Résumés

Noémie Recous et Yves Krumenacker, « L’hétérodoxie, entre Églises et États »

Dès le début de la Réforme, la question des « hérétiques » est complexe, ainsi que la place du pouvoir politique dans la lutte contre eux. Elle persiste ensuite : la multitude de termes qualifiant les hétérodoxes révèle la difficulté des Églises à caractériser ceux qui s’écartent d’elles par les dogmes ou les pratiques. En outre, selon les contextes, l’État veille à la conformité de ses serviteurs, réprime les dissidents ou met en place des formes diverses de tolérance.

Giovanni Gellera, « James Dundas (c. 1620-1679) et Charles II. Tolérance religieuse, liberté de conscience et limites de la souveraineté »

Face à Charles II qui exige qu’il renonce à l’Alliance nationale et qu’il accepte l’épiscopat et l’autorité royale dans les affaires religieuses écossaises, James Dundas, First Lord Arniston, juge et philosophe, renonce à ses fonctions. Son testament philosophique, récemment découvert, constitue une nouvelle source pour l’étude de la philosophie écossaise pré-Lumières, pour l’histoire intellectuelle, politique et de la théologie morale.

Christian Maurer, « Archibald Campbell et le Committee for Purity of Doctrine.La définition de l’orthodoxie dans l’Église presbytérienne au début des Lumières écossaises »

En 1735, le professeur d’histoire ecclésiastique à St. Andrews, Archibald Campbell, est accusé d’hérésie. Un Committee for Purity of Doctrine de l’Église presbytérienne écossaise est chargé d’analyser ses écrits philosophiques et théologiques. Que ce soit du point de vue du Committee ou de Campbell lui-même, cette affaire permet de mettre en lumière les tendances qui existent au sein de l’Église presbytérienne écossaise et les changements qui s’y amorcent au tout début des Lumières.

Anne Lagny, « August Hermann Francke (1663-1727) dans les troubles de Leipzig (1689). Entre accusation d’hétérodoxie et défense de l’orthodoxie »

Lors des « troubles de Leipzig » (1689), August Hermann Francke est accusé d’hétérodoxie et mobilise une extraordinaire énergie pour s’en défendre. Les documents relatifs à son interrogatoire, ceux de l’expertise juridique, les procès-verbaux et sa défense permettent de mettre au jour les interactions entre les différentes instances mobilisées dans ce procès – universitaires, religieuses, étatiques, dans la phase décisive qui annonce l’implantation et l’institutionnalisation du piétisme de Halle.

Joke Spaans, « Réfuter le socinianisme dans la république des Pays-Bas »

Au cours du xviie siècle, le socinianisme fut perçu comme une menace pour l’orthodoxie réformée, tant dans les îles britanniques que dans la république néerlandaise. Mais s’il a été très discuté au sein de l’Église réformée néerlandaise, son attrait y est resté limité. Le socinianisme constitue une focale intéressante pour étudier les relations entre l’Église et l’État, leur réaction face à l’hétérodoxie, et pour comparer les trajectoires des protestantismes réformés anglais et néerlandais.

Didier Boisson, « Définir une orthodoxie. Les rapports entre l’Académie de Saumur et les synodes provinciaux du Centre-Ouest »

Les questions d’orthodoxie et d’hétérodoxie ne peuvent plus être traitées par les synodes nationaux après 1659-1660, mais par les synodes provinciaux. À partir des registres de l’Académie de Saumur, des actes ou procès-verbaux des synodes provinciaux de l’ouest, on peut étudier les rapports entre cette académie « novatrice », les synodes et l’État pour comprendre le rôle de chaque institution et acteur dans ces débats, et les différentes sanctions envisagées contre des hétérodoxes.

Thomas Guillemin, « Jurieu face à l’aile radicale de l’École de Saumur. Une définition éristique de l’hétérodoxie »

Figure autoproclamée de l’orthodoxie huguenote du Grand Siècle, Jurieu a produit une importante œuvre de controverse religieuse, tant interconfessionnelle qu’intraconfessionnelle. Dans cette dernière, il cible en particulier 351l’aile radicale de l’École de Saumur, ceux qu’il voit comme les premiers des hétérodoxes, les cameroniens radicaux Testard, d’Huisseau, Pajon et Papin. Il formule contre eux une définition éristique de l’hétérodoxie dont il s’agit de montrer l’approche historique et théologique.

Frédéric Schwindt, « Une confession hétérodoxe par nature. Les anabaptistes-mennonites (branche suisse) »

La réaction rigoriste de Jacob Amman en 1693, et son succès en Alsace, Franche-Comté et au sud de l’Allemagne, permet d’étudier le rapport entre les causes spirituelles et matérielles dans les affiliations et l’évolution des confessions. Ce tournant radical permet aux communautés anabaptistes de survivre dans une société qui tente de les absorber. L’histoire des assemblées amish et mennonites s’inscrit entre ces deux extrêmes : une tentation de l’assimilation et une réaffirmation identitaire.

