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Classiques Garnier

Préambule

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Préambule

Beaucoup déconomistes pensent que la seule forme décriture est larticle académique et même que cest la seule forme dexpression scientifique. En réalité larticle académique est très souvent centré sur une question très étroite, avec une dimension technique assez poussée qui est un facteur dappauvrissement. Il amène souvent à éliminer les questions difficiles, les incertitudes, les nuances voire la dimension paradoxale de certaines questions. Cest la raison pour laquelle louvrage qui est ici présenté comporte à la fois la dimension dun livre et celle dun dossier. Il comprend une étude qui nest pas un commentaire des textes publiés mais la tentative dune restitution du contexte économique monétaire et financier de lépoque du royaume de Naples au moment où les textes de Antonio Serra et MarcAntonio De Santis ont été écrits.

Cela répond à une nécessité car dans les facultés déconomie et de gestion de France tout enseignement de lhistoire économique et financière et sociale a pratiquement disparu et ce depuis près de 20 ans. Cest encore plus nécessaire lorsquil sagit du xvie et du xviie siècle en Italie et en Espagne période qui reste assez largement méconnue en dehors du cercle étroit des spécialistes et des lecteurs intéressés par cette période. Les « économistes » utilisent des paramètres et des relations entre ceux qui dépendent fondamentalement des structures de la société contemporaine et ne sont donc daucune utilité pour lexamen des sociétés précapitalistes. Considérer avec toute lattention nécessaire les discours des théoriciens et des administrateurs du xviie siècle, en essayant de mettre au jour la logique de leurs propos, et en faisant lhypothèse quune telle élucidation est susceptible à la fois de fournir quelques bons outils et de permettre de réfléchir sur la relation entre les formes concrètes et les représentations des penseurs de cette époque.

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Questions théoriques sur lusage
des concepts des économistes

Lidée de rechercher chez les auteurs du xvie-xviie siècle les notions et les raisonnements qui leur ont permis de se représenter plus ou moins clairement les réalités matérielles et sociales au milieu desquelles ils vivaient est une source importante danalyse. Mais il faut être attentif à repérer les avantages et les dangers dune telle démarche1. Il est important détablir la situation de chacun de ces auteurs et le type dintérêt défendu.

Quelle était la part des « marchés » dans la circulation des biens ? Plus concrètement, dans une zone donnée, par rapport à lensemble de la production céréalière, quelles étaient les masses : 1. des céréales auto-consommées (directement et indirectement, par prélèvement) ; 2. des céréales passant par une forme déchange (produit contre produit, ou produit contre travail/service) ; 3. des céréales faisant lobjet dune transaction monétaire, après évaluation2. Ce quon appelle crédit dans ce cadre na rien à voir avec ce que nous appelons crédit. Il ne sagit pas daccroître la consommation par une création de monnaie supplémentaire, mais dintégrer dans des réseaux de dépendance3.

Nous avons donc tenté dans ce travail de redonner les éléments du contexte historique dans le domaine financier monétaire et commercial. Le travail des historiens italiens et de quelques autres a été très précieux dans cet objectif. Au cours de cette étude, pour tenter de reconstituer le contexte dans lequel les deux œuvres de A. Serra et MarcAntonio De Santis ont été écrites, nous traiteront successivement : lempire espagnol, le pouvoir des Génois, le royaume de Naples, impôts et fiscalité, le système monétaire, les banques publiques, les foires de change, Naples place financière, la dette publique, et la polémique entre MarcAntonio de Santis et Antonio Serra. Ce long détour pourra être utilisé par le lecteur à son gré pour éclairer tel ou tel point évoqué par les deux auteurs précités. En effet cette étude nest pas un travail autonome se suffisant à lui-même, cest surtout en quelque sorte un dossier qui 9permet de surmonter limplicite contenu dans les deux ouvrages qui fait référence à un nombre déléments qui nexistent plus pour nous aujourdhui. Les deux volumes : « Bref traité sur la richesse, dAntonio Serra ; deux discours sur le change de MarcAntonio De Santis » et le présent volume sur « Le Royaume de Naples (1580-1620) », sont donc dune certaine façon indissociables.

Les questions auxquelles nous avons essayé de répondre sont les suivantes :

Quelle est la nature du système monétaire et comment fonctionne-t-il ?

Quelle est la fonction des banques ?

Quelle est la nature de la dette publique et comment est-elle financée ?

Quelle est la situation du commerce extérieur ?

Quelle est la nature de la spéculation et de sa relation avec la foire de change ?

Quelles sont les causes du manque de monnaie ?

1 Guerreau Alain. « Avant le marché, les marchés : en Europe. xiiie-xviiie siècle (notre critique) ». In : Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56 année, N. 6, 2001. p. 1129-1175 ; Voir J Y Grenier p. 1143.

2 Ibid.

3 Ibid.