du commandement militaire de la Monarchie hispanique dune 497formule de poudre optimale. Il est important de préciser que cette recette contenait le même dosage de 75 % de salpêtre que la poudre darquebuse « six, as et as » que Lechuga recommandait de généraliser à toutes les pièces. Ces dosages étaient par ailleurs extrêmement proches des compositions de poudre de guerre des grands États du milieu du xixe siècle261. En ce sens, la détermination dune formule de poudre optimale fut, semble-t-il, relativement plus aisée que la mise en application dune norme de fabrication.

Lenjeu de la standardisation des poudres croise aussi le problème du chargement : avec quelle quantité de poudre fallait-il charger chaque type de pièces dartillerie ? Ce dosage de poudre dépendait bien entendu de lexplosivité de cette dernière et par conséquent de sa composition, doù limportance de son harmonisation. Dans les Quesiti, Tartaglia mentionnait ces problèmes de chargement de la pièce. Il sagissait de mettre suffisamment de poudre pour que sa combustion dure jusquà ce que le boulet sorte de lâme du canon, sans toutefois avoir à en gâcher262. Les proportions données par Tartaglia – à savoir quatre cinquième du poids du boulet pour une couleuvrine et deux tiers du poids pour un canon – furent plus ou moins suivies par les auteurs postérieurs. Cependant, le principal ajout des auteurs de la seconde moitié du xvie siècle concerna les instruments de chargement. Plutôt que davoir à peser la poudre au milieu des combats, les traités proposaient de dimensionner des cuillères afin de charger directement le volume de poudre adéquat. Lidée était de doffrir à lartilleur le dessin dun patron de la cuillère, dont les dimensions étaient exprimées en fonction du calibre, comme pour la morphologie des pièces dartillerie vue précédemment. Différents schémas étaient présentés en fonction des types de pièces. Il ne restait ensuite plus quà découper dans une taule cette forme proportionnée à la pièce et à la clouer autour dun long bâton de bois faisant office de manche. Il en existait de différentes sortes, permettant à leur utilisateur de charger en une, deux ou trois fois son canon.

498

Fig. 53 – Technique géométrique de fabrication dune cuillère
permettant de charger le volume de poudre adéquat dune couleuvrine,
exprimé en fonction du calibre, selon Collado, Plática manual de artillería,
Milan, 1592. Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Fig. 54 – Différentes cuillères de chargement de poudre par Lechuga,
Discurso…, Milan, 1611. Document appartenant aux collections
de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

499

Diamètres et poids des boulets de canon

Les paragraphes suivants proposent dexplorer la thématique des diamètres et poids des boulets de canon afin de mieux saisir la nature et la genèse de ces savoirs de balistique interne. La diversité de proportions des pièces dartillerie engendrait une prolifération de tailles de boulets de canon. Choisir un boulet parfaitement adapté à la pièce pouvait par conséquent savérer délicat. Il était nécessaire dutiliser un boulet dont le diamètre fût légèrement plus petit que celui de la bouche à feu, laissant un espace vide, appelé le « vent », permettant déviter les frottements et le blocage du boulet dans sa course le long de lâme. En revanche, un vent excessif laissait séchapper une grande quantité de gaz de combustion, ce qui avait pour résultat de faire perdre de la puissance au tir. Trouver un boulet du diamètre approprié à la pièce était donc une action essentielle du métier dartilleur. Néanmoins, les calibres et tailles des boulets étaient toujours exprimés en unités de masse, cest-à-dire presque toujours en livres, sans doute jugée plus fiables et relativement plus homogènes que la plupart des autres unités de mesure de lépoque263. Les sources de lépoque évoquent ainsi toujours un boulet « de 12 livres », un canon « tirant 40 livres de balle » etc. Il était donc constamment nécessaire de faire des allers-retours entre le poids et le diamètre des boulets.

À ce sujet, la grande majorité des traités décrivaient un instrument très simple servant à faire ce lien entre diamètres et poids. Il sagissait du calibo ou colibre, instrument que lartilleur était toujours tenu de porter sur lui. Il prenait la forme dune réglette sur laquelle étaient gravés les diamètres des boulets de différents poids. Les traités présentent en général une réglette par matériaux même si les informations pouvaient être concentrées, à laide de graduations différentes, sur le même instrument. Ce type de réglettes fut très répandu à lépoque, comme en témoignent encore aujourdhui les collections de certains musées264 ainsi que les fouilles archéologiques des épaves de navires de guerre265.

500

Fig. 55 – Réglettes des calibres de pierre, fer et plomb selon Prado,
« La obra manual », Malaga, 1591. Image et document appartenant
aux collections de la Bibliothèque Nationale dEspagne.

La diffusion de lusage de ces réglettes de calibres avait cependant été accompagné dinconvénients, comme laffirmait Luis Collado dans son Plática Manual :

Il y a, chez les artilleurs, une grande confusion de colibres et réglettes et il en existe une telle variété quà peine ai-je vu, durant ma longue carrière, deux colibres indiquant la même mesure de poids des boulets. Et le plus drôle, cest que jusquà aujourdhui, je nai pas rencontré un artilleur qui ne prétende pas que son colibre est le plus juste et le plus fiable du monde, bien quil ny ait dans sa conception dautre raisonnement ni mesure que ceux quun maître en arts mécaniques, pour gagner quatre reales, a sorti de sa tête266.

Un tel passage est intéressant à double titre : dabord parce quil met en évidence lexistence dun véritable marché de ces instruments à destination des artilleurs, ensuite parce quil permet de pointer le réel problème de ce colibre, à savoir la justesse de ses informations. Or, en parallèle de la mention de cet instrument, une majorité des traités du corpus proposaient des règles de vérification des calibres, qui pouvaient également remplacer temporairement linstrument en cas de perte.

Il ny a rien détonnant à ce que Tartaglia, en tant quinventeur dune solution générique déquation du troisième degré, se proposât de résoudre 501par le calcul ce problème de la relation cubique entre le diamètre dune sphère et son poids267. Toutefois, sans doute conscient des difficultés que ce genre de calculs pouvait poser à certains de ses lecteurs, il fit également représenter dans son livre des segments symbolisant, à léchelle, les diamètres de boulets en fer de divers poids. Ceux qui ne maîtrisaient pas bien le calcul arithmétique pouvaient ainsi directement vérifier la justesse de leur réglette de calibre en comparant, à laide dun compas, les diamètres de Tartaglia et ceux de leur instrument.

