Dans La Comédie humaine, Balzac propose d’importantes réflexions sur la croyance religieuse et sa représentation romanesque. La mise en roman du sentiment religieux se fonde en effet sur des principes de représentation à la fois conformes à la réflexion générale opérée par le romantisme et propres au seul Balzac.

La croyance religieuse est d’abord médiatisée par un lexique précis : c’est à partir d’un certain vocabulaire que se déploie la représentation balzacienne de la spiritualité, et il s’agira dans un premier temps d’analyser à la fois le choix des termes et leurs diverses occurrences mais aussi leur place dans un dispositif qui varie les échelles, multiplie à dessein les niveaux de lecture et s’accompagne de procédés narratifs et esthétiques particuliers. On s’intéressera donc au lexique balzacien du sentiment religieux en montrant que Balzac privilégie un vocable familier qui se réfère à des concepts du dogme catholique. Mais si les discours religieux des romans se construisent à partir d’un répertoire lexical chrétien et reconduisent des concepts de la théologie catholique rassurants voire cliché, Balzac développe également une réflexion singulière autour de notions spécifiques par l’intermédiaire desquelles il invente une pensée mystique cohérente.

Cette théologie personnelle s’organise en outre autour de catégories théoriques importantes et originales qui sont des concepts représentants à partir desquels se développent diverses réalisations fictionnelles, et en particulier le personnel romanesque engagé dans la représentation du sentiment religieux. Car la pensée de la transcendance élaborée par Balzac ne s’applique qu’à certaines catégories de personnages, et nous nous interrogerons dans un second temps sur les sujets balzaciens de la foi. La cosmologie balzacienne distingue en effet divers types métaphysiques qu’elle associe chacun à un monde spirituel particulier et qui correspondent à des états religieux de l’âme classés selon un principe de gradation : le système balzacien des croyances s’organise tout entier autour d’une échelle de spiritualité qui irait du manque total de sentiment religieux à la foi profonde en augmentant par paliers successifs. La représentation d’une croyance religieuse pensée comme le développement d’un être intérieur cristallise alors divers enjeux directement liés à la construction des figures romanesques.

Enfin, nous verrons dans un troisième temps comment le sentiment religieux pensé à partir de concepts théoriques représentants s’actualise à travers des expériences personnelles fictionnelles vécues par des sujets individualisés : ces expériences sont présentées par l’intermédiaire de scènes récurrentes qui confrontent les personnages à l’émergence du sacré et qui fonctionnent comme des scènes de révélation et d’extase religieuses. Il s’agira dès lors de définir les modalités de représentation romanesque de ces expériences mystiques en fonction du type de médiation qui les fonde : si certaines de ces manifestations du sacré mettent en scène un sujet passif et se basent sur la seule contemplation d’objets susceptibles de faire naître le sentiment de l’infini, d’autres passent au contraire par une médiation fondée sur la sémiotique langagière, verbale ou non, qui joue un rôle essentiel dans la naissance du sentiment religieux chez un sujet résolument actif.

En proposant une description détaillée de l’organisation de la théologie balzacienne et des procédés de fictionnalisation qui président à sa représentation romanesque, il s’agira donc de montrer comment La Comédie humaine illustre une pensée du phénomène religieux extrêmement cohérente et fondée à la fois sur un vocabulaire particulier, une conception théorique des sujets romanesques et des scènes récurrentes d’expériences métaphysiques.