[Introduction de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Temps des « écriveuses ». L’œuvre pionnière des épistolières au xviie siècle
- Pages : 119 à 120
- Collection : Masculin/féminin dans l’Europe moderne, n° 35
- Série : xviie siècle, n° 3
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406128250
- ISBN : 978-2-406-12825-0
- ISSN : 2261-5741
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12825-0.p.0119
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 23/03/2022
- Langue : Français
Le tête-à-tête épistolaire privilégié par les éditeurs de correspondances n’est pas représentatif d’une pratique qui, à l’époque qui nous intéresse, était l’affaire du groupe. C’est ce que tendent à montrer, à l’ère électronique, les travaux sur les réseaux de correspondance de l’Ancien régime. L’archivage en masse et les fonctionnalités multiples des bases de données permettent de restituer la nébuleuse relationnelle qui donne tout son sens à l’échange par lettres. Toutefois, les études sur l’épistolographie se sont intéressées en priorité aux réseaux masculins et savants1, laissant au champ des études historiques le soin d’exploiter les correspondances de femmes par le biais de la question des pouvoirs, de l’aliénation et de l’émancipation des femmes, de l’éducation ou de la religion2. La notion de « réseau » autorise pourtant un changement de perspective face aux représentations d’un champ littéraire masculin, où des autrices isolées, véritables anomalies, viennent confirmer la règle d’une pratique unisexe. Les travaux fondateurs de Myriam Dufour-Maître, de Linda Timmermans et de Delphine Denis ont permis d’établir que l’irruption des femmes sur la scène culturelle et littéraire s’est faite de manière collective, et s’apparente à un phénomène de groupe. C’est le rôle de premier ordre joué par l’épistolaire dans la formation de ces constellations féminines que nous voudrions à présent aborder.
De même que la pratique épistolaire contribue, on l’a vu, à pallier une éducation négligée en encourageant l’acquisition des techniques de l’écrit ou l’appropriation de la rhétorique, elle permet de passer outre l’isolement des femmes et leur marginalisation dans l’espace public. Le réseau féminin, qu’il soit motivé par une logique lignagère, géographique ou confessionnelle, par le clientélisme et le jeu des alliances politiques ou par les rituels de la sociabilité mondaine, a pour effet de court-circuiter les médiateurs traditionnels et de permettre la négociation des rapports de genre a priori inégaux. Il importe dès lors de comprendre 120les modalités de mise en place des différents réseaux épistolaires, leur fonctionnement stratégique, la dialectique qu’ils instaurent entre individuel et collectif, masculin et féminin.
Dans cette visée, nous serons amenée à prendre en considération des correspondances de facture variable, dont le statut littéraire pourrait paraître discutable. De telles contributions ont cependant joué un rôle dans l’affirmation d’une capacité féminine à rayonner par le moyen de l’écrit en général, et de la lettre en particulier. Les grandes réussites épistolaires du siècle sont à bien des égards redevables de cet effort collectif qui les précède et les entoure. Étant donné l’ampleur des massifs épistolaires concernés, dans lesquels il nous a fallu opérer des choix, l’objectif n’est pas de répertorier ni de recenser, mais de repérer les dynamiques réticulaires à l’œuvre dans les correspondances féminines.
1 David A. Kronick, « The Commerce of Letters : Networks and “Invisible Colleges” in Seventeenth – and Eighteenth – Century Europe”, The Library Quaterly : Information, Community, Policy, 2001, vol. 71, p. 28-43.
2 Réseaux de femmes, femmes en réseaux ( xvi e - xxi e siècles), C. Carribon, D. Picco et al. (dir.), op. cit.