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Classiques Garnier

Introduction

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Le Sentiment religieux dans La Comédie humaine. Foi, ironie et ironisation
  • Pages : 457 à 458
  • Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 97
  • Série : Balzac, n° 7
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406092544
  • ISBN : 978-2-406-09254-4
  • ISSN : 2258-4943
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09254-4.p.0457
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/12/2019
  • Langue : Français
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Dans La Comédie humaine, lironisation, qui est un mode critique qui permet de figurer le réel tout en le problématisant, fonde la représentation du sentiment religieux. Or lironisation nest pas une description, mais bien une pensée active, une construction narrative qui joue de la réversibilité des significations, de la coexistence des contraires et de la déstabilisation permanente du lecteur pour créer une indécidabilité axiologique. Il sagit donc dans cette partie danalyser le geste dironisation dans son entier, cest-à-dire à la fois détudier les procédés qui le fondent, les dispositifs poétiques qui le construisent et les effets de lecture quil induit. Nous proposerons dabord une définition théorique et générale de ce que nous appelons ironisation, avant détudier trois modalités principales de lironisation du sentiment religieux.

La première modalité consiste à problématiser la représentation de la transcendance. Car la création balzacienne choisit dinterroger le présent en refusant toute pensée fondée sur des catégories fixes et opposées : le modèle métaphysique, qui passe par la croyance en une transcendance divine permettant dassigner des significations stables aux événements, est ainsi remis en cause par la multiplication de disjonctions qui procèdent à un bouleversement généralisé du sens en interrogeant à la fois lidée même de justice divine et le rapport au temps quelle fonde. Les fictions balzaciennes organisent en effet des contradictions fondamentales entre des lectures religieuses des événements et une pensée du hasard : la diégèse des romans, lagencement des événements, la trajectoire des personnages fonctionnent comme autant dironies narratives qui proposent un constant retournement entre des interprétations contradictoires et incompatibles. Ces multiples disjonctions ne mettent alors pas tant en valeur linexistence ou labsence de toute instance transcendante que lironie railleuse qui semble la définir : en associant le retournement dynamique, la fusion des contraires et les ironies du sort, les romans dessinent une instance divine qui se trouve associée à un point de tension du sens, voire à un évanouissement de toute signification, et fondent un rapport problématique au temps qui remplace la temporalité religieuse par une autre forme dinfini ne fondant aucun au-delà métaphysique.

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En outre, lironisation du sentiment religieux est construite à partir de diverses stratégies énonciatives qui problématisent la signification axiologique de la représentation en développant une unité fondamentalement polyphonique. Cette polyphonie se traduit dabord par une réflexion autour du langage et des modèles de représentation, quelle nhésite pas à détourner jusquà en proposer parfois la parodie, mais elle se fonde également sur la mise en jeu des postures dautorité, la multiplication des diverses positions narratoriales et léclatement des points de vue. Développant plusieurs discours dautorité opposés qui tous ont trait au sentiment religieux et à la religion, les romans démultiplient les voix et les ambiguïtés qui compromettent lhomogénéité idéologique, rompent lunité axiologique de la représentation et donnent alors naissance à une poétique générale de la polyphonie et du contresens.

Lironisation, en énonçant un discours idéologique fortement ambivalent, permet alors de juxtaposer les lectures les plus diverses et de faire cohabiter les catégories normalement incompatibles que sont le sublime et lironie. Le sublime religieux semble en effet constamment miné par le geste dironisation qui le problématise et le retourne en son inverse ; la représentation annule la distance entre des catégories inconciliables, fait cohabiter les interprétations contradictoires et propose un basculement dun extrême à lautre : le récit nest plus ironique ou sublime, il est les deux à la fois. Fondée sur un principe dinversion et de réversibilité, lironisation assume ainsi la solitude radicale dans laquelle elle laisse le lecteur en construisant une profonde hésitation entre des interprétations contradictoires, et elle crée ce faisant une représentation axiologiquement instable apte à embrasser lensemble dun réel lui-même oxymorique.