Julien Léonard, « Une question religieuse ou politique ? La condamnation de Noël Journet à Metz en 1582 »

En 1582 à Metz, Noël Journet est exécuté pour avoir nié la Trinité. Le Magistrat qui le condamne, composé de catholiques et de réformés, agit sous surveillance française. Le cas de Journet est rapidement instrumentalisé par la controverse catholique, puis le consistoire de l’Église réformée condamne à son tour celui qui avait été membre de la communauté. Cela révèle les rapports de force qui s’établissent dans des villes de coexistence confessionnelle, notamment sur la gestion des hétérodoxes.

Charles-Édouard Aubert, « La recherche de la “concorde civile” par l’affirmation de l’hétérodoxie politique de la permission de la “religion prétendue réformée” dans les premiers commentaires de l’édit de Nantes (1598-1600) »

Dès 1598, la doctrine juridique est orientée vers la promotion d’une concorde civile. Mais pour un certain nombre de juristes, cette concorde civile ne peut s’établir que si le royaume parvient à mettre en œuvre la concorde religieuse, c’est-à-dire, la réunion des catholiques et protestants au sein d’une même Église. Toutefois, d’autres juristes vont peu à peu renoncer à l’idée de concorde religieuse pour fonder la concorde civile, et réclamer la liberté religieuse au sein du royaume.

Simone Baral, « “Le Roi aime les vallées, et il a appris que vous les troublez”. La dissidence réveillée aux vallées vaudoises entre Églises, autorités civiles et État (1825-1839) »

Après la visite de Félix Neff dans les vallées vaudoises en 1825, une petite « guerre civile » éclate entre momiers et église multitudiniste, où s’immiscent deux camps : l’État et l’Église catholique « contre » les Églises vaudoises et leurs protecteurs protestants étrangers. Les sources officielles étatiques et ecclésiastiques et le journal de l’un des réveillés révèlent des évènements qui ont contribué à définir la théologie dominante des réformés piémontais à la veille de la liberté de culte.

Philippe Chareyre, « Le synode et le magistrat dans la souveraineté protestante du Béarn au xvie siècle »

Le protestantisme devient en une dizaine d’années la religion de la souveraineté de Béarn. Dans ce petit territoire dirigé par Jeanne d’Albret puis par sa fille Catherine de Bourbon, la volonté du souverain et la loi viennent en appui à la nouvelle Église. La série des procès-verbaux des synodes « nationaux » du Béarn, qui fait de multiples références au « magistrat », sert de base à une étude sur la complexité des relations entre les deux « glaives » au sein d’un État protestant.

Monique Weis, « Définir et condamner le quakerisme »

À la fin du xviie siècle une polémique contre les Quakers se déploie en Angleterre. De nombreux arguments théologiques et procédés rhétoriques sont utilisés pour discréditer la nouvelle « hérésie » dite « de la lumière intérieure ». On distingue dans cette polémique des continuités mais aussi des ruptures par rapport aux combats menés par des polémistes réformés contre les « spiritualistes » depuis le milieu du xvie siècle, et au rôle des autorités politiques dans la condamnation de ces hétérodoxes.

Slavko Slišković et Ana Biočić « La diffusion du protestantisme dans les territoires croates »

Le protestantisme n’a pas pu s’enraciner profondément en Croatie à cause des circonstances socio-politiques, mais également à cause de l’indivisible lien qui subsistait entre l’Église catholique et les structures de l’État. L’influence 353du Parlement croate sur la diffusion ou la restriction du protestantisme est notamment perceptible grâce à l’exemple des « Confins militaires », qui ne furent pas sous l’autorité du Parlement croate ni du Ban, et où le protestantisme s’est propagé sans difficulté.

Willem Frijhoff, « Hétérodoxie catholique. Le jansénisme aux Provinces-Unies entre Rome et Calvin »

Le jansénisme, né aux Pays-Bas d’une interprétation spécifique de la doctrine de Saint-Augustin par Corneille Jansenius a pris ensuite son envol dans les grands pays catholiques. Dans les Provinces-Unies, son sort fut pourtant différent. On a notamment pu suggérer que le jansénisme néerlandais équivalait à une hétérodoxie catholique teintée de calvinisme. Cette étude explore la rencontre entre les doctrines catholique et réformée en contexte néerlandais, et les rapports entre l’Église catholique et l’État.

Christian Grosse, « Conclusion. Affrontements et accommodements entre hétérodoxies et orthodoxies à l’ère des confessions de foi »

Les termes orthodoxie et hétérodoxie véhiculent une représentation abusive de corps de doctrines clairement constitués. Loin de se limiter aux dogmes, l’hétérodoxie s’exprime de plus en plus sous la forme d’une hétéropraxie. Face à elle, les « confessions de foi » se multiplient pour fixer des normes à l’aune desquelles mesurer les dissidences. Selon les contextes, les réactions sont variées : stratégie d’évitement, tolérance tacite, confrontation, sans forcément passer par la répression ouverte.