Aller au contenu

Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Le Texte en scène. Littérature, théâtre et théâtralité à la Renaissance
  • Auteur : Gorris-Camos (Rosanna)
  • Pages : 7 à 9
  • Collection : Rencontres, n° 259
  • Série : Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, n° 91
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812460012
  • ISBN : 978-2-8124-6001-2
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-6001-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/10/2016
  • Langue : Français
7

Préface

Que le monde soit un théâtre, souvent triste mise en scène de nos chimères, les auteurs du xvie siècle nous lont dit et redit… Il suffit de lire le beau sonnet de la Gélodacrye :

Quest ce de ceste vie ? un public eschafauld,

Où celuy qui sçait mieux jouer son personnage,

Selon ses passions eschangeant le visage

Est tousjours bien venu, et rien ne lui default1.

Ce volume, Le texte en scène : littérature, théâtre et théâtralité à la Renaissance qui réunit les actes des journées détudes de Bari et de Paris, dirigées par Concetta Cavallini et Philippe Desan, sonde la théâtralisation du monde et de la société et explore la mise en scène du pouvoir et de la vie renaissante. Il nous fait pénétrer derrière les coulisses et dans les labyrinthes de la vie et du théâtre, dans les effets de miroirs entre la société et le « public eschafauld », entre lêtre et le paraître, il révèle le théâtre du monde, mais aussi le monde comme théâtre.

Les auteurs de cette riche gerbe de textes abordent non seulement, de façon convaincante, les enjeux et les défis de la mise en scène dun monde extrêmement compliqué et fuyant, dans ses innombrables facettes, mais ils réfléchissent aussi sur les différentes modalités de représentation théâtrale dans le texte écrit et imprimé. Les deux Comédies de Gérard de Vivre, que notre projet vient de publier, en sont un exemple intéressant. Cet auteur de pièces de collège, conscient de limportance du théâtre en tant quinstrument de formation, crée en effet une constellation de

8

signes diacritiques que le texte édité exploite pour mimer les effets de théâtre. De même, la mise en page du texte théâtral, ainsi quEmmanuel Buron le met en évidence à juste titre, est un lieu dexpérimentation où les auteurs du xvie siècle mettent en scène leurs essais pour « théâtraliser » le livre, pour condenser dans la parole le fait théâtral alors que lédition est pour eux « le moyen de mettre en évidence le discours et sa cohérence2 ».

Or, cest justement dans ces jeux dombre et de lumière, dans ces effets optiques et acoustiques, dans ces formes et couleurs de la mise en scène réelle et théâtrale, dans le langage poétique que les textes réunis dans ce livre se faufilent pour explorer le dit et le non dit, le vrai et lirréel, lêtre et le paraître. Ils savent suggérer, sinon dire, la magie de ces deux mondes apparemment lointains, mais en réalité si proches, presque superposables.

Ces études redessinent aussi les frontières du genre théâtral et, tout comme le colloque de Venise sur les « Dramaturgies vagabondes3 », abordent léchange fécond, la dialectique entre le texte théâtral, la poésie, le roman, lhistoire tragique, lhistoire et le genre épique. Il suffit de penser aux merveilleuses pièces, véritables miroirs de la société et de la cour de Ferrare, de Giraldi Cinthio pour se rendre compte de lhybridation des genres dans ses pièces, comme lArrenopia, où le texte théâtral englobe et se nourrit de la matière des romans épiques, mais aussi des traités sur la guerre et le duel et des spectacles de cour, comme les Cavallerie4. Le théâtre sinspire de lhistoire et de la théorie politique (il suffit de penser à la mise en scène de lhistoire et de la pensée politique dans le théâtre de combat)5, mais sapproprie également les fantômes, les peurs, les angoisses, les refoulés de lhistoire pour les exorciser. Le duel, banni de la société après les deuils que lon sait, fait irruption sur la scène ; il devient spectacle.