Une autre méthode de résolution de ce problème du rapport cubique entre poids et diamètre revenait dans plusieurs traités. On ne la retrouve curieusement que dans des manuscrits, ceux de Diego de Prado268, de Julián Ferrofino269 et de Cristóbal de Rojas270 ce qui témoigne de limportante circulation de ce type de savoirs en dehors des circuits des livres imprimés. Cette méthode permettait, à partir du diamètre dun boulet dont on connaissait le poids, de déterminer le diamètre de nimporte quel autre boulet. Si, par exemple, un artilleur était en possession dun boulet dune livre et cherchait à connaître le diamètre dun boulet de deux livres, alors il pouvait tracer un rectangle dont lun des côté (AB) équivalait au diamètre dune livre et lautre (BC) au double de ce diamètre, puisquil sagissait de doubler le poids. En traçant les côtés du rectangle et ses diagonales, il obtenait le quatrième sommet, D, et le centre du rectangle, J. Il fallait alors tracer la droite passant par D et coupant les axes verticaux et horizontaux en des points équidistants du centre J. La distance entre le point dintersection horizontal de cette droite, appelé N sur le schéma, et le côté du rectangle ABCD était le diamètre dun boulet de deux livres. Par souci de clarté, lexemple choisi ici est le plus simple, généralement donné en introduction à la méthode : il sagissait de passer du simple au double. Les manuscrits dartillerie cherchèrent néanmoins à rendre leur méthode la plus opérationnelle possible. Il était par conséquent envisageable, en faisant varier léchelle entre le petit côté et le grand côté du rectangle, de trouver le diamètre dun boulet de cinq livres à partir dun boulet de deux livres, ou encore celui de neuf livres à partir dun de seize livres.

502

Fig. 56 – Méthode géométrique de duplication du cube par Ferrofino,
« Descrizión y tratado muy breve », Madrid, 1599. Image et document appartenant aux collections de la Bibliothèque Nationale dEspagne.

Ce type de constructions géométriques nétait nullement une nouveauté. Il sagissait de lune des manières de résoudre le vieux problème de la duplication du cube posé depuis lAntiquité grecque. On trouvait exactement la même construction géométrique chez Héron dAlexandrie (ier siècle), dans son Introduction à la mécanique et dans ses Constructions de machines de projection, repris par Eutocius au ve siècle271. Cette méthode était également présente dans la Géométrie dAlbrecht Dürer imprimée à Nuremberg en 1525272. Dans cette œuvre, lauteur, avant tout célèbre pour ses peintures et gravures, rassemblait une multitude de questions de géométrie pratique accumulées au fil de ses pérégrinations. On pourrait penser que linnovation des auteurs de traités dartillerie fut dappliquer cette solution à la problématique du poids des boulets de canon, mais ce nest pas le cas. En effet, lorsque Dürer évoquait cette technique graphique de duplication du cube en 5031525, il faisait déjà explicitement le lien avec une application aux boulets de canons273. Cette méthode était donc semble-t-il déjà employée par les artilleurs et fondeurs de Haute Allemagne dès les premières années du xvie siècle. Ce dernier cas révèle toute la complexité de construction de cette science de lartillerie. Elle sédifia non seulement à partir de diverses traditions savantes remontant parfois jusquà lAntiquité, mais elle sétablit également par des allers-retours entre ce monde de lécrit et le milieu des praticiens de lartillerie.

Le recours à lécrit favorisa sans aucun doute le phénomène de circulation transnationale de ce type de savoirs techniques. Ce phénomène a déjà été clairement mis en évidence dans le cas des échanges entre les péninsules italienne et ibérique. Ces échanges nétonnent pas réellement compte tenu de la proximité politique et linguistique entre ces deux territoires. Lhybridation avec des savoirs publiés en allemand à Nuremberg pourrait par contre soulever plus dinterrogations. Il faut toutefois rappeler limportante circulation des artilleurs et fondeurs allemands au sein des États de la Monarchie hispanique274. Bien souvent les groupes dartilleurs se caractérisaient par une grande mixité culturelle et linguistique favorisant ces échanges transnationaux. Ainsi, une autre technique de duplication du cube de la Géométrie de Dürer275 se retrouve chez Gabriel Busca276 reprise par Cristóbal Lechuga277. Il sagissait, à partir de la connaissance de deux diamètres de boulets différents, de construire une succession de diamètres dont le poids était un multiple de ces deux premiers boulets. Même si cette technique était moins systématique que la précédente puisquelle ne permettait que de calculer des multiples, elle était un signe supplémentaire des nombreux échanges de procédés mathématiques au sein des différents milieux dartilleurs.

504

Fig. 57 – Méthode géométrique de duplication du cube par Lechuga,
Discurso…, Milan, 1611. Document appartenant aux collections
de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Conclusion

À lissue de ces développements, il apparaît clairement que, dans le courant du xvie siècle, il se constitua un espace commun de discussion sur les règles permettant de maîtriser lartillerie. Au sein de cette littérature, les mêmes problèmes récurrents étaient traités tandis que les solutions apportées par les différents auteurs révélaient des reprises, des 505traductions, des approfondissements ou des critiques, signes du dynamisme de circulation de ces savoirs sur lartillerie. Certaines autorités émergèrent au milieu de ces échanges, différentes logiques de légitimation sesquissèrent, avec toutefois un but commun de formalisation et de systématisation des règles, des techniques et des instruments permettant duser des pièces dartillerie et de la poudre noire. En ce sens, tout un champ de savoirs sur lartillerie était alors en construction, empruntant librement à divers univers et diverses traditions savantes tels que la philosophie naturelle dAristote, les mathématiques dEuclide et de ses commentateurs, la tradition de la géométrie pratique et de labaque, ou encore lexpérience empirique.

Encore aujourdhui le premier grand ouvrage sur lartillerie, la « Nouvelle Science » de Tartaglia, est suspecté de manquer de lien avec le monde des artilleurs. Le statut de lauteur, qui était mathématicien et se vantait de navoir jamais tiré au canon, mais aussi le contenu de lœuvre mélangeant mathématiques appliquées et philosophie naturelle, paraissent en effet bien loin du champ de bataille. Pourtant, Tartaglia connut incontestablement une grande diffusion parmi les experts hispanophones de lartillerie qui tentèrent bien souvent de construire leur autorité et leur légitimité au détriment des siennes. Ainsi, bien quayant émergé hors des milieux militaires, cette nouvelle science de lartillerie fut en quelque sorte absorbée par des ingénieurs militaires, des capitaines dartillerie et des maîtres artilleurs intéressés par le projet épistémologique de Tartaglia. Or, ces individus étaient pour la plupart directement impliqués dans les pratiques denseignement et dexamen des artilleurs alors en émergence au sein des États de la Monarchie hispanique et avaient bien souvent une longue expérience du champ de bataille. Il semble par conséquent indispensable de soulever pour finir la question du lien entre la construction de cette science de lartillerie et linstitutionnalisation des systèmes de formation des artilleurs qui eut lieu précisément à la même période.

1 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 2. « Et ainsi, par la longue expérience de lusage a émergé un bel art pour bien la gouverner, qui sappelle lart nouveau de lartillerie, comme le dit Niccolò Tartaglia. »

2 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia inventa da Nicolò Tartalea, Venise, Stephano da sabio, 1537.

3 « Los que an escrito della la tienen tan confusa y sin principios que no pueden sacar el fruto que es raçon asta que con largos años la esperimentan y sacan la berdad », Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit. fol. 2.

4 « He escrito estos pocos ringlones deste libro yntitulado la “obra manual de la artillería” que es lo que está obligado saber qualquier que se preciare ser buen artillero, para poder hacer bien su officio », ibid.

