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Classiques Garnier

Annexe I Lettre d’Arnauld d’Andilly à Madame de Pomponne

305

Annexe I

Lettre dArnauld dAndilly
à Madame de Pomponne

Source

Bibliothèque de lArsenal, ms 6036, fo 263-264, minute autographe.

[Port-Royal], ce 28 juin 1664

Je ne puis, ma très chere fille, avoir veu vostre derniere lettre à vostre frere de Luzancy1 et ne vous pas temoigner mon extreme joye des sentimens si sages et si chrestiens quil plaist à Dieu de vous donner. Cest une grace que lon ne sçauroit assez estimer et vous estes, ma très chere fille, plus heureuse de lavoir que vous ne seriez destre reyne, parce que cest le moyen de le devenir un jour dans un autre monde, où la foy nous oblige de croire que nous regnerons eternellement avec Dieu, sil Luy plaist de nous faire misericorde. Cest donc à cela, ma très chere fille, que doivent tendre tous nos desirs et nos esperances et considerer fort peu tout le reste qui passe avec nostre vie et na rien de reel et de solide. Le seul veritable bonheur quil peut y avoir dans le monde est de travailler à louvrage de son salut, le temps que nous avons à demeurer sur la terre ne nous estant donné pas pour cela. Et cest ce que vous ne sçaurez trop remercier Dieu de ce quIl vous donne la grace de faire en vous conduisant comme une mere chrestienne dans vostre famille et en employant ainsi si utilement tout vostre temps que vous pourrez luy en rendre un fidelle compte. Il sçait que je vous considere comme un present que nous ne pouvions recevoir que de Sa main et que vous avez raison de croire quil ny a point damitié que vous ne devez attendre de toutes les personnes avec qui Il vous a unis par une si heureuse alliance. Jen puis hardiment parler de la sorte, connoissant 306autant que je le fais les sentimens des autres et Dieu voyant dans mon cœur que jamais pere na plus aimé une fille que je vous aime. Je vous conjure donc, ma très chere fille, de vous fortifier toujours de plus en plus dans le mespris de tous ces biens perissables que ne sont pour la plupart quun sujet doffencer Dieu, de remettre entre Ses mains le sort de ce que deviendront vos enfans, qui sont dans la verité beaucoup plus les siens que les vostres, et de vous mettre toujours devant les yeux que, rien au monde nestant plus rare quun excellent mariage, la benediction si extraordinaire quil Luy a pleu de respandre sur le vostre est preferable à tous les biens de la terre, principallement dans un temps où il ny a plus de honte de les perdre, puisque chacun, grands et petits, se trouvent enveloppez dans une ruyne qui est generalle. Mais quand vous nentreriez pas vous-mesme, comme je voy que vous faites, dans ces sentimens, ne devez vous pas y estre portez par lexemple de tans de saintes vierges que vous aimez tant et que vous voyez sestimer trop heureuses de conserver le repos de leur conscience en abandonnant tout le reste à la violence de la plus injuste persecution qui fut jamais. Que si Dieu permet, ma très chere fille, quelle aille jusques au bout, ne prendrez vous pas part à la consolation que ce me sera dans ma douleur daller finir mes jours auprez de vous et de vous pouvoir ainsi donner des tesmoignages continuels de la plus parfaitte amitié et de la plus grande tendresse quun pere puisse avoir pour une fille dont laffection et lestime remplit tout son cœur et son esprit.

1 Non conservée.