Annexe I Lettre d’Arnauld d’Andilly à Madame de Pomponne
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Solitaire et le Ministre. Autour de la correspondance entre Arnauld d’Andilly et Arnauld de Pomponne (1642-1674)
- Pages : 305 à 306
- Collection : Univers Port-Royal, n° 53
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406092445
- ISBN : 978-2-406-09244-5
- ISSN : 2491-2530
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-09244-5.p.0305
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/03/2024
- Langue : Français
Annexe I
Lettre d’Arnauld d’Andilly
à Madame de Pomponne
Source
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6036, fo 263-264, minute autographe.
[Port-Royal], ce 28 juin 1664
Je ne puis, ma très chere fille, avoir veu vostre derniere lettre à vostre frere de Luzancy1 et ne vous pas temoigner mon extreme joye des sentimens si sages et si chrestiens qu’il plaist à Dieu de vous donner. C’est une grace que l’on ne sçauroit assez estimer et vous estes, ma très chere fille, plus heureuse de l’avoir que vous ne seriez d’estre reyne, parce que c’est le moyen de le devenir un jour dans un autre monde, où la foy nous oblige de croire que nous regnerons eternellement avec Dieu, s’il Luy plaist de nous faire misericorde. C’est donc à cela, ma très chere fille, que doivent tendre tous nos desirs et nos esperances et considerer fort peu tout le reste qui passe avec nostre vie et n’a rien de reel et de solide. Le seul veritable bonheur qu’il peut y avoir dans le monde est de travailler à l’ouvrage de son salut, le temps que nous avons à demeurer sur la terre ne nous estant donné pas pour cela. Et c’est ce que vous ne sçaurez trop remercier Dieu de ce qu’Il vous donne la grace de faire en vous conduisant comme une mere chrestienne dans vostre famille et en employant ainsi si utilement tout vostre temps que vous pourrez luy en rendre un fidelle compte. Il sçait que je vous considere comme un present que nous ne pouvions recevoir que de Sa main et que vous avez raison de croire qu’il n’y a point d’amitié que vous ne devez attendre de toutes les personnes avec qui Il vous a unis par une si heureuse alliance. J’en puis hardiment parler de la sorte, connoissant 306autant que je le fais les sentimens des autres et Dieu voyant dans mon cœur que jamais pere n’a plus aimé une fille que je vous aime. Je vous conjure donc, ma très chere fille, de vous fortifier toujours de plus en plus dans le mespris de tous ces biens perissables que ne sont pour la plupart qu’un sujet d’offencer Dieu, de remettre entre Ses mains le sort de ce que deviendront vos enfans, qui sont dans la verité beaucoup plus les siens que les vostres, et de vous mettre toujours devant les yeux que, rien au monde n’estant plus rare qu’un excellent mariage, la benediction si extraordinaire qu’il Luy a pleu de respandre sur le vostre est preferable à tous les biens de la terre, principallement dans un temps où il n’y a plus de honte de les perdre, puisque chacun, grands et petits, se trouvent enveloppez dans une ruyne qui est generalle. Mais quand vous n’entreriez pas vous-mesme, comme je voy que vous faites, dans ces sentimens, ne devez vous pas y estre portez par l’exemple de tans de saintes vierges que vous aimez tant et que vous voyez s’estimer trop heureuses de conserver le repos de leur conscience en abandonnant tout le reste à la violence de la plus injuste persecution qui fut jamais. Que si Dieu permet, ma très chere fille, qu’elle aille jusques au bout, ne prendrez vous pas part à la consolation que ce me sera dans ma douleur d’aller finir mes jours auprez de vous et de vous pouvoir ainsi donner des tesmoignages continuels de la plus parfaitte amitié et de la plus grande tendresse qu’un pere puisse avoir pour une fille dont l’affection et l’estime remplit tout son cœur et son esprit.
1 Non conservée.