5 « It is clear that all attempts at mathematically precise theories of ballistics or tables of range were irrelevant to the crude guns of the time. In all parts of Europe, guns were inaccurately bored ; their bores were also purposely widened to prevent blockage by the irregularly cast shot. With shots leaving cannon at unpredictable angles and with unpredictable force because of the wide variations in gunpowder, trial and error was a much better guide than mathematics. Accurate firing at long range was not possible ; nor was it desirable to attempt it – the greater powder charges would have increased the likelihood of bursting the weak guns. Consequently sixteenth century gunners from Spain and elsewhere fired at close range and without assistance from mathematics », Goodman, David C., Power and Penury, op. cit., p. 125.

6 Cette situation est bien résumée par Lissa Roberts et Simon Schaffer dans la préface de : Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear, Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit.

7 Koyré, Alexandre, Études dhistoire de la pensée scientifique, op. cit. Hall, Alfred R., The Scientific Revolution, 1500-1800 : The Formation of the Modern Scientific Attitude, Boston, Beacon Press, 1966. Butterfield, Herbert, The Origins of Modern Science, 1300-1800, Londres, G. Bell and Sons Ltd., 1949.

8 Kuhn, Thomas S.,The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University of Chicago Press, 1970.

9 Long, Pamela O., Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, 1400-1600, op. cit. p. 24-25.

10 Ce tournant est analysé en détail par Golinski, Jan, Making Natural Knowledge : Constructivism and the History of Science, with a new Preface, Chicago, University of Chicago Press, 2008.

11 Shapin, Steven, Schaffer, Simon, Leviathan and the Air-Pump : Hobbes, Boyle, and the Experimental Life, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1985.

12 Biagioli, Mario, Galileo, Courtier, op. cit.

13 Voir lintroduction provocative de Shapin, Steven, The Scientific Revolution, Chicago, Chicago Press University, 1996, p. 1.

14 Pestre, Dominique, Van Damme, Stéphane, Raj, Kapil, Sibum, Otto, Bonneuil, Christophe (éd.), Histoire des sciences et des savoirs, Paris, Éditions du Seuil, 2015, tome 1, p. 20.

15 Shapin, Steven, The Scientific Revolution, op. cit. p. 3.

16 Voir les remarques pertinentes de Deborah Harkness en conclusion de son livre : Harkness, Deborah E., The Jewel House. Elizabethan London and the Scientific Revolution, New Haven ; Londres, Yale University Press, 2007, p. 255.

17 Zilsel, Edgar, « The Genesis of the Concept of Scientific Progress », op. cit.

18 Smith, Pamela H., The Body of the Artisan, op. cit. Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear, Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit. Long, Pamela O., Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, 1400-1600, op. cit. Harkness, Deborah E., The Jewel House, op. cit.

19 Long, Pamela O., Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, 1400-1600, op. cit. p. 27. Long, Pamela O., « Trading Zones : Arenas of Exchange during the Late medieval/Early Modern Transition to the New Empirical Sciences », op. cit., p. 6.

20 Voir lintroduction de Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear, Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit. En France, les travaux de Liliane Hilaire-Pérez leur font écho : Hilaire-Pérez, Liliane, La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoirs techniques à Londres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 2013. Hilaire-Pérez, Liliane, Simon, Fabien, Thébaud-Sorger, Marie (éd.), LEurope des sciences et des techniques, xve-xviiie siècles. Un dialogue des savoirs, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016.

21 Long, Pamela O., « Trading Zones : Arenas of Exchange during the Late medieval/Early Modern Transition to the New Empirical Sciences », op. cit.

22 Valleriani, Matteo, Galileo Engineer, New York, Springer, 2010.

23 Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear, Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit.

24 Mokyr, Joel, The Gifts of Athena, op. cit.

25 Ibid. p. 4.

26 Ibid., p. 5, 36, 81.

27 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit.

28 Hall, Alfred R., Ballistics in the Seventeenth Century, op. cit.

29 Chapitre intitulé « La dynamique de Niccolo Tartaglia » dans Koyré, Alexandre, Études dhistoire de la pensée scientifique, op. cit., p. 101-121.

30 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit.

31 Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, Venise, Venturino Ruffinelli, 1546.

32 Hall, Alfred R., Ballistics in the Seventeenth Century, op. cit., p. 36-37.

33 Ibid., p. 16.

34 Steele, Brett D., Dorland, Tamera (éd.), The Heirs of Archimedes : Science and the Art of War through the Age of Enlightenment, The MIT Press, 2005. Bret, Patrice, LÉtat, larmée, la science. Linvention de la recherche publique en France, 1763-1830, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002. Pour lEspagne, voir González de León, Fernando, « “Doctors of the Military Discipline” : Technical Expertise and the Paradigm of the Spanish Soldier in the Early Modern Period », The Sixteenth Century Journal, vol. 27, no 1, 1996, p. 61-85.

35 Merton, Robert K., Science, Technology and Society in Seventeenth Century England, New York, Howard Fertig, 1970. Initialement publié dans Osiris : Studies on the History and Philosophy o Science, and on the History of Learning and Culture, Bruges, The St. Catherine Press, Ltd., 1938, IV, 2, p. 360-632.

36 Biagioli, Mario, « The Social Status of Italian Mathematicians, 1450-1600 », op. cit.

37 Biagioli, Mario, Galileo, Courtier, op. cit.

38 Voir lintroduction de Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear, Peter (éd.), The Mindful Hand : Inquiry and Invention from the Late Renaissance to the Early Industrialisation, op. cit. p. 1 et suiv.

39 Long, Pamela O., Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, 1400-1600, op. cit. p. 96 et suiv.

40 Zilsel, Edgar, « The Genesis of the Concept of Scientific Progress », op. cit.

41 Voss, Mary J., « Between the Cannon and the Book : Mathematicians and Military Culture in Sixteenth-Century Italy »,op. cit.

42 Rose, Paul L., The Italian Renaissance of Mathematics : Studies on Humanists and Mathematicians from Petrarch to Galileo, Genève, Librairie Droz, 1975.

43 Brioist, Pascal, « La guerre et les sciences à la Renaissance », dans, Histoire des sciences et des savoirs, tome 1, Dominique Pestre et Stéphane Van Damme (éd.), Paris, Éditions du Seuil, 2015, p. 111-131. Brioist, Pascal, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle : France, Italie, Espagne, Angleterre », op. cit.

44 Voir notamment larticle « Espagne » de Masson de Morvilliers, Nicolas, Encyclopédie méthodique ou par ordre des matières. Géographie moderne – Volume I, Paris, Pandoucke, 1782, p. 554-568.

45 Pimentel, Juan, « The Iberian Vision : Science and Empire in the Framework of a Universal Monarchy, 1500-1800 »,op. cit.

46 Koyré, Alexandre, Études dhistoire de la pensée scientifique, op. cit. Hall, Alfred R., Ballistics in the seventeenth century, op. cit.

47 À titre dexemples : Merton, Robert K., Science, Technology and Society in Seventeenth Century England, op. cit. ; Shapin, Steven, Schaffer, Simon, Leviathan and the Air-Pump, op. cit. Biagioli, Mario, Galileo, Courtier, op. cit.