9

Ce volume paraît en même temps que le volume II, 7 du Corpus du Théâtre Français de la Renaissance consacré à La Comédie au temps dHenri III 1576-15786, ouvrage qui réunit cinq pièces comiques : deux pièces de Pierre Le Loyer, La Néphélococugie et Le Muet insensé dans lesquelles lhumaniste démontre son extraordinaire érudition, son hermétisme et ses connaissances démonologiques, deux comédies de collège de Gérard de Vivre et La Reconnue de Belleau. Les éditions dAnna Bettoni, Riccardo Benedettini, Patrizia de Capitani, Mariangela Miotti et Magda Campanini viennent ainsi enrichir ce grand projet lancé par Enea Balmas et Michel Dassonville il y a désormais plus de cinquante ans.

Le but de ce projet était ambitieux et orienté surtout par une idée chère à celui qui la lancé : « la culture nest pas un privilège ». Nous continuons ainsi, grâce à une équipe qui comprend des spécialistes et des jeunes chercheurs (le projet a financé sept bourses de recherches) provenant des universités françaises, italiennes et américaines et dautres institutions, cette entreprise qui veut contribuer à la redécouverte du théâtre français de la Renaissance en offrant des textes lisibles à un vaste public. Ce projet naissait de la conviction profonde « che fosse prezioso conoscere e far conoscere in modo sistematico il “travaglio di una ricerca espressiva” che, nel corso del Rinascimento, aveva scelto le forme della rappresentazione, dunque il conflitto fra il detto e il mostrato sulla scena teatrale7 ».

Que les éditeurs, les auteurs et toutes les personnes qui collaborent à ce grand projet soient ici vivement remerciés. Sans lactivité enthousiaste des uns et sans le soutien des autres, ces colloques, ces livres et ces éditions nauraient pas vu le jour.

Rosanna Gorris Camos

Università di Verona

1 J. Grevin, LOlimpe de Jacques Grévin de Clermont en Beauvaisis, Ensemble les autres œuvres poetiques dudict auteur, Paris, Estienne, 1560, sonnet i, 2, f. 94. Pour une analyse récente de ce texte, parfaite mise en scène poétique du théâtre du monde, de la société « théâtralisée » du xvie siècle et de lhybridation des genres, voir R. Gorris Camos, « La nuit de lexil : les Muses anglaises de Jacques Grévin », dans M. Miotti (dir.), Rappresentare la storia. Letteratura e attualità nella Francia e nellEuropa del xvi secolo, Actes du Colloque de Pérouse, 29-30 mai 2014, Pérouse, Aguaplano, 2016, p. 207-246.

2 Voir E. Buron, « La Présentation typographique des tragédies humanistes », infra, p. 253-272.

3 M. Campanini (dir.), Dramaturgies vagabondes, migrations romanesques : écritures en dialogue (xvie-xviie siècles), Actes du colloque de Venise, 7-8 novembre 2015, Paris, H. Champion, sous presse.

4 Voir notre « “Ho la barca alla riva” : lArrenopia o lentre-deux, con una lettera inedita del Giraldi Cinthio », dans R. Gorris, J.-L. Fournel et E. Mattioda (dir.), Ai confini della letteratura, Actes de la journée détude en lhonneur de Mario Pozzi, Morgex, 4 mai 2012, Turin, Aragno, 2015, p. 45-66.

5 Pour le théâtre réformé, voir le livre de R. Stawarz-Luginbuhl, Un théâtre de lépreuve. Tragédies huguenotes en marge des guerres de religion en France 1550-1573, Genève, Droz, 2012, mais aussi les très nombreuses éditions de textes publiés dans les dix-huit tomes déjà parus du Théâtre Français de la Renaissance (cf. www.olschki.it).

6 A. Bettoni et R. Gorris Camos (dir.), La Comédie au temps dHenri III (1576-1578), Florence, Olschki, 2015. Pour lhistoire du projet, voir le nouveau site du Gruppo di studio sul Cinquecento francese, www.cinquecentofrancese.it, section « Théâtre français de la Renaissance ».

7 E. Balmas, Brochure du Théâtre Français de la Renaissance, en ligne sur le site du projet.