48 Smith, Pamela H., The Body of the Artisan, op. cit. Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear, Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit. Harkness, Deborah E., The Jewel House, op. cit. Long, Pamela O, Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, 1400-1600, op. cit.

49 Pimentel, Juan, « The Iberian Vision : Science and Empire in the Framework of a Universal Monarchy, 1500-1800 », op. cit. Cañizares Esguerra, Jorge, Nature, Empire and Nation, op. cit. Bleichmar, Daniela, De Vos, Paula, Huffine, Kristin, Sheehan, Kevin (éd.), Science in the Spanish and Portuguese empires, 1500-1800,op. cit. Barrera-Osorio, Antonio, Experiencing Nature, op. cit.

50 López Piñero, José María, Ciencia y técnica en la sociedad española de los siglos xvi y xvii, Barcelone, Labor, 1979. García Tapia, Nicolás, Técnica y poder en Castilla durante los siglos xvi y xvii, Valladolid, Junta de Castilla y León, Consejería de Cultura y Bienestar Social, 1989. Martinez Ruiz, Enrique Felipe II, la ciencia y la técnica, op. cit. ; López Piñero, José María, Historia de la ciencia y de la técnica en la Corona de Castilla. Tomo III, Siglo xvi y xvii, op. cit. ; Eamon, William, Navarro Brotons, Víctor, Más allá de la leyenda negra : España y la revolución científica, op. cit.

51 Sur la présence dartilleurs italiens en Espagne, voir p. 254-260 et 264-265.

52 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit. Tartaglia, Niccolò Quesiti et inventioni diverse, op. cit.

53 Le Feuerwerkbuch est considéré comme le premier traité dartillerie. Écrit en allemand vers 1420, il aurait connu une large diffusion, avec plus de cinquante-cinq manuscrits encore conservés, selon Crouy-Chanel, Emmanuel de, Contamine, Philippe, Canons médiévaux : puissance du feu, Rempart, Paris, 2010, p. 29.

54 « Le Livre du secret de lart de lartillerye et canonnerye », Bibliothèque Nationale de France. ms. latin 4653, c. 1430, fol. 125-170.

55 Voir chapitre « lécole allemande » dans Gille, Bertrand, Les ingénieurs de la Renaissance, Paris, Éditions du Seuil, 1978, p. 57-81.

56 Voss, Mary J., « Between the Cannon and the Book », op. cit., p. 222.

57 Taccola, Mariano, Lart de la guerre : machines et stratagèmes de Taccola, ingénieur de la Renaissance, traduit et publié en facsimilé par Eberhard Knobloch, Paris, Gallimard, 1992.

58 Valturio, Roberto, De re militari, Vérone, 1472.

59 Brioist, Pascal, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle : France, Italie, Espagne, Angleterre », op. cit., p. 331-342.

60 Brioist, Pascal, Léonard de Vinci, Homme de Guerrre, Paris, Alma, 2013, p. 122-126.

61 AGS GYM leg. 13/67 (c. 1530).

62 En sus des classiques dhistoire des sciences cités en introduction, voir Martin Casalderrey, Francisco, Cardano y Tartaglia : las matemáticas en el Renacimiento italiano, Madrid, Nivola, 2000. Hamon, Gérard, Degryse, Lucette, Niccolò Tartaglia : mathématicien autodidacte de la Renaissance italienne : le livre IX des « Quesiti et inventioni diverse » ou linvention de la résolution des équations du troisième degré, Paris, Hermann, 2010. Valleriani, Matteo, Metallurgy, Ballistics, and Epistemic Instruments : The Nova scientia of Tartaglia, Berlin, epubli GmbH, 2013.

63 Voss, Mary J., « Between the Cannon and the Book », op. cit., p. 361.

64 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit. ; Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit.

65 Voss, Mary J., « Between the Cannon and the Book », op. cit., p. 372.

66 Voir la lettre de dédicace au duc dUrbino Niccolò Tartaglia, Nova scientia, op. cit.

67 La Nova Scientia fut réimprimée en 1550, 1558 et 1583 et les Quesiti et Inventioni Diverse en 1546, 1554, 1562. En 1606, toutes deux furent incluses dans une compilation de plusieurs œuvres de Tartaglia, Tartaglia, Niccolò, Opere del famossissimo Nicolo Tartaglia, Venise, Al segno del lione, 1606. Voir, en annexe III, la forte proportion dexemplaires survivants dans les bibliothèques.

68 Valleriani, Matteo, Metallurgy, Ballistics, and Epistemic Instruments, op. cit., p. 45.

69 Voir annexe III.

70 Traduction allemande partielle de la Nova Scientia dans Ryff, Walter, Der furnembsten, notwendigsten, der gantzen Architectur angehörigen Mathematischen, Nuremberg, Truckts J. Petreius, 1547 ; Traduction anglaise dans Lucar, Cyprian, Three bookes of Colloquies concerning the arte of shooting in Great and small pieces of artillerie, Londres, 1588. Voir à ce sujet Brioist, Pascal « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle », op. cit. p. 362.

71 AGS, CMC 1a epoca, leg. 635 (4), il apparaît dans ces documents comptables comme touchant son salaire pour les années 1525-1526.

72 Voir léchange épistolaire entre Tartaglia et Cardano inséré dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 115v et suiv.

73 Une copie dArchimède par Guillaume de Moerbeke, reliée avec les copies imprimées du De Ratione Ponderis de Jordan de Némore et du De Ponderibus du pseudo-Archimède, selon Drake, Stillman, Drabkin, I.E., Mechanics in the Sixteenth Century Italy, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969, p. 23.

74 Documentos Para La Historia Del Monasterio De San Lorenzo El Real De El Escorial, Madrid, Imprenta Sáez, 1964, p. 238.

75 « Invenciones de Tartaglia para ganar una ciudad inexpugnable, 1554, Ma 11-II-21 », ibid., p. 91.

76 Castillo, Hernando del, « Libro muy curioso y utilísimo de artillería », BNE. mss. 9034, c. 1560.

77 Ibid. fol. 5v et 6r.

78 « Que trata de batir un castillo como casa nostra que está en el Ferrares encima de una montaña espuñable », ibid., fol. 39r.

79 Daté de 1550 par Vigón, Jorge, Historia de la Artillería Española, op. cit., p. 268. Même date pour López Piñero, José María, Ciencia y tecnica en la sociedad española de los siglos xvi y xvii, op. cit., p. 254 ; Daté de 1564 par Vicente Maroto, María Isabel, « Las escuelas de artillería en los siglos xvi y xvii », op. cit., p. 8. Il est difficile de trancher entre ces deux opinions car aucun de ces auteurs ne justifie sa datation.

80 Aquilone, Giusto, « Trattato di artiglieria », Florence, BNCF, mms Magliabechiano, II, IV, 337. Voir Pascal Brioist, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle : France, Italie, Espagne, Angleterre » op. cit., p. 365-370. Le manuscrit nest pas daté, mais il cite le livre de Cataneo publié en 1567 et aucun autre auteur à part Tartaglia, ce qui laisse supposer une rédaction dans les années 1570, avant la vague dauteurs des années 1580.

81 Aquilone, Giusto, « Trattato di artiglieria », op. cit. fol. 14.

82 García de Palacio, Diego, Dialogos Militares, op. cit.

83 Il sagit du schéma des carrés magiques, absent de lédition de 1537, Tartaglia, Niccolò, Nova scientia inventa de Nicolò Tartaglia con una gionta al terzo libro, Venise, Nicolo de Bascarini, 1550, fol. 32r ; On retrouve le même schéma chez García de Palacio, Diego, Dialogos Militares, op. cit., fol. 142v.

84 Chevalier, François, La formation des grands domaines au Mexique : terre et société aux xvie-xviie siècles, Paris, Institut dethnologie, 1952, p. 165.

85 Lé Flem, Jean-Paul, « Diego Garcia de Palacio et lartillerie : un précurseur de la balistique moderne ? » dans La révolution militaire en Europe : xve-xviiie siècles : actes du colloque, 4 avril 1997 à Saint-Cyr Coëtquidan, Jean Bérenger (éd.) Paris, Institut de stratégie comparée, 1998, p. 51-64.

86 Gallegos, Eder, Fuerza de sus reinos. Instrumentos de la guerra en la frontera oceánica del Pacífico Hispano (1571-1698), México, Palabra de Clío, 2015, p. 60. Gruzinski, Serge, El águila y el dragón : desmesura europea y mundialización en el siglo XVI, México, Fondo de Cultura Económica, 2018, p. 260.

87 García de Palacio, Diego, Instrucción nauthica, para le buen uso y regimiento de las naos, op. cit.

88 AGI MEXICO leg. 21/21, 20 et 30 (année 1587). Lépisode est raconté p. 190.

89 Sur la rareté des exemplaires, voir annexe III.

90 Voir « La réception de Tartaglia en Italie », dans Brioist, Pascal, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle : France, Italie, Espagne, Angleterre », op. cit., p. 359-375.

91 Mora, Domenico, Tre quesiti in dialogo sopra il fare batterie, fortificare una villa, et ordinar bataglie quadrate, con una disputa de precedencia tra larme e le lettere, Venise, 1567.

92 Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit.

93 Cataneo, Girolamo, Opera nuova de fortificare, offendere et difendere… aggiontovi nel fine in trattato de glessamini de bombardieri et di far fuochi arteficiati, Brescia, Batista Bozzola, 1564.

94 Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiedono a un perfetto bombardiero, Venise, Altobello Salicato, 1580 puis 1582.

95 Cataneo, Girolamo, Dellarte militare libri cinque… nellultimo lessamine de Bombardieri, Brescia, Thomaso Bozzola, 1584.

96 Ruscelli, Girolamo, Precetti della militia moderna tanto per mare quanto per terra, Venise, appresso gli heredi di Marchio Sessa, 1568.

97 Brioist, Pascal « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle », op. cit., p. 370.

98 AGS EST, leg. 1260/127 (Octobre 1585).

99 AGS VIT, leg. 278/19, livre imprimé portant le titre « Descargos del capitán Christóval Lechuga », Milan, 1612. Gabriel Busca y est mentionné à plusieurs reprises.

100 Busca, Gabriel Instruttione de bombardieri, Carmagnola, Marco Antonio Bellone, 1584, p. 61 pour Tartaglia, Mora et Cardano, puis p. 72, 73 et 74 pour Tartaglia seulement.

101 Busca, Gabriel, Della espugnatione et difesa delle fortezze… aggiontoui nel fine linstruttione de bombardieri, Turin, Giovan Dominico Tarino, 1598. Sur la rareté des exemplaires, voir annexe III.

102 Sa carrière est retracée par sa fille, Camilla Collado, dans un memorial transmis au conseil de guerre, AGS EST, leg. 1704/266 (10/08/1604).

103 « Alcuni auttori hanno scritto, et fatto stampare libri darteglieria ; cioè Nicolò Tartaglia, Girolamo Ruscelli et il Cattaneo, le cui opere piu tosto rendono testimonianza dhuomini mattematici et in altre arti overo sienze instrutti, che di prattichi nellessercitio manuale dellarteglieria et di suoi effetti », Collado, Luis, Pratica Manuale di arteglieria, Venise, Pietro Dufinelli, 1586, fol. 21v.

104 Ibid. fol. 39.

105 Voir annexe III.

106 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit.

107 « Callen pues Gerónimo Rucelio y el Nicolao Tartalla, y callen los demas auctores que sin fundamento alguno, ni experiencia quieren que, sabidos los passos que una pieça tiró por el primero punto, se sepan los que tirara por qualquier otro, investigando las differencias de los tiros por las reglas de guaritmo, lo qual jamás harán verdadero », ibid., fol. 39v.

108 Voir annexe III.

109 Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, instruido en la disciplina militar, y nueva ciencia de la artillería, Madrid, Pedro Madrigal, 1590.

110 Pour une biographie fiable de Diego de Álava voir Rodríguez, Pedro, Rodríguez, Justina, Don Francés de Álava y Beamonte, op. cit.

111 Il décrit son parcours dans une lettre à son défunt père insérée en début douvrage, manifestant un certain ressentiment à son égard. Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, instruido en la disciplina militar, y nueva ciencia de la artillería, op. cit.

112 AGS, GYM, leg. 307/143 (29/06/1590).

113 AGS, GYM, leg. 391/65 (10/09/1593).

114 Rodríguez, Pedro, Rodríguez, Justina, Don Francés de Álava y Beamonte, op. cit., p. 86-88.

115 Voir les titres des livres 5 et 6 : « Libro quinto en que se trata de todos los instrumentos necessarios para el uso de la artillería y del modo de hazer tablas para tirar con ella, conforme a la doctrina de Nicolo Tartalla », « Libro sexto en que se reprueva la dotrina de Nicolo Tartalla, y se enseña la verdadera con las demostraciones en que se funda, y lo que se a de seguir en hazer tablas para el uso de la artillería », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, instruido en la disciplina militar, y nueva ciencia de la artillería, op. cit. La loi des portées est présentée dans la dernière partie de ce chapitre.

116 Sur ce personnage, voir notamment Navarro Brotons, Victor, Salavert, Vicente, Jeronimo Muñoz : Introduccion a la astronomia y la geografia, Valence, Consell Valencia de Cultura, 2004. Navarro Brotons, Victor, « La historia de la Ciencia en España en la Edad moderna y el papel de las universidades », dans Derecho, historia y universidades, vol. II., Universitat de Valencia, Valence, 2007, p. 299-305. Navarro Brotons, Victor, « El Renacimiento científico y la enseñanza de las disciplinas matemáticas en las universidades de Valencia y Salamanca en el siglo xvi », dans Doctores y escolares / II congreso Internacional de Historia de las Universidades Hispanicas (Valencia 1995), Valence, Universitat de Valencia, servei de Publicacions, 1998, p. 141-159.

117 « Communicando esto con el doctíssimo maestro Gerónimo Muñoz, me dixo que él tenía por falsa la opinión de Tartalla y que, tratando él de apurarla muy de veras, avía hecho disparar algunos morteretes y lombardetas particularmente », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, instruido en la disciplina militar, y nueva ciencia de la artillería, op. cit., fol. 234r.

118 Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », Milan, 1584, bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Segovie, manuscrit 39-2-42.

119 Comme indice de cette diffusion, voir les nombreux exemplaires recensés en annexe III.

120 Isla, Lazaro de la, Breve tratado de artillería, geometría y artificios de fuegos, op. cit. Voir annexe III.

121 Voir la préface au lecteur, ibid.

122 AGS, GYM, leg. 271/37 (05/12/1589).

123 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit.

124 « Me acuerdo haber visto y leido ciertos libros que tratan de lo mesmo que nosotros pretendemos tratar como son el Tartalla, que es el mejor que yo he visto, el Cataneo, que no es malo, la Pirotechnia de miser Dominico, y algunos de poco fruto y sustancia sin otros muy muchos librillos secretos de mano de artilleros amigos míos de todos los quales lo que me parece y sabría dezir es que quitado el Tartalla y el Cataneo todos los demás assí los unos como los otros paresce huyen de ser entendidos », Alvarado, Espinel de, « Alvaradina : la cual contiene en si muchos muy necesarios avisos de las cosas tocantes al Artillería », BNE, mss. 8895, Milan, c. 1595, fol. 1v.

125 Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo mas probechoso de Artillería », BNE, mss. 9027, 1599.

126 Pour une biographie détaillée de lauteur, voir p. 308-311.

127 Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo mas probechoso de Artillería », op. cit., fol. 7-9.

128 Ibid., fol. 101r et 111r.

129 Ibid., fol. 110v.

130 Rojas, Cristóbal de, « Sumario de la milicia antigua y moderna », BNE. mss. 9286, Cadix, 1607.

131 AGS GYM, leg. 307/109 (08/04/1590).

132 AGS GYM, leg. 300/55 (30/03/1595). Voir aussi Rojas, Cristóbal de, « Sumario de la milicia antigua y moderna », fol. 89, « por mi parte haver manejado y tirado en muchas partes, especialmente en Bretaña en el campo del Duque de Mercurio y con Don Joan del Aguila ».

133 Rojas, Cristóbal de, Teórica y práctica de fortificación, Madrid, Luis Sánchez, 1598.

134 Martinez Ruiz, Enrique, Felipe II, la ciencia y la técnica, op. cit., p. 125.

135 « Haviendo leydo casi todos los autores que han escrito del artillería ansí antiguos como modernos, como son Nicolas Tartalia, el Cataneo, Luis Collado, Lazaro de la Ysla o Andres Muñoz, artillero mayor de la contratación de Sevilla », Rojas, Cristóbal de, « Sumario de la milicia antigua y moderna », op. cit., fol. 89.

136 Il publia bien un traité, mais 20 ans après la rédaction du manuscrit du capitaine Rojas : Muñoz el Bueno, Andrés, Instrucción y Regimiento para que los marineros sepan usar de la artillería, Malaga, Juan Rene, 1627.

137 García de Céspedes, Andrés, Libro de instrumentos nuevos de Geometría, Madrid, Juan de la Cuesta, 1606.

138 López Piñero, José María, Diccionario histórico de la ciencia moderna en España, Barcelone, Ediciones 62, 1983.

139 García de Céspedes, Andrés, Libro de instrumentos nuevos de Geometría, op. cit., fol. 52v.

140 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit.

141 Il relate sa carrière dans AGS VIT, leg. 278/19, livre intitulé Descargos del capitán Christóval Lechuga, Milan, 1612.

142 Sur le grade de sargento mayor, voir Quatrefages, René, Los tercios españoles (1567-1577), op. cit.

143 Cette fréquentation apparaît clairement dans les documents copiés dans AGS VIT, leg. 278/19, Descargos del capitán Christóval Lechuga, Milan, 1612.

144 Lechuga, Cristobal de, Discurso del Maestre de Campo General, op. cit.

145 AGS VIT, leg.278/19, Descargos del capitán Christóval Lechuga, Milan, 1612.

146 En 1621, les troupes sous le commandement Lechuga soutinrent un siège contre larmée du roi de Fez, Saint-Marc, Charles Hugues Lefebvre de, Le septième tome du Mercure François ou lhistoire de nostre temps sous le règne du Très-Chrétien Roy de France et de Navarre, Louis XIII, Paris, Etienne Richer, 1622, p. 174.

147 « Me a parecido poner en este lugar lo que parece haze más á este propósito, tomandolo de un tratado que el capitán Gabriel de Busca, milanés ingeniero de Su Magestad, y capitán del artillería hizo », Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 148.

148 Sur la diffusion de ce traité, voir les nombreux exemplaires recensés annexe III.

149 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit.

150 Il apparaît le 30/08/1598 dans les comptes du commis à lartillerie de Malines, AGR CP no 560, fol. 135-138.

151 Voir lexemple du récit du siège de Sienne, lorsque le marquis de Marignan récompensa un artilleur qui avait eu lhabileté de mettre hors combat une couleuvrine cachée dans le clocher dune église, ibid., p. 358-359.

152 Voir les illustrations des armes anciennes en début douvrage, provenant du De Re Militari de Roberto Valturio (1472) et reprise par Collado, puis le même schéma que Collado permettant de faire monter les pièces lourdes en haut dune colline. ibid. p. 351.

153 Ibid. p. 157.

154 Ibid. p. 349-350 à comparer à Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 7v-8r.

155 Traduit et publié sous le titre de Vraye instruction de lartillerie et de ses appartenances… à Francfort-sur-le-Main en 1614 et 1617, puis à Zutphen en 1621 et enfin à Rouen en 1628.

156 Traduit et publié sous le titre de Archeley : das ist grundlicher und eygentlicher Bericht von Geschutz… à Francfort-sur-le-Main en 1614 et 1621 ainsi quà Zutphen en 1620 et 1630.

157 Traduit et publié sous le titre de Gunners instruction of Diego Ufano à Londres en 1646 puis comme troisième livre du Military and Maritime Discipline in three books à Londres en 1672.

158 Blondel, François, Lart de jetter les bombes par M. Blondel, Paris, François Blondel et N. Langlois, 1683.

159 Gaston de Issaba, Martín, Tratado del exercicio y arte del artillero, Anvers, 1623.

160 Muñoz el Bueno, Andrés, Instrucción y Regimiento para que los marineros sepan usar de la artillería, op. cit.

161 Ferrofino, Julio César, Plática Manual y breve compendio de artillería, Madrid, Viuda de Alonso Martin, 1626. Ferrofino, Julio César, El Perfeto artillero, Madrid, Juan de Barros, 1642.

162 Giard, Luce, « Lambigüité du mot “science” et sa source latine », dans Rome et la science moderne : entre Renaissance et Lumières, Antonella Romano (éd.), Rome, Ecole française de Rome, 2008, p. 45-62.

163 Lintroduction de Golinski retrace bien ce glissement de lhistoriographie des sciences vers le constructivisme, Golinski, Jan, Making Natural Knowledge, op. cit.

164 « Y assi, por la larga esperiencia del huso ha salido una linda arte para bien gobernarlo que se llama la arte nueva de la artillería como lo dize Nicolo Tartaglia » Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 2r.

165 Lexpression apparaît dans le titre ainsi quaux folios 152r et 188r, Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, instruido en la disciplina militar, y nueva ciencia de la artillería, op. cit.

166 Rojas, Cristóbal de, « Sumario de la milicia antigua y moderna », op. cit., fol. 89v.

167 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit., p. 44 et 157.

168 Giard, Luce, « Lambigüité du mot “science” et sa source latine », op. cit.

169 Voir le lexique dAristote, Aristoteles latinus III I-4 : Analytica Priora, translatio BOETHII, Bruges-Paris, Desclée de Brouwer, 1962.

170 Granger, Gilles-Gaston, La théorie aristotélicienne de la science, Paris, Aubier Montaigne, 1976, p. 22.

171 Aristote, Métaphysique, traduit par J. Tricot, Paris, librairie philosophique J. Vrin, 1991, A 981 a 6.

172 Mokyr, Joel, The Gifts of Athena, op. cit. p. 5.

173 Teeuwen, Mariken, The Vocabulary of Intellectual Life in the Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2003, p. 359.

174 Ibid., p. 382-383.

175 Ibid., p. 367.

176 Giard, Luce, « Lambigüité du mot “science” et sa source latine », op. cit., p. 56-57.

177 On voit ici toute la difficulté quil peut y avoir à distinguer la musique comme art du quadrivium, de lharmonique comme science mixte.

178 Machiavelli, Niccolò, Dellarte della guerra, Florence, Giunti, 1521.

179 « Dexen pues tractar del hierro a los herreros y del arte del artillería a los hombres pláticos, si los auctores dessean conseguir el intento para que se escrive de qualquiera sciencia o arte, que es el aprovechamiento del que lee », Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 7v.

180 « Aunque las cosas del uso del artillería que tocan más a la prática manual de los artilleros que a la especulación de la ciencia y arte de que principalement he tratado », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., fol. 188r.

181 Teeuwen, Mariken, The Vocabulary of Intellectual Life in the Middle Ages, op. cit., p. 358.

182 Mikkeli, Heikki, « An Aristotelian Response to Renaissance Humanism : Jacopo Zabarella on the Nature of Arts and Sciences » thèse soutenue à la SHS, Helsinki, 1992.

183 « La nueva y admirable invención que a descubierto para reducir a arte el uso de la artillería », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit. lettre de Francisco Sánchez el Brocense, en préface de louvrage.

184 Dubourg-Glatigny, Pascal, Vérin, Hélène (éd.), Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, éditions de la Maison des sciences de lhomme, 2008.

185 Bourdieu, Pierre, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, no 2, 1976, p. 88-104.

186 Hall, Alfred R., Ballistics in the Seventeenth Century, op. cit. ; Goodman, David C., Power and Penury, op. cit.

187 Brioist, Pascal, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle », op. cit., p. 318.

188 Biard, Joël, Rommevaux, Sabine (éd.), Mathématiques et théorie du mouvement, xive-xvie siècles, Villeneuve dAscq, Presses universitaires du Septentrion, 2008.

189 Brioist, Pascal, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle », op. cit., p. 321.

190 Voir proposition V du livre I, Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit.

191 Voir léchange épistolaire entre Tartaglia et Cardano, Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 117v-118v.

192 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 40r. Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., fol. 236v. Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit. p. 156-157.

193 Prado, Diego de « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 178 et 204-205.

194 Voir la proposition 9 du livre 1, Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit.

195 Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 7v.

196 Castillo, Hernando del, « Libro muy curioso y utilísimo de artillería », op. cit., fol. 40.

197 García de Palacio, Diego, Dialogos Militares, op. cit., fol. 126v-127r.

198 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit., p. 349-350.

199 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 183.

200 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., p. 203.

201 Aquilone, Giusto, « Trattato di Artiglieria », op. cit.

202 Voir la mention de lexpérience de tir réalisée en 1565, ibid. fol. 14.

203 « Niun transito over moto violente dun corpo egualmente grave che sia fuora della perpendicolare del orizonte mai puo haver alcuna parte che sia perfettamente retta per causa della gravita che se ritrova in quel tal corpo : laquale continuamente lo va stimulando, et tirando verso il centro del mondo », Supposition II du livre II, Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit.

204 Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 12r.

205 Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., fol. 238.

206 García de Céspedes, Andrés, Libro de instrumentos nuevos de geometría, op. cit., fol. 52.

207 Martínez Ruiz, Enrique, Felipe II, la ciencia y la técnica, op. cit., p. 127.

208 Busca, Gabriel, Instruttione de bombardieri, op. cit., p. 50.

209 « Lasciando cadere da equale altezza due palle di ferro, una di una libra et laltra di cinquanta, ambedua ne vanno a terra con egual velocità, et nellistesso momento, come la sperienza chiaramente ne mostra », ibid. p. 43.

210 Drabkin, I. E., « Two Versions of G. B. Benedettis Demonstratio Proportionum Motuum Localium », Isis, vol. 54, no 2, 1963, p. 259-262.

211 Koyré, Alexandre « Le De Motu Gravium de Galilée. De lexpérience imaginaire et de son abus. », Revue dhistoire des sciences et de leurs applications, vol. 13, no 3, 1960, p. 197-245.

212 « Que el artillero [] sepa así mesmo la potencia o sea el tanto que puede rempujar la dicha pieça ansí en el plano de la orizonte como puesta en qualquier punto o grado de su elevación, y las distancias que ay de la pieza hasta el lugar donde pretende alcançar », Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo más probechoso de artillería », op. cit., fol. 51.

213 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit., septième page de la dédicace au duc dUrbino.

214 Valleriani, Matteo, Metallurgy, Ballistics, and Epistemic Instruments, op. cit., p. 9.

215 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 8r et 38-39.

216 Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., fol. 227r.

217 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 194.

218 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 40v.

219 Stöffler, Johannes, Elucidatio fabricae ususque astrolabii, Oppenheim, Jacob Kobel, 1512. Fine, Oronce, Protomathesis, Paris, 1532.

220 García de Palacio, Diego, Dialogos Militares, op. cit., fol. 135r-144r.

221 Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., Livre IV entièrement consacré à cette question.

222 Toute une première partie y est consacrée, avec un but toutefois plus large que lapplication à lartillerie, García de Céspedes, Andrés, Libro de instrumentos nuevos de Geometría, op. cit.

223 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 161. Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit. p. 411.

224 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 68-69.

225 « Anchor Signor Illustrissimo, calculando trovai la proportion dil crescer e calar che fa ogni pezzo de artegliaria (nelli suoi tiri) alzandolo over arbassandolo sopra il pian del orizonte et símilmente (Signor Liberalissimo) trovai il modo di ratiocinar et trovar la varietà de detti tiri in cadauno pezzo si grande come picolo mediante la notitia dun tiro solo (domente che sempre sia igualmente cargato). Da poi (Signor Prudentissimo), invistigai, la proportione et lordini di tiri del mortaro, et similmente trovai il modo di saper invistigare sotto brevita la varietà de detti tiri pur mezzo dun tiro solo », Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit., Sixième page de la dédicace au duc dUrbino (sans numéro).

226 Brioist, Pascal, « Les mathématiques et la guerre au xvie siècle », op. cit., p. 396-434.

227 Voir le Livre V de Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., p. 224 et suiv.

228 Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 6v.

229 « Libro sexto en que se reprueva la dotrina de Nicolo Tartalla, y se enseña la verdadera con las demostraciones en que se funda », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit., p. 245.

230 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit., p. 345-346.

231 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 39v.

232 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 195-198.

233 Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo mas probechoso de Artillería », op. cit., fol. 6v et suiv.

234 AGS GYM leg. 284/265 (09/05/1590).

235 Muñoz el Bueno, Andrés, Instrucción y Regimiento para que los marineros sepan usar de la artillería, op. cit., fol. 123v.

236 Voir p. 313 et 324-325.

237 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., p. 199.

238 Voir p. 42-43.

239 Ces grandes catégories sont communes à la plupart des traités déjà cités. Voir par exemple Collado, Luis Plática manual de artillería, op. cit. fol. 7-35. Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit. p. 15-57.

240 Crouy-Chanel, Emmanuel de, « Le canon jusquau milieu du xvie siècle », op. cit., p. 255-256.

241 Dubourg Glatigny, Pascal, Vérin, Hélène (éd.), Réduire en art, op. cit.

242 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 14v.

243 « Porque las miden a pies y otros a palmos, otros a canas y otros a alnas y otros a braços y a onças, no dando en la cuenta que todos estos generos de medidas en cada Reyno de el mundo se hallaran ser varias y diferenciadas. Conviene a saber que el pie romano es diferente de aquel de Venecia y el de Venecia diferente de aquel de Napoles y de Sicilia, y que el braço de Milan con ninguno de los pies dichos, excepto aquel de Roma se conforma, y los unos y los otros pies dichos son diferentes de aquellos de Alemania, Francia y tambien de España », ibid. fol. 19v.

244 Tartaglia, Niccolò, Quesiti et Inventioni Diverse, op. cit. fol. 26v.

245 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 23v.

246 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 8-11. Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 38-61. Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit. p. 65-68.

247 « Si los Príncipes que mandan fundir Artillería diesen en la cuenta del daño [] les resuelta, usarían acerca desto en sus fundiciones de mayor diligencia, y prohibirían el hazerse tanta diversidad de pieças, y de tan diferentes bocas como se hallan », Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 8v.

248 Préface au lecteur de Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit.

249 Voir les canons vieux dun demi-siècle embarqués par la grande armada de 1588, Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, op. cit., p. 41.

250 AGS GYM leg. 149/336 (18/09/1583).

251 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso della, op. cit. p. 65-68.

252 Voir les remarques de López Martín, Francisco Javier, Esculturas para la guerra, op. cit., p. 363-364. Exemples de production par lot puis de dispersion : AGS GYM leg. 365/128 (21/01/1589), AGS GYM leg. 149/109 (Santander, 16/09/1583), AGI CT leg. 5108, sans num. (Cadix, 05/05/1586).

253 Berkowitch, Héloïse, Dumez, Hervé, « Le système Gribeauval ou la question de la standardisation au xviiie siècle », Annales des Mines, no 125, 2016, p. 41-50.

254 Tartaglia, Niccolò, Quesiti et Inventioni Diverse, op. cit., fol. 41.

255 Livre de canonnerie et artifice de feu contenant le devoir et charge dun maistre canonnier, Paris, Vincent Sertenas, 1561.

256 « Le Livre du secret de lart de lartillerye et canonnerye », op. cit. Voir Crouy-Chanel, Emmanuel de, Contamine, Philippe, Canons médiévaux, op. cit., p. 29.

257 Cest à dire 4, 5 ou 6 doses de salpêtre pour une dose de charbon et une dose de soufre. Ces expressions sont récurrentes dans les traités, signe de leur usage très courant à lépoque.

258 Sur la première, voir Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 199. Le capitaine Lechuga va même jusquà préconiser lemploi de la seconde pour tous les types de pièces : Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga, op. cit., p. 146.

259 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 12v.

260 « En un junta que se hiço en la Villa de Brusselas a 9 de Mayo 1568, en qué se halló el general de la Artillería, y todos los praticos de ella, y de pólvora, para tratar de la bondad que avía de tener ; después de muchas pruebas, quedo resuelto que la pólvora que se labrase en lo porvenir fuese de salitre bien refinado, de fino azufre, y de carbón, de la composición siguiente : 75 libras de salitre, 15 libras y 10 onças de carbón y 9 libras y 6 onças de açufre », Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga op. cit., p. 147.

261 75/12,5/12,5 pour la France, la Prusse et les Etats-Unis dAmérique, 75/15/10 pour lAngleterre, J. Pelouze et E. Fremy, Traité de chimie générale : comprenant les applications de cette science à lanalyse chimique, à lindustrie, à lagriculture et à lhistoire naturelle, Librairie de Victor Masson, 1854, p. 335.

262 Tartaglia, Niccolò, Quesiti et Inventioni Diverse, op. cit., fol. 19r et 21r.

263 Même sil existait des livres à 12 onces et à 16 onces. Voir la définition de libra dans Mancho Duque, María Jesús (dir.), DICTER. Diccionario de la ciencia y de la técnica del Renacimiento, Ediciones Universidad de Salamanca. <http://dicter.usal.es/> Consulté le 03/09/2019.

264 Bennett, Jim A., Johnston, Stephen, The Geometry of War, 1500-1750 : Catalogue of the Exhibition, Oxford, Museum of the History of Science, 1996.

265 Hildred, Alexzandra, The Archeology of the Mary Rose Vol. 3. Martin, Colin, Parker, Geoffrey, The Spanish Armada, p. 206.

266 « Grande confusión de colibres, ó reglas se vee entre Artilleros, y tanta variedad se halla que apenas he visto en todo el tiempo que ha que trato en este exercicio, un colibre, que en señalar el peso de las balas fuesse conforme con el otro. Y lo que reyr es que hasta hoy he hallado un Artillero que no diga que su colibre es el más justo y cierto de el mundo, y por ventura en él no se halla otra razón ni otra medida, sino la que un mecánico maestro, por ganar quatro reales, puso de su cabeça », Collado, luis, Plática manual de artillería, op. cit., fol. 69r.

267 Tartaglia, Niccolò, Quesiti, op. cit., fol. 37r et suiv.

268 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit., fol. 99-104.

269 Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo mas probechoso de Artillería », op. cit., fol. 129-131.

270 Rojas, Cristóbal de, « Sumario de la milicia antigua y moderna », op. cit., fol. 93-95.

271 Eutocius, Commentaires de la Sphère et du Cylindre dArchimède, traduit par Charles Mugler, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 47.

272 Dürer, Albrecht, Géométrie (« Underweysung der Messung »), traduit de lallemand par Jeanne Peiffer, Paris, Éditions du Seuil, 1995.

273 Ibid., p. 334.

274 Voir p. 255-276.

275 Dürer, Albrecht, Géométrie, op. cit., p. 330.

276 Busca, Gabriel, Instruttione de bombardieri, op. cit., p. 24.

277 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit., p. 152.